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C. Le développement des recherches neurophysiologiques

2. L’activité cérébrale en réponse à des stimulations

2.2. La perception de stimuli linguistiques

Afin d’évaluer des capacités cognitives supérieures, certains auteurs ont cherché à déterminer si un traitement cognitif complexe, celui du langage, pouvait être maintenu chez ces patients.

Plusieurs études de neuroimagerie ont été menées dans ce sens et ont proposé différents niveaux d’analyse du langage allant de la simple reconnaissance à des processus sémantiques plus sophistiqués. La plupart des études ont rapporté une préservation possible du traitement des stimuli langagiers aussi bien chez des patients en état de conscience minimale que chez des patients en état végétatif (Coleman et al. 2007; Owen et al. 2005; Schiff et al. 2005) (Figure 25). En effet, l’exposition à des stimuli verbaux, relativement à la présentation de stimulations auditives non verbales (par exemple un son), est à l’origine d’un pattern d’activation similaire à celui des participants sains et impliquant les cortex supérieurs temporaux droit et gauche (Coleman et al. 2007; Owen et al. 2005).

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Participants sains Patient en Etat Végétatif

Patient en Etat de Conscience Minimale

(A) (B)

(C)

Seuil de significativité :

Figure 25 : Activations cérébrales obtenues en réponse à des stimulations verbales chez (A) des participants sains, (B) un patient en état végétatif et (C) un patient en état de conscience minimale. Ces résultats d’IRMf correspondent à un contraste d’activité entre la présentation de

stimulations verbales et celle de stimuli inintelligibles (bruit). Le pattern d’activation des patients en éveil de coma est similaire à celui des participants sains. D’après Coleman et al 2007.

L’étude de Coleman et collaborateurs, réalisée sur une cohorte de 41 patients, révèle que 46% des patients en éveil de coma présentent, en réponse à des stimuli verbaux, une activation localisée au niveau des cortex supérieurs temporaux bien que l’étendue de cette activation soit variable selon les patients (Coleman et al. 2009). Il apparaît donc que les patients en éveil de coma sont, pour certains, capables de détecter, de manière spécifique, les stimuli langagiers.

En outre, les auteurs de ces études ont cherché à mettre en évidence chez cette population de patients particulière la présence de distinctions plus fine entre différents éléments langagiers. Ainsi, Owen et collaborateurs ont utilisé dans leur protocole des phrases déclaratives associées à différents niveaux d’intelligibilité (Owen et al. 2005). Ces degrés d’intelligibilité, au nombre de trois (haut, moyen et bas), ont été obtenus par l’ajout d’un bruit rose en guise de fond sonore, fond sonore qui vient perturber la bonne compréhension des stimulations verbales. Les trois niveaux d’intelligibilité sont caractérisés par un ratio signal sur bruit distinct, reflétant de cette manière une dégradation plus ou moins importante du signal cible représenté par les stimulations verbales. A partir de ces trois niveaux d’intelligibilité, plusieurs contrastes d’activité ont pu être effectués. Les auteurs de cette étude ont alors pu montrer que le contraste entre un niveau d’intelligibilité bas et un niveau d’intelligibilité haut était lié à une activité du gyrus temporal supérieur et moyen gauche (Owen et al. 2005). Toutefois, le contraste entre le niveau moyen d’intelligibilité et le niveau haut d’intelligibilité ne donne aucune activation qui soit statistiquement significative. Les résultats de cette étude menée chez

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un unique patient en état végétatif sont à considérer avec précaution mais permettent d’aborder la possibilité d’un maintien d’une reconnaissance fine du langage chez ces patients en état de conscience altérée.

D’autre part, Coleman et collaborateurs ont étudié l’existence d’un traitement sémantique, chez des patients en éveil de coma, en les exposant à des structures langagières sémantiquement ambigües (Coleman et al. 2009). Deux sortes de phrases ont été construites pour ce paradigme : certaines possédaient un haut niveau d’ambigüité sémantique (i.e. il s’agissait de phrases comprenant au moins deux mots sémantiquement ambigus telles que « There were dates and pears in the fruit bowl. ») alors que d’autres étaient composées de mots présentant une ambigüité minimale (i.e.

