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Chapitre 4. Comment faire la cour à la « petite reine »

4.2 Une parade de fleurs

Entre l’Art nouveau, l’affiche et les femmes se tissent des rapports paradoxaux, qui prennent souvent leur ancrage dans les décors choisis pour mettre en scène les velocewomen elles-mêmes. Elles évoluent dans des espaces idylliques où domine la nature, alors qu’on aurait plutôt tendance à camper la bicyclette dans un espace où les arbres ont cédé la place aux enseignes lumineuses, les champs aux routes asphaltées, l’air frais à la fumée des usines.

Les affichistes ont ainsi privilégié dans leurs compositions les scènes de promenade en province, dans les bois et les parcs (fig. 13), les motifs inspirés de la nature, les lieux de

46 « The normative assumption that advertising images present women as spectacle to attract men’s gazes has overshadowed the fact that many Belle Epoque posters were aimed primarily at women because of their role as consumers. While this, of course, did not exclude men from looking at such posters, it does demand a different approach to interpreting the images, their mode of address and their likely impact on women. » Ruth E. Iskin, op. cit., p. 97.

villégiature comme le bord de la mer (fig. 14) et la montagne (fig. 15). Dans toutes ces images aux décors champêtres, où se glissent parfois des animaux sauvages (fig. 16), c’est à nouveau la femme qui est privilégiée pour vendre le vélo. L’on remarque d’abord qu’elle y apparaît souvent seule, sans chaperon ni compagnon, signe discret d’un monde en évolution48. Grâce à

la bicyclette, les femmes peuvent se déplacer de manière autonome ou, du moins, il leur est possible de le faire dans des lieux reculés ou isolés, des espaces en retrait où leur visibilité est limitée. Ce choix de décor particulier mérite d’être plus amplement interrogé, car il est également privilégié dans la littérature. Là aussi, la faune et la flore côtoient l’œuvre du progrès, c’est-à-dire la bicyclette, ce qui crée un jeu de contrastes fécond. Félicien Champsaur, puisqu’il s’inspire ouvertement du monde publicitaire dans Lulu, roman clownesque (1900) « en empruntant à l’affiche tant ses motifs que sa rhétorique49 », ne rate pas l’occasion de

mettre en scène cette contradiction. Dans le passage intitulé « Raccrochage des affiches », Lulu, l’héroïne du roman, devient l’égérie de divers objets de consommation (champagne, biscuits, parfum), parmi lesquels se trouve une marque de bicyclettes américaine. Rien de plus naturel pour les fabricants que de voir en la pantomime la personne tout indiquée pour devenir le visage de leur produit, considérant que la « force d’attraction de Lulu est visuelle ; elle émane du corps que la clownesse à la houppe blonde fait instrument de travail et, surtout, objet de spectacle50 ». Tantôt « clownesse, danseuse, comédienne, mime et dompteuse de

cochons51 », voilà que Lulu apparaît devant son public adorateur en velocewoman, figure à la

mode, dans un encart publicitaire pour une ligne portant son nom. Respectant l’esprit de l’ouvrage, peuplé de « corps étrangers52 », l’affiche pour les Cycles Lulu fait l’objet d’une

double mise en scène : dans le texte, l’on retrouve une description picturale, tandis qu’une illustration (fig. 17) – réalisée par l’un ou l’autre des artistes célèbres dont Champsaur s’est

48 Voir Julie Wosk, Women and the Machine, op. cit., p. 100.

49 Sandrine Bazile, « Lulu s’affiche. Affiche et intertextualité dans Lulu, roman clownesque (1901) de Félicien

Champsaur », Image & Narrative, n° 20, 2007, s. p. En ligne : http://www.imageandnarrative.be/inarchive/affiche_findesiecle/bazile.htm, consulté le 6 septembre 2015.

50 Andrea Oberhuber, « Secrets de Lulu : Félicien Champsaur et la conception du roman “moderniste” », Les Lettres romanes, vol. 69, n° 3-4, 2015, p. 370.

51 Félicien Champsaur, « Lulu, roman clownesque », dans Sophie Basch (dir.), Romans de cirque, Paris, Robert

Laffont, coll. « Bouquins », 2002 [1901], p. 703. Désormais abrégé en LRC, suivi du numéro de page.

entouré, parmi lesquels on retrouve de multiples affichistes53 –, propose une interprétation

autre. Ce « recour[s] à diverses stratégies d’intégration des images54 » revêt, dans le cas

spécifique de la bicyclette, un caractère particulier : à la Belle Époque, les représentations de la « petite reine » se sont répandues tant dans la littérature que les arts visuels, sur les pages des livres que les murs des grandes villes, ce à quoi la coprésence du texte et de l’illustration fait ici écho, idée renforcée par le fait que les Cycles Lulu sont le seul produit, parmi les quatre mentionnés, à apparaître sous la forme d’« image à voir ».

