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Chapitre 5 : Nature et déterminants de la sensibilité des entreprises

B. Influence de la localisation du marché et des partenaires externes

En réduisant les temps d’accès à certains nœuds de l’espace géographique, la mise en service d’une LGV est un moteur théorique dominant de la recomposition des aires de marché (cf. chapitre 2). L’appréhension la plus courante tend à conférer au TGV un rôle mécanique dans l’extension de la couverture commerciale des entreprises locales. C’est cependant écarter un peu vite la logique bidirectionnelle des réseaux de transport, qui veut que si un point B devient plus accessible depuis un point A, l’infrastructure nouvelle engendre en règle générale symétriquement, sous contrainte de la qualité de l’offre, des gains d’accessibilité réciproques de B vers A.

La littérature empirique traitant de l’évolution des étendues de marché suite à la réalisation d’une LGV s’est ainsi fréquemment enquise, dans le sillage des travaux sur les autoroutes, des comportements

270Pour la période 1992-1995, Rodolphe Dodier (Chevalier et al., 1997) ne parvient pas à extraire une incidence

quelconque de la desserte TGV sur les localisations du tertiaire supérieur au sein de l’agglomération mancelle, à l’exception du périmètre restreint du centre d’affaires Novaxis. Il affirme dès lors que « le seul effet TGV au Mans peut donc être résumé comme un effet NOVAXIS » (Ibid., p. 56) et justifie cette thèse par le fléchage préférentiel voire exclusif de cette localisation pour les projets d’implantation.

271 Dans une enquête conduite auprès de 348 entreprises bretonnes de différents secteurs d’activité, Aguiléra et

Lethiais (2011) concluent à l’absence de relation entre le secteur et la fréquence des déplacements d’affaires.

272 Bertrand Sergot (2004) a pointé les faiblesses des travaux économétriques qui utilisent le secteur d’activité

comme approximation des types de production. Bien que plus difficile à mobiliser, la notion de branche regroupant des unités de production homogènes serait selon lui plus pertinente.

concurrentiels attachés au sujet. Si les conclusions ne sont pas unanimement convergentes (Moulaert et Gallouj, 1995), il semblerait toutefois que les expériences passées soulignent l’importance de deux

conditions essentielles dans la réalisation d’aires de marché élargies. Le premier prérequis tient à la volonté latente des entreprises de déployer leurs activités commerciales au-delà du niveau qui prévaut avant la réalisation de l’infrastructure273. Il apparaît évident qu’une firme n’affichant pas d’ambitions commerciales à l’extérieur de son bassin d’implantation présente sur ce point une insensibilité notoire à la LGV. A l’inverse, les entreprises régionales de la sphère productive, exportatrices de leurs produits ou services, font preuve d’un degré d’ouverture national ou international274 (Pol, 2003). Elles reconnaissent donc souvent, ainsi que l’ont montré Buisson et al. (1986) et Mannone (1995) dans le cas de la LGV Sud-Est, l’implication de l’accessibilité ferroviaire nouvelle dans l’extension de leur aire de marché vers l’Île-de-France. Une étude portant sur la LGV Atlantique observe quant à elle que près de 40 % des établissements enquêtés dans la région nantaise avaient modifié en 1996 l’organisation de leur marché, ciblant des lieux jusqu’alors inatteignables ou affermissant des bassins de clientèle préexistants rendus plus accessibles (Lacostes et al., 1997)275. Dans le contexte lillois enfin, Burmeister et Colletis-Wahl (1996) notent, peu de temps après la mise en service de la LGV Nord, qu’environ un tiers des déplacements commerciaux entre la capitale des Flandres et la région francilienne a connu des modifications de natures diverses, conduisant ces entreprises de services à certains ajustements organisationnels internes plus ou moins dépendants de l’offre TGV.

En sus de cette volonté de conquête extraterritoriale, et dans une perspective concurrentielle, la

nécessité de différenciation est fréquemment avancée comme seconde condition au développement

réussi de l’aire de marché. La rencontre des différents espaces de clientèle intensifiée par l’accessibilité accrue tend à favoriser les acteurs les plus puissants, les plus spécialisés ou simplement les mieux adaptés aux attentes d’un marché plus ouvert. Buisson et al. (1986) relèvent par exemple le succès connu sur le marché parisien d’entreprises d’études et de conseil implantées à Lyon qui sont parvenues à valoriser des compétences régionales acquises sur des créneaux spécifiques répondant aux demandes des PME franciliennes. Partant de ces mêmes observations, Bonnafous (1987) limite l’impact notable du TGV Sud-Est sur l’influence des entreprises lyonnaises à Paris aux seules pourvoyeuses de services rares.

A noter en outre, dans un autre registre, les apports limitatifs de Klein et al. (1997) tirés de l’enquête sur l’incidence de la LGV Atlantique, qui voudraient que l’ouverture des périmètres de marché concerne moins les transactions de produits que les échanges de services et moins les acteurs localisés en région que les Franciliens. En cela, s’il rejoint les conclusions de Plassard (1988) sur le développement exponentiel des opérations de services, il s’y oppose en ce qui concerne les principaux bénéficiaires d’aires de marché accrues, les enquêtes sur la LGV Sud-Est ayant démontré que l’effort commercial depuis la mise en service était bien davantage le fait d’acteurs rhônalpins que parisiens.

273 Qu’il s’agisse d’une extension géographique du périmètre de marché ou d’une intensification de la relation à

certains lieux à périmètre constant.

274 On retrouve ici l’un des arguments que nous avons fait valoir dans l’échantillonnage des entreprises

(cf. chapitre 3).

275 S’agissant des gares dites « périphériques », dont les études sont moins mobilisées dans notre cas, Valérie

Facchinetti-Mannone (2013) constate aux abords des gares exurbanisées de Valence TGV, Vendôme, Mâcon- Loché et Le Creusot que pour près d’un tiers des entreprises enquêtées la proximité de la gare a contribué à l’extension de l’aire de marché.

On est dès lors tenté d’y voir le signe d’un rayonnement inégal entre les principales agglomérations du Grand Ouest et la capitale des Gaules quant à leur capacité économique à concurrencer la région capitale au sein d’aires de marché plus articulées.

Toutefois, à l’énoncé de ces enseignements empiriques relativement anciens, on est en droit d’interroger la pertinence de leur réplication générale dans le contexte actuel d’insertion de la LGV BPL. En effet, un certain nombre d’analyses passées ont été conduites dans des situations de relative

disjonction initiale des marchés franciliens et provinciaux. Cela est notamment valable dans le cas de

la LGV Sud-Est qui a réduit le temps séparant les deux principaux marchés nationaux de quatre à deux heures environ276. Or, s’il est vrai que les dirigeants finistériens interrogés ont souligné quelques entraves à la pénétration du marché parisien imputable à l’éloignement, dans les autres territoires étudiés, les freins éventuels à la gestion de la clientèle francilienne ne sont que modestement liés aux temps de parcours ferroviaires (cf. chapitre 4). Cela n’exclut cependant pas une réorganisation de la stratégie commerciale de certains acteurs économiques du Grand Ouest277 au profit d’une inclination accrue vers la région parisienne, hypothèse que nous discuterons en mobilisant les points de vue des chefs d’entreprise selon leur secteur d’activité.