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Chapitre 4. Projet spécifique de la recherche et sa double pertinence

4.2. Double pertinence de la recherche

4.2.1. Pertinence sociale

Dans un contexte africain subsaharien où l’on parle des pratiques contraires à l’éthique, des agissements criminels marqués par une forte dose d’érosion du professionnalisme (NU, 2001), un cadre éthique de l’enseignant gabonais au secondaire trouve toute sa légitimité. S’il existe déjà un Code de déontologie de la fonction publique (Loi 14/2005) valide et valable pour toute l’administration gabonaise en général; notre cadre éthique aura le mérite de s’enraciner profondément dans la profession enseignante. À ce propos, le BIT (1991, p. 102) écrit : « Des codes

d’éthique ou de conduite devraient être établis par les organisations d’enseignants ». Il faut sortir de l’impersonnalité formelle dans laquelle les enseignants gabonais sont plongés du fait d’un code de déontologie dont les normes sont à propos de tous, occultant la spécificité même de chaque profession. Ce sont des normes souvent appliquées sans considération d’ordre personnel. Tout le monde est soumis à une égalité de traitement formelle (NU, 2001). Or un code de déontologie de la fonction publique ne peut pas toujours tout couvrir en termes de pratiques différenciées.

Sans prétention aucune, ce cadre éthique de l’enseignant gabonais au secondaire que nous proposons pourrait éventuellement servir telle une sorte de propédeutique à la réalisation d’un véritable code d’éthique ou de déontologie des enseignants du Gabon. L’absence des textes uniformes dans l’administration gabonaise explique les obstacles auxquels se heurte la promotion de l’éthique dans la fonction publique. Elle justifie la connaissance insuffisante que la plupart des fonctionnaires ont du régime de l’éthique et le manque de moyens pour promouvoir activement l’éthique (NU, 2001, p. 38). C’est parce que le Code de déontologie de la Fonction Publique est un outil trop généralisé de gestion administrative de la conduite de l’agent de l’État que l’enseignant ne s’y retrouve pas nécessairement. C’est un instrument qui concerne tous les agents publics gabonais, sauf chacun dans son domaine, parce que trop vaste, voire vague. Plus qu’un Règlement Intérieur d’un lycée ou d’un collège, notre cadre éthique se veut être un contrat moral71 passé entre un

enseignant et ses élèves : une aide à la responsabilisation des enseignants gabonais au secondaire trop souvent accusés de pratiques déloyales (Demba, 2011), de comportements hors normes (Quentin De Mongaryas, 2012) et de violence envers les élèves (Nguema Endamne, 2011).

L’opportunité d’un cadre spécifiquement destiné aux seuls enseignants gabonais au secondaire résulte surtout du fait que : s’il n’est pas toujours possible de prévoir totalement le détail d’une action éducative (Paquay, 2007, p. 61) puisque très souvent l’improbable est vite devenu probable, et le probable improbable dans l’acte d’enseigner ; on peut au moins savoir à l’avance des choses à ne pas faire et des risques à ne pas prendre. L’objectif essentiel est de réduire l’illusion d’un enseignant qui confondrait autorité et autoritarisme, pouvoir d’intervenir et abus du pouvoir. Il devrait réaliser qu’il n’est pas systématiquement investi du pouvoir de légiférer ainsi que le dicterait sa simple volonté. Il est un représentant de la loi. Il doit prendre conscience que son autorité ne lui confère pas un pouvoir personnel de faire tout ce qu’il veut. Son pouvoir est un pouvoir professionnel que la société en général, l’État et les parents en particulier lui prêtent (Jeffrey, 2002).

71 Contrat moral parce que rien ne l’y oblige d’emblée, si ce n’est sa seule conscience comme guide éclairé. C’est la perspective kantienne d’une raison pratique légiférant, considérant l’autonomie de la volonté, bonne par essence. C’est toute la dette que Kant paye à Rousseau au sujet de la conscience, ce divin en nous.

Il lui revient de l’assumer dans les règles de l’art en y intégrant un pouvoir discrétionnaire qu’on peut lui reconnaître du fait qu’il peut décider ou pas de faire entrer un élève retardataire.

