• Aucun résultat trouvé

La phase de la perte de contrôle non avérée : les derniers sursauts d’un régime fatigué

6) George H.W Bush et les émeutes contre Mobuto de 1990-1991

6.4 La phase de la perte de contrôle non avérée : les derniers sursauts d’un régime fatigué

Un vent de contestation souffla en mai 1990 à l’Université de Lubumbashi (la deuxième plus grande ville du Zaïre) après que Mobutu eu annoncé le report des élections qu’il avait pourtant promis de tenir quelques mois plus tôt. Exaspéré par les atermoiements volontaires que Mobutu utilisait pour ne pas voir aboutir la libéralisation politique, un groupe d’étudiants universitaires voulut manifester pacifiquement et publiquement leur

its back, economically. It was then (and is even more now) in pitiful condition.». Voir, LIBRARY OF CONGRESS, «Interview with William C. Harrop», op. cit., p. 123.

désarroi. Malgré que les sources fiables soient rares à ce sujet du fait que la version officielle ne parla que d’un affrontement étudiant interethnique, une reconstitution plus crédible des évènements pourrait ressembler à ce compte rendu succinct.

Après que des étudiants se soient mis à manifester sur le campus le 9 mai, ceux-ci auraient démasqué deux jours plus tard dans leur rang trois informateurs mobutistes chargés de fournir les noms des opposants au régime à la police ; en résultante, les étudiants s’attaquèrent aux taupes mobutistes. Cependant, averti du sparage estudiantin et de la capture de ses agents-doubles étudiants ngbandis, la réponse de Mobutu par le truchement de son corps d’élite de la Division spéciale présidentielle (DSP) fut implacable et sans appel. À ce titre, le Research Directorate of the Immiration and

Refugee Board of Canada rapportait quelques mois plus tard que les faits suivants

s’étaient produits dans la nuit du 11 mai à l’égard des étudiants de Lumumbashi :

Les membres de la DSP ont exécuté à l'arme blanche de nombreux étudiants, éventrant les uns au moyen de poignards, jetant les autres des étages des bâtiments, ou étranglant avec des cordelettes ceux qui tentaient de s'enfuir. Les étudiants les plus visés par ces représailles provenaient surtout des régions des deux Kasaï, du Kivu, du Bandundu et du Bas-Zaïre272.

Bien que le nombre réel de victimes étudiantes ne fut jamais divulgué – les chiffres avancés oscillent entre 23 et 150 morts273 – en vertu de l’opacité entourant le « nettoyage » du campus qui suivit le massacre pour faire disparaître les traces de la tuerie, il n’en demeure pas moins que Mobutu arriva une fois de plus à faire preuve de sa ténacité sans bornes à se maintenir en poste, et ce, peu importe les méthodes utilisées.

272 Anonyme, « Le mouvement étudiant au Zaïre », Research Directorate of the Immiration and Refugee

Board of Canada, 1 Décembre 1990, [En ligne] : http://www.refworld.org/docid/3ae6a7fec.html (Page

consultée le 13 septembre 2016).

L’exaspération face à Mobutu ne touchait pas que les étudiants puisqu’à la fin de septembre 1991, celle-ci se fit même sentir chez les membres de l’armée zaïroise. Car si les proches de Mobutu ou les membres de son ethnie continuaient à mener grand train, la majorité du peuple zaïrois était affamée et appauvrie par la gestion calamiteuse des pouvoirs publics et, à ce titre, les soldats n’étaient pas exemptés du marasme managérial mobutiste. En effet, excéder de voir leur solde impayée, une frange de l’armée en vint à se mutiner en septembre 1991 dans les rues à Kinshasa. Durant deux jours, soit les 23 et 24 septembre, des soldats appuyés par une foule d’émeutiers pillèrent la capitale. Comme l’ambassadrice américaine Melissa Wells l’affirmait :

Now, going back to the troubles of '91, September '91, what happened was that with all the economic problems in Zaire, the army was very irregularly paid. They were late in being paid or only some of them were paid, but early in the morning on a day in September '91, we heard that a unit had mutinied out by the airport and that they had ransacked the international airport at Kinshasa, and that they were moving down the main road towards Kinshasa and, of course, the population was just joining them and looting everything in sight and burning cars and so forth274.

