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À partir de 1990 : essor des mobilités et élargissement de l’espace de dispersion

Jusqu’aux années 1990, l’espace de dispersion des familles de la vallée du Río Negro concerne des lieux situés dans trois pays (Nicaragua, Honduras et Costa Rica). Dans les années 1990, il s’élargit à 6 pays de destination migratoire et 5 pays pour les mobilités circulaires. Cette dynamique illustre le tournant migratoire du pays, marqué par un accroissement de l’intensité des flux et une diversification des lieux, motivés par des raisons économiques (voir chapitre 1).

Dans les années 1990, les migrations des familles de la vallée du Río Negro sont marquées par l’essor des destinations internationales, avec l’apparition du Guatemala, du Salvador et des États-Unis comme nouveaux pôles d’attraction. Le nombre de lieux de destination recensés passe de 13 dans les années 1980 à 24 pour la décennie suivante (Figure 9).

Les destinations les plus attractives au cours de cette période sont le Costa Rica et le Salvador (6 lieux recensés dans chacun de ces pays). Au Costa Rica, les migrants se rendent vers des villes secondaires de différentes tailles143, qui leurs offrent des opportunités de travail dans le secteur agricole et la construction (Atenas, Orotina, Puerto Viejo de Sarapiqui, Alajuela, Puntarenas). Ils partent plus spécifiquement à San José, capitale du Costa Rica, pour travailler dans le secteur secondaire. Au Salvador, les lieux de destination sont également des villes de taille variable. Située sur les berges du Golfe de Fonseca144, La Unión constitue une place forte de l’industrie portuaire. Dotée depuis une dizaine d’années d’un port maritime, la ville offre de nombreuses possibilités d’emploi dans le secteur portuaire, dans le tourisme (hôtellerie) et dans les zones franches. À San Miguel, les opportunités de travail sont importantes dans le secteur secondaire (manufacture de textile) de cette grande ville. De même, la petite ville de Santa Rosa de Lima (département La Unión) et la localité rurale d’Uluazapa (département de San Miguel) sont des zones agricoles dynamiques où les migrants viennent travailler comme ouvriers agricoles (élevage bovin), tout comme dans les alentours des villes de Santiago Nonualco et Zacatecoluca dans le département de La Paz (canne à sucre) (voir chapitre 6). La vallée du Río Negro fait figure de pionnière dans le développement de cette filière migratoire. Il existe aujourd’hui des réseaux de transport structurés entre la localité d’El Granadillo (Santo Tomas del Norte) et la commune de Pasaquina (La Unión – El Salvador) (Trousselle, 2012).

143 Je propose une catégorisation de ces lieux à la section 3.2.

137 Cette commune salvadorienne est devenue un véritable lieu de double-résidence pour les habitants de la communauté d’El Granadillo comme en témoigne Maria (54 ans).

« Nous faisons sans cesse des allers retours entre ici [El Granadillo] et Pasaquina, cela fait environ 10 ans. Nous partons quelques semaines ou parfois plusieurs mois. Là-bas [Pasaquina], nous avons une maison et nos voisins sont maintenant des amis. Nous travaillons dans des fermes d’élevage et puis avec la ville de Santa Rosa de Lima à côté il y a toujours du petit commerce à faire. Mes sœurs font pareil maintenant et même de plus en plus de monde dans le village. » (Entretien conduit à El Granadillo en juillet 2012).

Au cours de cette période, Guatemala City, la capitale guatémaltèque, où l’industrie manufacturière est en plein développement145, attire des migrants.

Les départs vers les États-Unis146 se renforcent après le passage de l’ouragan Mitch en 1998. L’expérience de Justo (55 ans), résidant dans la localité de Palo Grande (Somotillo), qui a subi les effets de cette catastrophe naturelle, illustre ce type de migration.

À l’âge de 44 ans (2001), Justo décide de recourir à la migration. L’ouragan Mitch de 1998 a dévasté et altéré fortement les potentialités de ses terres, il n’arrive plus à assurer la situation de sa famille avec, pour seules activités, l’élevage et l’agriculture. Il décide de partir pour les États-Unis où résident certains membres de sa sphère familiale. Il confie ses 6 manzanas [4,2 hectares] de terre à son fils pendant son absence. Il se rend à Houston puis, un an plus tard, à La Nouvelle-Orléans. En 2005, suite au passage de l’ouragan Katrina, il rentre au Nicaragua. (Entretiens réalisés en mai 2012).

