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Difficultés et limites

2.2 Tout le monde en parle

Dans une interview, Thierry Ardisson définissait TLMP (France 2) comme « un dîner en ville où l’on réunit un sportif, une actrice, une starlette, un écrivain… »46. En effet, l’émission se présente comme un lieu de brouillage des identités, un « anti-modèle » des débats politiques des années 90 qui privilégie « l’humour, la désinvolture et la dérision » et

« sollicite l’anecdote et les informations biographiques des invités, consacrant une nouvelle stylisation de la parole publique » (Le Foulgoc, 2010 : 196). Caractérisé comme un talk-show d’un haut degré d’hétérogénéité visible à tous les niveaux, TLMP (1998-2006) a été produit et diffusée avant ONPC, étant, de par ce fait, considéré comme une émission qui a innové l’audiovisuel français en imposant un nouveau genre hybride47, symbole d’une ultime

« transgression » ou juxtaposition des domaines jusqu’alors généralement disjoints (public et privé, politique et monde du spectacle, etc.). Peut-être davantage que ONPC, TLMP a été, de par ses dispositifs et son scénario inédit, une émission pionnière du nouveau type de talk-show né à l’aube du vingt et unième siècle.

Passons maintenant à la description des éléments constituant le cadre global de l’émission ; cette étape est essentielle puisque le contexte déterminera le type de discours, le procès de production et d’interprétation du message, la nature et le sens du message, ainsi que la façon dont les relations interpersonnelles changent et sont négociées au cours de l’interaction.

2.2.1 Paramètres de base et dispositifs

Le cadre spatio-temporel

Programmée, à l’instar de ONPC, le samedi, en seconde partie de soirée l’émission animée par Thierry Ardisson est pourtant moins longue (environ deux heures) et propose des dispositifs favorables aux « ‘causeries nocturnes’ » (Le Foulgoc 2010) où l’on tolère l’impertinence, la dérision, les sujets tabous (vie privée, vie sexuelle, etc.). Le studio a des airs d’une boîte de nuit où se côtoient des people de tous les secteurs et impose à l’ensemble des participants une attitude décontractée et un registre familier. Le cadre proposé est ainsi convivial et spectaculaire (ou spectacularisé) et rompt définitivement avec « l’aridité et la sécheresse des plateaux du débat traditionnel » (Lochard & Soulages, 1994 : 24).

Le décor 48 s’apparente à celui de ONPC, avec un accent mis sur les « symboles du monde de la nuit » (Le Foulgoc 2010) : la boule à facettes, les rideaux scintillants, le tapis rouge (et n’oublions pas l’heure tardive de diffusion) suggèrent une atmosphère de fête. Au milieu du studio vivement éclairé trône l’animateur « équipé de ses fiches et de quelques gadgets » (Lhérault & Neveu, 2003 : 108) ; devant lui sont assis les invités et, derrière ceux-ci, le public qui est disposé en demi-cercle. La séparation des deux espaces, celui des participants « actifs » et celui de l’auditoire, est (plus ou moins) symboliquement marquée par des colonnes et des rideaux qui, selon Le Foulgoc (2010 : 109-110), donnent « une épaisseur à un dispositif qui pourrait paraître au premier abord trop futile » ; ce décor rappele deux topoï

─ l’agora, la place publique, et le théâtre :

46 Source : http://www.actustar.com/10507/thierry-ardisson-en-veut-toujours-of-et-daniela-lumbroso/ (consulté le 09 septembre 2012).

47 Pendant la première saison (1998-1999), TLMP se présente comme une émission de débats de société ; à partir de 1999 elle prend sa véritable forme de talk-show.

48 Soulages (2007 : 84) décrit le plateau de TLMP comme étant « à mi chemin entre la boîte de nuit ou le comptoir bar d’un night club, régenté par son animateur vedette et noctambule ».

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Figure 2 : vue du plateau de TLMP

La scénographie et le décor ne sont point aléatoires mettant en place un univers en conformité avec les enjeux de l’émission : le jeu des rôles, l’émergence du spectacle de la parole, etc.

