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Plusieurs courants et approches sont à l’origine de la démarche de cette thèse et participent à la construction de l’objet de la recherche. Des travaux à la fois en géographie, sociologie ou économie permettent de penser le cadre analytique et conceptuel du système familial multi-localisé79 au prisme des liens entre activités et mobilités.

Appréhender la ruralité par les systèmes d’activités et les moyens d’existence

La construction sociale et idéologique des sociétés rurales en Europe, mais aussi au Sud, a longtemps été celle d’un monde paysan enraciné à un territoire-terroir, et associé à une activité unique, l’agriculture (Mbembé, 2005; Guétat-Bernard, 2007; Fréguin-Gresh et al., 2014;

78 Cette première section mobilise certains propos déjà énoncés dans des publications co-écrites avec mes directrices de thèses notamment :

Fréguin-Gresh S., Trousselle A., Cortes G., 2014, L’agriculture familiale diversifiée et multi-localisée de la vallée du Fleuve Noir au Nicaragua. In : Bonnal P. et al., « Diversité des agricultures familiales : exister, se transformer, devenir. » Edition QUAE : 95-110.

Fréguin Gresh S., Cortes G., Trousselle A., Guétat H., Sourisseau J.M., 2015, Le système familial multi-localisé. Proposition analytique et méthodologique pour interroger les liens entre migrations rurales et développement au Sud, Mondes en Développement, 172(4) : 13-32.

Ou encore certains éléments développés dans mes mémoires de stage :

Trousselle A. Les mobilités rurales au Nicaragua, au prisme du transnationalisme et des modèles d’archipels familiaux : caractéristiques et perspectives. Mémoire de fin d’études ISTOM, Cergy, 2012. 116 p.

Trousselle A. Pluriactivité et mobilité, deux composantes structurantes des espaces ruraux nicaraguayens. Quelles approches systémiques pour les appréhender ? Mémoire de Master 2 Recherche, Montpellier, 2013. 100 p.

79 La notion même de système familial multi-localisé, de toute évidence, me positionne dans le champ des approches dites « systémiques ». Sans rentrer dans le détail ici de la littérature sur cette question, elles me paraissent en effet les plus à même de décrypter les réalités complexes des phénomènes socio-spatiaux. L’approche systémique tente d’appréhender une réalité complexe qu’elle essaye de simplifier par un cadre interprétatif au service d’une question de recherche, car elle ne peut représenter que partiellement des réalités. En effet, « la démarche systémique consiste toujours à isoler un certain nombre d’éléments n, en privilégiant certains types de relations qui vont conférer à ce système une relative autonomie par rapport à un ensemble d’éléments plus vaste N. » (Lugan, 2009 : 32). Toute recherche de type systémique consiste à faire des choix, à savoir sélectionner et exclure certaines variables (n) du système (dont il fixe le N à savoir, les paramètres jugés structurants du système étudié). À noter que les choix évoqués dans le cadre de ce travail ont principalement porté sur les contours des unités d’analyse retenus.

70 Fréguin-Gresh et al., 2015). Cette vision exclusive s’est renforcée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors même que la modernisation de l’agriculture est amenée à jouer un rôle déterminant dans le développement économique et la sécurité alimentaire au Nord comme au Sud. De ce fait, notamment dans les années 1970-80, nombre de recherches en géographie et en économie rurale ont décrypté le fonctionnement des exploitations agricoles, en élaborant des typologies pour lire les transformations productives dans l’agriculture sur le temps long des sociétés rurales. Ces lectures ont été largement inspirées en France par le concept de système agraire, qui se veut certes pensé comme un système ouvert, mais qui reste principalement centré sur l’analyse des formes d’agriculture (Mazoyer et Roudart, 2002; Cochet, 2011). Ainsi, les études ont cherché à comprendre, avec une logique principalement économique, le modèle de production adéquat, ainsi que ses dotations en facteurs de production (terre, travail, capital financier). Les performances techniques et économiques se mesurent, quant à elles, à l’aune de la maximisation de la production agricole et des résultats monétaires (Gastellu, 1980; Mazoyer et Roudart, 2002).

