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cadre d’analyse

C RITÈRES D ’ IDENTIFICATION OU D ’ EVALUATION

4.2 Perception et réception de l’impolitesse

Certains auteurs ont inclus la réception des FTAs dans la définition même de l’impolitesse ; Culpeper (2005), par exemple, argumente que l’impolitesse surgit dans trois cas : lorsque le locuteur attaque intentionnellement, lorsque l’interlocuteur perçoit l’attaque comme intentionnelle, ou lors de la combinaison des deux. D’autres estiment la réception comme étant plus importante que l’intention même du locuteur, comme condition de

« félicité » indispensable pour que l’on puisse véritablement parler d’impolitesse :

“In a first order approach to impoliteness, it is the interactants’ perceptions of communicator’s intentions rather than the intentions themselves that determine whether a communicative act is taken to be impolite or not. In other words, the uptake of the message is as important if not more important than the utterer’s original intention.” (Locher and Watts, 2008: 80)

La perception des actes intentionnellement menaçants semble être centrale dans les visions de Culpeper et de Locher & Watts. Nous estimons que, en effet, comme nous ne pouvons pas connaître en toute rigueur l’intention du locuteur, la perspective de la réception des actes de langage ne doit pas être négligée. Afin de pouvoir inclure cette dimension dans la définition même de l’impolitesse, il nous a semblé impératif d’ajouter deux remarques :

(a) il existe des situations où la forme ne correspond pas à l’intention ; ainsi, l’interlocuteur est censé interpréter les énoncés impolis comme non menaçants pour sa face ; c’est le cas de la pseudo-impolitesse où les (fausses) stratégies d’impolitesse indiquent un rapport interpersonnel du type consensuel ;

(b) la réception des actes ne se limite pas uniquement à la personne directement visée, mais inclut en égale mesure les points de vue des autres participants, de l’animateur, du public, des téléspectateurs ou d’autres témoins qui s’expriment sur l’acte en question (journalistes, présentateurs d’autres émissions, etc.) ou simplement assistent aux échanges des talk-shows.

Avoir une perspective globale de la réception est sans doute plus utile pour l’analyse de l’impolitesse, en général, et de son caractère légitime ou non-légitime, en particulier ; car l’évaluation de la cible d’une attaque est hautement subjective et influencée par d’autres

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facteurs, telle une hypersensibilité de la personne en question ou une méconnaissance des normes, comme ce fut le cas de Muriel Robin. Nous rappelons aussi que, parfois, il y a des clashs d’attentes des participants, et surtout des actants directement impliqués dans un conflit, c’est pourquoi plus le nombre des visions sur le même acte est important, plus nous pouvons l’évaluer de façon pertinente en termes d’adéquation et d’inadéquation.

Ce critère nous fournit donc des indications précieuses quant à l’identification du niveau d’agressivité des actes impolis. Nous avons ainsi accès à des perspectives différentes portées sur le même événement langagier, car les participants ne partagent pas toujours les mêmes attentes et les mêmes conceptions en ce qui concerne les comportements permis par le contrat de l’émission, ce décalage résultant notamment de la diversité des rôles que chacun joue dans le talk-show. Comme Agha (1997), nous allons distinguer entre quatre types d’évaluateurs ─ “interlocutors”, “audience”, “commentators”, et “viewers” ─, que nous regroupons dans deux catégories :

a). Les interlocuteurs ou les participants ratifiés :

la « victime » : ses réactions constituent les premiers indices quant au niveau d’agressivité des attaques. Ces indices peuvent être de deux sortes :

i. des indices explicites ─ il s’agit des méta-commentaires formulés pendant : (118) extrait 9

208 RY- non mais c’est pas possible/ (.) c’est pas possible cette émission\

mais aussi après l’émission ; Annie Lemoine, par exemple, a déclaré, après sa participation à ONPC, avoir eu l’impression

« [d’]être entrée dans une cage aux lions et s’être fait dépecer. Si elle est restée assez stoïque durant la séquence, elle souligne qu’elle était quand même sonnée et en rentrant chez elle, son impression était d’avoir livré un combat de boxe »235.