Nous remarquons donc une séparation entre un premier cercle, celui des « locuteurs privilégiés » (Soulages, 2007 : 70), et un second cercle, celui d’un public doté d’une « moins grande capacité d’interaction », qui n’est plus « celui distancié et autonome de la salle de théâtre, mais celui plus proche du démonstratif du café-théâtre ou de la boîte de nuit » (ibid.).

Tous les éléments de la mise en scène visuelle et sonore concourent à la spectacularisation du cadre spatial ; la musique d’accompagnent (les « jingles ») ponctuant diverses séquences ou rubriques de l’émission vient renforcer la dimension ludique et la logique du divertissement de TLMP. Malgré le fait que le décor et la scénographie suggéraient que les protagonistes ne doivent pas se prendre trop au sérieux (en ce sens, nous parlerons plus loin d’impertinence ou d’impolitesse « fictive » ou neutralisée), les enjeux les faces existent encore, du moins dans le cas invités qui doivent jouer le « jeu » sans (trop) se rabaisser. Selon Le Foulgoc, les artistes seraient « davantage préservés que élus politiques », le talk-show venant prolonger

« les formes de dépréciation dont sont ‘victimes’ depuis quelques années les hommes politiques dans les émissions satiriques et de caricatures (ex. : Les Guignols de l’info, Canal +, 1988-). » (Le Foulgoc, 2010 : 201).

Si « dépréciation » peut sembler un mot fort, les termes d’impertinence et de dérision conviendraient probablement mieux ; le traitement des élites dans ce genre de talk-show se révèle très complexe sous la lumière du système de la politesse, raison pour laquelle nous lui consacrerons le premier chapitre de la partie d’analyse linguistique du corpus.

La mise en scène visuelle

Dans les émissions de plateau, la mise en scène visuelle est aussi porteuse d’enjeux et produit des effets concourant à la réalisation des finalités qui sous-tendent ces émissions.

Le montage de l’émission TLMP présente cependant certaines particularités, mettant l’accent sur le spectacle mais voulant donner aussi une illusion de transparence, de dévoilement à travers les prises de vue en coulisses lors de l’entrée ou de la sortie des invités, et la mise en avant de l’aspect technique à travers les plans centrés sur les cadreurs ou sur l’assistante de réalisation, actante « passive » intégrée pourtant au schéma participatif global de l’émission.

Pour ce qui est des jeux de filmages, on alterne les plans assurant le « suivi » de l’activité verbale, mais aussi de celle non-verbale (gestes, mimiques, etc.), la mise en image venant s’aligner sur la finalité de l’émission. Pour ce qui est des « types monstratifs » ou les

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stratégies de visualisation, on privilégie non seulement la « synchronie communicationnelle » (« l’alignement quasi systématique du visuel et du verbal »49), mais aussi « l’asynchronie communicationnelle » (« le décrochage systématique du visuel et du verbal »50), cette dernière technique introduisant au plan audiovisuel une dimension dialogique à travers la visualisation des visages ou des postures des autres participants. L’asynchronie communicationnelle contribue à la spectacularisation de l’échange notamment des échanges conflictuels en renfonçant ainsi les effets pathémiques ─ les caméras « guettent » et révèlent les moindres gestes ou mimiques qui pourraient trahir les émotions des invités ─, d’un côté, et en augmentant leur taux de polémicité, de l’autre côté.

Le script

La notion de « script », telle qu’elle a été décrite par Schank & Abelson51 (1997), renvoie à une succession d’événements qui sollicitent les connaissances partagées des interactants. C’est un schéma préétabli, répétitif dont le déclenchement nécessite la réunion de certaines conditions (contraintes situationnelles, etc.).

Le script de l’émission TLMP connaît une « fragmentation » au moins aussi forte que dans le cas de ONPC. La « ‘mise en modules temporels’ » (Nel cité par Soulages 2007) suppose l’alternance de diverses dispositifs scéniques, de différents jeux de rôles alloués aux protagonistes, alternance réalisée toujours en vue d’une croissance de l’attractivité spectatorielle. La dimension ludique de TLMP est encore plus saillante que dans le talk-show de Ruquier en vertu d’un scénario complètement soumis à ce rubricage contraignant.