Des recherches ont pourtant montré que les logiques des familles agricoles s’inscrivent dans un métasystème que J-L. Paul et al. (1994) appellent le système d’activité. Celui-ci peut être défini comme « un métasystème qui englobe [les activités agricoles] à côté des autres activités productives de l’exploitant et de sa famille » (Paul et al., 1994: 9). Face à ce constat d’un milieu rural diversifié, différentes approches systémiques, toutes pluridisciplinaires, montrent que les logiques familiales ne peuvent se saisir qu’en analysant l’ensemble des activités, agricoles ou non, et qu’il est nécessaire d’incorporer des éléments structurants tels que la pluriactivité dans les analyses de la ruralité. Ainsi, cette dimension a donné lieu à de multiples études (Laurent et al., 1998; Laurent et Mouriaux, 1999; Blanchemanche et al., 2000; Laurent et al., 2003; Biba et Pluvinage, 2006; Dufumier, 2006). Ma démarche de recherche s’inscrit pleinement dans l’héritage de ces travaux, en empruntant en particulier à P. Gasselin et al. (2014) certains points de leur synthèse théorique sur la notion de système d’activité (voir section 1.2).

Suivant une autre logique, intégrant la diversification rurale mais aussi la durabilité et les dimensions non marchandes, le cadre de référence des Sustainable Rural Livelihoods (SRL) propose de caractériser les moyens d’existence des familles rurales. Ceux-ci correspondent aux capacités, aux actifs, à savoir les ressources, les dettes et les créances, ainsi que les activités requises à un mode de vie. Ils sont appréhendés par les dotations en capitaux (humain, social, naturel, physique et financier) et les stratégies des familles rurales (de natures diverses) (Chambers et Conway, 1991; Ellis, 1998). Le cadre SRL, bien que principalement développé

71 dans les champs de la sociologie et de l’économie rurales, est particulièrement pertinent pour engager une géographie des pratiques familiales et des stratégies d’existence. Comme je le développerai plus précisément par la suite, j’emprunte au cadre SRL l’approche par les stratégies familiales et les moyens d’existence, sans pour autant adopter de façon systématique une lecture par les actifs et les dotations. En revanche, et de façon complémentaire, je m’inspire largement des travaux de P. Couty (1987) qui s’intéressent aux liens intra-familiaux et aux articulations entre résidence, consommation, production et accumulation.

Ainsi, les approches du cadre SRL, et surtout celles mettant en avant la notion de système d’activité, fondent une grande partie de la démarche adoptée dans cette recherche. Elles demeurent cependant incomplètes pour penser le système familial multi-localisé. Car, malgré la reconnaissance d’un espace rural non réductible aux activités agricoles, ces approches n’ont traité qu’en creux la question des mobilités spatiales. La difficulté à désancrer les analyses du lieu de la production agricole conduit à la minimisation, voir à l’occultation, des pratiques de mobilité des familles rurales (dans ses formes plurielles), des phénomènes de pluri-résidence, ou encore de l’éclatement de la consommation et de l’accumulation dans leurs dimensions spatiales (Cortes, 2011; Sourisseau et al., 2012; Ancey et Fréguin-Gresh, 2014). Par ailleurs, elles ne prennent en compte que de façon très partielle les temporalités de la construction des stratégies de moyens d’existence ou des systèmes d’activité. À ce titre, P. Gasselin et al. (2014) prônent la nécessité de considérer la « dynamique des systèmes d’activités » et de « questionner les différentes échelles temporelles de l’action et des prises de décisions » (Gasselin et al., 2014: 115), point sur lequel je reviens par la suite.

Intégrer la mobilité spatiale dans l’étude des ruralités : Nouvelle Économie des Migrations, transnationalisme et circulation migratoire

Le paradigme de l’exode rural a longtemps été dominant dans les recherches relatives à la place des migrations dans les recompositions des sociétés rurales et agricoles, tant au Nord qu’au Sud. En cohérence avec les perspectives qui placent l’agriculture au cœur des enjeux de la ruralité, les approches néo-classiques considèrent la migration comme un mécanisme de prélèvement et de transfert d’une main-d’œuvre excédentaire vers la ville, conséquence de la modernisation des campagnes et du phénomène conjoint d’urbanisation des sociétés (Todaro, 1969). La vision opposée, corollaire de ces approches, et inspirée des perspectives néo-marxistes, consiste à penser la migration plutôt comme un élément déstabilisateur des économies familiales, un facteur de « prolétarisation » des paysanneries et de perte de

