• Aucun résultat trouvé

Interaction dipôle-dipôle et magnétisation libre

Dans tout le traitement précédent pour déterminer le diagramme des phases du chrome, nous n’avons considéré que les interactions de contact. En effet, l’énergie as-sociée au potentiel d’interaction dipôle-dipôle est faible comparée à celle de la partie des interactions de contact dépendante du spin, qui fixe le champ magnétique critique :

Cdd 2π~2(a6−a4)

mCr (pour une distribution des dipôles donnant un effet maximum, la contribution des interactions dipôle-dipôle ne représente que 25% des interactions dé-pendantes du spin [17]). Cette énergie dipolaire contribue donc a priori peu à la détermi-nation du diagramme des phases, c’est-à-dire à la détermidétermi-nation de l’état fondamental du système (cf. cependant la discussion de la référence [149] pour plus de détails).

4.3.1 Rôle de l’interaction dipôle-dipôle

L’interaction dipôle-dipôle est la seule interaction capable de modifier la magnéti-sation totale du système. Celle-ci est définie par :

M = 1 Ntotal 3mS=3 mS×NmS (4.6)

avec Ntotal le nombre total d’atomes du spineur, et NmS le nombre d’atomes dans le sous-état Zeeman mS. Les expériences menées jusqu’à présent sur des condensats spinoriels [138, 139] utilisent des espèces où l’interaction dipôle-dipôle est très faible par rapport aux interactions de contact. Or ces dernières ne peuvent entraîner de changements de l’état de spin que par échange de spin (par exemple, |0 + |0⟩ → |−1+|1), mais la projection du spin total, elle, reste constante. Ainsi, la magnétisation calculée sur l’ensemble du spineur est inchangée. Les spineurs ainsi formés sont dans

l’état fondamental pour une magnétisation constante, qui n’est pas nécessairement l’état de plus basse énergie.

Pour étudier le système à différentes magnétisations, il est donc nécessaire de pré-parer au préalable les condensats spinoriels avec la magnétisation voulue, c’est-à-dire modifier artificiellement la répartition des populations dans les sous-états Zeeman. Pour cela, une impulsion de champ magnétique radio-fréquence [152] est généralement utilisée pour mettre les atomes dans une superposition d’états Zeeman. Un gradient de champ magnétique est ensuite appliqué, afin que les phases de chaque sous-état évoluent différemment les unes des autres, ce qui provoque la décohérence de la su-perposition d’états : le spineur est ainsi formé avec la répartition voulue. Une fois le condensat spinoriel formé, il est ensuite possible d’observer une évolution des popu-lations dans les sous-états Zeeman, mais la magnétisation reste toujours égale à celle préparée (artificiellement) initialement.

L’interaction dipôle-dipôle accorde un degré de liberté supplémentaire au système, en autorisant la dynamique de la magnétisation du système (cf. section4.6). Ainsi, les phases prédites [17,16] (cyclique, polaire, ...) en-deçà du champ magnétique critiqueBc, de magnétisations différentes de celle de la phase ferromagnétique, pourraient devenir dynamiquement accessibles à partir d’un condensat initialement ferromagnétique, en réduisant le champ magnétique jusqu’à traverser la transition de phase.

En résumé, l’état fondamental du système est déterminé par la partie des interac-tions de contact dépendante du spin, mais la possibilité de passer entre deux phases de magnétisation différentes n’existe que grâce à l’interaction dipôle-dipôle.

4.3.2 Démagnétisation spontanée du condensat

Le condensat de chrome est produit à des champs magnétiques suffisamment élevés pour que son état fondamental corresponde à la phase ferromagnétique. Afin d’observer une transition de phase à partir de cette situation initiale, le champ magnétique est diminué en dessous de la valeur Bc, jusqu’à un champ quasiment « nul » (cf. section

4.5.3pour la précision sur ce champ nul). Nous constatons alors que le nuage se

dépo-larise en un temps très court (inférieur à 10 ms) jusqu’à un état d’équilibre apparent (nous n’observons ensuite plus d’évolution pour des temps passés à champ magnétique nul allant jusqu’à plus de 500 ms), illustré sur la figure Fig.4.2. La magnétisation dans cet état « final » est proche de zéro, typiquement égale àMfinale≈ −0.5.

