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Chapitre 5. Les concepts primordiaux de la recherche

5.2. L’éthique professionnelle en enseignement

5.2.1. Éthique : clarification conceptuelle

Si l’usage aujourd’hui très répandu du mot éthique cache forcément quelque chose (Billard, 1995, p. 33), un réinvestissement du concept s’impose d’emblée pour dénoncer les illusions qui entourent son utilisation. Il est partout question d’éthique (Droit, 2009; Cova, 2012). Il n’est plus possible aujourd’hui de faire l’économie de l’éthique dans tous les domaines de la vie. Canto-Sperber et Halpern (2012) le rappellent : « À coup sûr, l’éthique est plus en vogue aujourd’hui qu’à la fin des années 1980 » (p. 197). Un tel engouement pour l’éthique remonte aux années 1960 avec la recherche biomédicale. Il s’explique surtout par la radicale transformation des mœurs privées et des mutations politiques d’une ampleur considérable (l’extension de la démocratie, la décolonisation, le mouvement des droits civiques) (Canto-Sperber et Ogien, 2004, p. 13). C’est aussi l’occasion de souligner l’émergence de l’éthique appliquée ou applied ethics comme branche de la philosophie morale : « une discipline philosophique » (Legault, 2006).

Traditionnellement, l’étude de l’éthique renvoie aux trois branches de la philosophie morale contemporaine. En suivant la division chronologique de Provencher (2008), on retient : la méta- éthique (1900-1950), l’éthique normative (de 1960 à nos jours) et l’éthique appliquée (de 1960 à nos jours). Si l’éthique appliquée constitue presque le dernier né de la philosophie morale contemporaine, la méta-éthique et l’éthique normative ont constitué, dès le début du XXe siècle, les

deux grands domaines de la philosophie morale sous l’impulsion du philosophe anglais George Edward Moore (1873-1958). Méta-éthique et éthique normative doivent d’ailleurs leurs noms à un autre philosophe anglais Alfred Ayer (1949-1954) (Prairat, 2013, p. 60).

1) La méta-éthique

La méta-éthique naît d’une réflexion des philosophes anglais de la première moitié du XXe siècle

qui veulent établir l’autonomie de l’éthique comme discipline spécifique de la philosophie. C’est une réflexion sur les problèmes de langage : comparer les énoncés éthiques aux autres types d’énoncés (Provencher, 2008, p. 16). Il s’agit de montrer en quoi la connaissance morale se distingue des autres types de connaissance. Vérifier si nous avons affaire à un jugement de fait ou à

un jugement moral dans nos différents énoncés se rapportant à des énoncés moraux90. La

publication de Principia Ethica par George Edward Moore en 1903 va être déterminante pour la méta-éthique que l’on entend désormais distinguer de l’éthique normative.

2) L’éthique normative

L’éthique normative est une réaction d’auteurs comme Anscombe (1958), Foot (1978) et Warnock (1967) contre la distinction entre jugements de fait et jugements de valeur de la méta-éthique. C’est le retour de la philosophie vers l’action et les questions morales les plus pratiques. La question fondamentale est kantienne : « Que dois-je faire? ». La réponse divise l’éthique normative en déontologisme, conséquentialisme et éthique des vertus. Ce que Prairat (2013) appelle options normatives. Faire des propositions concrètes en référence au bien et au mal ou au juste et à l’injuste. L’éthique appliquée y trouve ses racines.

3) L’éthique appliquée (applied ethics) ou éthique pratique (pratical ethics)