main-72 d’œuvre, ou encore comme un facteur d’accroissement des inégalités selon la théorie des causalités cumulatives (Lewis, 1986 et Myrdal, 1957 cités par de Haas, 2010). À partir des années 1980, la Nouvelle Économie des Migrations de Travail (NEMT), développée notamment par O. Stark et D. E. Bloom (1985), a permis de repenser la place des migrations dans les économies familiales. Ce courant propose en effet de se démarquer des approches qui placent au cœur des processus de décision les motivations et les rationalités strictement individuelles, en invitant à appréhender la migration dans ses dimensions collectives et familiales. Rejoignant en quelque sorte l’approche SRL, ce courant met au centre de sa proposition l’analyse des moyens d’existence des familles (bien que le terme ne soit pas celui de la NEMT). La migration est pensée dans le cadre des relations et des rapports sociaux intra-familiaux, alors conçue comme une stratégie de partage et d’atténuation des risques au sein des ménages et des familles80.

La migration pensée comme stratégie familiale renvoie en réalité à d’autres travaux, notamment en géographie, qui ont questionné la dimension stratégique de la mobilité au regard de pratiques anciennes en milieu rural. Le mythe de la sédentarité et de l’immobilité paysannes est en effet depuis longtemps questionné sous l’angle des relations villes-campagnes et des interdépendances que crée la mobilité des personnes, des échanges et des revenus (Amselle et al., 1978; Skeldon, 1990; Peemans, 1995; Chaléard et Dubresson, 1999; Fliche, 2006). Nombre de travaux au Sud, notamment dans les années 1990-2000, témoignent de l’ancienneté des mobilités rurales. Celles-ci ne signifient pas une rupture entre les lieux d’origine et de destination, ni une fragmentation de la cohésion de la famille. Ces phénomènes sont tout autant observés en Asie du Sud (Landy, 1994; Racine, 1994; Bruslé, 2006; Aubriot et Bruslé, 2012), en Amérique Latine (Quesnel et Vimard, 1991; Cortes, 2000; Eloy, 2005; Baby-Collin et al., 2009) ou encore en Afrique (Lesourd, 1997; Tacoli, 1998; Lima, 2000; Guétat-Bernard, 2005). Ces travaux actent la voie du changement de paradigme dans l’étude des migrations internes, mais également internationales, qui ne sont plus regardées seulement comme un transfert définitif d’individus d’un lieu vers un autre, mais dans la continuité de liens qui relient les espaces d’origine et de destination.

À ce titre, les travaux sur le transnationalisme, ciblant cependant exclusivement les migrations internationales, ont poussé à bout cette remise en cause des visions segmentées entre espaces

80 Pour une analyse détaillée des différents courants de pensée qui ont alimenté la réflexion sur le lien entre migration et développement, voir entre autres l’article de synthèse H. De Haas (2010) ou encore la thèse de Sara Mercandalli (2013).

73 d’origine et de destination. Le concept de transnationalisme dans l’étude des migrations, remettant en cause « les modèles assimilitationistes de l’intégration des migrants » (De Haas, 2010: 26), a été introduit aux États-Unis par des anthropologues qui en proposent une première définition en 1994, largement reprise par la suite. Selon ces auteurs, le transnationalisme reposerait sur des : « procédés par lesquels les migrants forgent et maintiennent des relations sociales multiples, et créent de la sorte des liens entre la société d’origine et la société où ils s’installent. Nous appelons ces procédés « transnationalisme » pour insister sur le fait que de nombreux immigrés construisent aujourd’hui des sphères sociales qui traversent les frontières géographiques, culturelles et politiques traditionnelles. Un élément essentiel du « transnationalisme » est la multiplicité des participations des immigrés transnationaux à la fois dans le pays d’accueil et d’origine »* (Basch et al., 1994: 7). Depuis lors, les conceptualisations du transnationalisme n’ont cessé de croître et de produire, dans le même temps, d’importantes critiques (Kivisto, 2001; Levitt et Jaworsky, 2007; Potot, 2018). Toutefois, les travaux précurseurs sur le transnationalisme, tout comme ceux dans cette lignée ont été fondamentaux dans le renouvellement des recherches sur les migrations et, du point de vue de cette thèse, sur leur rôle en milieu rural au Sud (Kearney, 1991; Rouse, 1991; Portes, 2001; Faret, 2003; Cortes et Faret, 2009; Lacroix, 2014, entre autres).

