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Chapitre 1. Quelques éléments du contexte général de la recherche

1.1. L’école gabonaise : retour sur une institution importée et imposée

1.1.2. Le modèle éducatif français : une note d’histoire

Le modèle éducatif français ne s’est naturellement pas construit tout seul. Il est le résultat d’une variété des traditions scolastiques. Il plonge ses racines très lointaines en Mésopotamie, dans l’Égypte des pharaons, en Inde ancienne, dans l’Empire perse et en Chine ancienne (Vial, 1995 ; Troger et Ruano-Borbalan, 2005). L’école dans le monde occidental en général est surtout redevable aux Hébreux, aux Grecs et aux Romains. L’orientation du système éducatif français et sa structuration actuelle s’y enracinent. Elle retient des Hébreux l’idée d’une école gratuite et obligatoire qui s’impose en 64 de notre ère (Vial, 1995, p. 14). Le service militaire et la soumission totale à l’État qui effacent complètement l’individu au profit du groupe sont l’œuvre de Sparte. De l’éducation athénienne, au-delà de la formation du citoyen libre, de la promotion d’un haut niveau de culture et du développement de la personnalité humaine dans le souci du bien, du bonheur de l’individu; on retient ce qui fait encore débat dans l’école de la République à savoir :

▪ Le mépris du travail des mains qui serait indigne de l’homme libre;

▪ La méconnaissance des ressources nécessaires que le travail manuel peut offrir à l’éducation en général;

▪ La jonglerie verbale ou l’art de soutenir le pour et le contre, cette habileté à faire triompher une cause, même mauvaise;

▪ Un humanisme spéculatif, voire contemplatif, c’est-à-dire essentiellement littéraire et verbal, dépouillé de sa sève.

Les Romains ont légué au système éducatif français l’esprit d’une éducation française conforme au caractère français : une éducation militaire et patriotique, utilitaire et subordonnant l’individu à l’État, à la loi (Vial, 1995). Ajoutons également :

▪ L’apprentissage d’une langue étrangère dans la formation de l’enfant;

▪ L’usage d’envoyer des étudiants poursuivre leurs études dans d’autres pays, souvent réputés pour la qualité de leur formation;

▪ Un enseignement supérieur du droit qui n’existait pas chez les Grecs.

Mais, si le modèle éducatif français doit beaucoup aux traditions judéo-chrétienne et gréco-romaine; il reste avant tout le produit d’une histoire tumultueuse.

À la suite de l’effondrement de l’Empire romain d’Occident dû aux invasions barbares, le réseau scolaire disparaît quasiment. La pratique de l’école héritée de l’Antiquité est remplacée par des écoles monastiques et épiscopales. L’Église devient la seule puissance capable d’entretenir les vestiges de la scolarisation (Troger et Ruano-Borbalan, 2005, p. 10). L’essentiel de l’activité scolaire qui se déroule dans des monastères est de conserver une part d’héritage de l’Antiquité en vue de l’incorporer au Christianisme. La première tentative de l’État de se soustraire de la pédagogie de l’Église est la renaissance carolingienne née de la création par Charlemagne (768- 814) de la Palatine : une école rattachée au Palais d’Aix-en-Provence et dont l’une des fonctions était aussi d’assurer la copie des manuscrits en caroline37 et non plus en écriture gothique

(Baillargeon, 2014).

École du palais, la Palatine a deux missions principales : former des cadres de l’État et implanter partout dans le royaume des écoles destinées à tous. C’est le début d’une école républicaine, le point de départ de la massification scolaire pour la France. La Palatine ne représente peut-être pas le principal de l’éducation médiévale. Cependant, la tentative de l’Empereur Charlemagne de restaurer un État centralisé soutenu par l’Église a permis de maintenir une scolarisation active dont l’apparition au XIIIe siècle des grandes universités européennes sont un témoignage manifeste :

Université de Paris en 1200, Université de Montpellier en 1283, Université de Toulouse créée par la papauté (Vial, 1995).

Les germes d’un conflit entre l’Église et l’État sont plantés.

2) L’histoire du conflit entre l’Église et l’État.

