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Chapitre 2. Les femmes à la conquête de l'espace

2.3 Se perdre : la flâneuse

Bien avant que les pédaleurs et les chauffeurs ne s’imposent dans le paysage urbain, ce sont les flâneurs qui, les premiers, ont élu domicile dans les rues et les boulevards des grandes capitales du monde occidental. Au milieu du XIXe siècle, ces passants d’un genre nouveau

parcourent l’espace public en quête de sensations et de plaisirs nouveaux, posent leur regard singulier sur les visages d’autrui qui défilent, vont-et-viennent, disparaissent et réapparaissent à chaque détour. Les figures du flâneur et de son contestable pendant féminin, la flâneuse, méritent d’être interrogées dans ma thèse pour deux raisons : d’une part, puisqu’il s’agit de figures majeures de la modernité et, d’autre part, parce qu’elles sont associées à certains thèmes et attitudes qui ne sont pas étrangers aux usagers des moyens de transport individualisés. Les cyclistes et les automobilistes, voire les aviateurs, sont en quelque sorte les héritiers du phénomène de la flânerie, une idée qui n’a pas été soulevée jusqu’à présent dans le discours critique. Ainsi, il s’agit non pas d’établir une équivalence entre les deux, mais

153 Valérie Boulain, op. cit., p. 337. 154 Voir ibid., p. 334.

simplement de voir comment le phénomène évolue d’un siècle à l’autre et de quelle manière il peut éclairer ma réflexion.

À la figure du flâneur est irrévocablement associé le nom de Charles Baudelaire, qui s’inspire pour le définir du peintre et dessinateur Constantin Guys. Dans Le peintre de la vie moderne (1863), il y est décrit essentiellement comme un observateur urbain dont les mouvements aléatoires au sein de la ville, son domaine de prédilection, sont directement liés à une quête de « la beauté passagère, fugace, de la vie présente156 », bref, de toutes ces qualités

qui caractérisent la modernité. Le flâneur se distingue avant tout par son regard, ce dernier étant associé à une forme de création. L’expérience qu’il vit lorsqu’il pénètre dans la foule se compare à celle de « l’amateur de tableaux [qui] vit dans une société enchantée de rêves peints sur toile157 », chaque visage et tout décor pouvant éveiller l’inspiration. Dans le discours

d’aujourd’hui, nombreux sont les critiques à associer cette dimension artistique de la flânerie à l’esthétique moderniste, le flâneur apparaissant alors comme la métaphore de l’artiste moderne158.

La relation que le flâneur entretient avec l’espace, lorsqu’il y déambule, n’est pas bien différente du rapport que le créateur moderne entretient avec son art159. Dans les deux cas

s’exerce une fascination pour l’éphémère et l’aléatoire : présent, ondoyant, fugitif, transitoire, contingent160 ne sont que quelques-uns des termes employés pour décrire l’éphémérité du

présent qui fascine le flâneur ainsi que la fugacité de ses déplacements dans l’espace. Ceux-ci s’effectuent, il faut le souligner, de manière furtive, le flâneur ayant le privilège de passer inaperçu dans la ville où il circule librement : « [L]’observateur est un prince qui jouit partout de son incognito161 ». Ce statut de spectateur invisible est également décrit en 1939 par Walter

Benjamin dans Paris, capitale du XIXe siècle, où il définit une « civilisation de la flânerie, qui se marque d’abord par une phénoménologie de la perception radicalement nouvelle et par une

156 Charles Baudelaire, « Le peintre de la vie moderne », Œuvres complètes, préface, présentation et notes de

Marcel A. Ruff, Paris, Seuil, 1968 [1863], p. 552.

157 Ibid.

158 Voir Deborah C. Parsons, Streetwalking the Metropolis. Women, the City and Modernity, Oxford, Oxford

University Press, 2000, p. 38-39.

159 Voir Janet Wolff, « The Invisible Flâneuse : Women and the Literature of Modernity », Theory, Culture & Society, vol. 2, nº 3, novembre 1985, p. 38.

