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L’argument de la CMIA au niveau d’analyse systémique

2) La théorie du point de bascule

2.2 L’argument de la conservation maximale de l’influence acquise (CMIA)

2.2.4 L’argument de la CMIA au niveau d’analyse systémique

Notre théorie postule que la décision de renouveler ou de révoquer (lorsque le point de bascule survient) l’appui à un dictateur lorsqu’il fait face à un renversement possible répond d’abord et avant tout à une recherche de la conservation maximale de l’influence acquise (CMIA) puisque la perte de celle-ci se fait au profit d’autres acteurs étatiques rivaux sur le plan des gains relatifs dans le système international. Car, si à court terme, la perte d’influence de Washington entraîne une déstabilisation de ses rapports militaires, économiques et diplomatiques avec un État dont la subordination lui était auparavant acquise, à long terme, l’admission de l’influence américaine contribuera à lui faire perdre sa position dominante au sein d’un système hiérarchisé.

Rappelons qu’à la fin des années 60, Abramo F. K. Organski, père de la Power

Transition Theory, soutenait que le système international est caractérisé par une

hiérarchie organisée selon une distribution de la puissance inégale où seules quelques grandes puissances peuvent prétendre éventuellement briguer la position de la puissance dominante67. Plus récemment, Ronald L. Tammen et coll. ont examiné la validité contemporaine de la Power Transition Theory d’Organski et réitéraient en 2000 : « Power Transition describes a hierarchical system. All nations recognize the presence of

this hierarchy and the relative distribution of power therein. The distribution of power is

uneven and is concentrated in the hands of a few. A dominant nation sits at the top of this system68. ». À partir de cette idée même de hiérarchie des rapports internationaux, Lake

précise le concept d’autorité tributaire de celle-ci comme suit :

Hierarchy is defined by the extent of the authority exercised by the ruler over the ruled. The greater the number of possible actions by the ruled that the ruler can legitimately regulate, the more hierarchical is the relationship. In international relations, hierarchy varies across at least two continua of economic and security policy, creating a two-dimensional authority structure that appears to capture the historic forms of what was once called “restricted sovereignty” as well as its contemporary manifestations. Indicators of international economic and security hierarchy and patterns of hierarchy since 1950 suggest that the United States is relatively hierarchical over many states […]69.

Ce concept de hiérarchie suggère que les États-Unis possèdent actuellement le plus d’autorité (influence) au sein du système international et qu’un morcellement graduel de son influence acquise contribuera à moyen ou à long terme à les détrôner du sommet de ladite hiérarchie70. C’est donc logiquement pour conserver leur place dominante le plus longtemps possible dans cette hiérarchie que les États-Unis recherchent la préservation d’un maximum d’influence acquise puisqu’une perte de celle-ci implique un gain par d’autres acteurs concurrents. Notons au passage que notre modèle théorique s’éloigne un peu de l’hégémonie et de l’unipolarité décrite par Lake au sein de la hiérarchie du

68 Ronald L. Tammen, Douglas Lemke, Carole Alsharabati, Brian Efird, Jack Kugler, Allan C. Stam III,

Mark Andrew Abdollahian et A.F.K. Organski, Power Transitions: Strategies for the 21st Century,

Chatham House Publishers, New York, 2000, p. 6.

69 David Lake, op. cit., 2009, p. 9-10.

70 Bien que David Lake n’utilise pas le terme d’influence comme tel, il propose celui de l’autorité qui lui

est similaire en vertu de la dominance non coercitive d’un État puissant sur un autre qui lui est subordonné. De plus, en conclusion de son opus, Lake aborde la perspective selon laquelle les États-Unis pourraient à moyen ou à long terme perdre leur position préférentielle dans la hiérarchie du système face à un acteur concurrent à savoir, la Chine. Tel qu’il l’indique : «Over the long term, however, it is almost certain that

China will emerge as a superpower equal to the United States. With its vast population, large territory, and rapidly growing economy.», Voir David Lake, op. cit., 2009, p. 181-182.

système, dans la mesure où les États-Unis ne sont pas les seuls à posséder de l’influence du point de vue systémique et qu’ils doivent ainsi faire face à d’autres États dominants, qui souhaitent faire des gains d’influence au détriment des États-Unis.

Notre compréhension du problème de perte d’influence au plan systémique n’est pas sans fondements empiriques puisque dans le Defense Planning Guidance for the Fiscal

Years 1994-1999, l’administration George H. W. Bush traçait à l’avance les grandes

lignes d’une politique étrangère orientée vers le maintien de sa position de tête dans la hiérarchie du système international à long terme de même qu’à la recherche de la stabilité régionale à court terme :

Our first objective is to prevent the re-emergence of a new rival, either on the territory of the former Soviet Union or elsewhere, that poses a threat on the order of that posed formerly by the Soviet Union. This is a dominant consideration underlying the new regional defense strategy and requires that we endeavor to prevent any hostile power from dominating a region whose resources would, under consolidated control, be sufficient to generate global power. These regions include Western Europe, East Asia, the territory of the former Soviet Union, and Southwest Asia. There are three additional aspects to this objective: First, the U.S. must show the leadership necessary to establish and protect a new order that holds the promise of convincing potential competitors that they need not aspire to a greater role or pursue a more aggressive posture to protect their legitimate interests. Second, in the non-defense areas, we must account sufficiently for the interests of the advanced industrial nations to discourage them from challenging our leadership or seeking to overturn the established political and economic order. Finally, we must maintain the mechanisms for deterring potential competitors from even aspiring to a larger regional or global role. An effective reconstitution capability is important here, since it implies that a potential rival could not hope to quickly or easily gain a predominant military position in the world71.

71 Anonyme, «Excerpts From Pentagon's Plan: 'Prevent the Re-Emergence of a New Rival'», The New York

Times, 8 mars 1992, [En ligne] : http://www.nytimes.com/1992/03/08/world/excerpts-from-pentagon-s-

plan-prevent-the-re-emergence-of-a-new-rival.html (Page consultée le 11 mai 2015).

En somme, l’importance de l’influence acquise dans notre modèle théorique est proportionnelle à la crainte que sa perte éventuelle provoque dans un système où chaque unité jalouse celle des autres.