Dans le même ordre d’idées, Jacques Attali explique sur son blog236 que son départ brusque de ONPC est dû aux huit raisons énumérées sur ce site et qu’il synthétise ainsi :

« je ne vois pas de raison de perdre mon temps, et de faire perdre celui des téléspectateurs en parlant avec des gens qui prétendent commenter mon travail sans le connaitre. Je suis parti sans arrogance ni fatigue, ni fureur. »

L’invité prétend avoir quitté le plateau parce que ses adversaires n’ont pas respecté un de leurs devoirs, notamment lire en entier ses ouvrages avant de les critiquer ; cela contrevient en effet aux normes que les co-animateurs doivent respecter et fait diminuer la pertinence et la légitimité de leur discours. En outre, Jacques Attali a trouvé insultant l’accusation « d’avoir volontairement caché la vraie cause de la crise, qui serait l’immigration, parce que cela détruirait [s]a thèse sur l’importance du nomadisme »237. Cette fois-ci, nous notons une méconnaissance des

« règles du jeu » de la part de l’invité puisque sans reproches ou accusations directes, il n’y aurait pas de conflit ou de polémique. Cela revient aussi à un clash d’attentes, car les co-animateurs ont attaqué en vue de l’émergence de cette polémique, tandis que l’invité aurait peut-être voulu un débat poli, sans attaques de faces ni critiques.

235 Source : http://www.leblogtvnews.com/article-29614017.html (consulté le 06 avril 2013).

236 Source : http://blogs.lexpress.fr/attali/2008/12/14/on_nest_pas_couche/ (consulté le 06 avril 2013).

237 Source : http://blogs.lexpress.fr/attali/2008/12/14/on_nest_pas_couche/ (consulté le 06 avril 2013).

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ii. des indices implicites qui concernent le type de stratégies de représailles et mécanismes d’auto-défense. En d’autres termes, la virulence de la contre-attaque sera à la hauteur de la violence de l’attaque. Restons, pour l’instant, dans l’émission avec Jacques Attali : lorsque Naulleau compare l’ouvrage de l’invité aux prévisions météorologiques, insinuant ainsi l’absence de ce côté « visionnaire » prétendu par l’auteur, nous remarquons que l’invité riposte très violemment, car il ressent l’attaque du chroniqueur comme très agressive :

(119) extrait 3

47 EN- […] vous aviez vu venir la crise parce que euh tous ces livres qui se multiplient/ qui vont se multiplier\ ça fait penser un peu à une émission météo/ on a toujours le temps de la veille mais jamais celui du lendemain\

56 JA- d’abord/ pour se faire un avis sur les choses vous serez d’accord avec moi\ il faudrait d’abord les li:re/

62 JA- non Naulleau vous êtes stupide/ vous avez rien lu

Attali semble impitoyable envers le co-animateur car une attaque visant ses compétences, sa capacités d’expertise s’avèrent être particulièrement offensante pour lui238 ; c’est peut-être le principal motif qui sous-tend son départ du plateau.

l’animateur s’exprime souvent, de façon plus ou moins directe, sur l’agressivité de ses co-animateurs ou de ses invités :

(120) extrait 19

60 A- mais est-ce que vous êtes prêt ce soir à retirer ces accusations

62 A- peut-être pas d’antisionisme/ parce qu’il y a des Juifs qui sont antisionistes\ mais au moins d’antisémitisme

Dans le présent extrait, Ardisson, modérant une polémique entre Oliver Besancenot et Roger Cukierman, qualifie les attaques de ce dernier d’accusations d’antisémitisme et d’antisionisme et admet, donnant raison à Besancenot (supra exemple (115)), leur caractère inapproprié et abusif (« ça passe pas hein »).

 les autres invités : bien qu’ils ne soient pas impliqués dans le conflit, ils ont le droit d’intervenir lorsqu’ils le souhaitent, d’adhérer à une des deux parties du conflit, ou simplement d’évaluer l’agressivité verbale des adversaires, comme dans l’extrait ci-dessus : (121) extrait 5