L’émission est donc fortement ritualisée :

a. La séquence d’ouverture comprend un best of des séquences de la semaine précédente et la lecture de courriers éléctroniques reçus.

b. Les rubriques d’interview : l’émission se compose de la succession d’interviews d’une dizaine d’invités (dont trois à cinq sont présents simultanément sur le plateau) qui entrent et sortent selon des rituels spécifiques (formules de l’animateur, jingles, etc.). L’émission a une forte dimension de promotion (d’un film, d’un livre, d’un spectacle, etc.), se distanciant, dans cette optique de ONPC qui, nous le verrons plus loin, est doublée d’une dimension de contestation assez forte assurée par les deux chroniqueurs.

L’interview des élus dure généralement une vingtaine de minutes, « un tunnel de vingt minutes sur un unique registre du sérieux » comme le décrit Le Folgoc (2010 : 156), au cours de laquelle l’intervention d’autres participants est acceptée, bien qu’elle reste assez rare (le co-animateur intervient pourtant constamment rompant par endroits avec le cadrage sérieux instauré par l’animateur). Après une séquence de présentation de l’invité, l’interview se déploie autour de trois axes : sa trajectoire biographique, son parcours professionnel et, enfin, les éventuelles polémiques dans lesquelles il a été impliqué. En effet, on parle moins (et différemment) politique que de controverses, Ardisson jouant ici le rôle de dénonciateur. Sauf que sa dénonciation n’a pas comme but la mise en cause des élus (comme dans le cas de Naulleau et de Zemmour), mais la spectacularisation de l’échange et la croissance de l’audimat ; ce qui priment ici sont donc le côté « tabloïd » ou « presse à scandales » de l’émission, la dimension de « scandalisation » de la vie politique et le glissement du politique

49 Soulages, 1999 : 91.

50 Ibid.

51 “A script, as we use it, is a structure that describes an appropriate sequence of events in a particular context. A script is made up of slots and requirements about what can fill those slots. The structure is an interconnected whole, and what is in one slot affects what can be in another.” (Schank et Abelson, 1997 : 41).

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vers le spectacle via une mise en avant des moments retentissants et des polémiques ayant marqué l’opinion publique.

Pour clôturer la rencontre, l’animateur passe à une série de questions qui portent, comme l’avoue lui-même, sur des choses « moins sérieuses » (voir l’exemple (1)), et qui testent le sens de l’humour de l’invité.

Les trois axes de l’interview sont agencés « de manière à produire un effet d’entonnoir, partant du plus large […] pour arriver au plus personnel, trivial et quotidien » (ibid. : 161). L’animateur réussit ainsi à traiter une diversité de sujets, imposant en même temps à sont invité de suivre la voie sinueuse de l’interview, ce mélange de sujets et de tons étant, dans le monde journalistique, blâmé :

« Ce qu’on continue à reprocher à Thierry Ardisson, c’est sa manie de tout mélanger, la politique et le sexe, le grave et le trivial, la pertinence et l’insolence, au milieu d’un show bigarré et bruyant où défilent des pin-up girondes et un DJ pas forcément fréquentable. » 52

c. La rubrique de débat ou de polémique débute en présence d’un polémiqueur, généralement l’ « accusateur » auquel l’animateur accorde la parole dans un premier temps. Son opposant fait son entrée après ce bref face-à-face de l’invité avec l’animateur et le duel verbal s’enclenche. Le combat connaît des moments d’apogée et d’accalmie, sous les regards d’un animateur qui, loin d’apaiser le conflit, cherche à le maintenir et à l’attiser, tolérant la violence verbale et physique (voir infra partie III, chapitre 3), et d’un co-animateur qui n’hésite pas à y insérer ses plaisanteries et ses remarques ironiques.

Pendant cette successions d’interviews, Thierry Ardisson contrôle non seulement les échanges verbaux, mai aussi la scénographie et les différents effets visuels et sonores ; il orchestre un clavier qui lui permet de lancer les fameux jingles destinés à marquer une transition entre les séquences ou simplement à créer du spectacle (le bruit de freinage lors des chevauchements de parole, le « salut romain », etc.), ainsi que des répliques ou des chansons célèbres. Le scénario correspond, à la lettre, au talk-show, autrement dit au spectacle de la parole.

d. Enfin, la séquence finale comprend le “blind test”, jeu dont le principe et de reconnaître l’interprète ou le titre d’une chanson :

