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2.5.1 Protocole expérimental

Nous avons cherché à mesurer la variation du taux de relaxation dipolaire avec le champ magnétique, décrite théoriquement dans la section précédente. Pour cela, nous produisons un condensat de chrome de 10000 atomes, sans fraction thermique discer-nable, dans l’état fondamental 7S3, dans le sous-état Zeeman de plus basse énergie

mS = 3, en présence d’un champ magnétique statique maintenu fixe à une valeur choisie. Comme expliqué précédemment, les collisions inélastiques dipolaires sont éner-gétiquement interdites dans cet état, pour des atomes ayant une énergie cinétique nulle (condensat dans le régime de Thomas Fermi). Nous procédons donc à un balayage rf (ARP, cf. section1.2.6) de durée 2 ms autour de la fréquence de Larmor, pour transférer plus de95 % des atomes dans le sous-état de plus haute énergie mS = +3, pour lequel la relaxation dipolaire devient possible. Nous attendons alors un temps variable, puis procédons à un deuxième balayage rf, pour finalement imager les atomes dans l’état

mS =3par absorption après un temps de vol typique de 5 ms.

Nous mesurons par cette procédure les pertes d’atomes engendrées par les évène-ments de relaxation dipolaire. En effet, pour les champs magnétiques statiques ap-pliqués lors de ces expériences, l’énergie cinétique transférée à la paire d’atomes par relaxation dipolaire est suffisante pour que la paire quitte le piège dipolaire. L’éventuel chauffage du nuage est également mesuré, d’après sa taille après temps de vol.

Pour des temps suffisamment courts entre les deux balayages rf, en pratique infé-rieurs à 30 ms, il n’y a aucun chauffage observable, seulement des pertes d’atomes. Cette observation est en contraste avec ce que l’on peut attendre dans un gaz ther-mique. En effet, la collision inélastique entre deux atomes entraîne la perte de la paire, et donc ne doit produire aucun chauffage par apport d’énergie cinétique au nuage, si ces atomes très énergétiques ne font pas d’autres collisions avant de quitter le nuage. Cependant les collisions sont plus fréquentes à la position du pic de densité du nuage, c’est-à-dire au centre du piège. Or les atomes les moins énergétiques d’un nuage ther-mique sont confinés au centre, alors que ceux ayant une énergie plus grande explorent les bords du piège. Ce sont donc en majorité les atomes les moins énergétiques qui sont perdus par relaxation dipolaire, ce qui tend à augmenter la température moyenne du nuage par thermalisation. Au contraire dans un condensat, le potentiel chimique est constant sur l’ensemble du nuage, donc la perte d’atomes quelles que soient leurs positions ne devrait pas, d’après ces considérations simples, engendrer de variation de la température totale du nuage.

Cependant, il a été montré théoriquement [97] qu’un processus de collision inélas-tique peut entraîner des variations locales du champ moyen des interactions entre particules, qui créent des excitations du condensat (du type création d’une excitation élémentaire), et peuvent ainsi entraîner une décondensation du nuage et/ou une aug-mentation de la température.

Figure2.3 – Un exemple typique de résultats des expériences pour la mesure du taux de relaxation dipolaire. A gauche, le nombre final d’atomes est mesuré après un temps variable pendant lequel les atomes sont dans le sous-état mS = +3 où la relaxation dipolaire est autorisée énergétiquement. A droite, la taille du condensat (avec ajuste-ment par une gaussienne) est mesurée après les mêmes temps de relaxation dipolaire. Après 30 ms, le nuage n’est plus condensé : le taux de pertes n’est mesuré qu’à l’aide des points aux temps inférieurs, comme le montre l’ajustement (cf. éq. (2.45)), en trait plein bleu.

Les résultats expérimentaux semblent montrer cependant que le taux de chauffage au sein du condensat est plus faible que celui au sein d’un gaz thermique. La figure Fig. 2.3 présente un résultat typique obtenu pour le protocole décrit précédemment. Pour des temps courts, nous observons des pertes sans chauffage apparent. Puis pour des temps supérieurs à 30 ms, nous observons des pertes accompagnées d’un chauffage du système : pour ces temps longs, le nuage n’est effectivement plus condensé. Pour mesurer le taux de relaxation dipolaire, nous nous restreindrons uniquement à la partie aux temps courts, où la fraction condensée reste importante (cf. traits sur Fig.2.3).