160 Voir Charles Baudelaire, op. cit., p. 553. 161 Ibid., p. 552.

manière toute particulière, et discontinue, d’habiter l’espace162 ». Dans le discours de ce

philosophe, le regard est associé à une forme de pouvoir, plus encore que chez Baudelaire. Qualifié parfois d’« homme à la fenêtre »163, le flâneur est doté d’un point de vue totalisant,

panoramique et autoritaire164 sur le monde qui l’entoure. Plutôt que de se mêler à la foule, il

préfère l’observer du haut de sa tour. Il demeure invisible aux yeux de ceux qu’il domine par son regard, privilège dont ne peut jouir la flâneuse, d’où le caractère problématique de cette figure.

Les études concordent à ce sujet : la flânerie est un phénomène qui a été essentiellement pensé au masculin165, dans la mesure où, pour en faire l’expérience, il faut bénéficier de

certaines libertés au sein de l’espace public, comme celle d’errer en passant inaperçu166, de

pouvoir pénétrer dans des lieux illicites et interdits, de scruter et d’épier les passants à sa guise167. Ce dernier point soulève d’ailleurs toute la question du désir masculin, car poser son

regard sur un objet devient une manière de le posséder, même si cette possession ne demeure qu’au stade du fantasme168. Le corps féminin, tant chez Baudelaire que Benjamin, a fait l’objet

de cette fascination érotique169, et c’est pourquoi les femmes sont souvent réduites dans la

pensée de ces deux auteurs au rôle d’une passante dont l’existence se limite à la forme qu’elle prend dans l’œil de l’homme : « Le flâneur construit son personnage sur le corps des autres, dont ceux des femmes en particulier, corps qu’il identifie comme autres170 ». Ainsi construite

par le regard d’autrui, condamnée à la passivité par les catégories de la différence sexuelle qui s’exercent également par la vision171, la passante semble dépourvue d’une identité propre qui

serait dégagée de celle que lui confère le spectateur. En ce sens, le terme de « passante » me semble problématique pour parler des figures de mon corpus, bien que quelques critiques se

162 Catherine Nesci, Le flâneur et les flâneuses. Les femmes et la ville à l’époque romantique, préface de Priscilla

Parkhurst Ferguson, Grenoble, Ellug, 2007, p. 20.

163 Voir Deborah C. Parsons, op. cit., p. 31. 164 Voir ibid., p. 35.

165 Voir ibid., p. 4.

166 Voir Janet Wolff, « Gender and the haunting of cities (or, the retirement of the flâneur) », dans Aruna

D’Souza et Tom McDonough (dir.), op. cit., p. 19.

167 Voir Griselda Pollock, op. cit., p. 255. 168 Voir ibid., p. 259.

169 Voir Deborah C. Parsons, op. cit., p. 37.

170 Priscilla Parkhurst, Ferguson, « Flâneries insolites », dans Catherine Nesci, Le flâneur et les flâneuses. Les femmes et la ville à l’époque romantique, Grenoble, Ellug, 2007, p. 10.

soient prêtés à l’exercice. Thomas Bauer considère ainsi les « sportives mécaniques » comme des passantes, dans la mesure où « la vocation d’une coureuse, d’une cycliste ou d’une automobiliste est bien de passer172 ». À cette catégorie est associée le nom d’Albertine, qui

respecte selon l’auteur les quatre modalités caractéristiques du mythe de la passante, telles qu’elles sont définies dans la pensée de Claude Leroy173. Mais il n’est pas le seul à procéder à

cette association, puisque Julie Solomon et William Carter considèrent également Albertine comme une passante, par sa capacité à attiser le désir du narrateur de La Recherche à chacun de ses passages174, ce qui fait directement écho à la « fugitive beauté » décrite par Charles