L’éthique appliquée tire son origine des bouleversements sociaux, politiques et technologiques des années 1960. Les philosophes interpellés se sont retrouvés face à des nouvelles questions éthiques et absolument inédites. Par exemple : À partir de quel moment un individu est-il réellement mort? Ou encore, avons-nous le devoir moral de donner nos organes à notre mort? (Provencher, 2008, p. 19). Des interrogations qui invitent à des réponses pratiques plutôt qu’à de la simple spéculation. L’éthique appliquée est une éthique qui se préoccupe des problèmes concrets, vécus concrètement et dans la réalité concrète. C’est clarifier l’attitude à adopter face à une question absolument concrète qui naît souvent des pratiques sociales et des progrès scientifiques et technologiques. Les champs auxquels ont réfère habituellement sont : la bioéthique, l’éthique de l’environnement, l’éthique des affaires, l’éthique professionnelle. Ainsi que le fait remarquer Prairat (2013, p. 64), réfléchir à l’éthique enseignante relève de droit du champ de l’éthique appliquée. Non pas que l’enseignement soit une question nouvelle et inédite. Le monde de l’éducation évolue sans cesse et il faut l’arrimer aux standards actuels. L’exigence de se professionnaliser implique que l’éthique professionnelle occupe une place de choix dans la formation des enseignants. Ce qui suppose une connaissance approfondie de ce pan de l’éthique appliquée dans son rapport à l’enseignement. Ce qui invite par ailleurs à une maîtrise de l’éthique en général dont l’éthique appliquée n’est qu’un démembrement. Car si l’éthique renvoie autant à la méta-éthique, à l’éthique normative qu’à

l’éthique appliquée, elle n’est pas les trois additionnés. Elle est les trois à la base. Il est donc important que nous revenions sur ce qu’est l’éthique en elle-même et pour elle-même.

Nous commencerons par nous engager dans le travail d’exploration étymologique auquel se livre Clair (2001) au sujet de la polysémie du terme grec èthos. Il fait état de deux termes grecs d’apparente contradiction, mais en réalité très proches : éthos (habitude) et èthos (mœurs et caractère). Si èthos se moule à èthikè pour signifier la conduite d’un homme tant d’un point de vue moral, social que psychologique, èthikè arête désigne à la fois vertu éthique (ou morale) et vertu du caractère. Du coup, la distinction parfois voulue entre éthique et morale s’annule pour rendre compte du caractère d’un homme en société, de son comportement. Mais si le caractère éthique (èthos) relève de l’habitude (éthos) et se confond ainsi au concept d’origine latine mos/mores pour dire usage, coutume, mœurs et maximes, il ne renvoie pas forcément au caractère comme kharaktèr91. Le caractère auquel nous renvoie la réflexion éthique depuis Aristote impose un certain recentrage sémantique. Affirmer qu’éthique vient de éthos ou èthos : ce n’est pas suffisant pour rendre compte de la profondeur de l’éthique comme concept. To pan èthos dia éthos fait remarquer Thomas de Koninck dans une vidéo92 intitulée Aristote. Littéralement : « Le caractère naît de

l’habitude ». Mieux : « Le caractère tire sa formation de l’habitude » (Aristote, 1994, p. 2).

La vertu tout comme le vice sont essentiellement acquis. C’est en « s’exerçant soi-même à la vie » (au sens d’acquérir de l’expérience) que l’on finit par se doter d’une certaine manière de se conduire. L’être humain est principe et générateur de ses actes ainsi que l’est un père pour sa propre progéniture. Ses actes résultent des choix qu’il opère pour lui-même. Aristote (1992 et 2012) précise les choses en distinguant vertu intellectuelle 93 (tributaire de l’enseignement reçu) et vertu

éthique94 (ou morale). Il soutient que la vertu éthique (ou morale) est le résultat (ou produit) de

l’habitude. Les concepts éthos, èthos, èthikè et kharaktèr méritent alors une attention soutenue dans la saisie organique de ce qu’est l’éthique. Pour comprendre l’éthique, aujourd’hui employée par tous et en toutes circonstances (Billard, 1995), des rapprochements conceptuels parfois hâtifs devraient être évités. Nous partageons la thèse de Clair (2001) : « Le fait d'entrer en philosophie morale par l'examen du concept de caractère, c'est-à-dire d'accorder à ce concept une priorité, donne une certaine orientation à la recherche » (p. 73). La perspective de Ricœur (1996) souvent rappelée

91 « L'unicité des traits qui déterminent l'être de quelqu'un ou de quelque chose, qui en constituent la marque d'identité » (Clair, 2001, p. 75).

92 Vidéo visionnée dans le cadre du cours ETH-6004 : Théories éthiques offert à l’université Laval par la Faculté de Philosophie (Patrick Turmel (Professeur responsable) et Christian DJOKO (Tuteur), Hiver 2014). 93 Sont des vertus intellectuelles : la sagesse (aussi appelé savoir ou sagesse théorique), l’intelligence, la prudence (ou sagesse pratique) (Aristote, 2012, p. 91).

au sujet de la distinction entre l’éthique et la morale ne suffit pas à dissiper tout malentendu. Brandir cette posture ricœurienne comme si tout était accompli ne justifie rien.