« There was beer and cider on the kitchen self. »). Il a été rapporté dans cette étude

que, sur les 41 patients inclus, seulement deux patients en ECM ainsi que deux patients en EV ont montré une différence d’activité cérébrale entre les deux niveaux sémantiques (Coleman et al. 2009). Cette différence, comparable à celle rapportée chez des participants contrôles, se situait au niveau du cortex frontal inférieur gauche et du cortex temporal postérieur gauche. Ce traitement différentiel entre deux types de stimuli langagiers sémantiquement distincts témoigne d’une relative préservation des fonctions linguistiques supérieures chez un nombre très restreint de patients en éveil de coma. Toutefois, l’ensemble de ces résultats suggère qu’un certain nombre de patients en ECM mais également en EV sont à même de percevoir et de reconnaître le langage parlé bien que les processus sémantiques élaborés ne semblent pas assurés chez la majorité des patients.

La discrimination de stimuli langagiers chez les patients en état de conscience altérée a également été étudiée à l’aide des techniques d’électrophysiologie et a donné des résultats assez discordants selon les études considérées (Rohaut et al. 2015; Balconi, Arangio, et Guarnerio 2013; Steppacher et al. 2013; Rämä et al. 2010; Kotchoubey et al. 2005; Schoenle et Witzke 2004). La grande majorité de ces études se fonde sur l’observation d’une composante cognitive négative appelée la N400 qui apparaît environ 400 ms après la présentation d’un mot discordant, phonologiquement ou sémantiquement (Kutas et Hillyard 1980).

Plusieurs études se sont attachées à décrire, chez des patients en éveil de coma, l’existence de la composante N400 suite à des incongruences sémantiques au sein d’une paire de mots ou en fin d’une phrase. De manière générale, ces études ont révélé la présence d’une N400 à la fois chez des patients en ECM et également chez des patients en EV. Néanmoins, Schoenle et Witzke (2004) ont montré qu'une réponse N400 était

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évoquée à des mots incongrus sémantiquement chez seulement 12% des patients en EV alors qu’elle était présente chez 77% des patients décrits comme étant « non végétatif » et se rapprochant d’un ECM (Schoenle et Witzke 2004). La proportion de patients en état végétatif développant cette réponse N400 semble donc plus faible que celle des patients en ECM et varie selon les études de 6% à 32% (Rohaut et al. 2015; Balconi, Arangio, et Guarnerio 2013; Steppacher et al. 2013; Kotchoubey et al. 2005; Schoenle et Witzke 2004). En outre, dans une étude menée chez des patients en état de coma, l’émergence de la N400 a été considérée parmi deux groupes distincts : l’un rassemblant les patients avec des lésions temporales (6 patients) et l’autre constitué de patients exempts d’atteintes au niveau temporal (7 patients). Les statistiques sur les potentiels évoqués ont été effectuées à l’échelle des groupes et ont ainsi révélé que le groupe composé des patients avec des dommages temporaux n’a pas développé de réponse N400, à l’inverse du groupe de patients dépourvus de lésions temporales qui est caractérisé par l’apparition d’une composante N400 suite à des écarts sémantiques (Rämä et al. 2010). Enfin, Steppacher et collaborateurs ont rapporté dans leur étude menée chez 92 patients en éveil de coma qu’il existait un lien étroit entre la présence de la composante N400 et la récupération du patient à long terme (de 2 à 14 ans après l’enregistrement EEG), qu’il soit en état de conscience minimale ou en état végétatif. Au vu des résultats de ces différentes études, il semble que la composante N400 puisse être évoquée en réponse à des incongruences sémantiques chez des patients en éveil de coma et également en stade de coma. De plus, il semble que de sévères lésions temporales perturbent fortement la production de cette composante, ce qui est cohérent avec l’origine temporale de cette dernière. En dernier lieu, une étude a démontré que la composante N400 était associée à une récupération favorable et constituerait donc un outil pronostique non négligeable. Néanmoins, ce résultat est à considérer avec prudence compte tenu du fait que cette composante a, globalement, une amplitude relativement faible et qu'il peut être parfois difficile de la mettre en évidence individuellement chez des patients dont l'EEG est contaminé par des ondes lentes très amples.

Ces études suggèrent que les patients en éveil de coma sont susceptibles de discerner et éventuellement, dans une moindre mesure, de comprendre le langage oral. Toutefois, ces résultats interrogent sur la capacité qu'ont ces patients à être conscients de ce qu'ils entendent. Les études citées précédemment ne peuvent répondre à cette question car il est envisageable que cette perception du langage se fasse de façon purement inconsciente, comme cela a pu être observé au cours du sommeil (Perrin,

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Bastuji, et Garcia-Larrea 2002) ou encore lors de la perception subliminale (Daltrozzo et al. 2011).