215 CB- non non\ elle est violente mais pas méprisante\ elle est violente\

le public (présent sur le plateau) s’exprime à travers des manifestations non et para verbales. En général, les huées des spectateurs marquent leur désapprobation par rapport aux comportements des invités et indiquent, que leurs attentes n’ont pas été satisfaites. Par exemple, les départs soudains du plateau sont accueillis avec des huées ─ c’est le cas de Jacques Attali (extrait 3) et de Muriel Robin (extrait 12). Les attaques hors-normes sont aussi pénalisées par ce type de manifestation :

(122) extrait 18

27 CA- […] quand Nicolas Sarkozy va discuter avec l’islam français/ il ne parle pas avec Tariq Ramadan\ alors que fait monsieur Ramadan mon dieu c’ que font tous les démagogues/ (.) un p’tit coup sur la pompe antijuive/\ce que faisait Le Pen pour exister/ [ça ne mange pas de pain\ un p’tit coup sur les intellectuels juifs/ j’espère j’espère

28 A- [j’ai compris Claude\ j’ai compris non non/ (huées du public)

238 Cela ne veut pas dire pour autant que l’intervention de Naulleau n’est pas appropriée. Attali a visiblement du mal à s’adapter au format de l’émission bien qu’il en connaisse les règles et bien que ce ne soit pas sa première participation à ONPC…

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L’accumulation de FTAs de Claude Askolovitch est arrêtée brusquement par l’animateur, qui estime peut-être que son invité est allé plus loin que ce qui est permis, et pénalisée par les huées du public. C’est d’ailleurs la seule fois que les spectateurs réagissent ainsi pendant le face-à-face entre Claude Askolovitch et Tariq Ramadan, bien que ce ne soit pas cependant la seule attaque virulente du journaliste ; on peut donc déduire la gravité de ces FTAs qui ont sans doute interpellé le public de par leur violence extrême. Le public joue ainsi le rôle d’un baromètre qui s’active lorsque les FTAs dépassent le seuil d’acceptabilité.

b). Les commentateurs, qui, certes, ne font pas partie du cadre participatif des émissions mais dont les opinions peuvent s’avérer précieuses pour l’évaluation des comportements verbaux repérés. Agha (1997) les appelle « official commentators », du genre journalistes, animateurs, etc., qui commentent le débat par la suite. Voilà le début d’un article concernant le départ brusque d’Attali de l’émission ONPC :

« Et Ruquier lâcha la meute sur Attali !

Et hier, ce fut le tour de Jacques Attali. Lui aussi, tout Jacques Attali qu’il est, fut livré à la meute qui chasse chez Laurent Ruquier chaque samedi soir. (Oui, je sais, je dis "meute" alors qu’il y a quelques jours je m’indignais de l’emploi du mot "chien"... Eh bien c’est normal! J’aime les chiens, mais pas les meutes. Et puis, je hais la chasse à courre, donc, en l’espèce, cette comparaison est parfaitement justifée). Je concède qu’il est bien naïf Attali. Visiblement il pensait qu’il venait là causer littérature, politique, économie... La présence de la nouvelle Miss France et de Serge Lama aurait pourtant dû éveiller son instinct de conservation, non? »239

Nous n’avons extrait que l’introduction d’un article décontenançant en ce qui concerne l’estimation de l’agressivité des chroniqueurs ; l’auteur de cet article semble considérer cette agressivité comme étant beaucoup plus intense qu’Attali lui-même ne l’a perçue. Quoique nous ne puissions pas ignorer les avis de ces commentateurs, nous voyons qu’ils ne sont pas non plus (toujours) fiables quant à l’estimation de l’adéquation de la violence verbale.

d). Les téléspectateurs : c’est le groupe qui fournit le plus de jugements métapragmatiques ils s’expriment à travers les blogs, les forums, etc. Chaque clash est longuement discuté, commenté, et diffusé, les avis étant généralement partagés quant à qui a remporté la

« victoire ». De nombreuses interventions portent aussi sur la légitimité des critiques des co-animateurs, ou sur le caractère approprié ou non des performances des invités ; par exemple, les opinions vis-à-vis de la prestation de Caroline Fourest sur le plateau de ONPC sont divergentes :