C’est l’œuvre de la Révolution. Au XVIIIe siècle, l’État intervient davantage directement en créant

des écoles techniques et militaires (Troger et Ruano-Borbalan, 2005, p. 16). Les collèges des Jésuites sont supprimés par le Décret du 15 septembre 1793. C’est une date importante dans l’histoire de l’éducation en France. Elle constitue une expérience fondamentale de l’État qui veut désormais s’affranchir de l’autorité de l’Église pour affirmer son pouvoir sur les institutions scolaires. L’idéal éducatif n’est plus celui de l’honnête homme du XVIIe siècle, mais former le

citoyen libre et éclairé (Vial, 1995). Le réseau scolaire de l’Ancien Régime est profondément déstabilisé. De 1791 à 1793, plusieurs mesures vont être prises contre le clergé. Celui-ci est

37 La caroline est une écriture aux caractères plus petits et plus faciles à former dont les humanistes et l’imprimerie s’empareront et qui parviendra jusqu’à nous (Baillargeon, 2014, p. 51). Elle remplace la difficile calligraphie de l’écriture gothique.

dorénavant soumis au respect de la Constitution républicaine. Les congrégations religieuses sont interdites d’enseigner et les biens de l’Église sont confisqués (Troger et Ruano-Borbalan, 2005). Mais, c’est surtout avec François Guizot (1787-1874), Alfred de Falloux (1811-1886) et Jules Ferry (1832-1893) que ce conflit Église-État est exposé au grand jour. Il va s’articuler autour de la création d’un enseignement primaire public jusqu’ici monopole de l’Église. Ce sera une contribution de Guizot, Ministre de l’Instruction Publique du dernier Roi de France Louis-Philippe. Il adopte une loi. C’est la Loi Guizot du 11 mars 1833 qui fait obligation à toutes les communes de financer une école. Un apport qui sera valorisé par Ferry réagissant vigoureusement contre la Loi Falloux du 15 mars 1850 qui supprime de fait le monopole de l’État dans l’enseignement établi en France par Napoléon 1er. Avec la Loi Ferry du 29 mars 1882, Ferry, Ministre de l’Instruction

Publique de 1879 à 1883, décide de la suppression de l’Instruction religieuse qu’il remplace par des leçons d’Instruction Civique et de Morale. C’est la laïcisation à marches forcées.

À marche forcée parce que Ferry rompt avec une laïcisation progressive de l’école française initiée par Guizot. Ce dernier maintenait encore l’Instruction Religieuse dans sa Loi du 11 mars 1833. Une loi autrement reprise par Falloux et qui permettait aux congrégationnistes d’enseigner grâce à une simple Lettre d’obédience (Vial, 1995). Pourtant, ce monopole de l’État en matière d’éducation que tend à institutionnaliser Ferry ne fait pas nécessairement l’unanimité au siècle des Lumières. Selon Baillargeon (2014, p. 121), la critique peut doublement s’énoncer ainsi :

▪ L’État doit rendre obligatoire l’éducation. Toutefois, il ne devrait pas la dispenser entièrement lui-même.

▪ L’intervention de l’État en éducation est liberticide. Il serait préférable qu’il n’intervienne pas. Mais il le fera tout de même puisqu’il définit les politiques éducatives.

L’État a certainement un rôle fondamental à jouer dans l’éducation d’un peuple, dans l’édification d’une nation. Cependant, aucun État au monde ne devrait s’arroger le choix éthique de façonner des citoyens à son image et à sa ressemblance, sans le consentement préalable de ces derniers. Le perfectionnement de l’homme ne doit pas servir de propagande et d’endoctrinement. À ce niveau, l’idéal éducatif d’un Condorcet (1743-1794) nous paraît plus raisonnable que l’horizon maçonnique38 d’un Jules Ferry. Si Condorcet et Ferry sont d’accord tous les deux pour attribuer la

responsabilité de l’Éducation à une puissance publique, Condorcet soutient davantage que : « Seule l’Assemblée Nationale des représentants du peuple est légitime pour en assurer la responsabilité et garantir que le système éducatif servira le progrès des lumières » (Troger et Ruano-Borbalan, 2005,

38 Jules Ferry adhère à la franc-maçonnerie le 29 juillet 1873 en compagnie d’Émile Littré, le père du dictionnaire Littré (Nguidjol, 2008, p. 12).

p. 17). Il ne revient pas à l’État d’en décider tout seul. En tant que devoir de justice, l’instruction du peuple doit être une affaire de l’Assemblée Nationale ou pas.

Toutes les forces vives de la nation devraient être associées aux grandes orientations concernant l’Éducation Nationale. Ce serait se méprendre que de laisser l’État seul décider de l’horizon éthique de tout un peuple. Surtout lorsqu’il s’agit de choisir un idéal éducatif qui est en même temps un idéal de vie qui peut sérieusement affecter la vie d’une nation. Il faut absolument éviter le piège de la fausse Éducation Nationale (Bertrand et Wacogne, 2010). Ce n’est pas par exemple parce que Ferry serait d’obédience maçonnique selon Nguidjol (2008) philosophe camerounais, que toute la République française doit nécessairement être maçonne. Une laïcité soutenable consiste en la tolérance comme au Québec (Dubet et Duru-Bellat, 2015). Elle n’interdit pas. Elle tolère. Elle pourrait emprunter diverses formes selon les pays, les cultures sociales et politiques. Mais il semble aujourd’hui que la laïcité à la française est une laïcité plutôt rigide qui se construit depuis les attentats du 11 septembre 2001 contre les signes visibles de l’Islam en Occident. Le port du voile chez les agents de l’État est souvent prohibé dans les administrations publiques comme à l’école. Or hijab ne rime pas forcément avec djihad (Jeffrey, 2015a, p. 69). Le conflit entre l’Église et l’État pour l’instauration d’une République laïque en France a désormais un nouveau visage : le clivage entre partisans d’une école sanctuaire, sanctuarisée et les adeptes de la reforme pédagogique.

