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MONTRER LA DECOUVERTE, CONDITIONS DE PRODUCTION DE LA FONCTION

Chapitre 1 : Fondement phénoménologique

1.2. De l’essence au sens articulé

En tant que contenu relatif à la noèse, le noème est un « sens mental » qui se réfère à un objet hors de lui45. Le vécu intentionnel est ainsi relatif à un objet. Husserl parle de la « conscience de quelque chose »46. Plus précisément, ce n’est pas tant le noème que son contenu qui se rapportent à l’objet. En cela, Husserl pense que l’objet est le même que celui de la noèse, le noème possède ainsi une « objectivité » qui décrit « l’objet visé tel qu’il est visé »47. Pour résumer notre situation, le chercheur qui découvre une nouvelle plante doit faire une description noématique de l’objet tel qu’il est visé. Il donne ainsi sens à l’objet grâce au contenu du noème. Cette explicitation et cette saisie conceptuelles permettent de former un système clos de ‘prédicats’ déterminés ou même laissés indéterminés. Pour Husserl, ces prédicats, considérés dans leur « signification modifiée », déterminent le contenu du noyau objectif du noème48.

Dans cette perspective, l’objet intentionnel ne cesse d’être atteint par la conscience, mais pour Husserl, il « ne cesse de s’y ‘donner autrement’ ». Il reste le même objet sauf qu’il est

« donné simplement dans d’autres prédicats, avec un autre statut de détermination ; ‘il’ se montre seulement de différents côtés, ce qui avait permis aux prédicats demeurés indéterminés de recevoir une détermination plus précise »49.

Selon la description noématique de l’objet visé en tant que tel, Husserl en vient à parler d’une « adéquation pure », c’est-à-dire que l’objet intentionnel identique se distingue « avec évidence » des prédicats qui sont variables et changeants50. Ainsi, l’objet est le « pur X par

abstraction de tous ses prédicats », il se distingue de ses noèmes de prédicats. Dans notre cas

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JOUMIER Laurent, Ibid., p. 29-40 ; HUSSERL Edmund, Op. cit., p. 215-220.

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HUSSERL Edmund, Op. cit., p. 432.

46 Ibid., p. 437. 47 Ibid., p. 439. 48 Ibid., p. 440. 49 Ibid., p. 441. 50 Ibid., p. 441.

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d’étude, nous pouvons dire que la plante est un moment noématique central qui sera caractérisé par différents noèmes de prédicats. Pour rendre compte de la nouvelle espèce dans son article, le chercheur devra d’abord déterminer et manifester ces noèmes de prédicats. Pensons que ce sont ces noèmes de prédicats qui investissent principalement la manifestation expressive de la découverte dans les articles. Ils l’accomplissent sous la forme d’unités de sens articulé que nous verrons plus tard. Ce sont eux qui font l’objet d’une formalisation expressive de manière plus ou moins abstraite. Ci-dessous, nous avons schématisé ce rapport entre l’objet identique mental (le « pur X ») et ses prédicats mentaux de sens qui fournissent le matériel conceptuel à manifester dans les articles. Nous élaborons ce schéma à partir d’un axe abstraction/concrétisation :

Figure 1 : Parcours de la manifestation de la découverte à partir de sa perception phénoménologique

Pour Husserl,

« A l’unique objet nous ordonnons de multiples modes de conscience, actes ou noèmes d’actes […] Nul objet n’est pensable sans que ne soit également pensable une multiplicité de vécus intentionnels […] au sein desquels […] l’objet est atteint par la conscience en tant qu’identique, bien que sous un mode différent au point de vue noématique : […] le noyau caractérisé est variable, mais « l’objet », le pur sujet des prédicats est précisément identique »51.

Pour manifester la plante, le chercheur doit rendre expressives les variabilités de l’objet. En tant qu’acte d’expression du noème, l’article ne « montre » pas directement l’objet (le pur X), mais les variables qui le caractérisent de manière, on le verra, linguistique ou visuelle et de façon plus ou moins abstraite. Nous verrons que les variabilités de l’objet, manifestées à partir de différents systèmes sémiotiques, visent l’objet identique en tant que pur X. Ajoutons que pour Husserl, des « actes séparés » (différentes perceptions, différents souvenirs…), qui pour nous se manifestent dans l’élaboration de la fonction sémiotique en différentes unités (unités Nom,

51 Ibid., p. 442. Objet, « le pur X » Unités Dessin, Photographie, Herbier Unité Description Unité Diagnose Unité Nom Abstraction Concrétisation Prédicats

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Description, Dessin, etc.), peuvent s’agréger afin que le « ‘quelque chose’ des noyaux précédemment séparés » soit atteint par la conscience comme le même quelque chose, ou comme un objet identique par concordance52.

