• Aucun résultat trouvé

4.2.1 Interactions de contact dépendantes du spin

Notre stratégie de condensation (cf. section 1.2.7) repose sur le chargement d’un piège optique dipolaire. Les atomes qui y sont piégés sont ensuite polarisés par pompage optique dans l’état de projection du spinmS =3de plus basse énergie, afin d’interdire la relaxation dipolaire, avant de débuter l’étape d’évaporation.

Cependant, si les taux de relaxation dipolaire étaient négligeables, il serait envi-sageable d’atteindre la condensation à partir d’autres sous-états Zeeman, suivant les propriétés des collisions élastiques et inélastiques correspondantes. C’est le cas dans des expériences avec des spineurs alcalins (de Rb et Na), pour lesquels les taux de relaxation dipolaire sont faibles, et où l’étape d’évaporation peut être effectuée dans divers sous-états Zeeman, parfois même plusieurs simultanément [133].

Pour un condensat de chrome où le taux de relaxation dipolaire est important, il faut que les atomes soient tous polarisés dans le même sous-état Zeeman de plus basse énergiemS =3: cet état, stable en présence d’un champ magnétique suffisant (un champ supérieur à 5 mG suffit amplement dans nos conditions expérimentales), correspond à une phase ferromagnétique, et c’est l’état dans lequel nous produisons le condensat.

A champ magnétique nul, il n’y a plus d’effet Zeeman pour lever la dégénérescence des sous-états mS et pour imposer l’état fondamental du système. Dans ce cas, ce sont les interactions de contact qui définissent l’état de plus basse énergie, et plus particulièrement la partie des interactions de contact qui dépend du spin.

Phases spinorielles à champ magnétique nul

Pour introduire quelques notions nécessaires, et afin de déterminer quelle est la phase de plus basse énergie à champ nul, fixée d’après la partie des interactions de contact dépendante du spin, nous reprenons ici le traitement effectué en [134] dans le cas d’une espèce bosonique de spin 1 (telle que 23Na, 87Rb). Le calcul repose tout d’abord sur la séparation, dans l’expression des interactions de contact, des parties dépendantes et indépendantes du spin. L’interaction de contact étant à symétrie sphé-rique, le spin totalSt d’une paire de particules est un bon nombre quantique pour dé-crire cette interaction. Nous écrivons alors le potentiel d’interactions de contact adapté à la description d’un spineur, ici dans le cas simplifié d’un spin S = 1, sous la forme :

ˆ V(⃗r) = δ(⃗r) ∑ St=0,2 gStPˆSt =δ(⃗r) ( g0Pˆ0+g2Pˆ2 ) (4.1)

gSt = ~2aSt

m est la constante d’interaction de contact pour le canal de collision de spin total St, avec m la masse d’un atome, et aSt la longueur de diffusion en onde s associée à ce canal. Pour des raisons de symétrie, seules les valeurs paires de St sont considérées ici : lors de la collision entre deux particules identiques dans le même sous-état Zeeman, la fonction d’onde associée est paire, ce qui impose au spin totalSt pour deux bosons collisionnant en onde s (moment angulaire orbital relatifl = 0, collisions dominantes à très basse température) d’être pair [151].

Le termePˆSt est l’opérateur de projection de la paire dans l’état de spin totalSt. On utilise la relation de complétudePˆ0+ ˆP2 = ˆI (avecIˆl’opérateur identité, etPˆ1 nul par symétrie), ainsi que la relationS1·S2 =2S

j=0λjPˆj (avecλj = 12[j(j+ 1)−S(S+ 1)]), qui donne [134, 151] la relation S1 ·S2 = ˆP2 2 ˆP0. Avec ces deux relations, on peut décomposer le potentiel d’interaction de contact en une partie indépendante du spin de coefficient c0 et une partie dépendante du spin de coefficient c2 :

ˆ

V(⃗r) = δ(⃗r)

(

c0+c2S1·S2)

(4.2) où les constantes c0 et c2 sont définies par c0 = g0+2g2

3 et c2 = g2−g0

3 . L’hamiltonien décrivant les interactions de contact s’écrit alors en seconde quantification :