Sous forme écrite, l’affiche décrite par Champsaur se caractérise par son utilisation d’une végétation luxuriante, qui sert de toile de fond :

Des affiches annonçaient une marque de bicyclettes, des affiches américaines très longues, encadrées de branches noires et torses de pommier où les feuillages et les fruits éclataient en vert cru, orangés, dorés et rouges./ Au centre, dans un paysage en perspective rapide, des maisons, des toits au lointain, sur une route en pente, Lulu dévale, penchée sur son guidon : une Lulu aux cheveux rouges, à béret quadrillé de brun et de noir, la taille souple sous un jersey noir et le boléro léger. Des souliers mordorés, des bas quadrillés, noir sur brun, perdus dans une culotte bouffante. En exergue : Cycles Lulu (LRC, 705).

Dans ce passage, l’auteur se livre à l’exercice de l’ekphrasis, entendue au sens de « transposition verbale d’une représentation visuelle55 », afin de mettre sous les yeux du

lecteur l’affiche des Cycles Lulu. Afin d’effectuer ce « passage du visible au lisible56 »,

Champsaur s’attache à plusieurs éléments de la composition, dont le choix du décor, les couleurs employées, l’apparence et la posture du personnage, le « taux de dynamisme57 », en

plus de mobiliser certaines tendances de son époque en matière de représentation publicitaire. La popularité des motifs inspirés du monde végétal transparaît dans l’encadrement décrit, puisqu’y abondent des éléments naturels (branches, feuillages, fruits) peints dans des couleurs

53 « Champsaur veille à tout, à la mise en page, à la typographie, à l’iconographie, pour laquelle il fait appel aux

illustrateurs et aux artistes les plus renommés de son temps : Bac, Bourdelle, Bottini, Cappiello, Chéret, Gerbault, Gorguet, Helleu, Morin, Orazi, Rassenfosse, Rodin, Rops, Steinlen, Willette. » Sophie Basch, « Introduction à

Lulu, roman clownesque », dans Sophie Basch (dir.), Romans de cirque, Paris, Robert Laffont, coll.

« Bouquins », 2002, p. 597.

54 Andrea Oberhuber, loc. cit., p. 372.

55 Ginette Michaud, « Présentation. Ekphraser », Études françaises, vol. 51, nº 2, 2015, p. 6.

56 Voir Liliane Louvel, Texte/Image. Images à lire, textes à voir, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll.

« Interférences », 2002, p. 15.

éclatantes (« vert cru, orangés, dorés et rouges »), ce qui rappelle l’importance que jouait alors la couleur dans le graphisme de l’affiche58 en lui conférant lisibilité, puissance d’évocation et

un certain « potentiel décoratif59 ». L’auteur s’attache aussi à la perspective ainsi qu’à la

posture adoptée par la cycliste : la « route en pente », l’utilisation du verbe « dévaler » ainsi que la position de Lulu, qui est inclinée vers l’avant, contribuent à insuffler du dynamisme à la représentation ainsi qu’à créer une impression de vitesse. De nombreux encarts publicitaires, tel celui peint par Misti en 1895 pour les cycles Gladiator (fig. 18), ont utilisé de telles techniques afin de donner du rythme à leurs sujets. Pas question de faire de Lulu une figure statique, ce serait aller contre la nature même de cette jeune fille « toujours en mouvement60 »

qui éblouit le Tout-Paris avec ses danses lumineuses à la Loïe Fuller et ses numéros d’acrobatie. Ici s’opère « un transfert entre les qualités propres à l’objet vanté et celles de Lulu[,] légère et rapide comme la bicyclette qui la porte61 ». Enfin vient une longue