Pour comprendre le caractère original des données de la figure Fig. 4.2, il est im-portant de préciser qu’un condensat sans interactions ne se dépolarise pas, même si la magnétisation est libre. Les atomes d’un condensat sans interaction occupent en effet l’état de plus basse énergie, ce qui correspond au sous-état Zeeman mS = −S, donc le condensat est dans une phase ferromagnétique pour tout champ magnétique non nul. Ce comportement est différent de celui d’un gaz thermique, pour lequel les sous-états zeeman suivent une distribution de Boltzmann (cf. section4.7.1), ce qui implique une dépolarisation à champs faibles lorsque l’énergie Zeeman devient faible devant la

Figure 4.2 – Exemple typique de distribution finale des 7 sous-états Zeeman d’un condensat de chrome dépolarisé. Les images sont prises par une procédure de Stern et Gerlach (cf. section 4.5.1), 155 ms après avoir commandé l’application d’un champ magnétique de faible amplitude : (a) 1 mG ; (b) 0.5 mG ; (c) 0.25 mG et (d) 0 mG. Le condensat se dépolarise de façon spontanée lorsque le champ magnétique est diminué, jusqu’à atteindre un état final où la dynamique de dépolarisation semble arrêtée. Au champ magnétique le plus faible, la distribution dans les sous-états ZeemanmS = (-3, -2, -1, 0, 1, 2, 3) est égale à (17.5±9, 18±4, 14±1.5, 15±3,17±3, 12.5±4, 6±2)%, ce qui correspond à une magnétisation du nuage Mfinale≈ −0.5.

température du gaz. La dépolarisation du condensat est donc uniquement possible du fait d’une modification de l’état fondamental par les effets de champ moyen dûs aux interactions de contact.

Nous présentons également sur la figure Fig. 4.3 l’état final obtenu en fonction de la valeur du champ magnétique appliqué au niveau du condensat pendant un temps donné. On constate que la dépolarisation du condensat se produit sur une gamme de champs magnétiques de (demi-)largeur à 1/e égale à ∆B = 0.4 mG, pour un champ critique théorique estimé dans ces conditions expérimentales à Bc = 0.25 mG grâce à l’équation éq. (4.5). Ce spectre en champ magnétique de démagnétisation du condensat doit être fait sur des temps courts (ici, environ 100 ms passés àB < Bc), sans quoi les fluctuations d’origines techniques du champ magnétique augmentent cette largeur (cf. AnnexeA.2 sur l’ampleur de ces fluctuations). Sur ces données aussi, la magnétisation finale du système à champ nul (cf. section 4.6.4 pour les développements sur cet état final) est comprise dans l’intervalleMfinale [1 ; 0] : le nuage est fortement dépolarisé, les atomes étant quasiment équi-répartis dans les différents sous-états Zeeman.

Figure4.3 –Distribution des populations dans les sous-états Zeeman, pour un conden-sat initialement dansmS =3, 155 ms après avoir commandé l’application d’un champ magnétique B de faible norme (présentée en abscisse). A gauche, les trois types de va-riations observées : les losanges noirs donnent le nombre total d’atomes, qui ne varie pas ; les carrés rouges donnent le nombre d’atomes dans mS =3; les losanges verts donnent le nombre d’atomes dansmS = 0. A droite, les populations dans d’autres sous-états Zeeman, en fonction du même champ magnétique : mS = 2 (triangles noirs), mS = 1 (astérisques rouges), et mS = 0 (losanges verts). Les courbes en trait plein sont des ajustements par une fonction gaussienne, de largeur à 1e égale à 0.4 mG, pour chacune des populations (couleurs correspondantes). Les populations dans les sous-états ZeemanmS >0non représentées ici ont un comportement similaire. Notons que même au champ maximum, la population dans mS = 2 et mS = 1 n’est ici pas nulle, à cause de la dépolarisation du gaz thermique et non du condensat (cf. section 4.7.2).