« Dans une première phase, ce jeu se joue en équipe, et dans une deuxième phase c’est du ‘chacun pour sa gueule’. L’une des règles les plus importantes est ‘si y’a soufflage, y’a perdage’, ce qui signifie que si les invités répètent une réponse soufflée par le public, le point va à l’équipe adverse. »53

Les macro et les micro unités de TLMP sont constamment ponctuées et mises en évidence par de nombreux jeux visuels et sonores spécifiques pour chaque rubrique ou séquence. La fragmentation de l’émission ainsi que le type de discours mis en avant (bavardage, conversation familière) opère une inversion entre la forme (qui est privilégiée ici) et le contenu, entre « ‘le sujet et le style ; le style est devenu le matériau même du show’ » (Caldwell cité par Soulages, 2007 : 85). En d’autres termes, ce n’est plus le discours qui est mis en avant, mais la performance actorielle et les négociations d’images articulées autour de la préservation et de la valorisation de faces.

52 Source : http://www.tlmp.net/Thierry/Telerama_p86.htm (consulté le 06 avril 2013).

53 Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tout_le_monde_en_parle_%28France%29 (consulté le 06 avril 2013).

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38 2.2.2 Le schéma participatif

(1) L’animateur

Véritable chef d’orchestre sur son plateau, Thierry Ardisson participe, à tous les niveaux, à l’émergence du spectacle ; coproducteur de l’émission et maître du studio, l’animateur gère la composante discursive ainsi que celle sonore et visuelle ─ une obsession du « contrôle », qui lui a été parfois reprochée. Dans cette optique, Leroux & Riutort l’ont associé à la figure du monarque de la société de cour, figure qu’Ardisson incarne parfaitement :

« ‘Le monarque absolutiste se voit confronté à la tâche de maintenir, à l’intérieur du champ social dont les structures effectives lui offrent une grande chance d’équilibrer les tensions sociales, aussi bien ces tensions que cet équilibre ou de le rétablir le cas échéant […]. Nous avons vu qu’il doit exploiter avec prudence les tensions, susciter des jalousies, maintenir les dissensions au sein des groupes, orienter le sens de leurs efforts et partant de leur pression ; il doit laisser libre cours, jusqu’à un certain point, aux actions et réactions et les utiliser sciemment au maintien des tension et de l’équilibre ; il faut, pour y parvenir, une bonne dose de calcul’, Norbert Elias, La société de cour, Flammarion, 1985 [1969]. » (Leroux & Riutort, 2009 : 193)

En effet, l’animateur semble tout contrôler. Si l’animateur de ONPC partage la responsabilité de certaines rubriques avec ses deux chroniqueurs, Ardisson trône en tant que maître absolu le long de l’émission, son co-animateur ne remplissant qu’un rôle secondaire de déstabilisation.

Car l’animateur de TLMP joue une palette diverses de rôles et remplit de nombreuses fonctions : il est intervieweur et arbitre, confesseur ou accusateur des invités, provocateur et médiateur, mais fait aussi le clown ou le « pitre » traitant ses invités avec impertinence et une sincérité parfois brutale.

Dans cette perspective, TLMP propose (davantage que ONPC) un format qui privilégie la glorification et/ou l’autoglorification, de l’animateur, l’émission étant centrée sur la figure de Thierry Ardisson. Ayant travaillé dans le domaine de la publicité avant de rejoindre la catégorie des animateurs, Ardisson sait « se vendre » et vendre son produit ─ le talk-show. Il a imposé, dès le début de l’émission, l’image d’un animateur provocateur et original rompant avec l’ancienne « génération », celle des présentateurs neutres qui s’« effaçaient » au profit de leurs invités, avec les valeurs consensuelles et les normes de la bienséance. Son talk-show, conçu selon son image, est venu se positionner en décalage avec les anciens formats des programmes télévisés. Son style d’interview est en égale mesure inédit, choquant ou du moins, bouleversant, et par endroits agressif (Michel Rocard54 lui reproche à plusieurs reprises les questions « brutalement formulées » ou la « méchanceté » de ses propos). En effet, les savoir-faire accumulés pendant sa carrière dans le domaine de la publicité55 pourraient justifier son désir et sa capacité d’innovation, de renouvellement de l’audiovisuel, ainsi que la visée commerciale dominante de son émission.

