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cadre d’analyse

C RITÈRES D ’ IDENTIFICATION OU D ’ EVALUATION

4.5 Critères moraux

En nous appuyant sur l’article de Gauthier (1998) sur la moralité des arguments ad hominem dans les débats télévisés, nous avons identifié trois grands critères moraux ou éthiques dont nous allons nous servir lors de l’analyse de notre corpus. Nous allons aborder ici la question de la moralité et du système de la politesse par le biais de l’argumentation.

Ce qui nous intéresse en particulier est la validité des FTAs autour desquels le talk-show se construit, notamment la critique et les attaques personnelles qui peuvent prendre diverses formes (arguments ad hominem, manipulation du discours de l’autre, etc.). Le contrat du genre talk-show repose sur une palette variée de stratégies discursives et rhétoriques comportant un fort degré d’agressivité. Cependant, toutes les attaques ne sont pas tolérées, le talk-show ne permet pas le dénigrement systématique de la personne ou les propos diffamatoires caractérisant le discours trash. Il faut dissocier le discours trash du discours critique des chroniqueurs, des experts, des humoristes. Ces propos sont, certes, parfois déstabilisants et embarrassants, mais peuvent néanmoins rester légitimes et adéquats au contrat de communication ; la dérision, l’ironie et l’exacerbation du désaccord sont surtout un moyen de faire passer le « message » des invités dans le cadre d’un genre articulé autour du spectacle. Ainsi pourrons-nous admettre que le talk-show compte, parmi les « règles du jeu », la possibilité d’employer les arguments ad hominem contre son adversaire.

Nous allons donc distinguer entre ce qui est potentiellement agressif, mais « de bonne guerre » et moralement permis, de ce qui est excessivement violent, inadéquat et moralement invalide. Nous allons accorder une importance particulière à l’argument ad hominem essayant de voir si toutes ses facettes sont, dans le contexte du talk-show, éthiquement douteuses.

Avant de passer à l’explication de ces critères, nous voulons mentionner la distinction faite entre trois types principaux d’arguments ad hominem :

(a) l’argument ad hominem « logique », qui est défini comme un

« procédé de mise en cause d’une position (d’une idée, d’un point de vue, d’une thèse, d’un avis) par incompatibilité formelle. Ainsi que Locke le caractérise, il consiste à faire valoir l’inconsistance qu’il y a à soutenir une position tout en refusant (ou en répugnant à) ses conséquences. » (Gauthier, 1995 : 173)

C’est un type d’argument généralement considéré comme légitime et accepté dans le contexte de guerre verbale, qui vise à faire ressortir les « carences » et la non cohérence dans le discours de l’adversaire :

(131) extrait 5

135 EZ- ma chère amie/ ma chère amie\ vos propos sont- vos propos sont- vous vous contredisez dans les termes\ la république laïque/ ça veut dire la république UNE/ et

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indivisible/ qui ne connaît aucun communautarisme/ qui ne connaît aucun politiquement correct/ donc CONTRE le communautarisme féministe/

L’argument ad hominem « logique » est surtout une excellente arme discursive : aucun procédé de disqualification « ne passe pour aussi efficace et légitime à la fois » que « de mettre à jour la ou les contradictions qui les fondent » (Kerbrat-Orecchioni, 1981 : 46).

(b) l’argument ad hominem « circonstanciel », qui relève d’une

« réfutation de l’argument d’un opposant en alléguant que cet argument contredit une autre position, une autre action ou, plus globalement, un autre trait circonstanciel se rapportant à l’opposant. » (Gauthier, 1990 : 136)

Cette stratégie rhétorique pointe vers une inconsistance entre un dire et un faire et revient à

« saper » la crédibilité d’autrui, à démontrer l’incohérence de l’éthos qu’il affiche, comme le fait Eric Naulleau lors du débat avec Bernard-Henry Lévy :

(132) extrait 7

41 HL- Zemmour il n’est pas interdit d’être un philosophe/ comme l’est ce monsieur Botul ou Pagès\ et être aussi capable d’ironie/ ça reste un bon livre\

69 EN- il faut lire les deux parce que ce sont deux livres qui se contredisent/ en réalité donc on peut que les prendre dans leur totalité dans Identité vous êtes INCAPABLE de la moindre ironie/\ pour une raison simple vous refusez la forme minimale/ qui est d’accepter les critiques\ […]

Ce procédé, qui consiste à relever la contradiction entre une position affirmée et un comportement ou attitude affiché(e), « combine l’évaluation logique et éthique de l’interlocuteur, dont la contradiction remet en cause la cohérence intellectuelle ou la bonne foi » (Declercq, 2003 : 348) de l’adversaire.

