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D. Conscience de soi et mémoire autobiographique

1. Modèles cognitifs

De multiples modèles cognitifs de la mémoire autobiographique ont été élaborés au fil des années de recherche sur le sujet. Ces derniers ont pu s’appuyer sur des données diverses issues de la pyschologie cognitive, de la neuropsychologie et plus récemment de la neuroimagerie fonctionnelle. De manière intéressante, certains de ces modèles théoriques s’inscrivent dans une approche originale, mêlant mémoire autobiographique et conscience de soi (pour des revues voir Picard, Eustache, et Piolino 2009; Duval, Eustache, et Piolino 2007). L’organisation de la mémoire autobiographique est alors construite autour du principe du soi. Ce genre de modèle permet d’intégrer le soi et ses représentations dans la structure et le fonctionnement même de la mémoire autobiographique. Les mécanismes mnésiques mis en œuvre sont donc traités selon les interactions existant entre mémoire et soi. Dans cette lignée de combiner mémoire autobiographique et conscience de soi, plusieurs auteurs contemporains ont conçu des modèles de mémoire où le soi possède un rôle clé dans l’accès aux informations autobiographiques.

1.1. Le « Je » en action

Un des premiers modèles mettant en scène la conscience de soi lors de la récupération de souvenirs autobiographiques est le modèle décrit par Tulving et collaborateurs (Tulving 2002). Ce modèle se focalise sur la composante épisodique de la mémoire autobiographique, c'est-à-dire sur les traces mnésiques associées à des

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évènements spécifiques personnellement vécus situés dans le temps et l’espace. Pour ces auteurs, le rappel d’un souvenir épisodique serait lié à trois caractéristiques fondamentales. La première de ces caractéristiques corresponderait à l’implication d’un agent actif se remémorant un épisode passé. Autrement dit, la mémoire autobiographique épisodique se fonderait sur un « self-sujet », acteur de ses propres expériences. Le « Je » qui se souvient apporterait au souvenir évoqué le ressenti phénoménologique construit lors de son encodage. La deuxième caractéristique mise en jeu lors de la récupération d’épisodes autobiographiques serait la notion de temps subjectif. En effet, l’être humain a la capacité d’appréhender son existence au travers du temps qui passe, ce qui lui permettrait de replacer les évènements dans un contexte temporel subjectif. En dernier lieu, l’accès à la mémoire épisodique s’accompagnerait d’un état de conscience particulier appelé conscience autonoétique. Selon Tulving et ses collaborateurs, cette conscience autonoétique offrerait à l’individu la possibilité de voyager mentalement dans le temps et de se représenter lui-même consciemment dans des épisodes personnels passés.

Dans ce modèle établi par Tulving, le soi est donc considéré comme un processus intrinsèquement attaché à la mémoire autobiographique épisodique, à la base de la constitution d’un souvenir émaillé de détails phénoménologiques (Tulving 2002). Enfin, le voyage mental dans le temps que l’individu entreprend lors de la récupération d’une représentation de soi épisodique impliquerait la présence d’un voyageur conscient de sa propre identité.

1.2. La présence d’un « Moi »

Dans une autre perspective, Conway et collaborateurs ont proposé un modèle élaboré d’organisation des représentations mnésiques autobiographiques (Conway 2005; Conway et Pleydell-Pearce 2000). Selon ce modèle appelé « Self memory system », le soi et la mémoire autobiographique seraient intimement interdépendants (Conway 2005). Ce modèle qui est actuellement l’un des plus aboutis, met en avant l’importance du « Moi », c'est-à-dire le « self-objet », dans l’accès aux représentations du soi, que ces dernières soient sémantiques ou épisodiques. En effet, le « self-objet », en tant que somme des informations relatives à soi, constituerait un des trois systèmes à la base de la mémoire autobiographique (Figure 10). Ce premier système appelé par les auteurs le « Self à long terme » corresponderait à une structure conceptuelle spécifique contenant deux entités distinctes : le socle des connaissances autobiographiques d’une part et le soi

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conceptuel d’autre part. Le socle des connaissances autobiographiques regrouperait des connaissances personnelles sémantiques organisées de façon hiérarchique en trois niveaux d’abstraction, allant du plus général au plus caractéristique (schéma historique personnel, périodes de vie et évènements généraux). Le soi conceptuel, quant à lui, se rapporterait aux informations sémantiques individuelles non situées dans le temps. Ce « Self à long terme », composante sémantique de la mémoire autobiographique serait en interaction à la fois avec le système de mémoire épisodique et le « Self de travail ». Le système de mémoire épisodique, deuxième système constitutif de la mémoire autobiographique, représenterait la composante épisodique et serait associé à l’imagerie mentale. A ce titre, il permettrait de faire émerger des détails sensoriels, perceptifs, cognitifs et affectifs liés à un évènement précis situé dans un cadre spatio-temporel particulier. Enfin le dernier système impliqué, le « Self de travail », serait constitué par un ensemble complexe de processus de contrôle exécutif dirigés par les buts actuels du sujet. De cette manière, le « Self de travail » influençerait la récupération des connaissances autobiographiques en modulant l’accessibilité de certaines représentations selon les objectifs de l’individu au moment présent.

« Moi » / Self-objet

Composante sémantique

Composante épisodique

épisodiques

Figure 10 : Modèle cognitif de la mémoire autobiographique de Conway : le « Self memory system ». Adaptée d’après Duval et al 2007.

D’après ce modèle proposé par Conway et collaborateurs la reconstruction d’un souvenir autobiographique épisodique serait liée à l’association temporaire entre des connaissances sémantiques personnelles et des éléments perceptivo-sensoriels sous-tendus par le système de mémoire épisodique (Conway 2005). Contrairement à la

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conception de Tulving, la remémoration consciente d’un évènement et le sentiment de reviviscence qui lui est associé n’implique pas uniquement la mémoire autobiographique épisodique (Tulving 2002). L’accès à un souvenir autobiographique épisodique serait sous l’influence de fonctions exécutives et dépendrait à la fois des composantes épisodique et sémantique de la mémoire autobiographique.