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Section II : Les Gender Studies : avènement et définition

Paragraphe 2 Gender Studies : du sexe au Genre

Les Gender Studies, grâce au renouveau épistémologique qu’elles incarnent et à leur position transdisciplinaire, vont permettre de réelles avancées scientifiques inédites. Nous l’avons rapidement évoqué au début de cette section, le premier objectif de cette discipline était de faire admettre la distinction existant entre le Genre et le sexe. La conception du sexe admise jusque-là, reposait sur des critères purement biologiques qui autorisaient l’enfermement des femmes dans une catégorie vue comme naturelle et au- delà, les maintenait dans une condition féminine anhistorique et dépendante du fait social. Montrer l’existence d’un sexe naturel et d’un sexe social, permettrait de nombreuses avancées, d’abord en ouvrant la voie au questionnement sur les stéréotypes sociaux de sexe, puis en permettant une remise en cause des habitudes liées à ce système particulier des différences de sexe. Les premières recherches dans le cadre des Gender Studies, vont parvenir à démontrer la divisibilité du sexe en deux espaces, l’un relevant de l’acquis, l’autre de l’inné. Toutefois, cette première victoire scientifique a eu des conséquences particulièrement malheureuses allant à l’encontre de la volonté et des objectifs des scientifiques issus des Gender Studies. La dichotomie réalisée entre les deux sexes n’a fait qu’asseoir pour certains l’existence d’un invariant naturel, le sexe biologique vu comme le noyau dur, et parallèlement une barrière relative au sexe culturel. Involontairement donc, les études de Genre ont amené à leurs détracteurs les preuves qu’ils attendaient de l’enracinement profond et manifeste des femmes dans le naturel. Et, en plus de convaincre ses opposants, la dichotomie réalisée entre sexe biologique et sexe

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Nicole Albert « Genre et Gender, un outil épistémologique transdisciplinaire. », in Diogène, Revue, numéro 200 25 janvier mars, 2009, p. 3.

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social, a été particulièrement efficace pour discréditer les études de Genre, puisque cette dissociation entre biologique et sociale repose elle-même sur une coupure entre disciplines scientifiques relevant des sciences dites « exactes » et celles relevant des sciences sociales.

Ainsi, malgré des apports scientifiques indéniables, la scission effectuée entre un sexe biologique et un sexe social a eu pour conséquence de bloquer l’avancement des recherches, puisque celle-ci se heurtait irrémédiablement à ce socle biologique prédominant dont les manifestations extérieures faisaient figures d’évidence. Progressivement alors, les études de Genre vont s’attacher à déconstruire ce socle biologique résistant. Il s’est agi alors de démontrer que les différences biologiques des sexes sont historiques et relèvent, elles aussi, d’une construction. Nikolas Coupland explique d’ailleurs que : « Nous devons toujours nous interroger sur les raisons pour

lesquelles certaines catégories, aussi naturelles qu’elles soient, ont acquis cette qualité de « catégorie naturelle »121. Pour Judith Butler, le corps a toujours une dimension publique constituée comme un phénomène social dans la sphère publique, le corps du sujet est sien et n’est pas sien à la fois. Offert aux autres depuis la naissance, portant leur empreinte, formé au creuset de la vie sociale, ce n’est qu’ultérieurement que le corps appartient avec une certaine incertitude au sujet122.

Il s’agit donc désormais pour les chercheurs de déconstruire ce socle biologique (c’est ce que fait Judith Butler avec sa théorie queer), encore perçu par le champ scientifique comme la base intangible de l’existence humaine. Mais aussi et surtout, de démontrer que le Genre c’est-à-dire le sexe culturel à lui-même historiquement construit le sexe biologique. Il s’agit donc de montrer que le Genre précède le sexe. Par le passé, les études féministes avaient tendance à considérer les catégories de sexe comme intrinsèquement opposées. Or les chercheurs issus des Gender Studies, à l’instar de Nicole-Claude Mathieu, pensent « que considérer les catégories de sexe comme des « en soient séparés » amène à ne traiter que des femmes et à les traiter dans leur spécificité »123. Au sein des études de Genre, la catégorie masculine n’est alors plus considérée comme un référent mais bel et bien comme une catégorie à part entière, qui a pour spécificité d’être en position dominante.

121

Nikolas Coupland, Styles of discurse, Croom Helm, 1988.

122

Judith Bulter, Défaire le genre, Editions Amsterdam, 2006, p. 35.

123

Lorena Parini, Le concept de Genre, introduction aux concepts et théorie, Seismo, collection « Question de Genre », 2006.