Partant de ce cas, c’est à l’enseignant de décider désormais vu que l’apprenant qui se présente à la porte de la salle de classe en espérant y entrer n’est plus dans la légalité, le Règlement Intérieur de l’établissement le condamnant à propos. Il revient à l’enseignant, en âme et conscience et sur la base des explications du retardataire, de se prononcer sur l’ultime décision. Une décision qui ne doit cependant pas être prise sans quelques orientations possibles sur le choix final. C’est dans cette perspective de délibération éthique du choix final que le cadre éthique que nous proposons revêt toute son importance : un Guide de délibération éthique. Pas exactement un impératif catégorique au sens kantien. Nous n’imposons rien à l’enseignant gabonais au secondaire. Notre cadre éthique n’est pas une loi de plus dans un système scolaire hyper bureaucratisé. Nous nous efforçons à notre niveau de contribuer à une meilleure décision possible dans une situation de dilemme éthique. Nous dénonçons le rigorisme, l’excuse de la loi qui est souvent mis en avant alors que l’on peut toujours faire autrement étant donné la singularité de chaque situation scolaire. C’est pourquoi pour parvenir à une décision autre qu’à une décision figée dans une réglementation en vigueur, nous proposons à l’enseignant gabonais notre cadre éthique sur lequel, entre autres, s’appuyer.

Dans son rôle d’initier l’élève à ce qu’il ne maîtrise pas ou ne connaît pas encore, un enseignant a besoin de quelques règles en vue de définir et d’encadrer les libertés et les responsabilités qui sont les siennes dans l’espace scolaire (Jeffrey, 2013a). Ceci est d’autant plus vrai que le manque de balises produit l’errance, l’arbitraire, l’instabilité existentielle et l’agitation nerveuse (Jeffrey, 2002, p. 141). Les repères sont nécessaires à une action responsable. Au moins, on sait sur quoi il faut partir pour se décider et décider. Le choix final ne s’effectue plus dans le hasard de la situation en comptant sur la fortune, mais sur des balises dûment répertoriées en amont. L’utilité de ces dernières résident donc en ce qu’ils rendent possible une décision éthiquement motivée chez tout enseignant soucieux de la relation entre enseignants et enseignés, au-delà de tout rapport au savoir. Dans ce registre-là, et pour aider les enseignants à tendre toujours vers des attitudes responsables, éthiquement justifiables, dans une perspective déontologique partagée, Prairat (2012) et Jeffrey (2013a) proposent un certain nombre de devoirs professionnels de l’enseignant. Ce sont :

1) Devoir d’hospitalité ; 2) Devoir de sollicitude ; 3) Devoir de confiance ;

4) Devoir de respect ; 5) Devoir de compétence ;

6) Devoir de distance professionnelle ; 7) Devoir de confidentialité ;

8) Devoir de collégialité ; 9) Devoir de réserve ;

10) Devoir d’intégrité professionnelle.

Si la pertinence sociale de cette recherche doctorale repose pour l’essentiel et de manière pratique sur la proposition d’un cadre éthique de l’enseignant gabonais au secondaire; celle-ci ne naît pas ex nihilo. Elle est fonction d’une réflexion à la base théorique sur la liberté de l’enseignant gabonais au secondaire, sur sa part de responsabilité dans le dysfonctionnement généralisé du système éducatif gabonais. Le point de départ est une réponse à Nguema Endamne (2011) qui propose que le débat sur l’école gabonaise prenne de l’envol en insistant sur la place de l’enseignant, en situant sa responsabilité dans un système qui enregistre des problèmes de tous ordres. C’est l’enjeu majeur de la pertinence scientifique de notre recherche. Les enseignants sont dotés d’un pouvoir considérable. Inconsciemment ou non, « ils peuvent d’un mot, d’une phrase, faire basculer un destin » (Bouchard, 2013, p. 53). C’est un pouvoir72 qui nous intéresse et nous préoccupe au premier chef dès lors que

c’est le choix de l’enseignant qui reste, en dernière analyse, l’élément déterminant dans la réussite, l’échec et le décrochage scolaire d’un élève. Nous entendons par choix ici, toute décision prise en situation-classe par un enseignant et qui peut directement ou indirectement influencer la réussite scolaire d’un élève, affecter sa réussite éducative.

Il importe donc d’y revenir.