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cadre d’analyse

C RITÈRES D ’ IDENTIFICATION OU D ’ EVALUATION

4.4 Critères interactionnels/contextuels

Nous rappelons que l’adéquation des actes produits dans ces talk-shows dépend essentiellement du contexte qui englobe l’ensemble des données interactionnelles : genre discursif et médiatique, contraintes situationnelles et temporelles, scénario, rôles attribués aux actants, etc. Dans le contexte précis des émissions étudiées, les participants doivent respecter des droits et devoirs compris par leur rôle, ils doivent savoir pratiquer cette

« ‘gymnastique’ pragmatique par laquelle les locuteurs passent d’un niveau ou d’un style de politesse à un autre (ou de la politesse à l’impolitesse), […] la gymnastique pragmatique par laquelle un et le même locuteur, conversant simultanément et à des degrés de politesse différents,

243Jean-Marc Morandini « réunit sur son plateau tous ceux qui font l’actu télé : spécialistes, journalistes, peoples et artistes, révèlent les coulisses du monde de l’audiovisuel », animant « un talk-show passionné, débattant de l’actualité médiatique au jour le jour, avec des reportages, des enquêtes et des prises de bec ! ». (source : http://www.direct8.fr/program/morandini/infos/, consulté le 06 avril 2013).

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avec plusieurs interlocuteurs, doit jongler pour maintenir des distinctions de traitement symbolique dont l’oubli ou l’excès sont également dangereux. » (Golopentia, 2000 : 71)

En d’autres termes, il faut faire preuve de « souplesse », surtout parce que le cadre du talk-show comprend des sous-contextes (ou sous-genres) emboîtés les uns dans les autres et donc chacun régit la production des actes spécifiques et l’emploi des « ressources communicatives » adéquates :

« A l’oral comme à l’écrit, il existe des ‘genres’ (G1 et G2), donc des ‘règles du genre’, lesquelles sont intériorisées par les sujets dont la ‘compétence générique’ fait partie intégrante, aux côtés de la compétence proprement linguistique, de leur compétence communicative globale, qu’on l’envisage du point de vue de la production ou de la réception des énoncés :

‘Nous apprenons à mouler notre parole dans les formes du genre et, entendant la parole d’autrui, nous savons d’emblée, aux premiers mots, en pressentir le genre […].’

(Bakhtine, 1984 : 285). »

(Kerbrat-Orecchioni & Traverso, 2004 : 46)

Les actants sont donc censés mouler leur performance communicationnelle selon la rubrique en question, mais également en fonction du discours de l’autre ; c’est pourquoi, afin de répondre aux attentes, il faut par exemple répondre à la violence avec de la violence, sans basculer pour autant dans les propos trash et la pure diffamation. Pour résumer, il faut tenir compte du contexte, mais aussi du cotexte (contexte linguistique).

4.4.1 Le contexte

Nous avons vu que le système de la politesse est relatif, dynamique, fluctuant et façonné par le contexte dont certaines normes sont, à leur tour, négociables244. Les valeurs de politesse, d’impolitesse et de violence se trouvent donc nuancées par les données contextuelles. Comme le souligne Kerbrat-Orecchioni,

« le contexte peut toujours modifier et même inverser la valeur d’une phrase, transformant en FTA un remerciement, ou une insulte en FFA. » (Kerbrat-Orecchioni, 2010 : 4)

Autrement dit, le contexte nous indique ce qui est légitime et ce qui est illégitime en termes d’impolitesse et d’agression. Comme nous l’avons expliqué, le critère générique impose une impolitesse à part, qui est non seulement légiférée, ratifiée (il y a bien d’autres échanges articulés autour de l’impolitesse), mais elle est théâtralisée, spectacularisée : c’est l’impolitesse-spectacle.

Le talk-show impose ainsi ses propres principes et règles du jeu, instaure des rôles spécifiques pour chaque participant, et oriente de ce fait l’analyse linguistique de notre corpus médiatique : « tout au long de la fête, on ne peut vivre que conformément à ses lois » (Bakhtine, 1970 : 15). Mais ces lois ne sont pas toujours respectées et ne sont pas toujours bien connues par les participants. Nous avons vu que certains invités (Muriel Robin, Jacques Attali) ont fui le débat à cause de l’hostilité et de la violence, à notre avis adéquates, des chroniqueurs ; d’autres ont dépassé les limites de l’agression verbale allant jusqu’à l’agression physique (Arno Klarsfeld) ou bien ont refusé d’accomplir leurs devoirs dans une des rubriques de l’émission (Françoise Hardy a refusé poliment de choisir et de commenter une des caricatures faisant l’actualité de la semaine). Cela étant dit, nous voyons que l’on peut transgresser les normes sans

244 “Rather than seeing contexts as abstract social forces which impose themselves on participants, conversation analysts argue that we need to begin from the other direction and see participants as knowledgeable social agents who actively display for one another (and hence also for observers and analysts) their orientation to the relevance of contexts (Hutchby & Wooffitt, 1998: 147)”. (De Smedt, 2010: 5)

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pour autant recourir à l’impolitesse ou à l’agression. Le critère du contexte se trouve donc au cœur même de notre analyse et il est peut-être le plus important, car il englobe tous les aspects d’une interaction.

