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CHAPITRE 3 : LE JOURNAL DU NOMBRE, UNE ÉTUDE EMPIRIQUE

3. LA MISE EN INTRIGUE DE LA SÉANCE DU 5 DÉCEMBRE 2013

3.9 Phase 9 : l'observation des productions d'un Journal du Nombre par l'ensemble de la classe

Cette fois-ci, c'est la validation qui est ancrée dans les productions personnelles d'une élève. En effet, la phase 9 se distingue de la phase 8 en cela. L'une (la phase 8) poursuit l'élaboration « d'un voir comme », d'une référence commune ou encore d'un arrière-plan tandis que l'autre (la phase 9) valide ou invalide les productions. Si les contraintes ne sont pas respectées, cela permet à l'élève de s'essayer à la réfutation et à l'argumentation. Pour l'élève moins avancé, nous dirons que ce temps est bien un temps d'apprentissage puisqu'il permet, non pas un autre rappel des contraintes (peut-être à l'identique) mais plutôt une seconde discussion sur la compréhension du savoir en jeu et de comment on y joue. Le professeur, par l'intermédiaire de l'élève (l'élève montrant son Journal du Nombre), n'est plus celui qui fait jouer le jeu. Pourtant, il s'agit toujours de faire jouer le jeu mais cette fois-ci, le rôle est « occupé » par un(e) élève au moyen du Journal du Nombre. Dans la séance du 5 décembre 2013, une élève avancée décide de montrer son travail. Elle sollicite le professeur. Celui-ci lui répond positivement devant les possibilités d'institutionnalisation. La réponse du professeurs anticipe sur la phase d'institutionnalisation des enjeux étudiés à partir du travail de l'élève.

3.9.1 Retour sur la rupture

L'intervention d'George

Nous sommes dans les pemières minutes de la séance du 5 décembre 2013 (entre la deuxième et troisième minute). Le professeur demande aux élèves de ranger leur ardoise qui a servi pour l'écriture littérale des nombres. Il s'apprête à définir le milieu-problème lorsqu'un élève (George) intervient et installe un déséquilibre par ses propos :

Tdp 20 (2mn), E (George) : aujourd'hui/on va perdre

Le professeur est légèrement déstabilisé. Il commence par demander le silence puis il interroge l'élève :

Tdp 21, P : chut/qu'est-ce qu'il y a...

Le professeur a une forte interrogation sur ce que représente « perdre » pour George. Quelle signification accorde l'élève à la proposition « on va perdre ». Il pense qu'il peut s'agir d'une transgression volontaire des règles du jeu. On s'amuserait à transgresser la loi, une sorte de provocation pour voir et comprendre les limites de l'école, en fait, une sorte de test. Lorsque la transgression est trop massive et importante, on est face à une impossibilité de jouer au jeu demandé. Mais est-ce réellement cela, se questionne le professeur ? L'élève peut simplement chercher à afficher/montrer encore davantage son travail dans le Journal du Nombre puisque cet élève produit souvent des annonces qui ne respectent pas toutes les contraintes et parfois ce sont des annonces hors jeu ou bien encore ne le sait-il pas lui-même. Il précise toutefois ce qu'il entend par perdre dans le Tdp suivant :

Tdp 22, E (George) : aujourd'hui on va perdre/on va faire des annonces perdantes

Les propos de l'élève nous apprennent que pour perdre au jeu des annonces, il est nécessaire de produire des annonces perdantes. Seulement, l'élève ne définit pas comment produire une annonce perdante (la nature de l'annonce). Le professeur hésite encore :

Tdp 23 (2mn43), P : ha bon/je sais pas/pourquoi/pourquoi on ferait des annonces perdantes

Le professeur tente de gagner du temps comme nous le voyons dans le Tdp 23. Il « ralentit » le temps didactique afin de pouvoir cerner davantage la proposition de l'élève. Comment l'élève imagine-t-il ou conçoit-il la situation qu'il propose? Quels sont les intérêts de cette proposition au regard de l'enseignement/apprentissage sur l'égalité/inégalité. Enfin, la proposition de l'élève (George) peut-elle cohabiter avec le projet initial du professeur ?

Tdp 24, E (George) : ben parce que/

Ici, le professeur n'en apprendra pas plus (Tdp 24). L'élève répond mais les propos n'oriente en rien le professeur qui continue d'hésiter. L'élève veut jouer à perdre mais il ne sait peut-être pas trop comment, même la proposition de produire des annonces perdantes n'aide en rien. L'élève peut rencontrer quelques difficultés à exprimer sa pensée, à la formaliser pour la rendre accessible à autrui. C'est la classe qui répond :

Tdp 25, Es : on a fait des annonces gagnantes hier

C'est une justification/acceptation de la proposition d'George. Puisqu'hier, la classe a joué à produire des annonces gagnantes, aujourd'hui, elle peut changer et produire des annonces perdantes. Le professeur cherche encore à gagner du temps et répond :

Tdp 26, P : …/bon/j'avais pensé à autre chose/mais/on fera peut-être/on va voir comment on va travailler...

