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Chapitre 3 : Singularités et positionnement de la recherche

A. La part différentielle de l’offre de transport comme agent principal de la sensibilité

renvoient tous dans leur fondement à l’agent de la sensibilité. On ne peut en effet être sensible « qu’à quelque chose ». Concevoir la sensibilité nécessite ainsi que soit tout d’abord envisagée l’abstraction de cet agent faisant naître une réponse ou la potentialité d’une réaction des acteurs. Or, les dirigeants d’entreprise sont-ils foncièrement sensibles à l’infrastructure linéaire, à la grande vitesse ferroviaire, au gain de temps de trajet, aux nouveaux temps de parcours en TGV ou à d’autres stimuli éventuels en lien avec la nouvelle offre de transport ? Cette interrogation n’est pas anodine. Elle est intrinsèquement attachée à l’existence d’une sensibilité plurielle des acteurs.

Assurément, l’objet de notre recherche n’est pas l’infrastructure en soi dans sa dimension matérielle et technique (cf. chapitre 1), mais bien les caractéristiques temporelles et spatiales nouvelles qu’elle engendre, en ce qu’elle permet de rapprocher temporellement certains points de l’espace géographique (Klein, 1992). Cette configuration renouvelée de l’offre ferroviaire introduite par la LGV BPL nécessite en outre d’être appréciée en termes relatifs et non absolus. Aussi, contrairement aux éléments courants de la communication institutionnelle, le degré de perception ne dépend-t-il pas

140 Les auteurs définissent une « action transport » comme « toute mesure qui est de nature à modifier pour une

région ou un ensemble de régions les caractéristiques de l'offre de transport, qu'il s'agisse d'une amélioration ou d'une détérioration : la construction d'une infrastructure, la fermeture d'une ligne de chemin de fer, les modifications de tarifs, d'horaires ou de fréquences sont des actions transport » (Bonnafous et Plassard, 1974, p. 210). Pareille spécification se rapproche ainsi de ce que nous appellerons « événement LGV ».

fondamentalement de l’extension de la grande vitesse ferroviaire141, d’un gain de temps maximal142 ou d’un meilleur temps de parcours de x ou y minutes entre deux gares143. Raisonner de la sorte serait faire abstraction de la situation initiale du système de transport et postuler une déconnexion totale des individus avec leur territoire-environnement. On souligne par conséquent que « l'important n'est pas l'offre additionnelle de transport qui est ainsi suscitée, mais la variation relative par rapport à l'offre de transport existante » (Bonnafous et Plassard, 1974, p. 231 ; cf. introduction générale, figures 3et 4). En d’autres termes, la part différentielle de l’offre de transport apparaît scientifiquement la

plus cohérente pour appréhender la sensibilité des acteurs économiques.

Il ne s’agit en aucun cas d’affirmer que les gains de temps, les fréquences TGV supplémentaires ou les nouveaux temps de trajet ne peuvent être valorisés par les dirigeants d’entreprise, mais plutôt qu’ils ne sauraient être des agents discriminants de la sensibilité des acteurs qu’à condition qu’ils soient replacés dans un contexte évolutif (Garmendia et al., 2008). Celui-ci comprend, en sus du nouveau « devis de service ferroviaire » proposé aux individus, certains projets d’aménagement intégrés, en synergie ou en congruence avec l’offre nouvelle de transport (Martínez Sánchez-Mateos et Givoni, 2009 ; Bérion, 2011 ; Carrouet, 2013 ; Salmon 2013). On ne peut alors négliger un travail complémentaire de recueil d’informations quantitatives et qualitatives quant aux dotations initiales économiques et infrastructurelles des agglomérations (données générales de l’Insee), aux trajectoires économiques et aux mobilités en cours144. Les études engagées dans le cadre de l’observatoire ont par ailleurs contribué à évaluer l’image et l’attractivité des territoires ainsi que l’effort institutionnel d’accompagnement de l’« événement LGV ». Les travaux ministériels réalisés sous la houlette respective de Jacques Chevalier et de Jean-Yves Paumier témoignent d’ailleurs de la nécessité impérieuse de ne pas distinguer l’accessibilité accrue en TGV du contexte territorial (Chevalier et al., 1990 ; Paumier, 1990).

Ce faisant, délier le système de transport et les dynamiques économiques n’est pas chose souhaitée dans notre recherche, et ce pour deux raisons principales. La première résulte de la difficulté, voire de l’impossibilité (Frémont, 2014), de distinguer dans les discours des dirigeants l’incidence directe de l’accessibilité accrue et celle imputable aux contextes interne ou externe à l’entreprise. La seconde tient au caractère permissif des infrastructures de transport (Bérion, 1998 ; cf. chapitre 1), qui ne sont que des supports à l’exercice de l’activité et des outils à la rencontre physique entre individus (Blanquart, 1998). Isoler la contribution nette de la LGV BPL pour un chef d’entreprise n’a donc guère de sens tant l’infrastructure entre en congruence avec les fondements et la réalisation de ses activités.

141 On ne saurait parler des potentielles transformations territoriales en lien avec la grande vitesse ferroviaire

dans le Grand Ouest car d’une part, le territoire fait déjà l’expérience de la LGV Atlantique et que d’autre part, la grande vitesse ne concerne qu’une portion minoritaire des liens interurbains dans notre périmètre d’étude. Pour rappel (cf. chapitre 1, p. 22), l’Union internationale des chemins de fer (UIC) détermine le seuil de la grande vitesse au-delà de 250 km/h sur ligne dédiée (Directive 96/48 EC).

142 Si tel était le cas, les entreprises finistériennes situées à l’extrémité occidentale du réseau ferroviaire national

se montreraient les plus sensibles puisqu’elles bénéficient avec le programme Bretagne à Grande Vitesse et la refonte horaire de mi-2017 des gains de temps maximaux les plus importants du Grand Ouest (cf. chapitre 4).

143On peut aisément comprendre par exemple que des acteurs dorénavant à 2h de TGV de Paris n’apprécient

pas de manière similaire le changement éventuel selon qu’ils étaient auparavant à 3h ou à 4h de TGV de Paris. Pour Bazin et al., (2006, p. 147), « la diminution de la durée du déplacement à Paris […] ne peut influer réellement sur les comportements que si le temps de parcours initial était lui-même important ».

144 A travers notamment l’exploitation du fichier MobPro sur les données détaillées des déplacements domicile-