(c) enfin, l’argument ad hominem personnel

« ne cherche pas à discréditer une idée en faisant valoir un aspect négatif ou péjoratif de la personne qui la formule mais à s’en prendre directement à cette personne. […] Dans les argumentations ad hominem logique et contextuelle, l’attaque de la personne est un moyen employé dans la poursuite de la finalité de discréditer une position. Dans l’argumentation ad hominem personnelle, l’attaque de la personne est une fin en elle-même. » (Gauthier, 1995 : 176)

L’attaque personnelle, que Plantin (1990) appelle ad personam, peut prendre la forme d’une insulte (« Naulleau vous êtes stupide », lance Attali au chroniqueur), de la critique (le roman de Patrice Leconte est « gentiment inutile »), de l’accusation (voir les propos diffamatoires de Cukierman à l’adresse de Besancenot). Si les deux premières formes d’ad hominem sont généralement ratifiées dans les duels verbaux245, ce procédé est, en revanche, souvent contesté et considéré comme « frauduleux » étant assimilable à l’injure :

« L’insulte apparaît ainsi non seulement comme horizon possible de l’argumentation ad hominem, mais aussi comme sa limite, en ce que l’insulte ‘pure’ n’est pas pragmatiquement de nature argumentative (elle ne suscite pas un enchaînement argumentatif, mais tend à rompre l’interaction argumentative). Inversement, l’exemple précédent montre que l’insulte assortie d’argument (re)devient une disqualification justifiée, c’est-à-dire qu’elle réintègre un processus argumentatif susceptible d’enchaînements ultérieurs. » (Declercq, 2003 : 350)

245 Plantin (1990) mentionne deux formes d’ad hominem légitimes ─ l’argument « circonstanciel » et à l’argument « logique » qui consistent à : « mettre l’argumentateur en contradiction avec lui-même, ou faire surgir une contradiction entre son assertion et la conclusion de celle-ci » (source :

www.tau.ac.il/~adarr/index.files/bibliographies/adhomresumes/declercq2003.htm, consulté le 02 avril 2013).

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Comme le souligne Declercq, cet argument devient « disqualification justifiée » lorsqu’il est intégré dans un projet argumentatif plus complexe, et, nous ajoutons, lorsqu’il fait partie des règles du jeu. Cependant, même dans cette situation, tout raisonnement n’est pas de « bonne guerre », et les attaques personnelles peuvent dépasser la frontière de l’acceptabilité et devenir abusives.

4.5.1 Le critère de pertinence

Le premier critère que nous allons considérer est celui de la « pertinence » qui stipule que

« il doit y avoir un lien entre l’objet d’attaque d’une personne et cette attaque. Autrement dit, le critère de pertinence exige que l’attaque de la personne soit motivée en regard de ce qui y est spécifié. » (Gauthier, 1998 : 17)

Ce critère s’applique de façon différente à chacun des types d’arguments ad hominem. Les arguments « logiques » et « circonstanciels » seront ainsi pertinents à condition que les inconsistances invoquées soient réelles. On ne peut pas reprocher à l’autre que son discours est contradictoire si nous n’avons pas trouvé des inconsistances ou des incohérences dans ses propos. Nous voyons que le critère de pertinence comprend aussi une exigence de véridicité et de sincérité « argumentatives ».

Qu’est-ce qui se passe dans le cas de l’argument ad hominem personnel ? Le critère de pertinence exige « que la mise en cause de la personne [...] soit opportune » (Gauthier, 1998 : 87). Tout argument personnel n’est donc pas condamnable ; en situation de « guerre », certaines attaques, normalement interdites, sont permises. Autrement dit, on peut attaquer la personne et critiquer certains traits de sa personnalité si ces traits sont pertinents dans l’exercice de son métier. Dans cette perspective, les critiques qui visent, par exemple, les compétences d’écrivain des invités sont permises, car elles portent sur des aspects étroitement liés au discours des écrivains.