Un argument d’autorité du type « a priori, l’étymologie ne nous ait d’aucun grand secours si l’on veut distinguer éthique et morale » ne devrait pas dispenser de chercher. Si l’argument est valable en matière de réflexion philosophique et de contribution intellectuelle, la vérité nous appartient en propre comme exercice du penser par soi-même. Les concepts sont en général liés à des traditions précises et culturellement bien déterminées. Il y a dans un mot l’âme d’un peuple. Si certains échappent malheureusement à la traduction, l’idéal serait de les converser comme tels. On peut traduire profession en langue française, mais sa force reste anglo-saxonne. Cicéron (106-43 av. J.- C.) n’était donc pas condamné à traduire le concept grec éthos en inventant moralis (la morale en latin) pour ta èthica ou étude des comportements (Prairat, 2013). En l’absence de toute certitude de traduction, il vaut mieux se garder de traduire. La phrase « L’éthique recommande alors que la morale commande » renferme l’essentiel de la distinction. La Rome étant le « berceau du droit »; la Grèce, grâce à Athènes, une culture d’hommes libres : l’éthique est grecque, la morale est romaine. C’est l’activité libre du sujet qui fonde l’éthique. L’homme se prédestine comme auteur d’une législation qui déborde le rapport de soumission à une extériorité qui le condamne à l’obéissance. Dans son rapport à l’autre ou éthique, l’homme cesse d’être étranger à son propre comportement comme dans un régime de droit positif ou absolu. L’autonomie de la volonté à la Kant (1792) nous paraît être une belle illustration de cet éthos grec. Il s’agit d’un affranchissement de l’homme par rapport à une extériorité encombrante par l’exercice de son droit naturel à légiférer. Indépendamment de toute propriété des objets du vouloir, l’autonomie de la volonté est cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi (Kant, 1792, p. 49). La loi pratique ou principe objectif est le résultat de la maxime ou principe subjectif. L’homme n’agit plus conformément au devoir comme Eichmann qui fit outrage aux kantiens en prétendant avoir vécu toute sa vie selon les préceptes moraux de Kant et, particulièrement selon la définition kantienne du devoir (Arendt, 1966, p. 256). Il n’avait certainement pas perçu qu’agir par devoir et agir conformément au devoir ne signifie pas exactement la même chose chez Kant. Il ne s’agit pas d’obéir aux lois. En fait, Eichmann a probablement manqué de distinguer Autonomie et Hétéronomie, deux concepts clés de la morale kantienne. L’autonomie est un principe de la dignité de la nature humaine et de toute nature raisonnable qui n’est pas lié aux sentiments, aux impulsions et aux inclinations. Elle repose uniquement sur la nécessité objective d’une action en vertu de l’obligation ou devoir (Kant, 1792).

Le devoir consiste non plus à obéir aux ordres extérieurement donnés, mais à faire preuve de rationalité dans son action. L’obligation ou obligatio dont il est question chez Kant (1997) est necessitatio et non necessitas. Elle est nécessitation et non nécessité (Langlois (1997, p. 90). Elle n’est pas une action nécessaire. Elle est nécessité en tant que nécessaire contrainte ou impératif catégorique. C’est une proposition pratique synthétique et non hypothétique95. Elle conditionne la

loi. C’est le principe de toute moralité : la raison pure pratique légiférant à partir de la Bonne volonté. Une action juridique se distingue alors d’une action éthique. Une action peut être conforme à la loi, posséder la rectititudo juridica et être pourtant contraire à l’intention, à la rectittudo ethica. On peut ainsi poser la définition kantienne de l’éthique. C’est la philosophie de l’intention et philosophie pratique en même temps : « Les intentions sont les principes de nos actions et ce qui relie celles-ci aux motifs » (Kant, 1997, p. 168). La moralité d’une action dépend de la bonté intrinsèque de l’action. Si une action est associée à quelques mobiles extérieurs comme la contrainte par exemple, elle est juridique ou autre. Sauf éthique. L’Éthique est une science au même titre que la Physique ou la Logique selon Kant (1792).