Bien qu’il semble savoir satisfaire aux attentes des « clients-cibles » (les spectateurs), Thierry Ardisson reste une figure controversée divisant l’opinion publique :

« tandis que les jeunes générations louaient ‘sa culture’ ou ‘son impertinence’, les plus âgés focalisaient sur ‘sa vulgarité’ et son manque de respect pour les invités. » (Le Foulgoc, 2010 : 109)

54 Voir infra la partie III, le chapitre I.

55 Pour le parcours professionnel détaillé de Thierry Ardisson, voir Leroux & Riutort (2006).

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Même s’il est, de nombreux points de vue, associé à Laurent Ruquier, il faut noter que l’animateur de TLMP reste une figure emblématique de l’impertinence, de la familiarité poussée parfois au paroxysme, et du mélange des tons et des genres. Aussi reste-t-il celui qui opère les transgressions les plus fréquentes et les plus explicites dans le système de la politesse. Son impolitesse sera discutée plus en détail dans les chapitres à venir…

(2) Le co-animateur

À l’instar de ONPC, l’animateur de TLMP est secondé par un complice destiné à jouer une fonction plus (ou aussi) agressive. Il s’agit de Laurent Baffie, humoriste, animateur de radio et de télévision et metteur en scène de théâtre, qui est proposé ici le rôle « du trublion irrévérencieux » (Lhérault & Neveu, 2003 : 105). À la cour du « monarque absolutiste » (voir supra), Laurent Baffie incarne le fou du roi ou le bouffon qui peut tout dire à condition qu’il le fasse sur le ton de la plaisanterie ou de la moquerie. Il est la « conscience » ironique et le double de l’animateur. Leur complicité est évidente et visible à travers des échanges de taquineries et la co-construction des phrases :

(5) émission 16

86 A- ah non non/ là ça va c’était clair/ ah non non on est pas contre la politique Michel/ on est con [

87 LB- [les chieurs en fait\

Contrairement à l’animateur de ONPC qui se positionne parfois à l’encontre de ses chroniqueurs, les relations entre Ardisson et Baffie sont exclusivement consensuelles, les deux se complétant réciproquement dans le travail de déstabilisation des invités comme dans la production des énoncés humoristiques ou ironiques.

Quelles sont donc les principales tâches de Laurent Baffie ? Faire rire, déstabiliser, imposer une familiarité excessive et le tutoiement, qui ne sont pas dénués d’une fonction de provocation et qui symbolisent un nivellement des identités et des statuts sociaux. Face aux élus politiques ou face aux artistes, Baffie adoptera le même comportement, avec peut-être un certain plaisir de mettre en dérision les premiers. Enfin, il est responsable de l’installation d’une ambiance conviviale en réagissant spontanément aux interventions des participants et en les faisant réagir, via son humour ou son impertinence.

Il faut noter que le statut de Laurent Baffie est paradoxal puisqu’il se situe à mi-chemin entre le rôle de l’humoriste et celui des chroniqueurs de ONPC. Même s’il dit la vérité, même si sa critique est réelle, « cette vérité peut être neutralisée puisqu’elle sort de sa bouche » (Morel, 2005 : 773), à l’instar du bouffon d’antan. En d’autres termes, on écoute ce que le co-animateur d’Ardisson dit, mais on ne le prend pas véritablement en compte puisque c’est lui qui le dit et puisque cela semble être uniquement « pour rire ». Le caractère « réel » de l’impolitesse pratiquée par Laurent Baffe sera repris, pour une analyse plus pertinente, après la présentation du cadre théorique.

(3) Les invités

Les invités de Thierry Ardisson sont des personnages connus dans l’espace médiatique, faisant l’actualité artistique, littéraire ou (socio)politique du moment. En termes d’hétérogénéité de la composition du plateau, l’émission d’Ardisson semble atteindre le

« degré maximal » car il s’agit de « la seule émission de TV ou madame de Fontenay rencontre Iggy Pop… c’est l’obsession du mélange » (Neveu, 2003a : 108) ; mais cela n’est point surprenant vu le rubricage et l’hybridité de ce talk-show... Quel sont donc les invités qui