En revanche, il n’est pas permis de s’attaquer à la vie privée, voire à la vie l’intime de la personne ; la religion, la spiritualité, les orientations sexuelles, la famille, etc. ne peuvent en aucun cas être des sujets pertinents pour la production des attaques ad hominem. Nous les considérons comme des coups « en-dessous de la ceinture », essentiellement impolis et illégitimes d’un point de vue moral. Conformément à ce critère, nous allons qualifier d’« immoral » l’argument de Francis Huster : « tu aimes pas ton enfant » (voir exmple (142)).

L’attaque est agressive (elle provoque d’ailleurs une contre-attaque de la part de Zemmour qui est visé par ces propos) et manque de pertinence car elle n’a pas de rapport direct avec la thèse soutenue par Zemmour (selon sa thèse, l’éducation des enfants revient entièrement à la mère). Cet argument ad hominem est donc, selon nos critères d’évaluation, inadéquat.

De ce point de vue, l’argument ad hominem s’apparente, en effet, à l’injure

« spécifique » (voir Evelyne Larguèche 1983) car « l’injure, c’est le langage de la dépréciation, […] nous retrouvons là les fondements de la violence » (Pain, 2006 : 46). Même si ce n’est pas une injure explicite (Francis Huster n’accuse pas explicitement Zemmour d’être un mauvais père), l’attaque personnelle relève du rapport de force entre un agent actif et un patient (donc agent passif), et instaure la violence :

« Il nous semblait en effet que l’argument ad hominem pouvait être […] rapproché de l’injure dite

‘spécifique’, adaptée à la personnalité et/ou la situation de l’injurié, injure où gît, au cœur même de la violence et de la dérision, le noyau argumentatif qui la rapproche du ‘mot d’esprit’. » (Oger, 2008 : 46)

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Enfin, nous appréhendons cette exigence de pertinence à un double niveau : nous considérons, comme Gauthier, que l’on doit tenir compte de la pertinence des attaques, mais aussi d’une pertinence qui concerne le statut et le rôle des participants produisant ces attaques. Le niveau d’expertise dans le domaine en question doit être approprié afin que les arguments des agresseurs soient légitimes. Quelqu’un qui n’a aucune notion dans le domaine de la physique par exemple ne saurait pas critiquer ou contredire les théories d’un physicien ; ou en tout cas, ses arguments n’auront nulle validité. Dans le cas des chroniqueurs de ONPC, nous savons que leur domaine d’activité est bien enraciné dans les champs littéraire, journalistique et politique246. Nous voyons donc que leur légitimité de s’exprimer sur les sujets abordés dans ONPC (qui sont généralement littéraires, philosophiques et politiques) ne peut pas être mise en question. Leur expertise joue surtout au niveau de la conviction et de l’adhésion du public, assurant leur crédibilité et leur autorité dans le domaine.

Le critère de pertinence exposé ici va à l’encontre de la plupart des théories de l’argumentation soutenant la nature fallacieuse, défectueuse, de l’argument ad hominem, car il nous dit que l’on peut critiquer, mais il faut savoir comment le faire (à certaines conditions).

Mais pour que ce principe reste opérationnel, il faut que d’autres conditions soient également réunies : il s’agit de celles de justification et de bonne/mauvaise foi. Et cela parce que les trois critères de légitimité morale interagissent en permanence les uns avec les autres : un argument pertinent, mais de mauvaise foi (non véridique par exemple) ne sera pas valide, de la même façon qu’un argument justifié mais non pertinent (une attaque personnelle ciblant un aspect de la vie privée de la personne agressée) sera en égale mesure considéré comme non valide ou moralement incorrect.

4.5.2 Le critère de la justification

Gauthier considère que, pour être moralement légitime, un argument « doit faire l’objet, effectivement ou potentiellement, d’une démonstration » (Gauthier, 1998 : 16). La critique et les attaques doivent s’appuyer sur des données objectives, sur des preuves. Ce critère ne pose pas de problèmes dans le cas des arguments ad rem, c’est-à-dire des arguments qui portent sur le discours dont l’incohérence et les « failles » peuvent être facilement démontrées à travers les stratégies du discours rapporté (reprises, reformulation, citations, etc.). Dans le cas des arguments logiques et circonstanciels, le critère de justification exige que « l’inconsistance logique et l’incohérence pragmatique sur lesquelles ils portent soit ou puisse en principe être de quelque façon étayée » (ibid.).

