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Les postulats de notre argument théorique de la CMIA

2) La théorie du point de bascule

2.2 L’argument de la conservation maximale de l’influence acquise (CMIA)

2.2.2 Les postulats de notre argument théorique de la CMIA

Notre premier postulat est que les États-Unis – en l’occurrence l’administration en poste à la Maison-Blanche – demeurent rationnels dans leurs décisions de poursuivre ou de rompre leur relation d’amitié contractée avec des dictateurs. Ici, nous choisissons d’emprunter la rationalité décisionnelle de notre champ de recherche, car comme le mentionnait Thomas Schelling dans son étude sur la place de la stratégie dans la régulation ou dans l’embrasement des conflits internationaux : « If we confine our study

to the theory of strategy, we seriously restrict ourselves by the assumption of rational behavior motivated by conscious calculation of advantages, a calculation that in turn is

57 Daniel Pipes et Adam Garfinkle, Friendly Tyrants : An American Dilemma, St-Martin’s Press, New

York, 1991, p. 512.

58 Adam Garfinkle, Kenneth Adelman, Patrick Clawson, Mark Falcoff, Douglas J. Feith et Daniel Pipes,

The Devil and Uncle Sam : A User’s Guide to the Friendly Tyrants Dilemma, Transaction Publishers, New

based on an explicit and internally consistent value system59. ». Ici, nous poursuivons –

en les précisant – les propos de Garfinkle et coll. qui, après avoir étudié la question, conseillaient aux futures administrations en poste au bureau ovale : « Establish and

prioritize goals. In normal times, the appropriate goal is to build a stable relationship with a country that can outlast any particular regime. In crises, the goal is to preserve U.S. interests. The mere retention or removal of a dictator is not a suitable goal60. ». En somme, notre théorie avance que la Maison-Blanche ajuste rationnellement sa politique étrangère en vue de conserver un maximum d’influence dans des régimes déstabilisés par une crise interne.

Notre deuxième postulat est celui qui sous-tend que l’influence acquise d’un État dominant sur un État subordonné représente un jeu à somme nulle du point de vue systémique où, lorsque le statu quo initial de la relation amicale n’est plus possible, d’autres États puissants peuvent remporter la mise au détriment des États-Unis. Au même titre que la puissance pour l’approche fonctionnaliste systémique61, l’influence est donc perçue ici en des termes de gains relatifs où la perte des uns devient le gain d’autres concurrents au sein du système. L’influence est donc fondamentale pour nous puisqu’elle représente un jeu à somme nulle dans le système international où la somme des gains et

59 Thomas C. Schelling, The Strategy of Conflict, Harvard University Press, Massachusetts, 1960, p. 4.

60 Adam Garfinkle, Kenneth Adelman, Patrick Clawson, Mark Falcoff, Douglas J. Feith et Daniel Pipes,

The Devil and Uncle Sam : A User’s Guide to the Friendly Tyrants Dilemma, Transaction Publishers, New

Brunswick, 1992, p. 115.

61 Le fondateur de cette approche Talcott Parsons résumait ainsi sa théorisation de la puissance : «Power is

a zero-sum phenomenon in the sense that, in a system, a gain in power by a unit A is in the nature of the case the cause of a corresponding loss of power by units, B, C, D…». Voir, Talcott Parsons, «On the

Concept of Political Power», Proceedings of the American Philosophical Society, Vol. 107, No. 3, 1963, p. 251-252.

des pertes est égale à 0. Ainsi perçu, celui qui remporte la mise a 1 et celui qui perd de l’influence a -1.

Notre troisième postulat – qui découle directement du précédent et qui s’inscrit aussi dans la lignée du réalisme défensif – est que l’intérêt national américain demeure très sensible à une perte d’influence acquise dans le type de crises que nous observons puisque (1) la stabilité régionale à court terme ou (2) le maintien de la position préférentielle à long terme des États-Unis dans la hiérarchie du système en sont tous les deux tributaires. Dans un système où chacun souhaite s’accaparer la « part du lion » dans un jeu à somme nulle, que ce soit à long ou à court terme, lorsqu’un dictateur ami de Washington est en péril : l’intérêt national américain passe par la CMIA. À court terme, la perte d’influence acquise liée à une instabilité régionale à des conséquences graves sur l’intérêt national dans les domaines militaire, économique et géopolitique. À long terme, c’est pour éviter d’être remplacée à la tête de la hiérarchie que la Maison-Blanche jalouse la moindre parcelle d’influence qui est sienne au sein du système. Appliqué à la perte d’influence américaine dans celui-ci, nous empruntons ici la conception de Jonathan Paquin pour qui l’intérêt national américain est sensible aux gains relatifs d’autres acteurs rivaux dans le système international :

I argue that defensive positionalism applies in great depth to the United States, because the American superpower sits at the top of the international power structure. Its position in the international system and its security are maintained by the prevention of power losses that could originate from instability in the system. This is why regional stability matters greatly for Washington. I assert that minimizing stability gaps, that is reducing or eliminating relative gains (whether economic, military or political ones) that could favor rival states or enemies,

defines U.S. interests62.

En somme, pour nous, la modulation de la politique étrangère de Washington à l’égard de la poursuite ou de la rupture d’une relation amicale avec un dictateur, lorsque celui-ci est aux prises avec un soulèvement interne, découle de la recherche de la CMIA. C’est donc pour ne pas voir son intérêt national malmené à court terme par une déstabilisation régionale ou, pire encore, de risquer de perdre son rôle dominant dans la hiérarchie à long terme que Washington abandonne ou n’abandonne pas un dictateur ami en péril.