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MONTRER LA DECOUVERTE, CONDITIONS DE PRODUCTION DE LA FONCTION

Chapitre 5 : Nommer et décrire la découverte, point de vue sémiotique vue sémiotique

5.3. Le parcours opératoire de la découverte

Les conditions de production d’une fonction sémiotique de la découverte botanique recouvrent ainsi plusieurs points que nous avons tenté d’expliciter au mieux dans cette première section. Nous avons observé que vouloir représenter une nouvelle espèce végétale relève d’abord d’une vision phénoménologique. Elle dépend plus précisément d’une réduction phénoménologique transcendantale qui permet de saisir l’essence de l’objet devenu noème. Cette

vision empirique est possible à travers les sens, la vue et le toucher en sont les principaux, mais ne

négligeons pas l’odorat ou même le goût. Soulignons que certains auteurs des articles du

XIXe siècle notaient l’odeur de la plante, celle de la fleur ou du fruit particulièrement, mais aussi le goût de ces derniers quand ceux-ci étaient comestibles186. Dans une certaine mesure, l’ouïe pourrait être également prise en compte. Relevons les recherches de Monica Gagliano. Cette auteure a observé une production sonore chez des racines de plantules de maïs187. Ajoutons que les recherches actuelles ont observé que les plantes émettent bien des sons, soit à des fréquences très basses comprises entre 20 et 240 Hz, soit à des fréquences très élevées, de 20 à 300 kHz. Ces gammes de fréquences ne recouvrent cependant que très partiellement ce que l’oreille humaine peut percevoir188. De cette approche sensible et empirique, le chercheur doit ensuite la normaliser pour pouvoir en faire une information scientifique qui puisse être communiquée, transmise et conservée dans le temps.

Les conditions de production d’une fonction sémiotique recouvrent ensuite une vision

méthodologique. Une vision que nous avons détaillée puisque c’est elle qui est, en un sens,

observable d’un point de vue sémiotique, c’est elle que nous allons questionner par la suite. Cette

185

Ibid.

186

THOUIN A., « Histoire d’une nouvelle espèce d’Arbre fruitier, étranger à l’Europe et appartenant au genre du Coignassier », Annales du MNHN, t. 19, 1812, p. 144-155.

187

GAGLIANO Monica, « Green symphonies: a call for studies on acoustic communication in plants », Behavioral Ecology, 24 (4), 2013, p. 789-796.

188

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vision conditionne la manifestation de la découverte scientifique. Précisons qu’elle s’articule entre différents horizons qui vont des contraintes scientifiques aux contraintes modales, en passant par le contexte, les enjeux qui varient au cours du temps, et les règles et méthodes scientifiques qui, dans notre cas, restent assez constantes. L’objectif final est ainsi la possibilité de catégoriser de façon intelligible la plante. Nous pouvons ainsi la connaître. Dans cette perspective, les conditions de production préparent l’article en tant que « scène expressive », au sens donné par Bordron. Cette « scène » s’envisage comme un ensemble de qualités sensibles et intelligibles qu’il s’agit de « lire », encore faut-il savoir la déchiffrer. Cette scène est une structure signifiante qui nécessite de comprendre la complexité des formes et leur organisation189. Cette scène est celle d’un parcours génératif de l’expression, celle du parcours de la connaissance.

En tant que parcours génératif, nous proposons une modélisation du parcours de la découverte, parcours qui rend opératoire la connaissance de la nouvelle espèce. Le résultat de ce parcours relève d’une transformation du sujet énonciataire en sujet connaissant à partir de la transformation de l’objet phénoménologique en objet « culturalisé » par l’énonciateur. Nous envisageons ce parcours sous la forme d’un carré. Il nous permet de visualiser le parcours comme un ensemble de transformations relationnelles et non comme des étapes « figées » qui s’enchaîneraient. Soulignons que ce carré nous donne également l’occasion de condenser nos propos tenus jusqu’ici sur les conditions de production de la fonction sémiotique :

189

BORDRON Jean-François, « Expérience d’objet, expérience d’image », Visible. Images et dispositifs de visualisation scientifiques, Limoges, Pulim, n° 5, 2009, p 115-121.