Ces travaux, dans les divers champs des sciences sociales, ont permis de mettre à jour l’importance à donner aux flux et aux liens complexes et multidirectionnels que les migrants maintiennent avec leurs familles, restées dans leur territoire d'origine. Par conséquent, les études transnationales s’accordent sur le rôle majeur des liens et des réseaux sociaux qui relient les membres de part et d’autre des frontières (Glick Schiller et al., 1992; Basch et al., 1994), rejoignant ainsi les nombreux travaux développés en France sur les champs et les circulations migratoires81 permettant le maintien de ces liens (Ma Mung et al., 1998; Cortes et Faret, 2009). Ainsi, le transnationalisme reposerait sur la structuration d’un champ migratoire (Simon, 2008) ou d’un champ social (Brettell, 2003; Faist, 2000). Il peut être regardé sous plusieurs angles selon qu’il se rapporte à une dimension économique, politique et socioculturelle, mais aussi depuis plusieurs unités socio-spatiales : la communauté, le village, la famille, l’individu-transmigrant (Guarnizo et Diaz, 1999; Portes et al., 1999; Itzigsohn et Saucedo, 2002).

81 B. Lautier (2006) identifie quatre types de circulations : les biens matériels et immatériels, l'argent et la finance, les personnes et les signes, les symboles et les normes. Les multiples facettes qui composent le « transnationalisme » reprennent ces différentes catégories (Lautier, 2006).

74 De ce fait, les travaux sur la « famille transnationale » intéressent tout particulièrement le propos de cette thèse. Elle est définie comme « un nouveau modèle familial caractérisé par la dispersion des membres d’une famille à travers les frontières nationales et par le maintien actif des contacts entre eux […] [dont la structure] est, selon le cas, l'unité domestique, la maisonnée, la famille élargie ou une combinaison de toutes ces catégories » (Le Gall, 2005: 38). La famille transnationale a particulièrement été analysée du point de vue de l'impact de l'expérience migratoire sur les reconfigurations et les dynamiques familiales ainsi que sur les interactions entre parents dans la distance (Le Gall, 2005; Razy et Baby-Collin, 2011). La notion rejoint, sur de nombreux points, celle de système familial multi-localisé dans le sens où elle renvoie au fonctionnement d’une famille dispersée vivant dans des territoires distants. Sa pertinence, cependant, demeure circonscrite à l’étude des migrations inter(trans)nationales et au référentiel qu’est l’État-nation. Or cette thèse entend embrasser la diversité des pratiques et des formes de la mobilité des familles rurales, à la fois aux échelles internes et internationales, à la fois selon leur caractère durable, temporaire, circulaire et saisonnier. Elle entend ainsi rompre avec les traditions de recherche sur les mobilités qui demeure fragmentée entre les spécialistes des migrations internationales et des sociétés transnationales, ceux des migrations internes rurales-urbaines ou encore ceux des mobilités inter et intra-rurales-urbaines.

Se positionner depuis la « famille » dispersée

Nombreux sont les travaux qui ont pris acte de la nécessité de dépasser la stricte échelle de l’individu dans l’analyse des transformations sociales et spatiales, et plus particulièrement dans l’étude des mobilités. La famille, en tant que collectif défini par le lien de parenté direct ou indirect (ce qui « est » famille), mais aussi par des liens sociaux (ce qui « fait » famille), est une unité à géométrie variable, socialement, culturellement et historiquement construite. Je ne reviendrai pas ici sur l’abondance des travaux en anthropologie, sociologie, histoire ou encore en démographie qui illustrent cet aspect, et qui ont débattu entre autres de la diversité des structures familiales dans le monde, de leur fonctionnement ou encore leurs reconfigurations actuelles (croissance des familles monoparentales et recomposées, individuation des relations intra-familiales).

La définition de la famille, la plus communément admise, est celle de la famille nucléaire formée d’un couple – généralement de sexe opposé – et des enfants qu'il a engendrés ou sur lesquels il a une autorité (adoption), ayant une résidence commune (formant ainsi un ménage ou une unité domestique). La famille est alors définie par « la cohabitation et la coopération

75 socialement reconnues d'un couple avec ses enfants » (Kellerhals et al., 1984: 7). Cette définition ne permet bien évidemment pas de rendre compte de la diversité des situations et des fonctionnements familiaux que l’on peut rencontrer dans le monde (famille élargie, confrérie familiale, etc.), ni de la multiplicité des dimensions que recouvre le concept de famille.

