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Section IV : Genre et politique dans les dernières campagnes présidentielles

Paragraphe 1: Les questions de Genre dans les dernières campagnes

Les deux dernières campagnes présidentielles, celles de 2007 et de 2012, montrent que les questions de Genre ont pris de l’ampleur dans le champ politique français. Apparaissant, tantôt comme des stratégies de positionnement, notamment par la réaffirmation des marqueurs d’appartenance avec Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal en 2007233, voire même entre François Hollande et Nicolas Sarkozy en 2012234 ; tantôt comme des questions essentielles du débat politique pour l’évolution des mœurs (avec la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe235) et des représentations genrées. La vie politique sous la cinquième République est marquée par le pouvoir quasi « pontifical »236 du Président de la République élu au suffrage universel direct comme l’avait voulu le général Charles de Gaulle en 1958237

. En effet, le moment de l’élection est un moment de compétition, mais aussi un moment de mobilisation pour les groupes d’intérêt divers238

. Lors de la campagne présidentielle de 2012 : « Les associations LGBT

appellent à se mobiliser à la fois pour « l’égalité des droits » et « l’égalité réelle » en faisant le lien entre l’ouverture du mariage à tous les couples, la reconnaissance de l’homoparentalité et la lutte contre l’homophobie et la transphobie dans tous les domaines de la société. L’ouverture du mariage et les droits de filiation qui en découlent font figure de mesure phare, ce sont aussi des enjeux plus clivants que la lutte contre les discriminations (…) Les associations féministes reprennent les revendications d’égalité des droits pour les LGBT et développent d’autres thèmes liés à la sexualité, notamment concernant l’accès à la contraception et à l’avortement. Elles insistent aussi sur la lutte contre les violences faites aux femmes dans laquelle elles incluent le harcèlement sexuel et la prostitution »239.

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Catherine Achin et Elsa Dorlin, « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », in Raisons politiques, n° 31, 2008/3, P 19-45. DOI : 10.3917/rai.031.0019.

234

Marlène Coulomb-Gully, « Mâle ou normal ? ». Incarnation et masculinité(s) du couple Hollande-Sarkozy dans la campagne présidentielle de 2012 », [En ligne], http://gss.revues.org/2619

235

[En ligne], http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027414540&categorieLien=id

236 Bastien François, « Le Président, pontife constitutionnel. Le charisme d’institution et construction juridique du

politique » in Bernard Lacroix et Jacques Lagroye, Le Président de la République, Presses de la FNSP, 1992.

237

Georges Burdeau, « La conception du pouvoir selon la constitution du 4 octobre 1958 », in Revue Française de Science Politique, volume 9, numéro 1, 1959, [En ligne],

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1959_num_9_1_402985

238

Léa Morabito, « Les partis politiques face aux associations : polarisation, confrontation, collaboration sur les enjeux de sexualité dans la campagne présidentielle de 2012 », [En ligne],http://gss.revues.org/2642

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Sous la cinquième République, les campagnes électorales sont des espaces de politisation des questions de Genre et de sexualité240. En 1974, la question de l’avortement constitue l’objet des débats. En 1995, l’enjeu paritaire devient essentiel pour régler la question de l’accès des femmes en politique et l’inégalité entre les hommes et les femmes. En 2012, la question de l’évolution des mœurs avec la recherche de l’adoption d’une loi sur le mariage entre personnes de même sexe, ne semble plus être un tabou au Parti Socialiste par exemple. Et en accédant au pouvoir en mai 2012, le Président François Hollande mettra en œuvre la loi qui montre une évolution dans les questions de Genre de ce point de vue, en dépit des débats virulents241 et des nombreuses manifestations contre le « mariage pour tous ».

Le Genre exprime une « volonté de puissance » par le rapport de pouvoir qu’il désigne dans la hiérarchie des sexes, autrement dit dans le rapport entre les sexes qu’il met en lumière. La présence de Ségolène Royal au second tour de l’élection présidentielle de 2007, lors de laquelle 30% des candidates sont des femmes (pourcentage le plus important lors d’une élection présidentielle sous la cinquième République)242

, semble marquer un tournant dans le contexte politique genré républicain français. L’espace politique est depuis longtemps marqué par l’invisibilité des sexes à travers l’approche universaliste243 depuis la révolution de 1789. La classe politique française, majoritairement constituée d’hommes politiques qui exposent la virilité « privilège » (notamment ceux issus de la bourgeoisie) d’une part, et de ceux qui utilisent la virilité « ressource » à l’instar de Nicolas Sarkozy244 d’autre part, laisse encore les femmes politiques loin des cercles concentriques du pouvoir toujours perçus comme viril.