ˆ Hcontact= 1 2 ∫ d⃗r ( c0 Sm,j=−S ˆ ΨmΨˆjΨjˆ Ψmˆ +c2 Sm,j,l,k=−S ˆ ΨmΨˆjSm,k·Sj,lΨlˆ Ψkˆ ) (4.3)

où l’opérateur densité est défini parnˆ(⃗r) =∑S

m=−SΨˆ

m(⃗r) ˆΨm(⃗r), avec Ψˆm les opéra-teurs de création d’une particule dans le sous-état ZeemanmS =m formant le vecteur du spineur. L’énergie associée à ces interactions de contact est calculée [134] dans l’ap-proximation de champ moyen :

Econtact=Hˆcontact= 1 2 ∫ d⃗r n2(⃗r) ( c0+c2S⃗⟩2) (4.4) où la densité s’écritn(⃗r) =⟨nˆ(⃗r)=∑S

m=−Sψm(⃗r)ψm(⃗r). Les termes S = (Sx, Sy, Sz)

représentent les opérateurs vecteurs de spin, S

µ(⃗r) = ∑S

m,n=−Sζm(sµ)m,nζn, où sµ,

pourµ=x, y, z, sont les matrices de spin pour S = 1 et ψm(⃗r) = √

n(⃗r)ζm(⃗r), avec

ζ un spineur normalisé, ∑S

m=−Sζmζm = 1.

L’état fondamental est alors déterminé par la minimisation de l’énergie du système pour un nombre fixe de particules. A champ magnétique nul, la référence [134] démontre l’existence de deux phases distinctes, suivant le signe du coefficientc2.

Pour c2 <0, l’énergie du système est minimisée en rendant maximum la valeur de S⃗⟩2 = 1, ce qui est réalisable par exemple lorsque tous les atomes sont polarisés dans le même sous-état Zeeman de magnétisation extrême. L’état fondamental du système

correspond donc à une phase ferromagnétique. L’état fondamental est constitué de tous les spineurs reliés par rotation et par transformation de jauge au spineur ζ = (1,0,0)

[134].

Pourc2 >0, l’énergie est minimisée dans le cas oùS⃗⟩= 0. Dans ce cas, l’état fon-damental correspond à une phase appelée polaire, de magnétisation nulle, représentée par le spineur ζ = (0,1,0) (et tous les spineurs liés par rotation et transformation de jauge). Cette phase est également appelée antiferromagnétique, terme adapté de la phy-sique des cristaux liquides, cependant elle ne correspond pas à un alignement alterné de spins antiparallèles (ordre de Néel), car le condensat ne possède pas l’ordonnancement d’un cristal.

Ces résultats calculés pour un spin S = 1 sont généralisables aux spins plus grands [136, 137, 16, 17]. Dans ce cas, les coefficients ci sont des combinaisons linéaires des constantes d’interactionsgSt, et des phases supplémentaires apparaissent. On constate d’après cet exemple l’importance de la partie des interactions de contact dépendante du spin, qui détermine la nature de l’état fondamental.

4.2.2 Diagramme des phases à champ magnétique fini

A champ magnétique fini, l’effet Zeeman linéaire vient modifier les résultats précé-dents. En effet, pour l’exemple d’un spin S = 1, la séparation en énergie entre phase ferromagnétique et phase polaire, apparaissant àc2 = 0, est alors décalée par l’énergie Zeeman. La transition de phase s’effectue alors pour un champ magnétique critique

Bc dépendant de la valeur de c2 [151], telle que l’énergie Zeeman soit compensée par l’énergie d’interaction provenant de la partie des interactions de contact dépendante du spin. Ainsi, un système S = 1 initialement dans la phase polaire (antiferromagné-tique) à champ nul, deviendra ferromagnétique pour un champ magnétique supérieur au champ critique Bc. Au contraire, un système ferromagnétique à champ nul restera toujours ferromagnétique à champ fini.