97 Niveau de surface :

objet représenté Sujet « ignorant »

REPRESENTATION DE LA DECOUVERTE Sujet connaissant et énonçant FORMALISATION DE LA DECOUVERTE Niveau profond : objet formalisé Objet

phénoménologique Objet culturel

Objet non culturel Objet « non

phénoménologique » : réduction

transcendantale

La transformation de l’objet, sa mise en présence, s’effectue sur deux niveaux, un niveau profond et un niveau de surface. Le premier niveau correspond au faire du chercheur-énonciateur. Il correspond à la formalisation de la plante qui permettra d’opérer le changement de statut de l’objet. C’est un processus qui implique un ensemble d’opérations articulées (empiriques et méthodologiques) afin que l’objet de la découverte devienne connu et connaissable. Comme nous l’avons noté plus haut, ce processus correspond au parcours de la connaissance. Cela passe par un ensemble de relations d’implication et de contradiction190. La phase de la perception correspond à une relation de contradiction. Selon la théorie sémiotique, il s’agit d’une opération de négation qui est caractérisée par l’impossibilité de voir deux termes coexister. En effet, lors de la réduction phénoménologique, on opère une sélection de propositions (au sens d’Husserl) qui permettront de construire le « pur X ». Ce travail de sélection repose sur un ensemble de corrélations, c'est-à-dire

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FLOCH Jean-Marie, Petites mythologies de l’œil et de l’esprit. Pour une sémiotique plastique, Paris-Amsterdam, Hadès-Benjamins, 1985, p. 197-200. Catégorisations formelles (ou identification) Perception, phénoménologie transcendantale Parcours de la connaissance Parcours de l’oubli

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sur des disjonctions logiques du type « ou… ou »191. Ensuite, le travail de catégorisation, qui permet l’identification de la découverte, s’envisage comme une relation d’implication. Une relation de complémentarité s’instaure entre les deux termes, l’objet « non phénoménologique » en tant que tel et l’objet « culturalisé », l’objet source de connaissance. Nous pourrions aussi parler d’une relation d’adéquation pour reprendre la terminologie d’Husserl. Cette adéquation permet de reconnaître dans l’objet culturel l’objet phénoménologique. Mais soulignons que l’enjeu du parcours de la connaissance suppose de faire attention à ne pas engager le parcours inverse, c’est-à-dire le parcours de l’oubli (signalé avec un parcours rouge sur le schéma ci-dessus). Le risque serait grand, car il ferait perdre les données accumulées, ce qui va à l’encontre du projet encyclopédique, mais surtout il empêcherait le travail des systématiciens sur notre biodiversité. Précisons que pour les raisons données plus haut, notre deuxième section ne s’intéressera qu’à la relation de la « catégorisation », celle que la théorie sémiotique peut prendre en charge. Nous verrons d’ailleurs qu’un autre carré sémiotique s’emboîte dans cette phase de transformation de l’objet « non phénoménologique » en objet culturel. Il s’agira du passage de l’objet découvert avec un statut d’objet « inconnu » à celui d’objet découvert avec le statut « connu ». Nous y reviendrons dans notre deuxième section.

Le second niveau concorde quant à lui à celui de la représentation de la plante, c’est-à-dire au niveau de l’instance réceptrice, celle pour qui la représentation est faite. Ce niveau correspond à l’expérience de la découverte par l’énonciataire, à son acquisition des connaissances. Sur ce niveau dépendent les compétences et performances de lecture de l’énonciataire. A partir de ses compétences et de sa performance de lecture, l’énonciataire sera en capacité de reconnaître l’objet « culturalisé », telle forme de l’expression en lien avec telle forme du contenu. Dans notre troisième section, nous aborderons ce niveau de la représentation. Nous le ferons à partir de l’expérience de lecture de la découverte, et notamment à partir de notre projet expérimental d’eye-tracking. Ce niveau est tout aussi important que le précédent, car c’est sur lui que se réalise notre rapport au monde. En effet, ce n’est pas tant l’objet phénoménologique que sa représentation qui impactent notre vision des choses comme notre rapport à notre milieu. « Perdre » cet objet culturel, d’une certaine façon, c'est « oublier » l’objet biologique. Il est donc important d’envisager les deux niveaux dans notre réflexion sur la représentation de la nouvelle plante. Nous aborderons le premier niveau (profond) selon le point de vue de la formalisation de la plante, focalisée sur le passage de l’objet « non phénoménologique » à l’objet « culturalisé ». Puis nous nous attacherons au point de vue de la représentation (le second niveau) à partir de son expérience de lecture. Quand la représentation questionne le visible, le lisible et l’immédiat, la formalisation

191

COURTES Joseph, GREIMAS Algirdas Julien, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette supérieur, p. 266.

