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MONTRER LA DECOUVERTE, CONDITIONS DE PRODUCTION DE LA FONCTION

Chapitre 5 : Nommer et décrire la découverte, point de vue sémiotique vue sémiotique

5.2. Procédures de catégorisation

5.2.2. Identification du genre

A partir de ce premier type de catégorisation de la plante, fondé sur les écarts différentiels entre les caractères génériques puis spécifiques de la plante, il y a une autre manière de segmenter la plante pour la catégoriser. Nous soulignons cette autre façon parce qu’elle vise à mettre en perspective la plante avec d’autres espèces. Cette autre façon de faire fait en sorte d’envisager la nouvelle espèce dans un autre type de catégories, qui est généralement déjà existant : le genre. Comme nous pouvons l’observer avec le tableau et le visuel ci-dessous, la mise en relation des étiquettes s’opère de manière différente. On retrouve le principe d’incrémentation, mais cette fois la catégorisation est fondée sur l’identité des étiquettes génériques et la différence des étiquettes spécifiques. Le premier exemple ci-dessous met en relation deux genres différents, l’autre compare le labelle de cinq espèces différentes d’un même genre :

Genre Ivodea179 Genre Melicope

Jeune rameau Cylindrique Tétragone

Nœud Généralement non aplati et

non renflé Généralement comprimé-dilaté Feuilles Alternes ou rarement subopposées ; simples ou unifoliolées

toujours opposées ; simples, unifoliolées ou ternées

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Exemple tiré de l’article « Révision du genre Ivodea Capuron (Rutaceae), endémique de Madagascar et de l’archipel des Comores », Adansonia, 37 (1), 2015, p. 63-102.

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Disque Absent Présent

Style Très réduit Bien développé

Stigmate Aplati Non aplati

Fruit (en follicule) Strié transversalement ou portant rarement des crêtes

Lisse, non strié transversalement

Testa des graines Mince, non brillante et fragile Epaisse, brillante et dure

Endosperme Absent Présent

Figure 7 : Exemple d’une planche de dessins extraite de l’article « Diversité du genre Corybas

Salisb. (Orchidaceae, Diurideae) en Nouvelle-Calédonie » d’E. Faria, Adansonia, 38 (2), 2016,

p. 175-198.

Les clés de détermination relèvent également de ce deuxième type de procédure d’identification (relation d’identité avec le terme générique et de différence avec le terme spécifique). Précisons que les clés de détermination seront considérées comme l’une des unités de constitution des fonctions sémiotiques de la découverte. Ce type d’unité contribue à décrire le spécimen. Toutefois, celui-ci ne s’envisage plus par rapport à lui-même, mais en lien avec

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d’autres espèces. Comme les exemples ci-dessus, ce type d’unité est fondé sur les écarts différentiels, mais seulement pour ce qui est des étiquettes spécifiques. La signification sera donc différente. Observons ci-dessous un extrait de clé de détermination :

1. Feuilles ovales, limbe peu charnu………..1 [Versus] Feuilles linéaires ou elliptiques, limbe très charnu…………..……...………2

2. Entre-nœuds de 4-6 mm de long ; labelle ovale…….……….………..…….………3

[Versus] Entre-nœuds de 2-3 mm de long ; labelle trilobé………...……….……4

3. Feuilles linéaires, limbe semi-cylindrique ; labelle plus large que les autres pièces florales……1

[Versus] Feuilles elliptiques, limbe plat ; labelle aussi large que les autres pièces florales180……..1 Comme pour les deux autres exemples, ici, le processus de catégorisation de la plante est incrémenté en s’appuyant d’abord sur l’usage d’étiquettes génériques identiques (les feuilles) puis sur l’usage d’étiquettes spécifiques différentes (ovales, linéaires, elliptiques) qui sont mises en relations de façon signifiante. Avec l’identification de l’espèce, celle du genre permet d’opérer les comparaisons et le classement rigoureux de la nouvelle plante. Avec les exemples que nous avons observés, constatons qu’il y a différentes manières de faire apparaître la plante pour la catégoriser. On fait autant usage d’énoncés linguistiques que visuels qui proposent différents agencements. Notons que les procédures d’identification des autres catégories (famille, ordre…) suivent le même principe que celui du genre.