Ainsi pour Husserl, le « sens » est l’« objet dans le comment ». En tant que phénoménologue, il revient au chercheur-découvreur d’articuler ce sens, ou plutôt ces sens pour manifester, donner une forme à la découverte sur le plan de l’expression, de mettre en relation de dépendance une forme de l’expression et une forme du contenu. C’est à partir du sens mental que le chercheur peut inscrire la nouvelle plante en un sens articulé (ou signification) qu’il pourra ensuite communiquer, transmettre, conserver… Nous verrons que ce sont les sens articulés qui permettront la validation de la nouvelle plante. A l’intérieur des propositions articulées, chaque partie ou « acte séparé » possède sa forme syntactique (sa syntaxe) qui procède d’une synthèse analytique (relative à l’explicitation de l'objet biologique). Comprenons toute l’importance de cette signification de la découverte en propositions. C’est elle qui fait l’objet de notre recherche. Ajoutons qu’elle est le reflet du sens noématique du chercheur (le niveau n - 1). Pour Husserl,

« les réalités naturelles ou idéales mises hors circuit sont représentées dans la sphère phénoménologique par la multiplicité totale des sens et des propositions qui leur correspondent. […] La chose est […] représentée par une multiplicité de ‘noyaux complets’ ou, ce qui revient au même ici, par l’ensemble de tous les ‘modes subjectifs d’apparaître’ possibles où elle peut noématiquement constituée en tant qu’identique »53

.

Passer de l’essence au sens, et du sens au sens articulé permet d’acquérir les connaissances scientifiques nécessaires sur la nouvelle plante, connaissances fondées sur l’objet phénoménologique. On lui imprime une forme théorique qui permet de

« l’embrasser en un système de concepts et d’énoncés de lois qui n’ait pas d’autre source que la pure intuition des essences »54.

Constatons que l’enjeu sémiotique s’inscrit dans la continuité de l’enjeu phénoménologique par la notion de « sens ». Comprenons que la sémiotique vise, non pas à étudier le sens, mais le sens articulé (la signification) du chercheur en tant que phénoménologue. Citons ici Rastier, pour qui, si l’on reprend la problématique de la production et de la saisie du sens où la phénoménologie l’a laissée, le concept d’actualisation sémique est central. Il sera donc pertinent à questionner. Nous verrons cet aspect dans notre seconde section. Pour cet auteur, c’est sur un fond sémantique qu’apparaissent les figures saillantes en tant que sèmes, termes qui

52 Ibid., p. 442. 53 Ibid., p. 453. 54 Ibid., p. 454.

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permettront de qualifier les caractéristiques de l’objet découvert. Dans Sémantique interprétative, Rastier précise qu’il est impératif de distinguer le sens opératoire du sens éidétique. En tant que trait différentiel, le sème n’a qu’un sens opératoire, bien qu’il puisse être associé à des représentations conceptuelles qui définissent son sens éidétique. Ces deux aspects ne doivent pas être confondus, sens opératoire et sens éidétique ne se situent pas sur un même niveau d’analyse, l’un est sur le niveau n, l’autre sur le niveau n - 1.

Dans notre cas, nous n’étudierons que le sens opératoire de la découverte. Nous étudierons les sèmes, et non les noèmes, qui sont propres à une langue ou à un langage déterminé. Cependant, il est évident que l’un impacte l’autre. Il peut être erroné de les envisager en faisant totalement abstraction de l’un de ces sens. Il était donc important de comprendre leur lien. Les sèmes se présenteront comme les éléments de base de la manifestation de la découverte, ils constituent le terme-objet en question. En s’attachant à faire une analyse exhaustive de la plante représentée, à partir des sèmes, il s’agira de l’envisager comme une collection de sèmes (s1, s2, s3…). Cette collection découle de la perception phénoménologique transcendantale du chercheur-découvreur et du sens contenu dans le noème. C’est seulement à l’actualisation sémique que nous nous intéresserons par la suite en matière de production et de saisie. Pour poursuivre notre réflexion sur les conditions de production d’une fonction sémiotique, intéressons-nous à présent à la notion de découverte scientifique. Nous le ferons en discutant la question de la mise en présence de la nouvelle espèce dans un article, qui, précisons-le, est la « première » représentation de la plante.

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