Baudelaire dans son poème « À une passante ». Sans remettre en question l’analyse faite par ces deux critiques, il est à mon sens possible de s’intéresser à Albertine en la dégageant du mythe de la passante. En tant que cycliste, d’une part, celle-ci est rattachée à certains des thèmes et des phénomènes qui diffèrent de ceux généralement associés à la marcheuse, comme la machine, la vitesse, etc. Comme c’est le cas pour les autres figures de mon corpus, il est nécessaire de rendre compte des caractéristiques de la fugitive à partir de son propre point de vue, et non uniquement à partir de celui de l’observateur. Cette tendance à créer des équivalences entre l’univers des cyclistes et des automobilistes et l’imaginaire de la flâneuse ou de la passante témoigne d’un problème auquel fait face la critique : l’absence d’un cadre de réflexion à partir duquel étudier les cyclistes, les automobilistes et les aviatrices. Si la conquête de l’espace par la marche est décrite en termes de flânerie, celle qui s’effectue à partir d’une machine ne porte ni un nom ni un titre175. Ainsi dépourvue d’un arrière-plan

méthodologique, l’étude de cette expérience pose donc plusieurs difficultés. Elle a cependant l’avantage, puisqu’elle n’a pas été théorisée de manière plus substantielle en ce qui concerne les hommes, de permettre une réflexion sur les fugitives qui soit dégagée du poids d’un discours centré sur le masculin.

172 Thomas Bauer, op. cit., p. 116. 173 Voir ibid., p. 116-117.

174 Voir Julie Solomon, loc. cit., p. 139 et William C. Carter, op. cit., p. 46-47.

175 Certains critiques proposent leur propre terminologie pour distinguer les « flâneurs » des conducteurs. Andrew

Thacker, par exemple, privilégie le terme « voyageur », qui m’apparaît également problématique, car trop général. Voir Andrew Thacker, Moving Through Modernity. Space and Geography in Modernism, Manchester et New York, Manchester University Press, 2003, p. 7.

À la négation même de la possibilité d’une flâneuse – puisque c’est en tant que passante que la femme est le plus souvent analysée – s’ajoutent les déterminants sociaux qui limitent ses déplacements. Ainsi, bien que la femme soit de plus en plus visible dans la sphère publique depuis le milieu du XIXe siècle, bien qu’elle fasse partie intégrante du spectacle176 produit par

la démultiplication des affiches et de toutes ces « fantasmagories » dont traite Walter Benjamin, on préfère qu’elle demeure aveugle à ces transformations. En la tenant dans l’ombre, on espère qu’elle ne soit pas tentée de se joindre au mouvement.

Ce refus au droit de regard, il est remis en question dans certains endroits, comme les grands magasins et les parcs. Si les premiers, quoiqu’ils rendent possible une forme de flânerie au féminin177, apportent peu à la réflexion sur les fugitives, il en va autrement des espaces

consacrés à la promenade, puisqu’ils ont souvent été occupés par des cyclistes et des automobilistes. En ces lieux, il était admissible, pour les femmes, de socialiser et d’interagir avec autrui, mais aussi d’être des observatrices et des consommatrices actives du spectacle de la vie moderne178. Sous leurs yeux, c’est un petit théâtre qui s’activait, composé de couples

flirtant dans les sentiers, d’enfants jouant sous l’œil attentif de leur mère, de sportifs à bicyclette, de dames vêtues à la dernière mode au volant de leur automobile, etc. Plus qu’un défilé de bourgeois distingués, ces espaces ouvraient une fenêtre sur la vie intime des individus, mais plus encore, sur l’existence féminine. En ce sens, ils représentaient une zone liminaire entre l’univers du privé et du public, ce qui permettait aux femmes de s’y rendre visibles sans courir le risque d’alimenter les mauvaises langues179.

176 Voir Elizabeth Wilson, The Sphinx in the City. Urban Life, the Control of Disorder, and Women, Berkeley,

University of California Press, 1991, p. 16.

177 Au sein des grands magasins, espaces semi-publics qui rappellent, par la démultiplication des couloirs, des

escaliers et des passages menant d’un département à l’autre, l’architecture complexe d’une ville, les femmes pouvent non seulement se promener de manière aléatoire, mais également poser un regard envieux, chargé de désir et de convoitise, sur les objets qui leur sont vendus. Voir Christoph Asendorf, Batteries of Life, op. cit., p. 99. En ce sens, en ces lieux, les femmes adoptent une attitude rappelant celle du flâneur, en admirant la beauté des marchandises aperçues au fil de leurs déambulations. Voir Rita Felski, op. cit., p. 70. À mon sens, il m’apparaît difficile d’associer cette question à celle des fugitives, dans la mesure où l’expérience du magasinage s’effectue à l’intérieur d’un espace sécurisé, en partie construit pour s’adapter aux besoins et aux spécificités d’une clientèle féminine. Les femmes y demeurent donc assujetties en partie à une autorité masculine qui détient le pouvoir sur le magasin.