description des vêtements de la cycliste, ce qui est peu surprenant considérant l’importance accordée à l’apparence de Lulu dans le récit, celle-ci participant intégralement de la perpétuelle métamorphose de son image, tantôt féminine, tantôt androgyne, bref, de la « transformation de son génie physique » (LRC, 639). Les pièces vestimentaires mentionnées (polo, béret, boléro), dont l’incontournable « culotte bouffante », donnent à Lulu l’allure d’une cycliste accomplie. Curieuse image que celle décrite par Champsaur : celle que l’on surnomme la « reine de Paris » (LRC, 614) est arrachée à son environnement premier, celui du cirque, et évolue plutôt au sein d’un paysage bucolique. Sur cette affiche, aucun signe de la fête qui accompagne habituellement Lulu. Le silence se substitue à la clameur de la foule, la chair des fruits colorés à celle des corps en extase. L’illustration, quant à elle, fait disparaître ce décor naturel. Seules subsistent Lulu et sa machine, l’attention étant portée entièrement sur la pratique vélocipédique, qui est d’ailleurs évoquée dans l’encadrement : un motif géométrique y est créé à partir de la roue, reproduite à la chaîne comme elle l’est également dans la réalité. Devant une telle affiche, les admirateurs de la pantomime sont confrontés à une image de Lulu différente des autres, celle-ci n’étant pas aussi séduisante qu’à l’habitude, ainsi habillée d’une

58 Voir Joëlle Pijaudier-Cabot, op. cit., p. 14. 59 Nicholas Henri-Zmelty, op. cit., p. 30. 60 Sandrine Bazile, loc. cit., s. p. 61 Ibid., s. p.

veste à manches gigot et d’une jupe-culotte. En ce sens, l’on peut se surprendre que ni Champsaur ni son illustrateur n’aient eu recours à la figure de la fille-fleur dans leur composition publicitaire, non seulement puisqu’il s’agit d’un personnage omniprésent dans le monde de la réclame à l’époque, mais également parce que Lulu elle-même apparaît, dans le roman, comme une femme-végétale à plusieurs reprises. Dans sa « danse des fleurs » (LRC, 699), elle devient tour à tour tulipe, œillet, rose, hélianthe et chrysanthème.

Quoiqu’il s’agisse d’une figure résolument moderne, la velocewoman a parfois été associée, dans les publicités, à l’imagerie traditionnelle de la féminité. Dans les univers de plusieurs affichistes, dont ceux d’Alphonse Mucha, où règne un printemps éternel, et de Jules Chéret, proche collaborateur de Champsaur62 qui ne connaissait rien de plus beau qu’un

bouquet de fleurs63, de jolies jeunes filles sont mises en scène « côté jardin », même lorsqu’il

s’agit de cyclistes. C’est là, parmi les roses et les violettes, les muguets et les jonquilles, qu’elles donnent rendez-vous à leurs admirateurs. L’influence du Modern Style se fait sentir par le choix d’une telle muse : « La fleur faisait entendre un thème cher à l’union [des arts décoratifs] : celui de la femme-fleur, aussi fraîche, changeante, réceptive et revivifiante que la nature elle-même64 ». Parmi les publicités qui se distinguent à cet égard, notons celles

réalisées par Frederick Winthrop Ramsdell en 1899 pour les cycles American Crescent (fig. 19) et par Peter Alfred Gross vers 1900 pour Rudge La Déesse (fig. 20). Dans la première, la bicyclette est reléguée au second plan, l’attention étant entièrement tournée vers la cycliste : sa robe d’un jaune vif et ses cheveux d’une rousseur incendiaire serpentent tous deux sous l’effet d’un vent invisible. En privilégiant ainsi les lignes sinueuses, l’illustrateur évoque par son tracé le monde végétal, celui-ci étant composé de feuillages et de plantes aux formes rondes, flexibles, tortueuses et onduleuses65. Les fleurs de lys qui occupent la partie inférieure de

l’image ne sont donc pas la seule manière d’évoquer la nature, la femme jouant aussi ce rôle :

62 Voir Ségolène Le Men, « L’œuvre de Chéret en résonance », dans Réjane Bargiel et Ségolène Le Men (dir.), La Belle Époque de Jules Chéret. De l’affiche au décor, catalogue d’exposition, Les Arts décoratifs, 23 juin – 7

novembre 2010, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2010, p. 68.

63 « “Ce que j’aime le plus au monde, c’est un bouquet de fleurs. Je ne connais rien de plus beau. Je voudrais

peindre des femmes pareilles à des fleurs” » Jules Chéret cité dans Réjane Bargiel, « Jules Chéret, décorateur », dans Réjane Bargiel et Ségolène Le Men (dir.), op. cit., p. 103.