Ce qui pose problème est l’application du critère de justification aux arguments ad hominem personnels :

« c’est le défaut ou la carence de la personne attaquée qui doit être ‘prouvé’ : pour pouvoir de façon légitime affirmer ‘X est incompétent’ ou ‘X est malhonnête’, il faudrait justifier ou pouvoir justifier cette incompétence ou cette malhonnêteté. » (Gauthier, 2008 : 86)

En effet, démontrer le défaut d’une personne est une affaire plus délicate ; les arguments ad hominem relèvent d’une évaluation subjective faite par le locuteur, d’un jugement de valeur plus que de fait. Il faut de nouveau établir une nette distinction entre les arguments personnels visant des traits de personnalité d’une personne directement liés à l’exercice de sa profession, et ceux renvoyant à des traits qui n’ont pas de lien avec sa profession, son statut social, etc. En conséquence, on peut par exemple accuser un politicien de malhonnêteté ou de double

246 Voir supra (partie I).

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langage parce que l’honnêteté et la transparence sont des qualités requises en politique ; l’ensemble de son discours politique fournirait dans ce cas des preuves solides. En échange, il ne serait pas approprié ni moral que l’on lui reproche d’être un mauvais père ; un tel fait sera difficile sinon impossible à démontrer de façon objective, et surtout ne sera pas pertinent.

Nous voyons donc que le critère de justification ne peut s’appliquer en toute rigueur qu’à une certaine catégorie d’attaques personnelles. En revanche, lorsque les co-animateurs de Ruquier reprochent à Rama Yade de ne pas avoir un « impact » ou « identité » politique, et apportent, pour étayer leur argumentation, des preuves objectives ; leurs attaques peuvvent passer pour appropriées car elles sont pertinentes (pour le thème du débat) et pertinemment justifiées :

(133) extrait 9

282 EZ- je voudrais revenir si vous permettez à vos résultats électoraux/\ parce que ça m’intéresse je vais pas chipoter sur les chiffres\ en gros vous avez fait aussi bien ou aussi mal qu’il y a cinq ans/\ quand vous étiez pas là je veux dire\ l’UMP/ a fait à peu près le même score\ et ce qui est intéressant c’est de mettre en parallèle avec votre énorme popularité dans les sondages/ c’est-à-dire qu’il n’y AUCUN effet entre guillemets\ Rama Yade

Généralement les actants remplissent cette exigence de justification. Toute une série de techniques discursives est mise au service de la justification mais la plus utilisée (et la plus efficace) est le discours rapporté que les participants n’hésitent pas à utiliser à tout bout de champ. Le discours rapporté est « plus qu’une simple reproduction de parole », c’est « une réelle stratégie de parole » (Vincent & Dubois, 1997 : 96) avec une forte valeur argumentative. Nous distinguons ainsi entre plusieurs types de discours rapporté :

l’autophonie (ou l’« auto-citation ») – le locuteur met en scène son propre discours : (134) extrait 3

10 EZ- ah/ délocalisation immigration c’est lié/

11 JA- non (.) l’immigration n’a absolument rien à voir avec la crise/

22 EZ- c’est le couple/ j’ai dit le couple\ pour les emplois localisables et les emplois dé- localisables

L’autophonie crée un effet discursif d’insistance et dramatise le discours. C’est donc un procédé à fonction argumentative qui permet au locuteur de réaffirmer et raffermir sa position. Pour reprendre les termes de Bres, nous avons affaire au dialogisme « intralocutif », ou à l’« autodialogisme » (Authier-Revuz 1995), où le locuteur entre en interaction avec le discours du « je », avec « ce qu’il a dit antérieurement, avec ce qu’il est en train de dire, et avec ce qu’il a à dire » (Bres, 2004 : 53).

la diaphonie, ou dialogisme « interlocutif », apparaît lorsque le locuteur entre en interaction avec le discours du « tu ». Les cas de diaphonie sont fort nombreux, le discours rapporté étant mobilisé tantôt avec un sens valorisant, tantôt avec un sens dévalorisant. Il peut y avoir aussi des cas hybrides, où nous avons affaire à des « leurres discursifs » (cf. Maury-Rouan 2001).