178 Voir Greg M. Thomas, « Women in public : the display of femininity in the parks of Paris », dans Aruna

D’Souza et Tom McDonough (dir.), op. cit., p. 36.

Plusieurs représentations de fugitives, dont de nombreuses publicités, sont d’ailleurs campées dans ces espaces aménagés pour la promenade. Au sein de cet environnement, il semble presque naturel de voir circuler des velocewomen et des chauffeuses, le cyclisme et l’automobilisme étant du dernier chic. Parmi ces représentations, deux ont pour décor le célèbre bois de Boulogne, un haut lieu de camaraderie sportive où les élégantes, demi- mondaines et aristocrates en vue avaient l’habitude de parader180. La première, une huile sur

toile peinte par Jean Béraud vers 1900, met en scène plusieurs cyclistes et s’intitule Le Chalet du cycle au bois de Boulogne (fig. 2). Arborant chacune une cravate de soie, un canotier et des culottes bouffantes, surnommées « bloomers » en Angleterre181, les femmes y sont

représentées dans différentes postures : si les deux assises au premier plan profitent d’une pause avant de reprendre la route, et si celle à gauche semble aux prises avec un bris mécanique, les deux sportives qui occupent le centre de l’image sont déjà prêtes à repartir. À l’arrière-plan, les grands arbres qui se perdent à l’horizon permettent d’imaginer les nombreux sentiers qui restent à découvrir, les vastes espaces à parcourir. Cette « image à voir » rend compte de l’existence d’une certaine communauté de femmes cyclistes, celles-ci étant plus nombreuses que les hommes sur la toile. Au début du XXe siècle, la réunion de sportives à

l’intérieur d’associations et d’organisation ou, comme dans cette représentation, en un lieu aménagé pour la pratique de leur sport, a suscité les craintes chez les esprits plus conservateurs, ceux-ci y voyant une incarnation moderne de la communauté des Amazones. Au-delà de leur nombre impressionnant, c’est en raison de la position privilégiée qu’elles occupent dans l’image que les cyclistes bénéficient de toute l’attention du spectateur, les deux velocewomen installées à l’avant attirant immédiatement l’œil du spectateur. Bien qu’elles soient assises à la même table, elles préfèrent scruter les alentours plutôt que de discuter entre elles, à l’instar des autres badauds profitant d’un rafraîchissement. Ici, le regard que le spectateur jette sur les cyclistes est en quelque sorte réfléchi sur la surface du tableau, puisque les deux femmes, en observant un point situé en dehors de l’image, renversent la vision dont elles font l’objet. Elles sont ici représentées comme des observatrices à part entière et, quoiqu’elles soient immobiles, l’on peut supposer qu’elles se prêtent au même exercice

180 Voir Catherine Guignon, Les cocottes. Reines du Paris 1900, Paris, Parigramme, 2012, p. 97-98. 181 Voir Sue Macy, op. cit., p. 46.

d’observation lorsqu’elles se déplacent sur leur bicyclette. Quant à la seconde représentation, réalisée par le peintre américain Julius Leblanc Stewart en 1900, elle donne à voir deux femmes élégantes ainsi que leur chien à bord d’un véhicule à moteur, comme le laisse entendre clairement le titre : Les dames Goldsmith au bois de Boulogne en 1897 sur une voiturette Peugeot (fig. 3). Sur cette image, le savoir-faire féminin est mis à l’avant-plan. La femme qui conduit l’automobile semble parfaitement en contrôle de la situation, ce dont témoignent son visage détendu et son regard déterminé, fixé sur ce que l’on devine être la route à suivre, ainsi que le sourire de sa passagère. Ni une ni l’autre, ni même le chien qui se dresse à l’avant du véhicule telle une figure de proue, ne sont effrayés par la vitesse à laquelle roule le bolide. Cette vélocité, elle est suggérée par trois détails du tableau : la poussière soulevée par la roue arrière, le foulard flottant au-dessus du siège ainsi qu’un geste de la passagère, qui tient son canotier de la main gauche pour éviter qu’il ne s’envole au vent. Plus qu’un témoignage des loisirs élitistes du début du siècle182, cette représentation rend compte