La classe est prête à perdre et à écrire des annonces perdantes, oui mais, comment se demande le professeur. Comment définir une annonce perdante « générique » sans appui sur une production précédemment écrite dans le Journal du Nombre ? Que va choisir le professeur : la proposition d'George ou son projet d'origine ?

Le professeur choisit de modifier son projet

Le professeur termine conjointement la mise en place dans laquelle l'étude/enquête va se dérouler comme nous le constatons :

Tdp 46 (4mn15), P : deux termes puisqu'il y a deux dés/et/George nous propose aujourd'hui d'écrire/des annonces

Le professeur semble avoir tranché en faveur de la proposition de l'élève. Il reste très prudent et avance pas à pas. Il cherche à laisser pour l'élève George (l'auteur de « jouer à perdre ») un espace de dialogue pour préciser sa proposition et orienter l'ensemble du groupe-classe dans ce milieu-problème. Le professeur n'a pas terminé pas sa phrase. C'est une élève avancée qui s'en charge :

Tdp 47, E (Isabelle) : perdantes

Le professeur comprend que si les élèves avancés (comme Isabelle) peuvent identifier précisément ce qu'est une annonce perdante, cela pourrait ne pas être aussi simple pour les élèves moins avancés ou hors jeu. La stratégie du professeur va consister à mettre en œuvre la comparaison. Il convoque la situation précédente comme référence dans laquelle l'annonce est gagnante mais faisant cela il « appelle » aussi un autre milieu-problème. Il s'agit de l'extrait que nous allons analyser maintenant qui comprend les Tdp 48 à 60. Le professeur confirme maintenant la rupture :

Tpd 48 (4mn29), P : annonces perdantes/P/perdantes/alors/je vais modifier la règle du jeu/les annonces/elles vont/jusqu'à maintenant/on écrivait des annonces qui étaient comment par rapport

au lancer

Il annonce que la règle du règle est modifiée. Puis, il cherche à orienter le regard des élèves sur la particularité des annonces dans la situation précédente. Un élève répond :

Tdp 49 (4mn40), E (Joseph) : gagnantes

Le professeur accepte cette réponse mais elle ne lui convient que partiellement. Il cherche donc à faire préciser ce qu'est une annonce gagnante avant de définir conjointement une annonce perdante.

Tdp 50, P : oui mais/pour qu'elles soient gagantes/il fallait qu'elles soient comment/

Le professeur fait l'hypothèse que la compréhension d'une annonce gagnante pourrait aider à déterminer conjointement ce qu'est une annonce perdante. Il fait preuve, à la fois, de réticence et d'expression puisqu'il ne fournit pas d'informations mais continue de questionner comme nous le montrons dans les cinq Tdp suivants :

Tdp 51, E (Anne) : pareilles Tdp 52, Es : pareilles Tdp 53 (4mn53), E : égales

Tdp 54, P : oui/pareilles/ça veut dire quoi/ Tdp 55, Es : égales

Il est temps de passer à la comparaison puisque la rupture a été annoncé. Il est nécessaire de la déterminer. Les quatre Tdp tentent de cerner la différence entre une annonce gagnante et une annonce perdante :

Tdp 56, P : ça veut dire égales/cette fois-ci/l'annonce ne va pas être égales au lancer/

Ici, se noue certainement l'ambiguïté du codage de l'inégalité, l'enjeu des annonces perdantes. La classe joue à perdre en produisant des annonces perdantes codées avec le signe « = » mais dont la validité/vérité se comprend et se lit avec la lettre P (annonce perdante) notée en fin d'écriture. La même élève avancée (Isabelle) précise le pourquoi d'une annonce perdante :

Tdp 57, E (Isabelle) : pas égale

Le professeur cherche à faire diffuser la compréhension d'une annonce perdante d'une élève avancée vers un(e) élève moins avancé(e), voire à l'ensemble de la classe. Il confirme par l'expression « elle va bien sûr ». Il parle toujours ce professeur mais la nature de son expression ne définit pas précisément ce qu'est une annonce perdante, ceci afin que les élèves « entrent » dans le milieu-problème et même s'emparent de la question.

Tdp 58, P : alors/elle va bien sûr/ne pas être égale au lancer/mais elle va être plus que ça/elle va pas être égale au lancer/je suis d'accord

En fait, le professeur renvoie la recherche dans le territoire de l'élève. C'est un peu comme s'il formulait les choses ainsi : « allez, maintenant, c'est à vous de définir comment vous déterminer les caractéristiques de l'annonce perdante dans cette situation-problème. Un élève s'empare effectivement de la question.

Tdp 59, E (André) : plus petite que ou plus grande

La notion de l'inégalité est enfin formulée. Une annonce perdante sera une annonce qui n'est pas égale au lancer parce qu'elle est plus petite ou plus grande que le lancer. Le professeur va faire un choix pour la mise en place de l'écriture d'annonces perdantes dans le Journal du Nombre. Il décide que l'annonce perdante sera plus grande que le lancer. Maintenant, nous observons les productions réalisées dans le Journal du Nombre lors de cette séance.

4. LE TRAVAIL DE L'INCITATION, LES PREMIÈRES PRODUCTIONS D'ÉLÈVES DANS