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Chapitre 2 : Le fonctionnement spatial des activités économiques : une approche théorique du

B. Le modèle de localisation des activités industrielles de Weber

1.2 Influences des lieux et liens économiques : ébauches de l’interaction

Alors que les modèles fondateurs de von Thünen et de Weber privilégient amplement la localisation des producteurs (Claval, 1984), les consommateurs faisant eux l’objet d’une représentation ponctuelle dans laquelle les mécanismes de l’échange sont très peu explicités (Lejoux, 2007), August Lösch

(1940)77 intègre la localisation des acteurs producteurs et consommateurs. En rapprochant la demande des productions agricoles et activités industrielles78, il dépasse ainsi l’équilibre partiel auquel

76 « Alfred Weber has thus succeeded in laying bare the fact that transportation costs are theoretically the most

fundamental element determining location, because it is only in relation to these two fundamental figures, the material index and the locational weight, that general rules can be stated whose application to particular industries shows significant alterations for each industry » (Weber, 1909, traduction de Friedrich, 1929, p. 26). Pour comprendre l’importance des coûts de transport, il faut avoir à l’esprit que la houille, principale source d’énergie à l’époque, est particulièrement pondéreuse.

77Dans cette section, nous nous appuyons principalement sur la lecture de la traduction en anglais du livre

principal de Lösch « Die Raumliche Ordnung der Wirtschaft » (seconde édition révisée, 1953) par William H. Woglom et Wolfgang F. Stolper en 1954. Le document est accessible à l’adresse suivante (consulté le 08 mars 2018) : https://ia801408.us.archive.org/27/items/economicsoflocat00ls/economicsoflocat00ls.pdf

78 La dimension des services (l’auteur indique bien plus largement des « non-agricultural enterprises ») est

également développée, à travers notamment l’exemple de la localisation des banques dans le chapitre 21. Walter Christaller (1933), auquel August Lösch est souvent comparé, privilégiera plus explicitement les activités de services dans ses travaux sur la hiérarchisation des lieux. Il s’agit néanmoins à l’époque de services presque

aboutissent ces deux prédécesseurs pour tenter d’atteindre un équilibre général associant plusieurs biens (Ponsard, 1956). La distance impose toujours des contraintes à la circulation des biens, mais le

coût du transport n’est plus l’unique effecteur de l’organisation spatiale des agents économiques79

(Pinchemel, 1961). Les localisations ne sont plus considérées isolément, elles sont en interrelation et en dynamique80 au sein de l’espace économique. Les entreprises sont désormais en concurrence.

Notre propos n’est pas ici de résumer la recherche ambitieuse d’August Lösch, au demeurant particulièrement volumineuse et assez difficilement accessible. Nous risquerions au reste fort de la desservir, car en réalité sa contribution recouvre un ensemble théorique vaste, de la localisation des activités agricoles et industrielles à l’équilibre économique, en passant par les régions économiques et les lieux centraux81. Empruntant à chacune des étapes de sa pensée, les quelques éléments qui suivent synthétisent les principaux apports de Lösch sur les comportements spatiaux des entreprises, en lien avec notre positionnement ou notre objet de recherche :

- En concevant une analyse conjuguée des paramètres d’offre et de demande des biens et services (Greenhut, 1956), l’auteur entrouvre l’étude des comportements généraux de localisation conjointe de l’ensemble des acteurs. Son apport majeur consiste à lier de manière dynamique les prix, la demande et la localisation des activités. Le paysage économique qu’il définit impliquant un spectre large des activités de l’époque, des tests sur le modèle mathématique de base permettent d’évaluer l’incidence de facteurs « naturels » (disponibilité des ressources, lacs, carrefours…), d’éléments politico-économiques (frontières, taxes, politiques étatiques…) ou humains (pratiques culturelles, savoir-faire locaux…). Malgré des démonstrations partielles, le projet scientifique de Lösch contribue ainsi à appréhender deux facteurs simultanés majeurs de l’analyse économique que sont l’espace et

le temps (Ponsard, 1956). Cet état de la pensée est fondamental pour qui souhaite comprendre

l’évolution des comportements socioéconomiques d’acteurs géographiquement situés. William Bunge (1962), partisan de l’avancée de la discipline géographique par l’appréciation théorique du mouvement (Cresswell et Merriman, 2011), fera d’ailleurs d’August Lösch l’un des pionniers de la recherche sur l’interaction spatiale.