de la transformation des pratiques publiques féminines. Occuper l’espace de manière autonome, sans la supervision d’un homme, ressentir l’exaltation de la vitesse, voilà non seulement des attitudes nouvelles mais également des sensations grisantes. À cela s’ajoute le plaisir de contrôler une machine permettant de se déplacer au gré de ses envies, les usagers des outils de locomotion modernes occupant l’espace de manière erratique, préférant l’imprévu au prévisible. Les possibilités qui s’offrent à eux sont encore plus nombreuses que celles conférées aux marcheurs, dans la mesure où, grâce au développement d’outils de transport individualisés « [s]’installe […] une vision rayonnante de l’espace, qui délaisse la représentation ancienne, linéaire, longitudinale, des transports [pour] l’appréhension globale, circulaire, d’un territoire national presque voisin183 ». Ainsi, plutôt que de se déplacer par

étapes, en suivant un trajet préétabli composé de points successifs, comme c’est le cas pour le train qui amène ses passagers d’une gare à une autre, les cyclistes et les chauffeurs sont dotés du pouvoir de modifier leur parcours à leur guise. L’automobile, à cet égard, demeure l’exemple le plus frappant de cette nouvelle indépendance du mouvement : « L’étymologie

182 Voir Alain Galoin, « Les Dames Goldsmith au bois de Boulogne en 1897 sur une voiturette Peugeot », Histoire par l'image. En ligne : http://www.histoire-image.org/etudes/dames-goldsmith-bois-boulogne-1897-

voiturette-peugeot, consulté le 11 avril 2017.

elle-même est intéressante : auto-mobile, capacité de mouvement autonome184 ». Cette

machine facilite les déplacements aléatoires et spontanés, elle offre la possibilité au chauffeur de se laisser emporter par une impulsion soudaine. Grâce à la voiture, une part d’errance est réintégrée au voyage et la circulation se fait en tous sens. Une telle pratique, si elle se conçoit aisément pour les cyclistes et les automobilistes, peut sembler impossible dans le domaine aérien, mais il convient de rappeler que les aviateurs, dans les années 20 et 30, pratiquaient encore le vol à vue185 qui laissait place à une part d’improvisation.

Plusieurs points de contact unissent ainsi l’univers de la flânerie et celui des moyens de transport. Le droit au regard, évoqué à partir d’œuvres picturales, ainsi que le pouvoir du mouvement, qu’il soit produit organiquement ou mécaniquement, dont rend compte le goût pour la déambulation, permettent aux fugitives d’apparaître comme les héritières des flâneurs du XIXe siècle.

Qu’est donc la fugitive ? Une sportive, une voyageuse, une flâneuse ? L’on pourrait dire qu’elle est, à la fois, toutes ces figures et aucune d’entre elles, dans la mesure où ce qui la rapproche de l’une la distingue de l’autre. Malgré les différences qui subsistent entre ces figures féminines, celles-ci partagent un territoire commun : dans l’espace public, elles se croisent, se rencontrent, rivalisent même pour en faire la conquête.

Au sein du présent chapitre, la fugitive a ainsi été présentée par rapport aux figures composant son entourage, au prisme des caractéristiques qui la rapprochent de personnages féminins ayant été étudiés par la critique de manière approfondie. Il reste donc à découvrir ce qui constitue son originalité de cette figure, afin de voir comment elle permet de renouveler la manière dont ont été pensées les relations entre femmes, transport et modernité.

184 Frédéric Monneyron et Joël Thomas, « Introduction », dans Frédéric Monneyron et Joël Thomas (dir.), Automobile et littérature, op. cit., p. 10.