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B. Les outils d’évaluation clinique

2. Les outils neurophysiologiques

2.1. L’électroencéphalographie

2.1.1. L’électroencéphalogramme clinique standard

L’enregistrement électroencéphalographique chez les patients en état de conscience altérée est implanté dans la majorité des services et fait partie intégrante de la routine clinique. L’interprétation visuelle d’un tracé électroencéphalographique ou électroencéphalogramme (EEG) donne des informations pertinentes sur l’état de l’activité cérébrale du patient. Suite à un accident cérébral, qu’il soit d’origine traumatique ou anoxique, l’activité cérébrale peut être considérablement altérée et présenter des anormalités importantes. Couplé à l’étiologie et combiné à l’examen clinique classique, l’EEG peut donner une indication sur le pronostic du patient.

L’un des premiers critères pris en compte par les cliniciens lors de l’analyse visuelle d’un EEG est le rythme prédominant au sein de l’activité cérébrale (voir Chapitre 1, partie A. 1.1.1, pour les rythmes cérébraux chez le sujet sain). Chez les patients souffrant de troubles de la conscience, le principal effet observable est un ralentissement général de l’EEG, proportionnel à la sévérité de la lésion cérébrale. Ainsi, en cas d’atteinte cérébrale, le rythme alpha postérieur normalement prépondérant pendant l’éveil est remplacé par un rythme basal généralement plus lent. En outre, la complexité et la variété des rythmes cérébraux sont sensiblement réduits et témoignent de l’importance du dysfonctionnement cérébral. Les différents rythmes prédominants décrits chez les patients en état de conscience altérée pourront donc être plus ou moins entremêlés d’un ou plusieurs autres rythmes cérébraux. Néanmoins, par souci de simplicité, la classification clinique fait référence au rythme cérébral principal retrouvé au sein de l’activité cérébrale du patient et ne fait pas mention des divers rythmes qui la composent. Le rythme prédominant peut être dans de rares situations, par exemple lors d’un coma induit par une intoxication médicamenteuse, un rythme bêta avec une activité comprise entre 12 et 16 Hz maximale au niveau des régions frontales. Chez certains patients cérébro-lésés, des activités thêta ou alpha peuvent subsister et représenter le rythme majoritaire, on parle alors de coma-thêta (8-13 Hz) ou coma-alpha (4-7 Hz) (Figure 17). Dans le cas d’un coma-alpha, ce rythme n’est pas comparable à une activité alpha classiquement observée chez les sujets sains éveillés. En effet, lors d’un coma-alpha, le

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rythme alpha possède une topographie frontale et n’est pas modifié suite à une stimulation telle que l’ouverture et la fermeture des yeux. Le rythme delta peut également être prédominant et se développer à des amplitudes élevées pouvant atteindre jusqu’à 100 μV (coma-delta de haute amplitude) (Figure 17). Dans le cas de lésions supra-tentorielles (l’étage supra-tentoriel contenant le cerveau), ce rythme delta de haute amplitude peut être limité à certaines zones et traduire alors l’activité des régions cérébrales les plus endommagées. Enfin, il existe un deuxième type de coma-delta caractérisé cette fois par de faibles amplitudes ne dépassant pas les 20 μV (coma-delta de basse amplitude) (Figure 17). D’autre part, chez certains patients, une inactivité électro-cérébrale peut être notée. Ce silence électrophysiologique est déterminé lors d’un EEG isoélectrique dont l’activité est inférieure à 2 μV. Cette absence notoire d’activité est l’expression d’un dysfonctionnement cérébral intense et étendu.

Figure 17 : Principaux rythmes cérébraux présents chez les patients avec un trouble de la conscience. Adaptée d’après Sutter et Kaplan 2012. Coma-alpha Coma-delta (haute amplitude) Coma-thêta Coma-delta (basse amplitude) Coma isoélectrique 1 seconde FP1-F3 F3-C3 C3-P3 P3-O1 FP1-F3 F3-C3 C3-P3 P3-O1 FP1-F3 F3-C3 C3-P3 P3-O1

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L’activité cérébrale des patients présentant des troubles de la conscience peut également être déterminée selon l’apparition de patterns électrophysiologiques caractéristiques.