- A la différence de von Thünen et de Weber,Lösch fait de la demande le paradigme initial de son analyse déductive de l’organisation spatiale des agents économiques. La localisation optimale n’est plus au point qui minimise les coûts mais à celui qui maximise le profit82, ce dernier étant entendu comme la différence entre le revenu et le coût global. Les coûts de transport du produit final ne sont d’ailleurs plus à la charge du producteur mais supportés par l’acheteur, introduisant ainsi l’idée du

exclusivement banals à la population, qui ne correspondent pas aux objets de notre recherche que sont les services spécialisés aux entreprises.

79 « In addition to freight there is another restraining influence: competition » (Lösch, 1953, traduction de

Woglom et Stolper, 1954, p. 211). L’auteur ajoute également des facteurs immatériels et subjectifs : « Thus, over and above its immediate costs, distance plays a role in everything that is individual and that presupposes thorough knowledge and confidence—a role that men often neglect to their cost » (p. 213).

80 August Lösch échouera pourtant à se défaire – ou selon d’autres auteurs ajournera – d’une théorie statique

nécessaire à son analyse spatiale (Ponsard, 1956).

81 C’est pour cette dernière théorie que Lösch est principalement connu, en comparaison fréquente aux travaux

de Christaller, alors que ces développements occupent une place mineure dans la pensée globale de l’auteur.

82 « In a free economy, the correct location of the individual enterprise lies where the net profit is greatest »

déplacement des individus dans des logiques circonscrites au fret par les deux devanciers de Lösch

pré-mentionnés.

- La combinaison des aires de marchés des différents biens conduit, sous l’effet de la concurrence, à la

spécialisation spatiale de la production au sein de régions économiques hiérarchisées. Alors que la

théorie classique pose la nation comme échelle du commerce international, Lösch implante les échanges économiques au niveau infra-national des régions économiques. Il préfigure ainsi les bases du développement de la science régionale initié par Walter Isard83. En fonction de leur position relative, des lieux de dimension comparable ne produisent pas obligatoirement des biens identiques84. Des mécanismes d’échanges prennent dès lors forme entre des lieux de rang différent, établissant des

relations interpersonnelles ancrées dans l’espace que sous-tendent les réseaux d’interdépendance économique85. On est de sorte tenté de voir à travers la contribution d’August Lösch, à l’instar de Denise Pumain, « une théorie plus générale qui pourrait être une théorie évolutive des systèmes de villes86 » (Pumain, 2004, p. 4).

- De manière concomitante à la spécialisation économique, la concurrence met en évidence, au-delà des coûts de transport, le rôle des économies d’échelle et des externalités d’agglomération dans la

localisation des entreprises. D’une part, la portée de marché dépend du type de bien vendu par le

producteur. Pour les biens anomaux (c’est-à-dire peu banals), qui font l’objet d’une consommation peu fréquente et qui présentent des aires de marché importantes, les rendements croissants tendent donc à une production optimale centralisée. D’autre part, des forces d’agglomération recherchées apparaissent à travers l’interrelation des acteurs analogues, mais aussi de façon fortuite ou exogène87, insérant l’œuvre de Lösch dans le sillage des travaux précurseurs d’Alfred Marshall88.

83 Celui-ci reprendra d’ailleurs les apports de Lösch, reconsidérant en particulier la définition des aires de marché

en la confrontant à des consommateurs non uniformément localisés.

84 Cette diversité dans les caractéristiques des places similaires constitue l’une des différences notables avec la

théorie formulée par Walter Christaller, même si ce dernier les réintroduit ensuite pour montrer les facteurs déviants par rapport à l’ordre optimal théorique.

85 On passe ainsi du principe de représentation auréolaire de la localisation chez Von Thünen, à celui punctiforme

chez Weber puis à celui du réseau chez Lösch (Belhedi, 2010).

86 Selon Denise Pumain, un système de villes est « un ensemble de villes rendues interdépendantes dans leurs

évolutions par leurs multiples connections » (2006, p. 3).

87 En page 10 de son ouvrage, l’auteur différencie les économies d’agglomération résultant de la production d’un

bien similaire (que l’on qualifie fréquemment d’externalités de localisation « marshaliennes ») et celles provenant de la production de biens différents (qualifiées d’économies d’urbanisation « jacobiennes ») (Duranton et Puga, 2001). Les facteurs fortuits concernent globalement des caractéristiques initiales des lieux favorisant la concentration, à l’instar d’une position de carrefour dans le réseau de transport.

88 Paradoxalement, l’ouvrage de 520 pages de Lösch ne référence Alfred Marshall qu’une seule fois, pour une