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La recherche sur les fractions s'est déroulée lors de deux années scolaires dans une classe de CM1 et CM2, le professeur ayant suivi la même cohorte d'élèves lors des deux années L'année 1 consiste dans la création d'une culture mathématique adéquate4. L'année 2 se caractérise, quant à elle, par la mise en fonction des instruments, la fabrique des problèmes et le journal des fractions, rendue possible par l'année 1.

La notion de milieu est alors considérée à partir de deux théories, le milieu de Brousseau (1990) et le milieu de Chevallard (1992), mises en comparaison.

Le milieu de Brousseau

Sensevy nous précise que le milieu de Brousseau et de la théorie des situations ne prend pas comme « objet milieu » l'univers dans son ensemble mais qu'il modélise l'environnement spécifique d'un savoir ou d'un de ses aspects. Cette modélisation semble nécessaire puisque les connaissances des élèves et des professeurs fonctionnent différemment des savoirs savants correspondants. Ensuite, Brousseau place cette modélisation dans un modèle d’interaction général inspiré de la théorie des jeux. Il considère les situations comme des états du jeu indéterminés à la fois par le joueur et par le milieu antagoniste. La situation sert à la fois de référence aux savoirs et aux objets de reconnaissance. Le système antagoniste du joueur est une modélisation du savoir en jeu. Il réfère à la connaissance en jeu et aux actions que détermine la modélisation. Le milieu est nécessaire à la connaissance. Un milieu antagoniste peut être défini comme un milieu dont l'élève va s'emparer pour construire une réponse à partir des rétroactions obtenues dans ce milieu.

« On peut y voir en particulier des élèves en interaction avec le milieu (la nature) sans qu'en aucune façon l'enseignant n'intervienne pour modifier la nature de cette interaction : il se « contente » d'agir sur les conditions de cette interactions, de manière à laisser le jeu vivre et évoluer. Donc, si le jeu évolue, ce n'est pas en raison de l'intervention magistrale, mais à cause des réponses que la nature renvoie au joueur ». Sensevy, 1998, p. 113.

Deux dimensions fondamentales apparaissent alors, il s'agit de l'adidacticité et la dimension mnésique. Si le milieu peut se concevoir comme ce qui va causer l'adidacticité, comment produire cette construction ? Quant à la mémoire, puisqu'elle s'ancre sur le travail adidactique, Sensevy pense qu'elle s'accomplit dans la durée de l'élève.

Le milieu de Chevallard

Chevallard définit le contrat institutionnel ainsi (I = institution, R = rapport, O = objet et Oi = ensemble des objets pour l'institution I) :

« On désigne par Ci(t), et on nomme contrat institutionnel relatif au temps à I au temps t, l'ensemble des couples (O, Ri (O,t), où O est un élément de Oi (t) ». Chevallard, 1992, p.89.

Le milieu apparaît ici comme donné d'avance. Les deux théories sont d'accord sur l'importance de constituer en tant que tel le rapport au milieu. Selon Sensevy, la différence se joue sur la nature de la régulation que permet chaque type de milieu. Le milieu de Brousseau permet à l'élève de construire

des réponses qui vont lui permettre de s'adapter après une déstabilisation cognitive tandis que le milieu de Chevallard, lors d'une rencontre avec une difficulté cognitive, consiste à s'appuyer sur le monde familier pour avancer. Nous avons vu, dans la partie « Éléments théoriques » de cette thèse, que la TACD, aujourd'hui, considère le contrat, le milieu, et leurs relations à travers la théorie de l'équilibration didactique, qui réorganise les éléments précisés ci-dessus. Nous reviendrons sur ce point.

2.1 Le « milieu »5 dans la classe recherche de Sensevy

Puisqu'au triplet (professeur, élève, savoir), il semble nécessaire d'ajouter le milieu, dans la classe-recherche, la « constitution du milieu » consistera à aménager des espaces didactiques à l'évolution des élèves et favoriser la rencontre de l'élève avec son ignorance.

« Il semble bien que toute personne engagée dans une pratique sociale ait à exercer un sens pratique, un « sens du jeu » pour réussir. Ce sens pratique suppose d'établir rapport à certains objets, qui semblent devoir être des mixtes composés d'objets « techniques » enseignés en tant que tel (ou au moins couramment et précisément nommés et définis dans la culture) et d'objets en général flous, à la dénomination très polysémique s'ils sont nommés, objets dont on dit dans la culture « qu'ils ne s'apprennent pas », « qu'ils se sentent ». Ce qui donne, à notre sens, une pratique réussie, c'est cette mixité, pleinement éprouvée par la personne, qui forme donc un rapport complexe, où objets « techniques » et objets « qui ne s'apprennent pas » sont en interrelation ». Sensevy, 1998, p. 118.

Nous précisons que les objets dont parle Sensevy, comme dans la théorie des situations didactiques, sont une manière pragmatique de désigner des activités et des techniques mentales, des outils mentaux.

« Ils sont donc comme le dit Castoriadis (1990) des objets par « position », et non par « nature ». Sensevy, 1998, p. 122.

2.1.1 L'erreur

Sensevy souligne l'importance du travail sur l'erreur.

« En apparence, la théorie didactique peut faire l'économie de l'erreur, c'est-à-dire qu'elle peut considérer le rapport au savoir de l'élève comme adéquat ou non adéquat au rapport institutionnel, sans accorder un intérêt particulier aux cas où cette adéquation n'est pas produite. Il semble pourtant que l'analyse du statut de l'erreur, au sein d'une structure didactique considérée, peut constituer un révélateur privilégié quant à la nature de cette structure. Il semble aussi qu'au delà de la régulation par le résultat, l'erreur, si elle revêt le statut adéquat, peut jouer un rôle privilégié de régulateur ». Ravestein & Sensevy, 1994, p. 125.