Par ailleurs, le positionnement de Ségolène Royal volontairement féministe lors de l’élection présidentielle de 2007, avait obligé ses adversaires à se positionner eux aussi en termes de Genre. La candidate socialiste devait construire une nouvelle « féminité gouvernante », car l’ethos politique du Président de la République demeure incarné par la figure masculine. En effet, l’ethos culturel politique français qui place le candidat vainqueur comme « le père de la nation » à la façon du général Charles de Gaulle,

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Eric Fassin, « L’empire du Genre », [En ligne], http://www.cairn.info/revue-l-homme-2008-3-page-375.htm

241 Maxime Cervulle, « Les controverses autour du « mariage pour tous » dans la presse nationale quotidienne : du

différentialisme ethno-sexuel contre registre d’opposition », in L’homme et la société, n°189-190, 2013/3, PP 207-222.

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Les autres candidates à l’élection présidentielle de 2007 sont : Arlette Laguiller pour Lutte Ouvrière, Marie-George Buffet pour le Parti Communiste et Dominique Voynet pour les Verts.

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Béatrice Fleury et Jacques Walter, « Penser le Genre en Sciences de l’Information et de la Communication et au- delà », [En ligne], http://questionsdecommunication.revues.org/503

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Catherine Achin et Elsa Dorlin, « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », in Raisons politiques, n° 31, 2008/3, P 19-45. DOI : 10.3917/rai.031.0019

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demeure un processus de reproduction sociale genré à l’avantage des hommes. Les sondages qui laissent entrevoir une victoire de Ségolène Royal pour la première fois en 2006245, et l’engouement populaire qui lui permit de remporter l’investiture de son parti dès le premier tour, donne à penser que quelque chose est en mutation sur le plan des représentations sociales genrées246. Le lien exclusif qui unit l’homme politique et la nation pourrait-il être remis en question, et pourrait-il advenir un nouveau lien entre la femme politique possible vainqueure de l’élection présidentielle et la nation ? La conformation des normes genrées avancée par les femmes politiques, elles-mêmes, qui en utilisant la féminité comme une « ressource » politique, articule les identités sexuées à l’aune des questions de Genre et de sexualité, fait émerger un véritable débat sur ces questions. Débat qui n’est pas nouveau, puisque dès les années 1990, comme l’évoquaient Fassin et Fabre, ces questions intéressent la société française. Elles investissent la sphère publique, on s’interroge sur les normes de Genre qui définissent le Genre et la sexualité247.

Lors de la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy dénonce les femmes martyrisées dans le monde248, Ségolène Royal revendique son féminisme au fur à mesure de la campagne électorale249. François Hollande en 2012, assure vouloir donner l’égalité des droits à tous les couples y compris ceux formés par les personnes de même sexe dans son projet présidentiel : engagement n°31250. Avec la campagne électorale de 2012, le contexte national français apparaît comme transcendé par les questions de Genre, même Marine Le Pen dénonce les violences faites aux personnes homosexuelles dans certains quartiers, bien que cette posture consiste surtout à instrumentaliser la religion musulmane dans les zones défavorisées251. En effet, « On perçoit ici à quel point ces normes de

Genre (défendre l’égalité des sexes) et de sexualité (« protéger » les homosexuels) sont convoquées pour servir de base à une identité nationale singulière. Les visées de cette stratégie sont triples : accréditer l’idée que la différence entre la France et d’autres

245

Jacques Gerstlé, « Les campagnes présidentielles 1965-2007 : de M. X à Mme Royal », [En ligne], http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2006-4-page-29.htm

246

Isabelle Garcin-Marrou, « Ségolène Royal ou le difficile accès au panthéon politique », in Présidentielle 2007. Scènes de Genre, Mots. Les Langages du politique, ENS Editions, PP13-23.

247

Claude Fabre et Eric Fassin, Liberté, Egalité, Sexualités, Belfond, 2003.