Bien sûr, le chaos se répandant comme une traînée de poudre dans une ville comptant cinq millions d’habitants, des civils se joignirent aux soldats mutinés, ce qui créa une véritable marée humaine de Kinois en colère qui, après avoir pillée et mise à sac les boutiques de Kinshasa, se dirigea vers les banlieues cossues pour y lyncher ceux qui avaient depuis trop longtemps bénéficié des largesses du régime. Tel que Sean Kelly l’indiquait : « The Zairian Army, normally loyal to Mobutu, rioted over a pay dispute.

Joined by civilians, soldiers looted shops in the city center for two days and then headed

274 LIBRARY OF CONGRESS, Association for Diplomatic Studies and Training Foreign Affairs Oral

History Project (ADST), «Interview with Melissa Wells», novembre 2012 p. 602, [En ligne]:

http://adst.org/wp-content/uploads/2012/09/Democratic-Republic-of-the-Congo-Zaire.pdf (Page consultée le 12 septembre 2016).

for Kinshasa’s suburbs to strip private residences275. ». Pour apaiser la grogne, Mobutu

opta pour une solution temporaire en se tournant encore une fois vers la planche à billets et fut en mesure d’injecter des fonds massifs : « Mobutu’s answer to the rioting was to

grant a 2,000 percent pay raise to soldiers and civil servants276. ». Pour décrire

l’équilibre très précaire qui régnait au Zaïre en 1992, le spécialiste sur l’Afrique du CNRS Daniel C. Bach disait :

De même, au moins par intermittences, il y aura eu deux équipes gouvernementales dont on ne sait plus très bien laquelle était le « shadow cabinet » de l’autre – sans parler de celle, à peine occulte, des services de la présidence qui continuait à contrôler l’essentiel, c’est-à-dire l’appareil sécuritaire et… la trésorerie. Le même blocage s’est retrouvé, sous des formes différentes, à l’échelon des régions ou même des villes et collectivités locales avec, en arrière-fond, un appareil militaire et policier dont les unités dites « d’élite » (c’est-à-dire les seules dotées d’une effective puissance de feu) resteront provisoirement fidèles à Mobutu, soit en vertu d’affinités ethniques soit pour la « gamelle » […]277.

Enfin, pour faire taire les critiques internes et externes entourant le système de parti unique du MNP dirigé par Mobutu, ce dernier consentit en 1991 à réintégrer le multipartisme dans le système politique zaïrois. Ainsi, en lâchant un peu de lest au niveau d’une possible phase de démocratisation du Zaïre, tout en demeurant le seul détenteur des pouvoirs militaires, Mobutu mania tantôt le bâton, tantôt la carotte. Ce faisant, il put durant cette période conserver l’appui tacite de l’administration Bush. Mobutu qui avait souvent navigué en eaux troubles connaissait les écueils à éviter pour ne pas chavirer en 1990 et en 1991278.

275 Sean Kelly, op. cit., p. 53.

276 Ibid., p. 253.

277 Daniel C. Bach, Régionalisation, mondialisation et fragmentation en Afrique subsaharienne, Éditions

Karthala, Paris, 1998, p. 123.

278 Tel que John K. Walton et David Seddon le disaient à propos de cette vague de contestations «vite

contrôlée» : «Mobutu has had much experience of surviving challenges to his rule and by variety of

À cet égard, bien que la contestation montait au Zaïre en 1990, autant Washington que Mobutu gardaient en mémoire le fait que le léopard de Kinshasa avait étouffé les révoltes étudiantes de 1969 et de 1971279 en plus de faire avorter un coup d’État militaire en 1972. Averti quelques jours avant la date du putsch prévu pour le 30 septembre 1972, Mobutu avait traduit les mutinés dans un procès expéditif retransmis à la télévision nationale, au terme duquel 17 d’entre eux furent condamnés à la peine de mort280. Aussi, au niveau de la stabilisation interne, Mobutu avait toujours été capable jusqu’alors de garder la main haute sur son régime notamment lors des deux conflits du Katanga en 1968 et 1977. Tant et si bien qu’au début des années 1990, aux étudiants qui souhaitaient son départ, le principal intéressé leur aurait répondus : « L’on recherche ma tête, mais je vais la vendre très cher… ».

6.5 La phase d’évaluation des options pour la Maison-Blanche : entre Mobutu ou le