De même que la Physique étudie les lois de la nature, l’Éthique étudie les lois de la liberté. Son autre nom est Philosophie morale qui se divise en Anthropologie pratique et en Morale. Il n’y a pas lieu de confondre Éthique et Morale chez Kant. La Morale est un aspect de l’Éthique comme partie rationnelle de la Philosophie morale, la partie empirique étant l’Anthropologie pratique ou Philosophie pratique96. La Morale est la partie pure sur laquelle repose toute Philosophie morale ou

Éthique. C’est dans sa nature de commander. C’est elle qui donne à toute prescription son caractère obligatoire et universel. L’Éthique est liée à une rationalité en œuvre : « Une philosophie de la bonne intention et non seulement de la bonne action » (Kant (1997, p. 169). L’Éthique est philosophique en tant qu’Anthropologie pratique ou réflexion critique sur l’agir humain. Le statut de l’intention chez Kant devient ainsi incontournable dans la définition même de l’éthique, décisif dans sa distinction avec la morale au sens qu’en donnerait Durkheim (1950) par exemple : une affaire sociale. La morale est liée aux mœurs du groupe. Il n’existe pas de peuple sans morale. Celle-ci est déterminée par les conditions dans lesquelles il vit (Prairat, 2009). Elle résulte des rapports que les membres d’une communauté entretiennent entre eux depuis toujours.

95 À l’image de la Géométrie qui donne des règles strictes sans se demander si l’homme peut ou non les appliquer et les observer, la loi morale ne doit pas être indulgente et s’accommoder aux faiblesses humaines (Kant, 1997).

96 La philosophie pratique se distingue de la philosophie théorique dont l’objet est essentiellement la connaissance. Philosophie de l’agir, la philosophie pratique s’occupe de la conduite humaine. C’est en cela même qu’elle se veut être une Anthropologie pratique. Elle renvoie en effet aux actions libres et à la libre conduite. Par conduite, Kant (1997, p. 170) entend la manière et la forme des mœurs c’est-à-dire l’ensemble intégré de nos attitudes au quotidien en société.

La société est condition de toute moralité. Résumons cette thèse durkheimienne à travers ces quelques remarques (Durkheim, 1950, p, 86) :

1) Une morale est toujours l’œuvre d’un groupe et ne peut fonctionner que si ce groupe la protège de son autorité;

2) La morale est faite de règles qui commandent aux individus, qui les obligent à agir de telle ou de telle manière, qui imposent des bornes à leurs penchants et leur défendent d’aller plus loin;

3) Dans la mesure où l’individu est abandonné à lui-même, dans la mesure où il est affranchi de toute contrainte sociale, il est affranchi aussi de toute contrainte morale. Moralité et société sont indissociables.

Dans cette perspective durkheimienne de la moralité, la solidarité devient nécessaire : « La morale commence là où commence l’attachement à un groupe, quel qu’il soit » (Durkheim, 2004, cité par Paugam, 2015, p. 4). C’est dans et par le groupe que se réalise une action morale. C’est dans la société que la morale s’enracine. Un être moral est un individu solidaire du groupe. Un rapport de subordination de l’individu au groupe qu’établit Durkheim (1950) qui ne peut constituer pour Kant (1997) qu’un fondement empirique externe d’un système éthique. Par conséquent, c’est une moralité problématique parce qu’elle repose sur la nécessité et non sur la nécessitation. Mais, Durkheim (1950) a eu le mérite de théoriser la question morale comme solidarité au groupe, respect de ses engagements vis-à-vis des autres membres de la société. Une action est morale parce qu’elle est sociale. C’est une orientation explicitement donnée de la morale : soumission de l’individu à la société. À l’opposé, l’orientation kantienne d’une morale comme fondation de l’éthique suppose que l’éthique reste à la base une activité propre du sujet. C’est une œuvre de la rationalité en mouvement. La morale oblige extérieurement, empiriquement alors que l’éthique oblige intérieurement, à partir de soi-même97.