l’hétérophonie, ou le dialogisme « interdiscursif » est un « dialogue » avec les discours antérieurs » (Bres & Nowakowska, 2005 : 139), renvoyant au fait que chaque discours est traversé par les discours précédemment tenus par d’autres sur le même objet, de façon montrée (« hétérogénéité montrée », voir Authier-Revuz 1995), ou de façon cachée (« hétérogénéité constitutive »). Il s’agit donc d’une relation discursive du type E1(e1), où l’énonciateur enchâssant (E1) intègre dans son propre discours les propos de l’énonciateur enchâssé (e1), par rapport auxquels il marque, explicitement ou implicitement son accord ou son adhésion ; l’énonciateur enchâssé (e1) peut être, bien sûr, plus ou moins précisément

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identifié, car très souvent, il renvoie à la doxa, à l’opinion publique. Dans le cadre de ONPC, ce rapport d’interdiscursivité s’établit souvent entre les co-animateurs (voir supra) l’un d’entre eux rapportant les propos de l’autre :

(135) extrait 10

18 EZ- exactement/ il [EN] dit des copines moi je dis des copains/\ […]

Cette dimension du dialogisme interlocutif joue un rôle important dans la création de l’éthos d’ « experts » des chroniqueurs et dans la réaffirmation et le renforcement de leur rapport de coalition. En outre, l’interdiscursivité ajoute à leurs propos une fonction d’autorité et accroît leur puissance de persuasion. Aussi le recours à des citations littéraires leur permet-il de garantir la justesse de leurs propos et de mieux disqualifier le discours de leurs interlocuteurs : (136) extrait 3

6 EZ- […] pourquoi vous n’en parlez pas je me suis posé la question et je crois avoir trouvée\ ben parce VOUS-MÊME vous avais fait l’éloge du monde nomade/ VOUS-MÊME/ vous avez proposé au président de la république\ un accroissement de l’immigration/ donc en fait c’est VOTRE MONDE je vous mets pas en accusation mais vous comprenez ce que je dis\ qui s’effondre/je vous cite/ parce que c’est une phrase que l’aime BEAUCOUP Bossuet\ qui dit Dieu rit/ des gens qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes

L’hétérophonie revêt ici la forme de l’argument d’autorité :

« La fonction d’autorité est activée lorsqu’un locuteur cite des propos à ses propres fins, c’est-à-dire lorsqu’il cherche à communiquer au présent le contenu propositionnel de la citation (Vincent et Perrin 1995). » (Vincent & Turbide, 2005 : 309)

Autrement dit, le locuteur « s’approprie » un discours qui n’est pas le sien afin d’appuyer son argumentation. C’est une forme de discours rapporté qui mobilise « l’autorité d’un expert ou d’un groupe dont la compétence est reconnue dans un domaine d’activité précis » (López Muňoz et al., 2005 : 315), ce qui permet au locuteur de renforcer sa position et d’affaiblir celle de son interlocuteur : « en invalidant et en illégitimant le discours de mon propre adversaire, il m’est possible de valider et de légitimer simultanément mon propre discours » (Windisch, 1987 : 40).

4.5.3 Le critère de bonne/mauvaise foi

Ce dernier critère éthique, que nous avons appelé de bonne ou de mauvaise foi, renvoie partiellement à l’exigence de vérité ou de sincérité, au « critère de véridicité » pour reprendre la formule de Gauthier (1998). D’après Gauthier, le principe « de véridicité » stipule que le contenu des propos « doit être avéré ». Autrement dit, on peut attaquer les positions ou les idées de quelqu’un uniquement si les positions ou actions condamnées sont véritablement celles de l’opposant. Comme le principe de justification, la bonne ou mauvaise foi ne peut être utilisée que pour certains types d’arguments personnels (on ne peut pas véritablement attribuer une valeur de fausseté ou de vérité aux arguments moralement non valides dont on vient de discuter).

Mais le principe de la bonne ou mauvaise va plus loin que la véridicité ou la loi de sincérité ; être bon joueur, c’est être fair-play selon les termes du contrat de l’émission. Faire preuve de mauvaise foi, c’est faire preuve de malhonnêteté intellectuelle et argumentative ;

Mais le principe de la bonne ou mauvaise va plus loin que la véridicité ou la loi de sincérité ; être bon joueur, c’est être fair-play selon les termes du contrat de l’émission. Faire preuve de mauvaise foi, c’est faire preuve de malhonnêteté intellectuelle et argumentative ;