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A. Etat de conscience et contenu de la conscience

2. Le Contenu de la conscience

L’état de conscience évoqué par la périphrase « être conscient » est à différencier du contenu de la conscience désigné par l’expression « être conscient de ». Dans le cas du contenu de la conscience, cette dernière est nécessairement à propos de quelque chose et s’ancre de cette façon dans le concept d’intentionnalité décrite en philosophie de l’esprit. Ce caractère d’ « intentionnalité » donne une directionnalité au contenu

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conscient : il tend vers l’objet. Malgré une définition qui peut sembler assez élémentaire, la nature même du contenu de la conscience, ses formes et ses propriétés demeurent très discutées au sein de la communauté scientifique.

Néanmoins, certaines caractéristiques fondamentales concernant ces contenus de la conscience paraissent faire consensus (Zeman 2005; Zeman 2001).

En premier lieu, le contenu de la conscience est lié à un individu et est, par la même, strictement personnel ce qui donne lieu à une perspective consciente du monde extérieur unique, particulière et par conséquent limitée. D’autre part, les contenus de la conscience sont stables sur des intervalles courts de quelques centaines de millisecondes mais deviennent variables sur de plus longues périodes. De plus, les contenus conscients sont unifiés à travers le temps c'est-à-dire qu’il apparaissent comme étant continus au cours de la vie de l’individu dans le sens où la mémoire nous permet normalement de faire le lien entre les contenus conscients présents et ceux appartenant au passé. Enfin, le contenu de la conscience étant sélectif et orienté, il possède donc à un instant donné une capacité restreinte. Cependant, au fil du temps, ces contenus de la conscience peuvent prendre d’innombrables formes selon par exemple la modalité sensorielle concernée ou encore selon la contribution de certains processus cognitifs (mémoire, langage, etc.). Ces contenus conscients seront tour à tour des percepts, des sensations, des émotions, des pensées, des souvenirs, des images mentales, etc. La richesse et la diversité de ces contenus conscients ainsi que leur rapport étroit avec de nombreux traitements cognitifs ont amené les neuroscientifiques à leur donner une place centrale au sein du phénomène de la conscience.

2.2. Eléments constitutifs du contenu conscient : les

représentations mentales

La finalité, à l’échelle d’un individu, d’élaborer un contenu conscient intentionnel réside dans le fait d’utiliser les informations recueillies, notamment à propos du monde extérieur, afin d’ajuster ses propres actions et comportements. Pour pouvoir manipuler ces informations, ces dernières doivent être stockées sous la forme de représentations mentales. Ainsi, le contenu conscient est constitué de représentations mentales de forme et de nature distinctes et dont la complexité peut être plus ou moins importante.

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2.2.1. La théorie représentationnelle de l’esprit

2.2.1.1. Cadre théorique

Avant d’aborder la théorie représentationnelle de l’esprit, il convient de la replacer dans la problématique plus vaste que constitue la relation entre esprit et cerveau (pour des revues voir par exemple Bault et al. 2011; Delacour 2001). Cette théorie s’inscrit dans une approche fonctionnaliste qui se réclame elle-même d’un dualisme des propriétés également appelé dualisme fonctionnel. Ce dualisme des propriétés se distingue de son prédécesseur classique qui relève pour sa part d’un dualisme ontologique, au sens de Descartes, donc d’un dualisme des substances. D’après ce dualisme classique, deux substances coexisteraient : l’une, support de l’activité mentale, l’esprit et l’autre à l’origine du fonctionnement cérébral. Au contraire du dualisme classique, le dualisme des propriétés ne nécessite pas la présence d’une autre substance que celle qui compose la réalité matérielle et physique.

En s’émancipant de cette conception fondée sur l’existence de deux substances distinctes, le dualisme des propriétés est d’une certaine manière compatible avec la vision du monisme matérialiste. En effet, ce courant opposé traditionnellement au dualisme se refuse justement à considérer l’existence d’une autre substance que la matière au sens physique du terme. Ce monisme matérialiste représente la position défendue par une majorité de neurobiologistes selon laquelle les activités neuronales auraient les mêmes propriétés que les activités dites mentales : autrement dit, que les activités cognitives ne possèderaient aucune caractéristique propre et ne seraient que la stricte traduction des activités cérébrales (voir par exemple Changeux 1983). Dans le cadre de ces théories neurobiologiques, le cognitif se résume à des processus biologiques et les activités mentales sont réduites à leurs corrélats neurobiologiques. A l’opposé, le dualisme des propriétés, développé et soutenu par les sciences cognitives, estime que les activités mentales sont certes l’expression du fonctionnement cérébral mais qu’elles ne sont pas réductibles à des états cérébraux (voir par exemple Kosslyn et Koenig 1992). Le caractère irréductible dont il est question au sein de ce courant n’est pas ontologique comme dans le cas du dualisme des substances mais d’ordre épistémologique : il ne s’agit pas de différencier deux réalités distinctes mais bien de distinguer deux niveaux de description dans l’étude de la cognition.