3) L’histoire de la querelle entre Républicains et Pédagogues ou conservateurs et progressistes. Sans nécessairement nous situer pour ou contre la pédagogie, débat toujours actuel (Blais, Gauchet et Ottavi, 2002), nous souhaitons seulement exposer la querelle entre Républicains et Pédagogues en France. Les implications sont importantes pour examiner ce qu’est devenu aujourd’hui le système éducatif gabonais. La confrontation entre pédagogues réformistes et le camp de la restauration de l’école républicaine est une polémique de la Gauche. Elle naît de la réforme Haby ou réforme du collège unique qui supprime toute filière dans la scolarité moyenne et met en place un passage automatique de l’école au collège (Blais, Gauchet et Ottavi, 2002, p. 60). Mais, s’il est quasi difficile aujourd’hui de trouver un républicain qui méprise les enfants ou les méthodes d’enseignement et un pédagogue qui remet en cause les valeurs de la République, il ne faut pas immédiatement penser que le débat est fortuit. Notre priorité ici n’est probablement pas de rentrer dans les détails de cette opposition. Nous voulons présenter succinctement, pour des besoins de cohérence interne à notre déploiement général, ce qui fait effectivement problème. Chacun sera libre de se positionner pour ou contre la pédagogie, suivant ce qu’il lui semble juste de légitimer.

L’idéal ancien de l’affirmation de la transmission des savoirs comme principal objectif du système scolaire ne peut plus à bon droit se situer en permanence aux antipodes de la pédagogie moderne, soucieuse de l’intérêt de l’enfant et de son développement. Une articulation nécessaire entre républicanisme et pédagogisme doit être pensée pour le progrès de l’école, la réussite scolaire et sociale de l’apprenant. Il ne devrait plus y avoir d’un côté un enseignement des disciplines et de l’autre une école sans pédagogie. Surtout si l’on définit la pédagogie comme la recherche des moyens et des méthodes propres à faciliter les apprentissages (Blais, Gauchet et Ottavi, 2002, p. 83). Qui peut bien s’opposer à un tel idéal éducatif pour ne pas dire projet pédagogique ? Il faut simplement se garder d’un républicanisme et d’un pédagogisme qui entretiennent chacun les dichotomies de type savoirs et enfant, disciplines et pédagogie ou instruction et éducation. Dans le cadre de l’enseignement, le rapport au savoir est déjà un rapport à l’enfant. Par ailleurs, chaque élève arrive nécessairement avec ses représentations et ses problèmes. L’enseignant devrait logiquement en tenir compte pour mieux le conduire sur les chemins de l’apprentissage institutionnel. Pas exactement, jouer le rôle des parents. Mais, s’en préoccuper tout de même. La justice scolaire, c’est autant intégrer tous les élèves dans les mêmes structures que prendre en compte les inégalités et garantir le droit de chacun à apprendre. En tant qu’instrument privilégié de la réalisation des principes démocratiques (Blais, Gauchet et Ottavi, 2002), l’école devrait parvenir à concilier l’émancipation des individus avec l’exigence d’une justice sociale pour une République libérale et démocratique où l’égalité des citoyens est une réalité républicaine. Dans « l’affaire du voile » qui éclate en 1989, si le camp de la tradition républicaine et le camp de la réforme ont pour socle commun l’idée des Lumières, alors il n’y a qu’une possibilité de résolution du problème : tolérer le foulard musulman dans le sanctuaire. Loin de remettre en cause toute la tradition laïque et républicaine, une telle mesure vise l’émancipation des individus et l’égalité des citoyens : idéaux phares de la démocratie. Interdire à un croyant de rendre visible son appartenance religieuse dans une administration publique, c’est comme demander à un sikh de couper ses cheveux, ou à un homme d’affaires de porter la mini-jupe pour aller au boulot (Jeffrey, 2015a, p. 70). C’est quelque part le priver de son identité. C’est pourquoi une école proprement gabonaise ne pourra légitimement émerger que dans les conditions d’une tolérance de l’éducation gabonaise traditionnelle par rapport au legs scolaire colonial.

1.1.3. L’école gabonaise postcoloniale à l’épreuve de l’école chrétienne et