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questionne le verso de ce visible et de ce lisible. Elle questionne le médiat de la découverte. Elle correspond à la présentation de la représentation.

Passons à présent à la deuxième section de notre réflexion, celle sur la formalisation de la plante. Nous préciserons particulièrement ce que nous entendons par fonction sémiotique. Nous verrons qu’elle ne recouvre qu’une partie de l’article de découverte.

Ce parcours de la connaissance discuté, faisons la synthèse de cette section et passons à l’étude de la formalisation de la plante en prise avec l’enjeu de sa catégorisation, ou de son identification.

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Synthèse

Préambule à la lecture des synthèses des trois sections.

Nous avons volontairement fait le choix de réaliser des synthèses de sections à partir d’un point de vue « visuel » afin d’exposer d’une autre manière les relations et les interactions entre les principaux propos et concepts que nous avons interrogés tout au long de la section en question.

Les indications suivantes sont valables pour les trois synthèses.

Ce qui est grisé correspond à la représentation ou à la fonction sémiotique de la découverte au sein du schéma.

Sens de lecture du schéma. De la base découlent les éléments suivants.

Relations unilatérales entre les éléments.

Relations bilatérales entre les éléments.

Contexte :

Permanence des objectifs : représenter la nouvelle plante, passer du statut d’« objet inconnu » à celui d’« objet connu » > Réalisation de l’encyclopédie du vivant.

Evolution des enjeux : XVIIIe-XIXe siècles : grandes découvertes, exploration et maîtrise des objets biologiques par l’humain ; XXe-XXIe siècles : protection et conservation de la biodiversité. Prise de conscience d’une responsabilité humaine dans l’extinction des espèces.

C ondi tion s pou r pa ss er du s ens à la si gn if ic at ion s el on un con tex te de r eche rche sc ie nt if ique Conditions de production, ou conditions d’actualisation de l’objet, le « pur X » Corporéité contrainte : dimension collective de la représentation

Production d’une fonction sémiotique transformant la plante biologique en un

objet dynamique : mise en forme d’une structure syncrétique avec l’usage de

systèmes sémiotiques linguistiques et visuels

On va pouvoir engager la formalisation de la nouvelle plante entre procédure de singularisation et de généralisation

N ivea u de l a pe rce pt ion (ni vea u n - 1)

Cela va permettre de nommer et décrire la plante : engagement d’un processus de catégorisation en : une espèce (caractérisation selon un degré d’éloignement), un genre (caractérisation selon un degré de proximité)…

Devoir-faire : objectivité relative

Pouvoir-faire : réglage de la bonne distance (distance distale ou structurale) et actualisation des bonnes

étiquettes descriptives (selon un stock défini) Acte langagier qui fait appel aux modalités exotaxiques : on vise la forme

« vraie » ou « correcte » selon des normes

Production d’un acte langagier selon une programmation élémentaire : F(A) = [S1 → (S2 ∩ Ov)]

On enregistrera ainsi la découverte. Mise en œuvre d’une dynamique de production

Mettre en présence la découverte pour la faire exister (passage du mode potentialisé au mode actualisé). On cherche à caractériser la nouvelle plante

selon un lecteur modèle : système florifère, fructifère, racinaire, caulinaire. Perception : Phénoménologie transcendantale Corporéité sensible : dimension individuelle de la représentation

Vécu pur : Noème/Noèse

Perception de l’objet phénoménologique. Le chercheur-découvreur est un phénoménologue.

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DEUXIEME SECTION :

FORMALISER LA DECOUVERTE. PRODUIRE