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Chapitre 1 : Transport ferroviaire et développement local : indéterminations théoriques et

A. Dimension individuelle : besoins et capacités de déplacement, perception et

La dimension individuelle fait référence aux comportements des individus qui interagissent avec le système des déplacements et l’environnement physique. Une approche pertinente de l’accessibilité nécessite donc une compréhension fine des besoins de déplacement des agents économiques. Mais l’appréhension se doit d’être étendue, au-delà des besoins, aux attentes et ressentis des individus vis- à-vis du déplacement (Halden, 2002 ; cf. chapitre 5). En effet, il existe une accessibilité mesurée,

Evolution du trafic

Congestion Evolution des prix Agglomération

Restrictions temporelles Restrictions temporelles Perception de l’espace Besoins et capacités

ACCESSIBILITE

Mobilité

Proximité

Densité Mixité Qualité Connectivité Vitesse Capacité Fiabilité Prix

Dimension individuelle

Dimension temporelle

Rétroactions potentielles

Dimension

objectivée, et une accessibilité perçue. Plusieurs études empiriques et hédoniques menées aux Etats- Unis (Soot et Kawamura, 2000 ; Kawamura, 2004) ont ainsi mis en évidence un décalage entre, d’une part, les mesures et le discours politique sur l’accessibilité et, d’autre part, l’expérience des usagers et leur définition plus triviale de l’accessibilité53.

Le sociologue Vincent Kaufmann souligne l’importance de la perception et de l’appropriation à travers le concept de motilité, qu’il définit comme « la manière dont un individu ou un groupe fait sien le champ du possible en matière de mobilité et en fait usage pour développer des projets » (Kaufmann, 2004, p. 5). Le géographe Jacques Lévy avance lui l’idée de « capital spatial » (Lévy, 2003). Cette approche invite l’analyste à ne pas réduire la mobilité aux seuls déplacements observés mais à s’interroger sur les processus individuels et collectifs de construction de potentiels n’ayant pas nécessairement pour finalité de conduire au déplacement. A travers plusieurs études empiriques, Kaufmann montre en effet que « de nombreux individus se dotent d’accès et de compétences non pas pour être mobiles, mais au titre d’assurance contre des risques de toutes sortes, de sécurité pour ne pas être pris au dépourvu dans des situations très variées allant de la vie quotidienne à la carrière professionnelle » (Kaufmann, 2002, p. 108). Nous verrons que l’entreprise, en tant qu’institution, n’est pas étrangère à ces raisonnements (cf. chapitre 5).

Il serait alors réducteur sinon erroné de ne pas intégrer dans l’appréhension de l’accessibilité la

dimension perceptive des opportunités et les attentes des individus vis-à-vis de l’environnement physique (Chardonnel et al., 2008), car l’espace n’a de sens qu’à travers les perceptions que l’individu

peut en avoir (Bailly, 1977). Le concept de temps, non plus, n’échappe pas à la subjectivité ni aux représentations. Jean Ollivro prend par exemple appui sur une étude conduite auprès des usagers du TGV dans le Grand Ouest, auxquels on demandait : « Percevez-vousle temps comme court ou long ? Vous gagnez un quart d’heure entre Rennes et Paris, est-ce que c’est important ? Les gens répondaient que c’était important. Mais quand on leur disait 15 minutes : ‘‘Ah non je ne suis pas à 10 minutes près’’ »54. Une telle variabilité soulève des enjeux méthodologiques non négligeables – bien que somme toute classiques – quant à la formulation du propos lors des entretiens avec les responsables d’entreprise (cf. chapitre 3)55.