248 http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2008/02/11/1097254_sarkozy-au-cote-des-femmes-martyrisees-dans-

le-monde.html

249

Catherine Achin et Elsa Dorlin, « J’ai changé, toi non plus. La fabrique d’un-e Présidentiable : Sarkozy/Royal ai prisme du Genre », [En ligne], http://mouvements.info/jai-change-toi-non-plus/

250

[En ligne], http://www.letelegramme.fr/presidentielle-2012/presidentielle-les-60-engagements-de-francois-hollande- 07-05-2012-1579298.php

251

Catherine Achin et Lucie Bargel, « Montrez ce Genre que je ne saurais voir ». Genre, sexualité et institutions dans la Présidentielle de 2012 ». [En ligne], http://gss.revues.org/2633

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« cultures » passe avant tout par des normes de Genre et de sexualité, stigmatiser les minorités racisées qui ne respecteraient pas ces normes, et enfin laisser supposer qu’il n’y a ni sexisme ni homophobie dans l’hexagone »252

. Ces stratégies politiques deviennent donc davantage opportunistes que réellement opérantes dans le tissu social. La privatisation et l’informalisation de la politique253

obligent en quelque sorte les responsables politiques à se positionner sur les questions de Genre et de sexualité. Pour des raisons médiatiques plus que politiques, ces derniers sont souvent appelés à donner leurs avis sur tous les sujets de société, à montrer leur « modernité », à justifier leur positionnement idéologique. Leur regard sur la sexualité et sur le Genre doit être performé pour acquérir un capital politique. De plus, leur présentation générale apparaît comme un prolongement des stratégies de sexes et de Genre, parce qu’elle permet la construction d’une légitimité historicisante, autrement dit les usages concurrentiels de Genre entre les hommes et les femmes politiques sont définis par les ressources de virilité et de féminité qu’ils ou elles mettent en avant pour re-modéliser l’incarnation des rôles politiques ; les femmes voulant montrer une féminité gouvernante et les hommes remobilisant perpétuellement la virilité « privilège » ou la virilité « ressource ».

En 2011, le duel entre François Hollande et Martine Aubry apparaît comme la confrontation de deux styles, le premier surnommé « Flamby »254 est renvoyé dans ce qu’on qualifie de « gauche molle, en revanche, Martine Aubry est comparé à une « Merkel de gauche »255, « une gauche dure ». L’inversion des rôles féminin/masculin en ce qui concerne cette confrontation Hollande/Aubry, fait que le candidat désigné du PS fera face aux stéréotypes du féminin « la mollesse » 256, lors de l’opposition face à Nicolas Sarkozy dont l’ethos viril avait été longuement travaillé depuis les années 2002 (au ministère de l’intérieur) et surtout aussi à travers sa précédente campagne contre Ségolène Royal en 2007257. Nicolas Sarkozy adopte la stratégie du « père de la nation » qui s’occupe de la France en période de crise, face à François Hollande dont l’ethos de masculinité se voudra « normal » en opposition à la force affichée chez son adversaire de

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Catherine Achin et Lucie Bargel, « Montrez ce Genre que je ne saurais voir ». Genre, sexualité et institutions dans la Présidentielle de 2012 », [En ligne], http://gss.revues.org/2633

253

Erik Neveu, « Privatisation et informalisation de la vie politique », in Yves Bonny (sous la direction de), Norbert Elias et la théorie de la civilisation. Lectures et critiques, Presses Universitaires de Rennes, 2003, pp. 187-207.

254 [En ligne], http://www.lepoint.fr/politique/de-flamby-a-pepere-tous-les-surnoms-d-hollande-10-04-2013-

1653042_20.php

255

[En ligne], http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/01/13/martine-aubry-endosse-les-habits-d-une-merkel-de- gauche_1291091_823448.html

256

Marlène Coulomb-Gully, « Mâle ou normal ? ». Incarnation et masculinité(s) du couple Hollande-Sarkozy dans la campagne Présidentielle de 2012 ». [En ligne], http://gss.revues.org/2619

257

Catherine Achin et Elsa Dorlin, « Nicolas Sarkozy ou la masculinité mascarade du Président », in Raisons politiques, n°31, août 2008, Presses de Sciences Po, pp. 29-34.

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droite. Marlène Coulomb-Gully écrit : « (…) héraut de l’anti-héros, le candidat

« normal » (François Hollande) a donc remporté l’élection présidentielle de 2012 et se propose d’être un « hypo-président » caractérisé par la déflation du moi, par opposition à l’hyper-président incarné par Nicolas Sarkozy »258. En remportant l’élection

présidentielle de 2012, François Hollande avait usé d’une forme de masculinité qui l’avait remportée au détriment d’une autre forme de masculinité, celle de Nicolas Sarkozy. Ecartant une fois encore ici la féminité du pouvoir, car dans « le retournement du stigmate »259 qui a opéré à la faveur de François Hollande, il y avait bien là, l’affirmation d’une forme de virilité affichée et revendiquée.