64 Debora L. Silverman, op. cit., p. 218.

65 Voir Roger Sainton, « Introduction », Affiches et gravures Art nouveau, Paris, Flammarion, 1977, p. 5. et

La femme est l’obsession majeure de l’art 1900 : partout son corps s’étire, s’enroule ou coule, masse plastique indéfiniment malléable et docile, tour à tour languissante caresse ou chaîne fatale. Par ses formes, par sa chevelure, la femme inspire les lignes, et ces lignes gardent la nostalgie des courbes dont elles sont nées66.

À l’instar de la bicyclette, dont les formes géométriques devaient suivre les motifs imaginés par les affichistes, le corps féminin était soumis aux exigences de l’ornementation67. Autre

exemple de ce phénomène, l’affiche de Peter Alfred Gross présente une femme, coiffée d’une couronne de fleurs roses, pédalant sur une route de campagne, des pans de sa robe jaune, couleur populaire dans le monde du cycle68, flottant derrière elle. Effet intéressant ici, la

cycliste interagit avec l’encadrement fleuri où apparaît le nom de la marque de vélos vendue, ce qui renforce le lien qui l’unit au domaine végétal : « Les compositions florales, dans leurs grâces ondulantes, possédaient une lascivité, des douceurs tendres qui évoquaient tout naturellement la femme. Et c’est tout naturellement que la femme vient s’unir à la fleur dans les représentations scéniques du répertoire de l’Art Nouveau69 ».

Cette union entre le féminin et le monde naturel connaît également une forte popularité dans la littérature, puisque la femme-plante participe de ces figures monstrueuses qui peuplent l’imaginaire de la société fin de siècle. Si, dans Lulu, la figure de la fille-fleur ne se confond pas avec celle de la cycliste, il en va autrement dans Voici des ailes. Tant le récit de Maurice Leblanc que les illustrations produites par Lucien Métivet pour l’édition originale (Paul Ollendorf, 1898) associent les personnages féminins à la flore. Cette influence est peu surprenante considérant que les deux hommes entretenaient des liens avec des associations

66 1900, catalogue d’exposition, Galeries nationales du Grand Palais, 17 mars – 26 juin 2000, Paris, Réunion des

Musées nationaux et le musée d’Orsay, 2000, p. 255.

67 À cet égard, la publicité d’Alphonse Mucha pour les cycles Perfecta (1898) constitue un cas exemplaire.

L’affichiste représente, en un plan rapproché, une cycliste penchée sur sa bicyclette : sa chevelure abondante, qui flotte dans tous les sens, est faites d’arabesques qui rappelent les courbes du guidon et de la roue.

68 « Quelque soit la ligne thématique ou iconographique privilégiée, toutes les marques expriment un engagement

pour la couleur jaune utilisée de façon stratégique. Dans l’imaginaire collectif, la couleur jaune permet d’établir un lien immédiat avec le monde du cycle. Si le motif profond de cette association reste à trouver, du moins la correspondance du jaune avec le soleil, via l’analogie entre les rayons de la roue et ceux de l’astre, semble évidente. » Nadine Besse, « Les pratiques cyclistes de la Belle Époque au Front populaire », op. cit., p. 108.

pour lesquelles la nature occupe une place importance, soit l’Artistic-cycle-club70 dans le cas

du premier et l’Art nouveau pour le second71. Ainsi, quand ils mettent en scène Régine

Fauvière et Madeleine d’Arjols, qui s’initient dans l’œuvre à la pratique vélocipédique, ils n’hésitent pas à les faire apparaître sous les traits de nymphes des bois dotées d’une « chevelure de faunesse » (VDA, 115). Telles les Naïades des récits mythologiques, qui président aux différentes sources d’eaux de la forêt, Régine et Madeleine se plaisent à se laver dans les fontaines (publiques !) et à patauger dans les rivières : « Et ils la [Régine] virent alors, sa veste enlevée, qui se lavait à grande eau dans la cuve de pierre » (VDA, 56), « Et soudain, parmi le désordre de grosses roches moussues et de pins farouches, ils l’aperçurent [Madeleine] qui pataugeait dans l’eau, les jambes nues » (VDA, 95-96). Un tel comportement peut surprendre, mais il s’agit simplement pour ces femmes de se rafraîchir un peu après une longue randonnée à vélo. Pour se reposer, il leur arrive également de s’évader dans la nature et d’entrer directement en contact avec celle-ci : « Madeleine, une à une, prenait les tiges sinueuses où s’ouvrent les petites fleurs dorées et roses. Elle les embrassait. Elle les pressait contre ses paupières et contre ses joues. Elle s’en fit une couronne, elle s’en fit un collier, et une ceinture, et des bracelets » (VDA, 112). Ici, la flore est un accessoire dont la femme se pare comme s’il s’agissait d’un bijou, à la façon de la séduisante velocewoman de l’affiche Rudge La Déesse. Or, même lorsqu’elle roule à bicyclette, courbée comme un roseau sous le poids de l’effort, son corps épousant les mouvements de sa machine, elle est pareille au roseau : souple, gracile, sauvage. Dans la force et la persévérance, elle conserve la beauté et la grâce qui font son charme : « Et de l’évasement accru des hanches, les jambes coulaient comme des sources de lait, s’effilaient comme des stalactites de chair, pures et délicates, toutes blanches et toutes rondes » (VDA, 96). De quoi faire taire les détracteurs du vélo qui