Ainsi, la représentation de la plante suppose nécessairement deux sortes de catégorisation. Le premier processus sera au fondement des représentations de la découverte. Cependant, le deuxième pourra également être convoqué. Résumons ainsi ces deux processus de catégorisation qui font appel au même principe de segmentation de la plante :

(i) l’une est exhaustive et reste sur un niveau interne à la plante. Elle se focalise sur la plante découverte. Par un mécanisme d’incrémentation des étiquettes génériques et spécifiques, c’est une procédure descriptive fondée sur les relations différentielles entre tous les composants (génériques comme spécifiques) de la plante. Cette

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Extrait tiré de l’article « Contribution à l’étude des Orchidaceae de Madagascar. XXXVIII. Deux nouvelles espèces et une nouvelle combinaison pour le genre Pectinariella Szlach., Mytnik & Grochocka à Madagascar », Adansonia, 38 (2), 2015, p. 219-232.

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première procédure s’effectue sur des relations intra-espèce. C’est la procédure de catégorisation de l’espèce ;

(ii) l’autre est élémentaire. Elle est focalisée sur plusieurs plantes et seulement fondée sur les écarts différentiels des étiquettes spécifiques. Par un mécanisme d’incrémentation, elle se fonde sur l’identité des étiquettes génériques et sur les écarts différentiels des étiquettes spécifiques de chacune des plantes actualisées. La signification se situe particulièrement au niveau des étiquettes spécifiques. Cette seconde procédure s’effectue sur des relations inter-espèces. Découlant de la première procédure, il s’agit d’une procédure de catégorisation du genre, de la famille…

Ces procédures organisent de manière différente les mêmes étiquettes descriptives de la plante, produisant par-là des modes d’apparaître tout à fait différents. Nous nous rendons compte que l’activité de représentation est fondée non pas sur les termes, mais sur leurs relations. Nous accorderons donc une place essentielle à cette notion (la relation) dans notre étude sur la formalisation de la nouvelle espèce. Pour catégoriser les plantes, les écarts différentiels sont d’abord relationnels. Précisons que dans notre cadre d’étude, c’est particulièrement la première procédure de signification qui nous intéressera (la catégorisation de l’espèce). Le second type de procédure sera occasionnellement abordé du fait qu’il met en évidence les relations entre au moins deux espèces différentes. Ces deux procédures, à leur niveau, permettent ainsi d’envisager

« les pièces du jeu et ensuite les relations entre ces pièces »181.

Finalement, nous observons que le principe de catégorisation de la plante relève d’économies linguistiques et visuelles différentes qui participent à l’élaboration de sa représentation182. Les économies des différentes procédures de catégorisation s’opèrent sur le fond d’une conception particulière du monde. Elles fondent un style de visibilité et plus généralement, un style de perception183. Ces économies permettent de faire exister ce que les scènes énonciatives montrent, elles permettent l’acte de sémiose. Selon Bordron

« l’économie de la représentation est au fond une économie de la présence, de l’absence, et de leurs entrelacs »184.

181

BENVENISTE Emile, Problèmes de linguistique générale, t. II, Paris, Gallimard, 1974, p. 16.

182

BORDRON Jean-François, « Rhétorique et économie des images », Protée, vol. 38, n° 1, 2010, p. 27-39.

183

BORDRON Jean-François, « Expérience d’objet, expérience d’image », Visible. Images et dispositifs de visualisation scientifiques, Limoges, Pulim, n° 5, 2009, p 115-121.

184

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Précisons également que c’est à partir de ces économies qu’il est possible d’attribuer et de distribuer des valeurs plus ou moins importantes aux composants actualisés de la nouvelle plante par le jeu de forces et de formes185.

A partir de ce que nous avons pu discuter jusque-là, résumons nos précédents propos avec une modélisation du parcours opératoire de la représentation. Celui-ci se présentera comme un cadre général pour la suite de nos réflexions sur la formalisation de la fonction sémiotique de la découverte et son expérience par l’énonciataire.