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Le 22 octobre 1979 : Pahlavi bénéficie d’un sursis du point de bascule

5) Jimmy Carter et la chute de Pahlavi en 1979

5.6 La phase de la décision : quatre dates, quatre volte-face de l’administration Carter à l’égard

5.6.3 Le 22 octobre 1979 : Pahlavi bénéficie d’un sursis du point de bascule

Face aux déconvenues successives créées par l’arrivée des islamistes au pouvoir, Carter décida d’accorder un visa d’entrée à Pahlavi le 22 octobre pour des raisons médicales, et donc, par la même occasion, de révoquer le point de bascule précédemment imposé au shah d’Iran en février de la même année. En accordant momentanément l’asile politique au shah pour qu’il reçoive des soins médicaux à New York à partir du 22 octobre 1979, celui-ci bénéficia d’une grâce présidentielle que nous pouvons désigner comme un sursis du point de bascule accordé pour des raisons humanistes. Car, après avoir appris que son ancien proche collaborateur était atteint d’un lymphome, Carter, pensant à tort pouvoir conserver des relations cordiales avec son homologue Bazargan, céda aux pressions de ses conseillers et permit au shah de se faire soigner à New York. McDermott indique à ce titre qu’à partir d’octobre 1979 : « Objectively, Carter had more to lose by refusing the Shah admittance

once his medical condition was known. As Hamilton Jordan remembered, “We knew it was a risk, but we thought it was a reasonable risk. Obviously, in hindsight, we were wrong”223. » Tel qu’il s’en souvenait lui-même, Carter accepta enfin d’accueillir le shah

après que : « I was told that the Shah was desperately ill, at the point of death. I was told

that New York was the only medical facility that was capable of possibly saving his life and

222 Anonyme, «Why Carter Admitted The Shah», The New York Times, 17 mai 1981, [En ligne] :

http://www.nytimes.com/1981/05/17/magazine/why-carter-admitted-the-shah.html?pagewanted=all (Page consultée le 12 février 2016).

remained that the Iranian officials had promised to protect our people in Iran. When all the circumstances were described to me, I agreed224. ». Confrontée à cette décision, notre

théorie – qui pourtant est en mesure d’expliquer le report initial et l’avènement du point de bascule à l’égard de Pahlavi après son départ d’Iran – n’arrive pas à expliquer la décision d’accueillir le shah pour des raisons médicales ou par des pressions internes. Rappelons ici que notre théorie se penche sur ce qui est important ou fondamental au niveau systémique – à savoir l’influence dans ce type de crise – alors que les considérations humanitaires de même que les dissensions qui ont finalement fait place à un consensus au sein de l’équipe décisionnelle n’entrent pas dans le calcul que nous souhaitons mettre en exergue. À cet égard, notre théorie n’est pas en mesure d’expliquer cette décision parce que celle-ci résulta de motivations politiques qui relèvent d’autres niveaux d’analyses (individuel, décisionnel ou bureaucratique, etc.) différents du nôtre qui se focalise sur la CMIA dans le système international. Que l’octroi temporaire d’un asile politique en sol américain à Pahlavi soit le fruit : (1) d’un processus décisionnel cacophonique lié à des pressions/dissensions intestines, telles que l’avance Warren Christopher et al.225 (2) d’un service de renseignement déficient tel que le suggère Robert Jervis226, (3) d’une mauvaise coopération bureaucratique comme le soutient Alexander Moens227 ou encore, (4) de la psychologie idiosyncrasique de Carter qui, selon Rose McDermott, aurait été moralement incapable de laisser mourir un ancien proche

224 Jimmy Carter, op. cit., p. 455.

225 Warren Christopher et Paul H. Kreisberg. American Hostages in Iran: The Conduct of Crisis, Yale

University Press, New Haven, 1985, p. 29.

226 Robert Jervis, op. cit., p. 4.

collaborateur228. Toutes ces analyses qui condamnent cette décision de Carter s’inscrivent dans des niveaux d’analyses que notre théorie considère comme secondaires en raison de sa focalisation systémique.

Précisons cependant que certains arguments qui étaient avancés par les tenants politiques de l’accueil inconditionnel du shah cadrent mieux avec notre théorie. Un retour sur ceux-ci peut mettre en exergue d’autres motivations expliquant la venue du shah en sol américain. Contrairement à Carter – qui pensait encore à ce stade être en mesure d’établir un dialogue constructif avec le nouveau gouvernement iranien – Kissinger et Brzezinski pour ne nommer qu’eux, plus pessimistes, pensaient qu’en absence de commutation possible de l’influence acquise, la maximisation de cette dernière passait alors par un soutien indéfectible au shah ; lequel devait se traduire par son accueil immédiat et permanent. L’argumentaire de Bzrezinski, qui finit par l’emporter sur l’entêtement de Carter, cadre avec notre argument de la CMIA. Tel que le conseiller à la sécurité nationale le professait au sein du cercle décisionnel avant l’arrivée du shah à New York : « It is unlikely we can build a relationship

with Iran, until things there have sorted themselves out. But it would be a sign of weakness not to allow the Shah to come to the States to live. If we turned our backs on the fallen shah, it would be a signal to the world that the U.S. is a fair-weather friend229. ».

En outre, peu importe les motivations derrière la décision d’accueillir finalement le shah après des mois de tractations, cette dernière entraîna le 4 novembre suivant la prise d’otages

228 Rose McDermott, op. cit., p. 95.

de l’ambassade américaine à Téhéran. Véritable tuile pour Carter, cet événement allait officialiser une rupture diplomatique qui perdure encore depuis. Outre le calvaire que durent endurer la cinquantaine d’Américains séquestrés durant 444 jours, affirmer que la décision d’accueillir le shah en exil fut néfaste pour les intérêts américains dans cette région du globe à long terme est un euphémisme en vertu de l’inimitié qui prévaut encore entre les deux États. À ce titre, l’ancien agent de la CIA posté en Iran, William J. Daugherty – qui fut lui- même séquestré lors de la prise d’otages de l’ambassade américaine de Téhéran – n’était pas tendre à l’égard de Carter et de sa décision d’accepter d’accueillir le Shah en octobre 1979 en qualifiant celle-ci de : « [O]ne of the most controversial and detrimental decisions any

president has made since the end of World War II230. ».

5.6.4 Le 15 décembre 1979 : Carter abandonne à nouveau le shah en l’expulsant des