4.4.2 Le cotexte

Passons maintenant du niveau macro de l’interaction (le cadre ou le contexte) au niveau micro – le cotexte. Ce qui nous intéresse est de voir si la dimension initiative ou réactive d’un acte influe sur l’acceptabilité de l’impolitesse et de l’agressivité verbale. Un FTA réactif relève d’une impolitesse « compensatrice » et « réparatrice » qui vise à rétablir l’équilibre interactionnel mais aussi à modifier, voire à renverser les rapports de force entre les interactants. Cette impolitesse

« apparaît plus ou moins légitimée en tant que mécanisme d’autodéfense en réponse à une agression de l’allocutaire, ou comme sanction portée à l’égard d’une violation flagrante d’un autre principe conversationnel [...]. Il ne faut pas oublier en effet que toute action entraîne une réaction : l’allocutaire a ainsi le choix entre faire semblant de ne pas sentir vexé –ce qui fait en même temps échouer l’intention agressive du locuteur–, considérer qu’un froid silence est le meilleur moyen de montrer sa désapprobation, ou encore répondre FTA pour FTA –ce qui reviendrait en somme à appliquer la loi du talion. » (Alberdi Urquizu, 2009 : 41-42)

Il faut retenir que le caractère réactif d’un énoncé impoli n’annule pas sa valeur, mais peut le rendre plus légitime et plus acceptable dans les yeux du public. La personne attaquée peut adopter différents comportements, que nous avons inventoriés dans la figure 13, mais nous avons généralement affaire à trois cas de figure principaux :

(a) Celle-ci peut accepter l’attaque, assumer les critiques et les reproches :

“In accepting the face attack, the recipient may, for instance, assume responsibility for the impoliteness act being issued in the first place or they may agree with the impolite assessment [...].

Thus, repeated, strong and personalised complaints [...] might be met with an apology, and similarly a criticism [...] may be met with an agreement.” (Bousfield, 2008a: 193)

Mais cela constitue un FTA que le locuteur produit envers lui-même (les risques de perte de faces sont donc multipliés) et peut être considéré inapproprié s’il est réitéré ; autrement dit, accepter les attaques sans riposter contrevient aux attentes spectatorielles et aux règles du jeu.

Cette attitude est adoptée par Annie Lemoine, qui, après quelques tentatives (faibles) de contre-attaques, finit par abandonner le combat, ce qui ouvrira la porte au K.O. verbal aux deux co-animateurs de ONPC.

(b) Une autre type de réactions est la résistance, les contre-attaques, à travers des stratégies axées sur l’offensive, sur la défensive, ou combinant les deux. Quelles que soient les stratégies choisies, l’interlocuteur entre résolument dans le conflit et prend part à la montée en agressivité, pouvant ainsi modifier le niveau de violence de l’échange : « [l]a montée en tension se joue et se rejoue dans les différentes prises de parole des locuteurs » qui peuvent interchanger « leur place dans une joute verbale » (Moïse, 2006 : 105). Ce type de comportement reste adéquat autant qu’il ne dépasse pas le seuil d’acceptabilité mentionné. Les actes réactifs peuvent être produits avec le même degré, voire avec un degré élevé d’impolitesse ou de brutalité vu leur caractère non initiatif :

“If the threshold is set high on the scale of impoliteness, then behaviour which in other contexts may be very impolite is likely to be perceived as upholding the reciprocity norm, and thus is likely to be taken as less impolite”. (Culpeper, 2011: 206)

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(c) Le troisième cas envisageable est le recours à une violence exacerbée, hors normes, qui pourrait mettre en danger la poursuite de l’interaction. Le geste d’Arno Klarsfeld va, en effet, à l’extrême, car jeter un vers d’eau vers son opposant semble exagéré même dans une émission qui semble sans règles, comme celle d’Ardisson.

Par conséquent, selon ce contexte linguistique, il paraît adéquat de contrer l’impolitesse avec de l’impolitesse, sans aller plus loin qu’il n’est permis. Éviter le combat verbal, c’est finalement refuser de jouer le rôle auquel on souscrit (implicitement) en acceptant de participer à ce genre de talk-show.