Les théories fonctionnalistes se rejoignent au sein de ce courant du dualisme des propriétés et peuvent être de ce fait caractérisées par deux principes fondamentaux : le

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micropropriétés des processus neuronaux ne suffisent pas à rendre compte des macropropriétés des processus mentaux » ; et l’affirmation qu’il est nécessaire de distinguer dans l’étude et l’analyse de cette réalité complexe qu’est la cognition plusieurs niveaux de description (pour une revue voir Bault et al. 2011).

2.2.1.2. Définition générale

La théorie représentationnelle de l’esprit se place dans ce courant de pensée fonctionnaliste et postule l’existence d’états mentaux intentionnels (au sens de l’intentionnalité telle que l’a définie Brentano 1874) donnant lieu à des représentations mentales qui ne sont autres que des objets mentaux dont la fonction au sein du système cognitif est de « tenir lieu » d’autres objets. En d’autres termes, ces représentations mentales, produits des activités mentales intentionnelles, se rapportent à un objet réel ou imaginaire distinct d’elles-mêmes (voir par exemple Lycan 1991; Churchland 1988; Dreyfus 1982).

Le concept des représentations mentales est encore aujourd’hui au cœur de nombreux débats théoriques et de multiples théories ont été élaborées quant à leur nature et leurs formats. Il est possible de discerner trois grandes orientations théoriques selon la caractérisation de ces représentations mentales. La première, dépendante du cognitivisme classique et chronologiquement la plus ancienne, considère que les représentations mentales sont des entités cognitives dotées d’une signification se rapportant à un « objet du monde » et inscrites en mémoire sous une forme variable selon les auteurs. Certains auteurs développent notamment une conception purement abstraite de ces représentales mentales reposant sur un codage unique de l’information alors que d’autres défendent une conception pluraliste selon laquelle les représentations mentales pourraient se décliner en différents formats selon la nature même de l’information traitée (voir par exemple Fodor et Pylyshyn 1988; Kosslyn 1980). La deuxième orientation théorique appelée connexionnisme, conçoit les représentations mentales comme étant un état neuronal singulier, une configuration de connexions acquises ou apprises par le réseau (voir par exemple Smolensky 1988; Rumelhart et Mc Lelland 1987). Et enfin, l’énactionnisme caractérise les représentations mentales comme une activité relationnelle où le sujet et l’objet d’une visée intentionnelle co-adviennent (voir par exemple Varela, Thompson, et Rosch 1991; Merleau-Ponty 1945).

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2.2.2. Caractéristiques des représentations mentales conscientes

Les représentations mentales conscientes peuvent être définies par rapport à l’ensemble des critères qui les différencient de leurs consœurs inconscientes (pour une revue voir Naccache 2006).

Ainsi, le premier critère à retenir est la rapportabilité consciente. Suivant ce critère, être conscient d’une représentation mentale signifie être en mesure de rapporter, à soi ou à autrui, à l’aide du langage ou de manière non verbale, le contenu de cette représentation. Cette rapportabilité peut être considérée comme le marqueur propre de la conscience et possède donc à ce titre une valeur fondamentale.

Trois autres propriétés primordiales déterminent les représentations mentales conscientes. La première de ces propriétés est leur stabilité au fil du temps. En effet, les représentations mentales conscientes peuvent se maintenir dans le temps de façon active et durable contrairement à leurs homologues inconscients sensibles à l’oubli et par nature évanescents. De plus, une représentation qui accède à notre conscience peut être utilisée de manière intégrée afin de guider ou d’ajuster nos comportements. Les représentations mentales conscientes peuvent ainsi provoquer un changement de stratégie dans notre comportement ou une modification de son contrôle et de son inhibition cognitive. Enfin, à ces deux propriétés exclusives de la conscience, une troisième vient s’ajouter : la faculté que détiennent ces représentations mentales conscientes de donner lieu à des comportements spontanés et intentionnels.

Une représentation mentale consciente est affranchie des contingences temporelles, est associée aux capacités de contrôle stratégique et d’innovation mentale et est accessible et donc manipulable sur commande par le sujet qui l’élabore.

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