70 Ce regroupement de cyclistes témoigne des liens étroits qui subsistent, à la Belle Époque, entre le monde

végétal, le domaine de l’art et l’industrie du vélo : « En 1896, cette fête [artistic-cycle club] propose au programme des courses d’artistes (hommes et dames), des courses de professionnels, des courses de tandems (dames), un match sensationnel, un défilé de cycles fleuris et une bataille de fleurs. » Nadine Besse, « Les pratiques cyclistes de la Belle Époque au Front populaire : affaires de désirs et désirs d’affaires », dans Voici des

ailes. Affiches de cycles, catalogue d’exposition, Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 3 mai – 22 septembre 2002, Saint-Étienne, Réunion des Musées Nationaux, 2002, p. 40.

70 Voir Roderick Watson et Martin Gray, The Penguin Book of the Bicycle, Londres, A. Lane, 1978, p. 40. 71 « Rares sont les bibliophiles qui ont eu entre les mains la délicieuse édition Ollendorff de Voici des ailes

(1898), dont les illustrations très libres de Lucien Métivet font un véritable petit bijou d’Art Nouveau. » J. P. S., « Note de l’éditeur », dans Maurice Leblanc, Voici des ailes, Paris, Phébus, coll. « D’aujourd’hui », 1999, p. 9.

craignent que cette machine ne corrompe les formes féminines. Pour illustrer ces scènes, tant celles qui se déroulent en route que hors piste, Lucien Métivet procède à un curieux mélange entre tradition et nouveauté. Ainsi, bien que la femme soit vêtue d’un costume approprié à sa pratique et à son époque (jupe-culotte froncée sous le genou, veste à manches gigot, petit canotier, foulard noué à la façon d’une cravate), elle est placée au centre d’une composition encadrée de fleurs (fig. 21), tantôt elle participe d’une mise en scène où l’on devine l’influence de la peinture académique, et plus précisément de tableaux s’attachant à la représentation de nymphes, de sirènes, de fées ou d’autres créatures féminines alors en vogue72. Comme dans

Nymphe endormie près d’une source (1850) de Théodore Chassériau, Hylas et les nymphes (1896) de John William Waterhouse ou Une nymphe dans la forêt de Charles-Amable Lenoir (s. d.), les dessins de Métivet mettent en scène les personnages féminins prenant la pose dans des décors idylliques : des fleurs dans les cheveux, le visage souriant ou simplement serein, Madeleine apparaît ici les bras croisés sur le cœur (fig. 22), là elle se prélasse dans l’herbe, seins nus (fig. 23), et ici, enfin, elle émerge de l’eau telle une plante aquatique (fig. 24) : « Et c’était un délicieux spectacle. Les jambes semblaient de longues tiges flexibles terminées par des fleurs épanouies. Elles avaient une vie frémissante et nerveuse. […] Elles ployaient comme des bras agiles. » (VDA, 99). Cyclistes ou nymphes des bois ? Difficile à dire, car même la route qu’elles empruntent à vélo est pavée de fleurs et le ciel sous lequel elles se reposent, peuplé de papillons (fig. 25). Dans Voici des ailes, les cyclistes s’épanouissent loin de la ville, là où elles peuvent jouer les fées de l’eau, en s’assoyant « sur la margelle des fontaines [ou en se] baign[a]nt nues dans l’onde pure73 ».

Dans les exemples iconographiques et littéraires présentés, les artistes puisent dans l’imaginaire de la fille-fleur et de ses diverses incarnations afin de nourrir celui de la cycliste.