Un des patterns rencontrés chez cette population de patient correspond à des fuseaux de sommeil apparaissant de manière fréquente et paroxystique (Figure 18). Chez le sujet sain, ces fuseaux de sommeil sont associés à une activité rapide comprise entre 12 et 14 Hz et sont des éléments classiques constituant certains stades de sommeil (majoritairement le stade N2 du sommeil lent léger). Un autre pattern assez fréquent chez les patients en état de conscience altérée se caractérise par l’alternance de bouffées d’ondes thêta et/ou delta (parfois mêlées à des ondes plus rapides) et de périodes de dépression majeure de l’activité cérébrale (moins de 20 μV) (Figure 18). Ces bouffées d’ondes lentes synchronisées et d’amplitude élevée interrompent des phases de suppression et prennent le nom de bouffées suppressives. L’intervalle entre les bouffées est irrégulier et variable : d’une seconde à quelques dizaines de secondes. Les ondes triphasiques constituent un autre pattern distinctif mais non spécifique lié à une altération modérée de la conscience. Ces ondes sont des grapho-éléments définis par une succession de trois ondes : une onde initiale de faible amplitude négative, suivie d’une onde de grande amplitude positive puis enfin d’une onde négative plus lente. Parmi ces différents patterns pathologiques, l’EEG est également très efficace pour détecter les activités dites épileptiformes c'est-à-dire des activités initialement décrites en cas d’épilepsie. Ces activités peuvent prendre des formes distinctes et être généralisées à l’ensemble de l’activité cérébrale ou se développer localement. Elles peuvent également apparaître sous la forme d’activité continue ou au contraire être représentées par des bouffées périodiques ou irrégulières comme des pointes épileptiques focales qui marquent la présence de lésions cérébrales localisées.

Fuseaux de sommeil Bouffées suppressives

1 seconde

FP1-F3 F3-C3 C3-P3 P3-O1

Figure 18 : Deux patterns d’activité électrophysiologique caractéristiques des patients en état de conscience altérée. Adaptée d’après Sutter et Kaplan 2012.

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Le deuxième critère électrophysiologique évalué par les cliniciens est la réactivité corticale. Il s’agit d’estimer l’apparition de changements au sein de l’activité cérébrale en réponse à une stimulation sensorielle.

Différentes modalités sensorielles peuvent être testées lors de l’examen de réactivité : la réactivité auditive, somatosensorielle ou encore visuelle. Sachant que les patients peuvent avoir des réponses distinctes selon la modalité choisie, il convient de tester chacune d’entre elles. La réactivité auditive est estimée par des battements de mains ou de fortes paroles, alors que la réactivité somatosensorielle sera jugée en réponse à des stimulations douloureuses (par exemple, une pression assez importante exercée sur le bord de l’ongle). L’appréciation de la réactivité visuelle, quant à elle, sera effectuée sur la base d’une ouverture passive et forcée des yeux du patient. L’EEG sera qualifié de réactif lorsque l’application du stimulus sensoriel sera suivie, dans un délai de quelques secondes, d’une modification d’amplitude ou de fréquence de l’activité cérébrale. La

réactivité corticale peut exister sous différentes formes : ainsi, le changement

d’amplitude peut correspondre à une augmentation ou à une diminution de celle-ci et de la même manière la modification fréquentielle peut se traduire par une accélération ou un ralentissement du rythme global.

Lors d’un bilan clinique, ces différentes données électrophysiologiques (rythme cérébral, pattern caractéristique et réactivité corticale) sont à intégrer à l’histoire générale du patient et à mettre en perspective avec les informations standards tels que l’âge du patient, l’évaluation comportementale, l’étiologie du coma ou encore le délai post-ictus. L’apport clinique de ces observations électrophysiologiques sera d’autant plus grand si elles sont combinées entre elles et non pas considérées indépendamment les unes des autres. De manière générale, la caractérisation globale du tracé électrophysiologique ne possède pas une forte valeur prédictive de récupération. En revanche, la présence d’une réactivité corticale a une valeur positive prédictive élevée. Associer ces deux critères permettrait donc d’améliorer le pronostic clinique. Il faut également souligner l’importance de l’étiologie du coma qui doit impérativement être pris en compte pour établir un pronostic.

La caractérisation globale de l’EEG (rythme prédominant et présence de patterns pathologiques spécifiques) combinée à la réactivité corticale a donné naissance à des classifications fondées sur la présence de ces signes électrophysiologiques. La classification la plus ancienne mais également la plus répandue est celle proposée par Synek (Synek 1988; Young et al. 1997). Cette échelle permet de prendre en compte, dans

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l’évaluation du niveau d’altération de la conscience, à la fois le ralentissement général de l’activité cérébrale mais également l’existence de grapho-éléments typiques ainsi que la réactivité corticale. Cette échelle est composée de 5 grades reflétant la sévérité de l’état du patient en état de conscience altérée ; le grade le plus haut étant associé au stade le plus sévère. Le grade 1 est caractérisé par une activité alpha dominante et régulière entrecoupée par quelques périodes éparses d’activité thêta tandis que le grade 2 présente une dominance d’activité thêta. Le grade 3 inclut une activité cérébrale d’amplitude élevée à dominance delta ou le développement de fuseaux de sommeil. Le grade 4 est atteint soit en cas de coma-alpha, de coma-thêta ou de coma delta de basse amplitude mais aussi en présence de bouffées suppressives ou d’activités épileptiformes. Le dernier grade correspond à un silence électro-cérébral. Même s’il est difficile d’assigner un pronostic précis et fiable à chacune des classes décrites par l’échelle de Synek, des tendances générales d’évolution ont été associées à chacun des grades. Les grades 1 et 2 sont en lien avec un bon pronostic alors que le grade 3 témoigne d’un pronostic incertain. Enfin, les grades 4 et 5 indiquent un pronostic plutôt défavorable.