Dans le cas du chrome, de spin S = 3, les différentes longueurs de diffusions a6,

a4, a2, et a0 déterminent la nature de l’état fondamental à champ magnétique nul. La différence a6−a4 38aB est positive, ce qui impose que l’état fondamental soit une phase non-ferromagnétique : par analogie avec le casS = 1décrit ci-dessus, la différence

a6−a4 correspondant au terme c2 >0, nous appellerons alors antiferromagnétique la nature du condensat de chrome à champ nul. Dans ce cas, la phase quantique corres-pondant à l’état fondamental antiferromagnétique du chrome est indéterminée : elle peut être polaire, cyclique,... selon la valeur de la longueur de diffusion a0 encore in-connue. Le diagramme des phases est par ailleurs enrichi du fait de la complexité d’une espèce de spinS = 3 [17].

La nature du chrome à champ nul étant antiferromagnétique, en appliquant un champ magnétique externe croissant il est possible de traverser une transition entre la phase de l’état antiferromanétique et une phase ferromagnétique, quand l’énergie Zeeman devient supérieure à celle de la partie des interactions de contact dépendante

du spin. Une version simplifiée du diagramme de phase prédit théoriquement [17, 16] est donnée à la figure Fig.4.1, en fonction de la valeur du champ magnétique externe et de la longueur de diffusion inconnuea0.

Figure 4.1 – Diagramme simplifié des phases quantiques pour le chrome (spin 3), adapté de [17, 16]. La phase quantique correspondant à l’état fondamental du système dépend à la fois du champ magnétique externe et de la valeur de la longueur de diffusion a0 associée au potentiel moléculaire pourSt= 0, inconnue pour le52Cr. La distribution dans les différents sous-états Zeeman est représentée qualitativement pour chaque phase, par le spineur normaliséζ =(α, β, γ, δ, ϵ, η, θ) correspondant aux sous-états Zeeman mS = (-3, -2, -1, 0, 1, 2, 3). La phase ferromagnétique est stable uniquement pour un champ magnétique supérieur au champ critique Bc défini par éq. (4.5).

Nous donnons qualitativement le spineur normalisé ζ =(α, β, γ, δ, ϵ, η, θ) repré-sentant les populations dans les différents sous-états Zeeman mS = (-3, -2, -1, 0, 1, 2, 3), pour les trois phases principales (dont les existences sont prédites sur de larges gammes de paramètres) : ferromagnétique (1, 0, 0, 0, 0, 0, 0), polaire (α, 0, 0, 0, 0, 0,

β) et cyclique (α, 0, 0, 0, 0, β, 0).

La transition entre la phase ferromagnétique et la phase de l’état antiferromagné-tique survient pour un champ magnéantiferromagné-tique criantiferromagné-tique Bc. En dessous de ce champ ma-gnétique critique, le condensat initialement produit dans une phase ferromama-gnétique (tous les atomes sont polarisés dans le sous-état Zeeman mS = 3) n’est alors plus dans l’état fondamental. Bc est défini par [17, 121] :

gSµBBc= 7.5

11

2π~2(a6−a4)

Ce champ critique dépend donc de la densitén, et de la différence de longueurs de diffusion a6−a4. Dans le cas des espèces Rb et Na, la différence entre les longueurs de diffusion est faible, et donc la partie des interactions de contact dépendante du spin l’est également. Ainsi, le champ magnétique critique calculé dans le cas du87Rb pour F = 2 [137] est de l’ordre de 30µG pour une densité n0 = 1020 m3. Pour le chrome au contraire, les longueurs de diffusion sont très différentes (cf. section 2.6) :

a6−a4 38aB. Le champ magnétique critiqueBc en dessous duquel le condensat n’est plus ferromagnétique a alors une valeur accessible expérimentalement, typiquement inférieure à 1 mG : pour un condensat de chrome de 20000 atomes et une densité de

n0 = 3.5×1020 m3, nous avons Bc250µG.

Stabiliser le champ magnétique externe en dessous de cette valeur requiert cepen-dant une très bonne maîtrise technique des champs, par exemple grâce à un blindage magnétique de la chambre expérimentale. Le procédé que nous avons utilisé est basé sur la compensation active des champs magnétiques, que je décris dans l’annexeA.2.