En outre, il s’agit d’inclure dans une analyse systémique les processus d’appropriation et les capacités. Des capacités qui peuvent être d’ordre physique – le vocable d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite est particulièrement en vogue – mais également social, psychologique ou financier. A travers l’étude de la capacité à, l’analyste entrevoit les barrières et la variété des ressources nécessaires à l’appréhension de l’espace et des transports à la fois pour l’usage et le non-usage (Farrington, 2007). En première analyse, on serait tenté de voir dans la figure des dirigeants d’entreprise et de leurs salariés mobiles l’archétype d’individus largement dotés de ces ressources. Nous verrons pourtant que de nombreux facteurs sociaux, relatifs notamment à la sphère personnelle, mais également

53 Kawamura constate en effet l’écart entre la compréhension technico-politique et populaire de l’accessibilité :

« what respondents were evaluating was neither accessibility (in the way commonly understood by planners) nor mobility in the conventional sense; instead, lay persons associate the term “accessibility” with levels of convenience or frustration experienced while traveling » (Kawamura, 2004, p. 26).

54 Source : intervention à TEDx Rennes en juillet 2013 intitulée « L'évolution de la nouvelle économie des

territoires vers le "glocal" », accessible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=9jrAzA-cFAg

55 En ce sens, n’évoquer que les meilleurs temps de parcours sur un trajet donné n’est pas sans conséquence

potentielle sur l’appréciation des interlocuteurs, car la différence avec les temps de parcours moyens est parfois importante (cf. introduction générale, figure 3, p. 12).

psychologiques ou financiers, influencent et limitent le regard des acteurs économiques sur la nouvelle offre ferroviaire dans le Grand Ouest (cf. chapitres 4 et 5).

L’accent sociologique et psychologique que revêtent ces considérations n’est d’ailleurs pas étranger à certaines querelles entre disciplines scientifiques. Parmi les quatre dimensions de l’accessibilité, la dimension individuelle est sans doute celle qui cristallise le plus les débats théoriques et méthodologiques. Elle reflète en effet un clivage disciplinaire entre sciences humaines et économiques concernant le processus décisionnel et l’acte de déplacement. Les divergences sont particulièrement sensibles autour du principe de rationalité et les critiques sont principalement formulées par les sociologues, psychologues et géographes à l’encontre de l’approche économique néo-classique de la demande de transport.

Le débat sur la rationalité se concentre sur la représentation théorique du comportement des

individus. La rationalité économique, fondement de la théorie néoclassique du consommateur,

soutient que les agents agissent de manière à maximiser leur utilité attendue. Or, divers sociologues et psychologues ont remis en cause le postulat jugé réductionniste et mécanique de maximisation de l’utilité. Particulièrement virulent, Pierre Bourdieu écrit que la théorie économique du choix rationnel consiste à « mettre sa pensée pensante dans la tête des agents agissants et à placer au principe de leurs pratiques […] ses propres représentations spontanées ou élaborées ou, au pire, les modèles qu'il a dû construire pour rendre raison de leurs pratiques » (2000, p. 19). L’analyse de la psychologie des choix et donc des pratiques de déplacement est alors profondément contrainte par le postulat fondateur de la rationalité des agents (Kaufmann et Jemelin, 2003).

Toujours est-il que face à ces critiques motivées, les économistes ont depuis quelques années amorcé à travers les modèles de prévision de la demande de transport un relâchement de la rationalité économique au profit de comportements plus émotifs et plus sensibles au contexte de la prise de décision (Thaler, 2000). L’intégration dans les modèles de choix discrets de composantes probabilistes issues de la théorie de l’utilité stochastique, ou la prise en compte de l’hétérogénéité des états et des règles de comportement des individus dans les modèles multi-agents, témoignent de cette tendance générale. De plus, l’approche alternative transdisciplinaire dite « espace-temps-activités », inspirée des travaux du géographe Torsten Hägerstrand (1970), trouve une résonnance scientifique de plus en plus forte au-delà du clivage disciplinaire traditionnel. En étudiant les programmes d’activités sous contraintes spatiale, temporelle et budgétaire, la représentation « espace-temps-activités » éclaire les choix de déplacement mais aussi de non-déplacement – hypothèse chère à Kaufmann – au regard de l’univers des possibles de chaque individu (Lentorp, 1978).

B. Dimension temporelle : disponibilité du système de transport et gestion des temps