L'option retenue pour cette recherche sera de considérer l'objet « travail sur l'erreur » comme pertinent pour l'objet « activité mathématique ». Ce travail sur l'objet « erreur » ne sera pas construit à partir d'injonctions professorales mais selon deux types d'intervention.

Des interventions orales du professeur, plutôt de commentaires qui peuvent être alors considérés comme l'ostension aux élèves d'une activité réflexive sur leurs activités.

Le second type d'intervention sera l'organisation d'une situation spécifique sur le travail sur l'erreur. Voici les différentes étapes des séquences mettant en œuvre ce travail sur l'erreur :

- phase 1, avec la photocopie d'un texte mathématique erroné produit par un groupe d'élèves et

choisi par le professeur pour ses propriétés didactiques ;

- phase 2, individuellement ou en dyade, chaque élève repère l'erreur, la corrige, lui attribue une cause et cherche par anticipation comment la classe pouvait éviter de la refaire ;

- phase 3, le débat est dirigé par le professeur qui réunit la classe.

Ce sont des pratiques qui ont concerné l'année 1 de la recherche et qui constituaient une rupture profonde avec les habitudes des élèves, dans l'élaboration d'un nouveau type de contrat didactique. « Une difficulté supplémentaire est que le travail qui amène un groupe d'élèves, une dyade par exemple, à collaborer réellement est inséparablement cognitif et affectif : par exemple, il faut prendre conscience que celui qui explique une chose à quelqu'un qui ne l'a pas comprise, travaille autant, avec autant de profit, sinon davantage, que celui à qui il s'adresse. Ceci constitue constitue, pour les élèves, une de ces dispositions à incorporer pour lesquelles le travail de désincorporation qui doit nécessairement précéder est extrêmement difficile. Cela ne peut se faire que dans le temps long, et dans la réflexivité quasi-permanente d'un débat sur le débat qui est des outils essentiels de l'inculcation de cette pratique ». Sensevy, 1998, p.131.

Il s'agit que la classe accepte de fonctionner comme une « communauté scientifique » où le professeur joue un rôle spécifique et très différent du rôle habituel. Les élèves doivent accepter l'augmentation de l'incertitude et renoncer à des indicateurs de vérité.

2.1.2 La fabrication de problèmes de fractions (l'année 2)

Les séquences d'enseignement devaient permettre de modifier la position habituelle de l'élève au sein du contrat didactique. Pour favoriser la position de dévolution, il était donné à l'élève la responsabilité de produire des énoncés de problèmes de fractions et de partager avec le professeur et l'ensemble de la classe des significations relatives à cette pratique.

« Cette construction de problèmes par les élèves devait prendre place dans une classe où les mathématiques sont conçues sur la base d'une activité partagée, où les élèves « participent à la constitution interactive des situations dans lesquelles ils apprennent ». (Cobb, Yackel, et Wood, 1992b) : en effet, pour que les élèves puissent trouver des raisons de fabriquer des problèmes, il faut qu'ils puissent les proposer à d'autres élèves, pour que ceux-ci en discutent et en proposent des améliorations, ou bien qu'ils les résolvent. » Sensevy, 1998, p.137.

Sensevy précise ensuite le cadre théorique correspondant à ce dispositif :

« Le cadre théorique spécifique sur lequel la pratique de fabrications de problème s'est édifiée peut ainsi se résumer de la manière suivante : l'activité épistémologique de l'élève est indissociablement liée au partage des significations que nécessité la pratique mathématique conçue comme socialement fondée dans une communauté. Elle repose, pour ce qui concerne précisément le cas des problèmes des fractions, sur une conception du sens du nombre qui considère celui-ci comme écologiquement construit par les possibilités offertes (« affordances », Gibson, 1986) et les contraintes des situations que l'élève rencontre dans son activité mathématique. Elle se construit dans un environnement de « taille intermédiaire », dans lequel l'élève construit matériellement des produits mathématiques ». Sensevy, 1998, p.142.

2.1.3 La pratique du débat

L'intention était que l'élève construise un rapport au dialogue entre pairs. Ce dialogue était l'occasion de s'entraîner à la formulation, de conjectures, à la production de preuve ou de réfutation. Le débat pouvait être libre ou en structure ascendante, c'est-à-dire que la question était d'abord travaillée individuellement ou en dyade, ensuite inter-dyade (groupe de 4 élèves), puis inter-groupe, enfin présidé par le professeur. Vigotsky (1985) a montré le rôle fondamental du langage dans le

processus d'intériorisation .

« Dans cette perspective, le travail en dyade apparaît comme un moyen privilégié d'activer ce processus, puisque l'élève est forcé, dans le cadre même de l'interaction, de constituer en actions concrètes une pratique où le langage joue un rôle privilégié de médiation ». Sensevy, 1994, 158.

2.1.4 Le rôle du professeur

La fonction du professeur n'est donc plus d'obtenir des réponses justes. Il s'agit d'accompagner « l'enquête mathématique », c'est-à-dire d'initier et de guider. Cela nécessite un certain nombre de gestes et de techniques accompagnant les dispositifs institutionnels. Ces gestes étaient ceux d'un praticien et d'un chercheur et cherchaient à faciliter le dialogue entre les élèves, l'aide au travail coopératif, la mise en évidence des interprétations contradictoires, l'institutionnalisation par des commentaires appropriés sur des productions d'élèves et l'élaboration de significations partagées qui puissent s'inscrire dans la mémoire didactique de la classe.

« La notion de geste, par exemple, celle de geste professionnel, est forcément pratique : réussir un geste, c'est avoir le sens du Jeu, c'est parvenir à s'inscrire dans le jeu, dans le flux du réel » Sensevy, 1994, p.102.