La morale donne son caractère d’obligation à l’éthique, mais elle n’est pas l’éthique. Le caractère moral ou moralité d’une action dépend toujours de l’autonomie de la volonté. L’excellente leçon de Durkheim (1950) sur cette distinction problématique entre éthique et morale, c’est l’opportunité de définir la morale : le rapport de l’homme à une instance supérieure qui lui impose des règles de conduite. La société chez Durkheim, la raison chez Kant, l’État chez Hegel, la Nature naturante chez Spinoza98, etc. La morale n’a jamais été loin de l’obéissance. Celle-ci peut parfois se masquer

en respect quand la contrainte ne nous donne pas le choix de désobéir. Cependant elle finit souvent

97 La terminologie adéquate devient morale kantienne et non éthique kantienne. La morale est obligation, nécessitation. L’éthique est liberté, choix. La possibilité d’une éthique kantienne suppose le rapport à l’autonomie de la volonté et reste suspendue à ce niveau.

par s’abîmer en religion révélée ou non, à un rapport à Dieu ouvert ou pas, à une transcendance ou à une immanence transcendante ou pas. Kant (1997) n’y échappera pas forcément99. Si les questions

auxquelles l’éthique et la religion répondent se distinguent respectivement en Que dois-je faire? et Que m’est-il permis d’espérer? C’est dans la religion que toute moralité trouve son accomplissement eu égard à son objet (Kant, 1997, p. 177).

La religion est présente et demeure associée à l’esprit de la morale chez Kant. Bergson (1932) ne s’en écarte pas : « Qu’on interprète la religion d’une manière ou d’une autre, qu’elle soit sociale par essence ou par accident, un point est certain, c’est qu’elle a toujours joué un rôle social » (p. 5). Une chose est d’insister sur le rôle social de la religion, une autre est de croire que l’obligation sociale relève d’une « expérience mystique ». En effet, chez Bergson (1932), l’obligation sociale n’est pas qu’une affaire de solidarité ou de nécessité mécanique. Si les hommes sont sociaux, donc moraux, ce n’est pas le fait d’être intégré au groupe. Encore moins l’expression d’une rationalité en œuvre puisque l’essence de l’obligation est autre chose qu’une exigence de la raison (Bergson, 1932, p. 18). Cette autre chose est cet ordre impersonnel auquel tout être humain est irrémédiablement condamné à obéir. Probablement Dieu puisque c’est seulement à travers Dieu, en Dieu, que la religion convie l’homme à aimer le genre humain (Bergson, 1932, p. 27). Anscombe (1958) aurait eu alors raison lorsque critiquant une orientation actuelle de la philosophie morale, elle voit dans la notion de devoir moral un lien avec l’ordre divin. La question est : Comment justifier l’obligation morale alors que Dieu comme source n’est remplacé par aucune autre instance législatrice? (Canto- Sperber, 1994, p. 85).

Il y a dans cette question un soupçon qui pèse sur le rapport de l’obligation morale à quelque chose d’énorme ou plutôt d’indéfini qui pèse sur l’homme pour paraphraser (Bergson, 1932). Dans sa nature même, la morale entretient un lien intime tantôt explicite tantôt masqué avec une réalité hautement supérieure qui influence les comportements humains. Cela pourrait relever de la mentalité mythique et religieuse. Pourtant, parler de morale, c’est entrer en dialogue avec quelque chose qui nous écrase de tout son poids. Ce qui la distingue du projet éthique. Dans ce sens, nous partageons l’analyse de Renaut (2010, p. 37) abordant le rapport entre conscience et communication chez Habermas :

1) L’expérience morale est cette expérience où le choix de ce que je fais me confronte à moi- même;

99 Pour Schopenhauer puis Nietzsche, l’éthique de Kant n’est qu’une théologie masquée (Billier, 2010, p. 192). Il y a un fond de vérité dans cette conception puisque la morale kantienne trouve son achèvement dans la religion en tant que ce qui la prolonge.

2) L’expérience éthique est cette expérience où le choix de ce que je fais engage d’emblée le rapport aux autres.

Le « renouveau de l’éthique » s’effectue surtout avec Blondel (2000) qui pose d’emblée que la morale est elle-même déjà un problème100. L’immoralité serait de croire qu’une morale fondée sur

des valeurs éternelles existe de tout temps. L’auteur de Généalogie de la morale (Nietzche, 2010) devrait s’en souvenir. Par-delà bien et mal (Nietzche, 2000), c’est vivre autrement le bien et le mal. L’axe axiologique reste pendant. La morale se définit ainsi comme un hymne à la liberté plutôt qu’un appel à être fondamentalement vertueux. Dans le fond, la morale reste éthique en tant que