« J’ai visionné cet après-midi l’émission d'hier soir de On est pas couché présentée par Laurent Ruquier. Le web bruissait de la performance de l'excellente Caroline Fourest et je n’ai en effet pas été déçu. Bravo à une Caro qui, comme on peut le voir dans l’extrait ci-dessous, a remis à sa place des Naulleau (écœurant) et des Zemmour (d’un machisme archaïque) au courage plus que fluctuant ! »

« Sa façon de discréditer l’autre est lamentable. Plus de place au fond mais c’est sur la forme qu’elle attaque (le coup bas à Naulleau en est l’illustration suprême). Elle prête sans cesse des pensées aux autres, elle fait de la psychanalyse en live...Sans commentaire. » 240

« Bref intelligente peut être, certainement… mais excessive et lassante depuis ces derniers mois.

Naulleau (beau combat !) a lâché prise à la fin (dommage !) mais sans doute par lassitude… polie… »241

239 Source : http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2008/12/14/1356490_et-ruquier-lacha-la-meute-sur- attali.html (consulté le 06 avril 2013).

240 Source : http://www.romainblachier.fr/2010/04/caroline-fourest-envoie-eric-naulleau-se-coucher-.html (consulté le 09 septembre 2012).

241cSource : http://www.lepost.fr/video/2010/04/25/2047572_clash-caroline-fourest-vs-naulleau-ladissidencepour- vous-c-est-lesbienisme-fullhdready.html (consulté le 09 septembre 2012).

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Ce n’est qu’un court échantillon d’avis qui porte sur l’un des plus commentés clashs du paysage médiatique français. Évidemment, les opinions des téléspectateurs varient largement et sont peut-être pas toujours dignes de confiance (bien qu’elles ne soient pas négligeables), compte tenu du fait qu’elles sont formulées en fonction de nombreux facteurs (affinités politiques ou religieuses, âge, sexe, etc.). Voilà pourquoi il faut prendre en compte le point de vue des autres « commentateurs » aussi bien que les autres critères d’évaluation.

Mesurer la réception et la perception des actes de langage revient à prendre en compte l’ensemble du matériau sémiotique, c’est-à-dire les productions verbales, para- verbales et non-verbales. Très souvent nos propos sont complétés, remplacés ou renforcés par le para- et le non-verbal dont on sait qu’ils sont intimement liés au langage. Par exemple, le public présent sur le plateau se manifeste en exclusivité par le paraverbal (rires, huées) et le non-verbal (applaudissements), dont l’intensité et la durée peuvent constituer encore des indices précieux dans l’évaluation des propos des interactants ; parfois, les spectateurs ne

« chantent » pas à l’unisson, ce qui nous indique qu’un même énoncé a été interprété comme particulièrement agressif par quelques-uns, mais jugé comme légitime et apprécié par d’autres. Les jeux de mots et les plaisanteries d’Annie Lemoine (exemple (64)) suscitent par exemple les applaudissements mais aussi les huées du public. Ces types de réactions renvoient ici aux interventions de l’invitée qui ne satisfont pas les attentes de tous les spectateurs. Le public, ainsi que le groupe de commentateurs, restent, selon nous, le principal « baromètre » pour l’évaluation de l’effet perlocutoire. Il peut fournir des informations plus précises et plus correctes sur la nature des propos que les interactants qui risquent directement leurs faces ; en outre, toute interaction médiatique est essentiellement orientée vers le public qui devient, ainsi, le juge suprême.

La gestualité et la mimique des autres participants sont également révélatrices pour notre analyse ; le silence, le rire, le sourire, les grimaces, les regards ou le haussement d’épaules en disent long sur la nature d’un acte. C’est pourquoi nous allons prendre en compte et commenter le matériau para- et non-verbal chaque fois qu’il sera pertinent pour notre analyse. Nous n’allons pourtant pas le traiter séparément pour une raison de nature plutôt technique : vu que nous avons affaire à une interaction télévisée, nous n’avons pas accès à la totalité des comportements para- et non-verbaux – nous ne voyons que ce que les jeux de cadrage et de filmage nous montrent, nous ne voyons que ce que l’on nous permet de voir.