Notons que de manière générale, nous n’observons pas de signature de collisions à trois corps dans notre condensat de chrome, pour les densités explorées dans les cha-pitres de cette thèse (et ce, même au plus fortes densités, atteintes lors de l’utilisation de réseaux optiques, cf. chapitre3). A titre d’exemple, les collisions à trois corps pour le chrome ont déjà été mesurées [94] lorsqu’elles sont fortement augmentées à proximité d’une résonance de Feshbach située à 205 G. Cependant, dans le cadre de cette thèse, nous négligerons leur influence.

2.5.2 Résultats expérimentaux

Le taux de perte est mesuré de la façon décrite précédemment pour différents champs magnétiques, et permet de remonter au paramètreβ de relaxation dipolaire en

utilisant l’équation locale des pertes :

dn

dt =−βn2Γrésn (2.44)

n est la densité, et Γrés 0.1 s1 est le taux de perte à un corps dû aux collisions avec le gaz résiduel dans l’enceinte expérimentale, mesuré indépendamment. Dans nos conditions expérimentales, le taux de relaxation dipolaire est si élevé que nous pouvons négliger Γrés.

Rappelons que nous n’avons expérimentalement accès à la valeur totaleβ du para-mètre de relaxation dipolaire, mais que nous ne pouvons pas mesurer séparément les paramètres β1 et β2 de chacun des deux canaux de relaxation, seulement leur somme

β=β1+β2.

L’équation éq. (2.44) est alors intégrée sur le volume occupé par le condensat, pour avoir accès au paramètre β en fonction du nombre N d’atomes, en prenant un profil de densité parabolique (approximation de Thomas Fermi) pour le condensat [98] :

dN dt =−α βN75 ΓrésN (2.45) où α = 15 2 5 14π ( mωHO ~a6 )6 5

, avec ωHO la moyenne géométrique des fréquences d’oscillation associées aux axes du piège dipolaire croisé. Celles-ci sont mesurées par excitations paramétriques [99,55]. Les données (semblables à l’exemple Fig.2.3) sont ajustées par la solution analytique de l’équation éq. (2.45). Nous remontons ainsi à la mesure du paramètre β de relaxation dipolaire, en fonction du champ magnétique, présentée sur la figure Fig. 2.4.

Nous constatons un accord qualitatif entre les résultats expérimentaux et ceux don-nés par le modèle théorique analytique (cf. Fig 2.1) prenant en compte les potentiels moléculaires. Nous observons effectivement un minimum local expérimental de relaxa-tion dipolaire pour Bmin 3.9 G, qui est expliqué par l’influence des interactions de contact et est qualitativement décrit par ce modèle analytique, présenté dans la section

2.3.2 précédente. Le modèle numérique, lui, permet un accord quantitatif avec

l’expé-rience (cf. section 2.6), ce qui est notamment indiqué par un meilleur accord à hauts champs sur la figure Fig.2.4.

2.5.3 Sonde des corrélations de paire

Nous avons mis en évidence dans la section2.4.1le caractère localisé de la relaxation dipolaire : le taux de collision dépend de la probabilité de présence de deux particules à une distance relative particulièreRRD. Il est donc envisageable d’utiliser la relaxation dipolaire pour sonder les corrélations à deux corps du système.

En effet, les expressions éq. (2.39) et (2.40) des paramètres β1 et β2 de relaxation dipolaire sont proportionnelles à la fonction de corrélation de la paire de particules, à la

Figure2.4 – Variation du paramètre β de relaxation dipolaire en fonction du champ magnétique. Les carrés rouges sont les valeurs expérimentales. Les pointillés donnent le résultat théorique avec l’approximation de Born, sans prendre en compte les poten-tiels moléculaires. Le trait plein noir donne le résultat pour le modèle analytique (dans l’approximation de Born) prenant en plus en compte les potentiels moléculaires, où la valeur de a6 a été ajustée pour correspondre aux points expérimentaux : nous trou-vons alors la valeur (erronée) a6 = 117aB (au lieu de la valeur déterminée plus loin a6 = (103 ±4)aB). Le trait vert donne le résultat obtenu par un modèle numérique tenant compte des potentiels moléculaires, même à des distances plus faibles que RvdW (cf. [37] et la section 2.6 pour les détails sur ce modèle).