Dans le contexte rural du Nicaragua, la famille nucléaire est le modèle prégnant, ce qui n’exclut pas des logiques résidentielles embrassant les liens de parenté élargie, comme je le développerai tout au long de ma thèse. La spécificité de la famille nicaraguayenne tient cependant à la combinaison d’un héritage colonial espagnol et d’un héritage de culture indigène, laquelle aurait eu pour principal effet l’acceptation dès le 17ème siècle de la liberté sexuelle ouvertement pratiquée (Fernández Poncela, 1999). Cette hybridation de modèles ainsi que les transformations structurelles ou conjoncturelles du pays (urbanisation, guerre civile, catastrophes naturelles) expliqueraient aussi, en partie, la désintégration et l’instabilité qui caractérisent la famille des milieux populaires urbains et ruraux du pays, au cours de la période fin 19ème siècle et 20ème siècle. Ces processus auraient également conditionné la répartition des rôles à la fois de la femme et de l’homme comme chef·fe·s de ménage. La mère exercerait son rôle de cheffe du ménage aussi bien au sein de sa famille nucléaire que du groupe familial élargi concernant les individus vivant sous son toit. Néanmoins, le père exerce une domination sur le plan idéologique et une certaine autorité sur la famille. Il reste néanmoins associé à l’absence et l’irresponsabilité, aujourd’hui encore (ibid.).

Au-delà de la question de la structure familiale, des rapports sociaux et des rôles qui organisent son fonctionnement – points sur lesquels je reviendrai –, c’est surtout celle des liens familiaux qui intéressent mon propos. Tout comme T. Pfirsch le propose (2011), il s’agit de questionner au final la validité de deux idées de plus en plus communément admises. La première est qu’ « […] à la famille traditionnelle de la société rurale centrée sur la préservation d'un patrimoine grâce à une entraide importante entre parents, et donc nécessairement territorialisée, s'opposerait la famille contemporaine centrée sur les relations personnelles entre des individus indépendants économiquement de leur parenté, et où l'enracinement spatial et communautaire n'est donc plus indispensable. » (Pfirsch, 2011: en ligne). La seconde serait celle d’une convergence des modèles familiaux dans les pays occidentaux, mais dont on peut supposer qu’elle se diffuse également dans les pays du Sud, lié à « l'essor des valeurs d'autonomie individuelle » remettant en cause la « force des liens de parenté » (Pfirsch, 2011: en ligne). La notion de système familial multi-localisé présuppose au contraire que la distance spatiale induite par les mobilités et les migrations ne conduit pas

76 nécessairement à une déterritorialisation de la famille, ni même à un délitement et une individuation du lien social familial.

Ainsi, ma recherche s’inscrit dans la continuité de toute une série de travaux qui regardent les organisations des familles (nucléaires et/ou élargies) du point de vue des liens qui se nouent entre ses membres, quelle que soit leur localisation résidentielle, donc à la fois dans la proximité et la distance spatiale (Rosental, 1999; 2002). Le lien familial, sous ses formes plurielles, est donc au cœur de ma thèse dans la mesure où, précisément, il est susceptible de faire « système » pour la famille multi-localisée. À ce titre, je mobilise un courant de pensée anglo-saxon qui a émergé dans les années 1970 en opposition à la thèse notamment de T. Parsons (1973) sur la nucléarisation de famille comme forme dominante des sociétés actuelles ou encore aux thèses, comme celle de L. Roussel (1999), qui affirment le déclin de la famille. Ce courant est principalement porté par des auteurs comme V.L. Bengtson (1976; 1991), E.L. Roberts (1990), D.J. Mangen (1988). Il fait écho en France à divers travaux en sociologie (Pitrou, 1978, 1991; Attias-Donfut, 1994, 1995; Bonvalet et al., 1999; Attias-Donfut et al., 2002; Hillcoat-Nallétamby et al., 2002; Bonvalet, 2003). La force de ce courant, mobilisant pour la plupart les méthodes d’enquêtes biographiques, est qu’il se focalise sur les dynamiques et processus qui animent la famille plutôt que de chercher à catégoriser des « structures » familiales. En effet, « les différents types de relation que les ménages entretiennent avec leurs