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Chapitre 1 : Transport ferroviaire et développement local : indéterminations théoriques et

D. Dimension technique : vitesse, capacité, fréquence, fiabilité, prix et confort

Les paramètres de l’offre de transport ferroviaire sont les éléments phares d’un projet de mobilité comme une LGV. A l’instar du mode routier, pour lequel la vitesse et la capacité ont longtemps été les fers de lance d’une mobilité galopante, ces deux mêmes facteurs sont les principaux paradigmes du

56 Nous verrons dans le chapitre 2 une approche complémentaire de la proximité à travers les notions de

proximité géographique, relationnelle et institutionnelle (Rallet et Burmeister, 2002).

57 En particulier les relations entre les acteurs du tryptique Rennes-Laval-Le Mans mais aussi Rennes-Laval-Sablé-

sur-Sarthe-Angers-Nantes, puisque ces gares ont bénéficié, à la mise en service de la LGV BPL et de la Liaison rapide, d’une réduction du temps de trajet les séparant (cf. introduction générale). Ces liens sont mis en balance avec des coopérations a priori plus discriminantes comme celles qui concernent les acteurs des agglomérations de Rennes, Nantes et Brest (cf. chapitre 4).

58 Même s’il conviendrait pour être plus précis de distinguer les termes de densité et d’agglomération. 59 Dans la même optique, les travaux de Dupuy (1999) ont établi un lien entre la connectivité et l’évolution

développement de la grande vitesse ferroviaire en France et au Japon (Givoni et Banister, 2012). Les

questions de la fréquence, de l’amplitude et du placement horaire des services TGV suscitent

également l’attention des politiques et des acteurs économiques60. La qualité de la desserte doit ainsi être évaluée à l’aune d’un ensemble de facteurs liés plus ou moins modulables. Le lien entre capacité des sillons ferroviaires et régularité des services est par exemple aujourd’hui relativement bien documenté, si bien qu’il n’existe pas une politique de capacité unidimensionnelle, automatique et transposable à souhait.

On ne saurait par ailleurs écarter une tendance visant à appréhender avec plus de discernements des éléments qualitatifs auparavant jugés secondaires. La reconnaissance de l’importance du confort (Litman, 2007 ; Crozet, 2014) traduit un changement de référentiel majeur dans la mesure où la mobilité est considérée comme pouvant être source de pénibilités (Crozet, 2016). Ce tournant qualitatif et serviciel (Metz, 2008) vers l’analyse des conditions de déplacement interroge ainsi la désutilité associée au déplacement. Classiquement défini comme un coût, un élément résistant (Koenig, 1974 ; Poulit, 1974) que l’on cherche à minimiser, la mobilité se voit aujourd’hui reconnaître une utilité intrinsèque potentielle.

2.2 Liens rétroactifs ou induits : des changements multifactoriels

En se penchant sur la figure 6 présentée plus haut, on constate que la dimension technique porte initialement l’essentiel du changement d’accessibilité. En l’absence de gares nouvelles et de modifications significatives des destinations accessibles par le fer, la dimension spatiale ne concourt que peu à l’amélioration de l’accessibilité liée à la LGV BPL. Dès avant la mise en service de l’infrastructure, les paramètres techniques interrogent les besoins tangibles ou latents de déplacement appréhendés par les responsables d’entreprise. Ces besoins professionnels, appréciés en conciliant les caractéristiques collectives de l’organisation et les contraintes temporelles de l’activité, peuvent toutefois engendrer des stratégies anticipées qui font évoluer les composantes spatiales. Sous l’influence des mesures d’accompagnement, de promotion territoriale ou des projets d’urbanisme, l’annonce de l’accessibilité est susceptible d’induire une modification du positionnement des entreprises dans l’espace.

Pour l’économiste en effet, les mécanismes de mobilité occasionnent des externalités ou effets externes complexes, qui sont des ressources n’étant pas payées ni prises en compte par le marché (Rietveld et Bruinsma, 1998

)

. Il se produit donc potentiellement, avant la mise en service de la LGV, un ensemble d’effets induits qui résultent de comportements économiques anticipateurs et contribuent à modifier les paramètres spatiaux du système territorial (partie droite de la figure).

En revanche, il faut attendre la mise en service de la LGV pour que l’usage vienne alimenter la

dynamique de rétroaction. La composante « mobilité » (partie gauche de la figure), activée par les

besoins des usagers sous contraintes techniques et temporelles d’exploitation, stimule théoriquement l’évolution du trafic comme de possibles phénomènes de congestion. L’usage de la nouvelle offre

60 La question du prix du billet est également d’une importance non négligeable pour certaines entreprises (cf.

ferroviaire dans le Grand Ouest questionne dès lors les choix de déplacement individuels ou collectifs au sein des entreprises. Elle tend par ailleurs à modifier, avec une ampleur difficilement généralisable, le regard et l’action des acteurs économiques sur les territoires.