distance relativeRRD dépendant du champ magnétique. Cette fonction de corrélation s’écrit dans le cas général :

g2(⃗r, ⃗r) = Ψˆ(r) ˆΨ(r) ˆΨ(r) ˆΨ(r)

Ψˆ(r) ˆΨ(r)⟩⟨Ψˆ(r) ˆΨ(r) (2.46) oùΨ(ˆ ⃗r) est ici l’opérateur annihilant la particule à la position⃗r. Pour deux particules interagissant via un potentiel de type « sphère dure » de rayon a6, représentant les interactions de contact, l’expression de g2 s’écrit pour R =|⃗r−⃗r|> a6 [100] :

g2(R) = ( 1 a6 R )2 (2.47)

Or, à la distance particulière R=RRD, d’après éq. 2.41, nous avons : βj ∝ |Fintrap(r=R(j)RD)|2 ( 1 a6 R(j)RD )2 =g2(R(j)RD) (2.48) Ainsi, grâce au caractère local de la relaxation dipolaire, la mesure des taux de collision inélastique dipolaire permet de mesurer la fonction de corrélation de paire

g2(RRD), avec la possibilité de faire varier la distance RRD en modifiant le champ magnétique statique.

Cependant, ce caractère proportionnel n’est vrai que pour chacun des canaux j de relaxation dipolaire séparément : βj g2(R(j)RD). Or expérimentalement, nous avons accès qu’au paramètre β=β1+β2.

Nous pouvons alors exprimer les paramètres de relaxation dipolaire en fonction de la distance inter-particule, en prenant Ref f = R(2)RD = 16

3πk(2)f = 16~

mCr2×gSµBB. Nous calculons alors le rapport 2β(Ref f)

βBorn , entre le paramètre β(Ref f) = β1(Ref f) +β2(Ref f)

calculé à partir des expressions éq. (2.39) et éq. (2.40) donné par le modèle tenant compte des potentiels moléculaires, et le paramètre βBorn calculé à partir du premier modèle (cf. éq. (2.23) et éq. (2.24)). Nous obtenons alors, dans la limite où ki 0, l’expression : 2β(Ref f) βBorn = 1 (S+ 2) ( S ( 1 a6 2Ref f )2 + 2 ( 1 a6 Ref f )2) = 1 (S+ 2) ( S g2 ( 2Ref f ) + 2g2(Ref f) ) =g2(Ref f) (2.49)

g2 est une écriture légèrement modifiée de la fonction g2 de corrélation de paire. Sur la figure Fig.2.5sont représentées les mêmes données expérimentales que celles présentées Fig.2.4, mais cette fois-ci sous la forme d’une fonction de corrélation à deux particules effectiveg2, en fonction de la distance inter-particule typique Ref f.

Il apparaît sur la figure Fig. 2.5 que les données expérimentales concordent bien avec la fonction de corrélation g2 pour de grandes distances inter-particules (donc à bas champs magnétiques). Par contre, à faibles distances (hauts champs), survient un désaccord, pour deux raisons : tout d’abord, l’expression éq. (2.47) de la fonction de corrélation de paire g2 pour un potentiel de type sphère dure n’est plus valide pour des distances inter-particules inférieures à la portéeRvdW du potentiel moléculaire ; de même, les expressions des paramètres de relaxation dipolaire éq. (2.39) et (2.40) donnés par le second modèle analytique ne sont également plus valides pour des distances

RRD < RvdW car le pseudo-potentiel des interactions de contact ne suffit plus à décrire

les interactions à courtes distances. Ceci se vérifie bien sur les données expérimentales de la figure Fig.2.5, pour des distances Ref f <100aB ≈RvdW = 91aB.

Figure2.5 –Fonction de corrélation à deux particules modifiée g2 (cf. texte) en fonc-tion de la distance inter-particule arbitraire Ref f choisie. Les carrés rouges donnent les points expérimentaux g2,exp = 2βexp

βBorn, oùβBorn est calculé par le premier modèle ana-lytique. Le trait plein bleu donne la variation théorique de g2 d’après l’expression éq. (2.49), la valeur dea6 étant ajustée (a6 105aB) sur les données expérimentales pour Ref f ≫RvdW. Les pointillés verticaux donnent la position de RvdW 91aB.

La relaxation dipolaire permet donc de sonder les corrélations de paires pour des champs magnétiques suffisamment faibles (B < 1 G) pour que la partie interne (r < RvdW) des potentiels moléculaires n’ait pas d’effet.