Au Nicaragua et au Honduras, les destinations des décennies précédentes perdurent dans les années 1990. De nouvelles villes au Nicaragua deviennent des destinations, comme León, Chinandega ou Managua, ces deux dernières villes étant les plus attractives. Avec la reprise de l’expansion agricole vers l’intérieur et l’Atlantique, suite à la pacification du pays, de nouvelles destinations rurales apparaissent, comme Los Chiles (San Carlos) situé sur la zone de frontière agricole à cette époque (voir chapitre 1). Des agriculteurs de la vallée du Río Negro ne parvenant pas à accéder à du foncier agricole, partent semer durant la saison sèche ou

145 Le modèle de la maquila s’est développé à partir des années 1960 en Amérique centrale et au Mexique (CEI, 2001). L’objectif était d’absorber l’excédent de main-d’œuvre urbaine suite aux migrations des ruraux, de limiter la migration vers les États-Unis (pour le Mexique) et de favoriser l’insertion du pays dans l’économie mondiale grâce aux stimulations des investissements étrangers (ibid.; Ercoreca et al., 2006). L’adoption des Plans d’Ajustements Structurels de la Banque Mondiale et du FMI dans les années 1990, donne un nouvel élan à l’industrie manufacturière avec l’adoption de différentes mesures économiques dont la promotion et la diversification des exportations.

146 La ville de San Antonio (Texas) marque l’entrée aux États-Unis. Elle est la porte d’entrée de la filière migratoire au départ de la vallée du Río Negro (voir chapitre 7).

138 s’installent définitivement dans les localités de la frontière agricole, sans pour autant rompre les liens avec leurs communautés d’origine. Du côté du Honduras, les villes de Tegucigalpa et San Pedro Sula où l’industrie manufacturière s’implante, prennent légèrement le pas sur les lieux frontaliers avec la promesse de meilleurs salaires.

Les mobilités circulaires des années 1990 suivent des tendances similaires à celles des migrations. L’espace de circulation s’élargit au Costa Rica et au Salvador, avec 17 lieux au total dans 5 pays. Au Salvador, les mobilités circulaires, et dans une moindre proportion les migrations, s’orientent vers les localités rurales et la capitale. Les habitants de la vallée du Río Negro sont employés surtout dans le secteur agricole sur de courtes périodes le temps de la saison sèche au Nicaragua. Dans les capitales, ils travaillent dans les secteurs secondaires et tertiaires.

L’élargissement de l’espace de dispersion des familles de la vallée du Río Negro se poursuit encore au cours de la décennie 2000 (8 pays et 30 lieux de destination recensés). Les États-Unis s’affirment avec l’apparition de 5 nouvelles villes de destination. Certaines de ces villes sont des destinations classiques de la migration latino-américaine (Los Angeles, Miami) tandis que d’autres villes – comme Houston, La Nouvelle-Orléans ou Little Rock – sont des filières migratoires plus spécifiques (Fernández-Armesto, 2014). Ces différentes filières se sont structurées à des rythmes différents mais elles ont pour point commun de s’orienter, aujourd’hui, vers l’ensemble des villes des États-Unis (Arreola, 2004; Giband et Lemartinel, 2009; Sluyter et al., 2015).

L’Espagne (notamment Saragosse en Aragon) et, dans une moindre mesure, le Mexique sont deux pays qui apparaissent comme destinations migratoires à partir des années 2000147. Le Mexique n’est plus seulement un pays de transit vers les États-Unis, mais aussi un pays d’installation pour des migrants qui ne parviennent pas à franchir la frontière. Certains migrants partent aussi à Cuba, notamment à La Havane pour suivre des études supérieures148.

Les mobilités circulaires au cours des années 2000 se poursuivent vers le Costa Rica et le Salvador tout comme au Nicaragua : 17 lieux dans 4 pays sont recensés. Les villes de Somotillo

147 Les premiers départs datent de 2005 parmi les individus enquêtés. Les travaux de D. Prunier (2013) dans les communes de Posoltega (Chinandega) et Palacagüina (Madriz) qui bordent la vallée du Río Negro, confirment cette date pour les départs pionniers vers l’Espagne.

148 Dans les années 1980 et durant le gouvernement sandiniste, de nombreux individus sont partis à Cuba pour suivre des études ou une formation militaire. Par la suite, ces situations deviennent peu courantes avec les changements de gouvernement, il semblerait néanmoins que certains réseaux et partenariats aient perduré entre ces deux pays.

139 et Chinandega restent les plus attractives et, dans une moindre mesure Managua et León. Les habitants de la vallée du Río Negro s’y rendent pour des durées courtes et à des fréquences régulières pour approvisionner leur commerce ou suivre des études. En revanche, le Guatemala n’est plus une destination de mobilités circulaires. La dégradation de la situation socio-politique, tout comme la raréfaction des emplois dans les manufactures, sont les principales raisons de ce changement.

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3. L’espace de dispersion aujourd’hui

Dans la continuité de la section précédente, je poursuis ici l’analyse de l’espace de dispersion des familles de la vallée du Río Negro, lié à leurs pratiques de migrations et mobilités circulaires récentes ou en cours au moment des enquêtes.

Dans cette section, deux types de données d’enquêtes permettent d’analyser l’espace de dispersion actuel : i) celles qui couvrent tous les départs recensés entre 2010 à 2016 ; ii) celles relatives à la période d’enquête proprement dite (juin 2014 - mai 2016).