Envisager les effets induits ou rétroactifs (Jensen-Butler et Madsen, 2005), c’est en quelque sorte reconnaître en paraphrasant Edgard Pisani que le court terme hurlant des gains d’accessibilité ne peut occulter le long terme silencieux des modifications du système territorial61. Pour Muller (1990), l’appréhension et la tentative d’internalisation des désajustements potentiels sont au centre des politiques publiques. Ces dernières sont par essence composées d’un ensemble d’actions transversales ayant pour objectif de modifier une situation donnée. Elles introduisent donc fondamentalement une

nouvelle configuration des systèmes territoriaux et une représentation différente des éléments structurels (Jobert, 1992). Les gains d’accessibilité modifient l’agencement territorial perçu ou vécu,

qui agit à son tour en « redistribuant les cartes » de l’accessibilité (Giuliano, 2004). Plus précisément, les gains d’accessibilité influent sur les préférences et comportements des agents, et avec un décalage temporel plus ou moins long, l’agrégation des comportements individuels est susceptible de remanier les niveaux d’accessibilité, modifiant localement la performance des systèmes de transport et localisation (Mercenier, 2013).

Or, les impacts des politiques publiques orientées vers l’accessibilité se limitent, bien souvent et au mieux, aux conséquences envisagées à court terme concernant les trafics, la diminution du coût généralisé ou le report modal (Bocarejo, 2008). La stratégie publique intègre en revanche de manière moins évidente les incidences des politiques de transport et d’urbanisme sur le système des localisations. Selon nous, cette difficulté d’appréhension des modifications à long terme du système territorial tient à trois éléments principaux.

Premièrement, penser un horizon temporel lointain entraîne logiquement une hausse de l’incertitude sur le rôle et l’emprise publique, sur les comportements des agents économiques privés et sur les divers aléas exogènes. Ensuite, les effets induits de l’accessibilité ne sont pas obligatoirement des conséquences directes des politiques mises en œuvre. Enfin, les effets induits peuvent se manifester avec des temporalités difficilement prévisibles et sur une échelle géographique variable qui n’est que rarement celle considérée dans la planification ou l’intervention publique. Les (dés)équilibres de court terme à la suite d’une politique publique et les processus d’ajustements temporels dans l’économie sont donc particulièrement complexes à analyser (Quinet et al., 2013).

En guise de conclusion, la figure 7 ci-dessous synthétise les relations multiples et complexes que nous venons de détailler entre transport et développement territorial. A la différence de la figure généraliste précédente, elle s’attache moins à mettre en exergue les leviers notionnels et les dimensions de l’accessibilité que les étapes concrètes d’un processus relationnel entre mobilités et territoires.

61 « Le court terme hurlant ne doit pas occulter le long terme silencieux » (Edgard Pisani, cité par Rabin et

Conclusion

Bien que notre approche soit centrée sur les comportements des entreprises privées et de leurs effectifs, il nous semblait pertinent de proposer une entrée en matière générale sur la relation entre transport et développement économique. Ne cherchant pas l’exhaustivité, une appréhension introductive plus globale permet cependant de situer la recherche dans son contexte d’exécution. Un contexte résolument passionné, prolifique et disputé, qui entremêle la multitude de productions scientifiques et la reproduction des croyances politiques.

Ainsi que l’indiquent Baudelle et al., « le caractère récurrent [des] recherches [sur le sujet] trahit des savoirs mal assurés » (2018, publication en cours). Malgré un spectre varié d’approches, de terrains, de temporalités, d’acteurs et de méthodes, le paradigme d’identification des relations entre infrastructure de transport et développement économique reste prisonnier de la complexité des phénomènes socioéconomiques associés. Il peut dès lors paraître étrange d’ouvrir cette recherche sur l’illustration d’une indétermination aussi grande, sauf à être porté par la conviction que des champs potentiellement riches restent encore largement à explorer.

Partant, après avoir relevé certains faits stylisés de la littérature scientifique et des documents réglementaires d’évaluation socioéconomique des projets de LGV français, nous avons introduit la notion d’accessibilité. Assurément, la richesse de ses composantes nourrit une façon systémique et qualitative d’appréhender les problématiques territoriales de la grande vitesse ferroviaire. L’incidence première de la mise en service de la LGV BPL n’est pas un simple gain de temps ou de fréquence. Il s’agit en réalité d’une accessibilité multidimensionnelle accrue, qui bien que relevant avant tout de facteurs « mobilitaires », nécessite également d’être appréhendée à l’aune de ses paramètres individuels et spatiaux. La notion d’accessibilité peut dès lors être définie comme « le nombre moyen d’opportunités perçues comme telles par un agent à un endroit donné » (Cascetta et al., 2013, p. 6).

Les développements précédents ont ainsi mis en exergue la clef de voûte que représente la satisfaction des besoins de déplacement dans les processus relationnels complexes entre LGV et développement territorial. Or, comme l’indiquent Rallet et Burmeister, l’accessibilité « demeure […] un concept purement topologique, sans aucun contenu économique » intrinsèque (2002, p. 25). Considérer les liens entre l’appréhension de l’offre ferroviaire par les responsables d’entreprise des territoires desservis et l’organisation productive de leurs activités s’avère dès lors prometteur (Burmeister et al., 1997 ; Blanquart et Delaplace, 2009), dans l’optique d’entrevoir un contenu non uniquement spatial à la notion de proximité. Le recentrage sur les acteurs économiques et leurs moyens de coordination ouvre un pan conséquent de la littérature sur le thème de la localisation des entreprises et du développement économique local. L’influence du facteur transport dans les choix productifs n’a néanmoins pas été théorisée de façon constante depuis le XIXème siècle. De fait, c’est vers des considérations d’économie spatiale et de géographie économique que nous conduit le chapitre 2.

Chapitre 2 : Le fonctionnement spatial des activités