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Nous venons de le voir, l’objectif premier des Gender Studies est de montrer le décalage existant entre les notions de sexe et de Genre. Et par ailleurs, de démontrer, en allant à l’encontre de nombreuses idées reçues, que ce n’est pas le sexe, en tant que critère biologique, qui est à l’origine de la scission existant entre les pôles masculins et féminins. Il s’agit alors de montrer que les rôles sexués ne sont en rien le résultat de données biologiques et sont tous entiers issus de constructions sociales comme les ont démontrées Judith Butler et Marie-Joseph Bertini. C’est par le biais de l’étude de cas particuliers, comme notamment les phénomènes intersexuels avec des individus vivant des conflits internes entre leur sexe biologique et leur identité, que les Gender Studies vont pouvoir avancer les preuves de ce qu’elles consolident. Les résultats de ces études vont montrer d’une part que le sexe d’un individu n’oriente pas systématiquement son Genre et donc l’adoption de comportements masculins ou féminins. Et d’autre part, qu’aucune fonction naturelle ne peut être considérée en dehors du sociale et plus largement que l’anatomie de l’individu déchargé de toute signification sociale n’existe pas. Ainsi, Evelyn Fox Keller124explique que la notion de Genre a une fonction particulièrement importante au sein de ce type d’études. En tant que catégorie sociale pleinement indépendante du sexe biologique, le Genre devient un outil puissant pour la contestation de la naturalisation de la différence sexuelle. « Il est inhérent non pas au

corps des individus hommes et femmes mais aux normes culturelles des sociétés dans lesquelles les mâles et les femelles biologiques deviennent des hommes et des femmes. »125

Nous partageons la vision de Judith Butler selon laquelle le Genre est performatif, et la réalité des normes de Genre est elle-même produite en tant qu’effet de performance126. Le Genre est un élément social particulièrement puissant, dépassant la notion de stéréotypes, puisqu’il organise insidieusement les visions des mondes sociaux. Les responsables politiques en se mettant en scène dans la presse people ici étudiée, adoptent volontairement ou involontairement des comportements genrés en réponse à une orthopédie sociale. Marie-Joseph Bertini dans de son ouvrage Ni d’Eve ni d’Adam.

Défaire la différence des sexes, nous donne une définition pertinente de la notion de

Genre qui permet de comprendre tous les éléments à l’œuvre dans ce concept ; elle écrit :

124

Evelyn Fox Keller, « histoire d’une trajectoire de recherche, de la problématique « Genre et science » au thème « langage et science », in Gardey Delphine Lowy Ilana (dirigé par), l’invention du naturel, les sciences de la fabrication du féminin et du masculin, archives contemporaines, 2000, p. 46.

125

Op-cit. p. 46.

126

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« Il s’agit d’un ensemble construit des rôles et des responsabilités sociales assignées aux femmes et aux hommes à l’intérieur d’une culture donnée à un moment précis de son histoire. Ces rôles sont soumis à l’influence des perceptions, des présupposés et des attentes découlant de facteurs culturels, économiques, sociaux, politiques et religieux, ainsi que des normes, des coutumes, des lois, de la classe sociale, de l’ethnie et de stéréotypes individuels et institutionnels. Les attitudes et les comportements inhérents au Genre font l’objet d’un long apprentissage et sont donc susceptibles d’évoluer »127.

Aujourd’hui, grâce aux avancées au sein des études de Genre, il ne s’agit plus d’opposer systématiquement le sexe comme élément biologique au Genre comme élément culturel, mais plutôt de concevoir l’élément biologique comme intégré dans un ensemble de constructions sociales et culturelles ne relevant en aucun cas de données naturelles indépassables. Comme les ont déjà démontrées les Gender Studies, le sexe n’aboutit pas à la détermination d’un Genre. Christine Delphy, dans son œuvre L’ennemi

principal II. Penser le Genre, pousse l’analyse plus loin encore en décrétant que

comparer le sexe et le Genre ne revient pas à comparer du naturel avec du social, mais bien du social avec du social, autrement dit des éléments historiquement construits et situés. Le sexe ne serait donc pas un élément naturel, mais clairement un objet culturellement et socialement construit auquel on assimile une valeur naturelle qui se veut indépassable, d’autant plus que le comportement social est fait de « mises en scène de

mise en scène » dont les acteurs puisent nécessairement dans « l’idiome rituel » de la

société pour le produire128. Il s’avère difficile de nier que le Genre construit le sexe. Judith Butler envisage le Genre comme un instrument par lequel le sexe est établi. Elle affirme que : « Le Genre n’est pas tout à fait ce qu’on « est », ni ce qu’on « a ». Le Genre

est le dispositif par lequel le masculin et le féminin sont produits et normalisés (…) Le Genre est le mécanisme par lequel les notions de masculin et de féminin sont produites et naturalisées, mais il pourrait très bien être le dispositif par lequel ces termes sont déconstruits et dénaturalisés »129.

Les Gender Studies peuvent donc maintenant affirmer que le Genre précède le sexe. Marie-Joseph Bertini explique d’ailleurs que c’est à partir de lui que s’organise le fondement inégalitaire de nos sociétés, ou hiérarchiquement le pôle masculin domine le pôle féminin. Le Genre définit un système de signes qui inscrit des relations de pouvoirs

127 Marie-Joseph Bertini, Ibid, p. 67. 128

Yves Winkin, Erving Goffman, Les moments et leurs hommes, Seuil, 1988, p. 150.

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et la hiérarchisation sexuelle. En effet, tout comme la hiérarchie précède les catégories, le Genre précède le sexe et s’évertue à construire des rôles masculins et féminins instaurant et perpétuant une hiérarchie sociale où le masculin domine pleinement le féminin. Le Genre se construit à travers la performativité130, alors que le pouvoir crée le Genre qui, à son tour, crée le sexe.131