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FORMALISER LA DECOUVERTE. PRODUIRE UNE NOUVELLE FONCTION SEMIOTIQUE

Chapitre 6 : La fonction sémiotique de la découverte

6.2. Les unités de composition de la structure de la découverte

6.2.2. Les unités de composition fondamentales, relations logiques

Précisons ici comment s’articulent les unités de composition fondamentales des fonctions sémiotiques afin de formaliser la nouvelle espèce, et ainsi produire l’acte de sémiose.

Rappelons que ce sont les unités fondamentales qui composent la structure élémentaire de la fonction sémiotique de la découverte, depuis 1802 jusqu’à aujourd’hui. Elles forment le « noyau dur » de la structure. A partir de l’étude de notre corpus, observons que l’organisation de ce noyau suit un même principe de composition. Il y a d’abord le nom de l’espèce (N), puis la

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diagnose (Dia), ensuite la description (Desc) et enfin le dessin (Dess). Ci-dessous, des exemples nous permettent de comprendre ce que sont ces unités :

 Exemples d’unités « Nom » (N) :

Crataegus Heterophylla, (nom issu de l’article « Description d’une nouvelle espèce d’aubépine » de M. Flugge, Annales du Muséum d’histoire naturelle, 12, 1808, p. 423-426) ;

Mariscus andringitrensis nov. Sp. (sect. Bulbocaulis), (nom issu de l’article « Sur quelques Cypéracées nouvelles du centre de Madagascar », de M. H. Chermezon, Bulletin du Muséum d’histoire naturelle, 1921, 27, p. 552-554) ;

ou encore Sphenostemon oppositifolius Hürl. sp. nov., (nom issu de l’article « Résultats scientifiques de la mission franco-suisse de botanique en Nouvelle Calédonie (1950-1952), de A. Guillaumin, Mémoires du Muséum national d’histoire naturelle, 23, 1974, p. 1-27.)

 Exemples d’unités Diagnoses (Dia) :

a.

b.

c.

Figure 8 : Exemples d’unités « Diagnose » : a. unité issue de l’article « Mémoire sur le Thouinia, Nouveau genre de la famille des Savoniers, Sapindi, Juss. » de Poiteau, Annales du Muséum

national d’histoire naturelle, 1804, 3, p. 70-73 ; b. unité issue de l’article « Une nouvelle espèce

du genre Adenanthera L. (Leguminosae, Mimosoideae) à Madagascar » de J.-F. Villiers,

Bulletin du Muséum national d’histoire naturelle, 1994, 16, p. 227-230 ; c. unité issue de l’article

« Two new species of Prockiopsis Baill. (Achariaceae) from Madagascar », de G. E. Schatz, P. P. Lowry II, Adansonia, 2003, 25 (1), p. 45-51.

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 Exemples d’unités « Description » (Desc) :

a.

b.

Figure 9 : Exemples d’unités « Description » : a. unité décrivant une Erythrina sigmoidea sp. nov. issue de l’article « Nouveaux matériaux pour la Flore de l’Afrique française. Collections de MM.

Les docteurs Maclaud et Miquel » de H. Hua, Bulletin du Muséum d’histoire naturelle, 1897, 3, p. 325-330 ; b. unité décrivant une Cynorkis volombato issue de l’article « Description de trois

Cynorkis Thouars nouveaux (Orchidaceae) du nord de Madagascar », de J. Bosser, Adansonia,

2015, 37 (1), p. 19-23.

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a.

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Figure 10 : Exemples de planches de dessins : a. unité Dessin issue de l’article « Nouvelles observations sur les plantes du Curare », de H. Baillon, Adansonia, Recueil d’observations botaniques, 1876-1879, 12, p. 366-381 ; b. unité Dessin extraite de l’article « Espèces nouvelles du genre Ipomoea (Convolvulaceae) à Madagascar », de T. Deroin, Adansonia, 1993, 15, p.

75-84.

Notons que dans certains articles, notamment les plus récents, le renvoi vers l’unité visuelle (la planche de dessins) est situé à côté de l’unité « Nom ». Pour les articles les plus anciens, le renvoi vers la planche de dessins s’effectue souvent à la fin de la fonction sémiotique. Précisons que pour les revues les plus anciennes, les unités Dessin sont situées à la fin de l’ouvrage (cela relève plus d’une question d’ordre technique que d’un choix éditorial).

Modélisons ainsi de la façon suivante ce noyau dur qui compose les fonctions sémiotiques élémentaires (FS) dans les articles (A) présentant des découvertes botaniques :

FS(Ax) = (N + Dia + Desc + Dess).

Cette base compositionnelle est particulièrement intéressante quand il s’agira de mettre en relation plusieurs fonctions sémiotiques. Soulignons l’importance que nous accordons aux relations des unités au niveau intra comme inter-fonctions sémiotiques. Ces relations sont fondamentales dans l’étude de la plante, car ce sont elles qui permettront de valider, d’une part, la représentation de la nouvelle espèce identifiée, et d’autre part, la construction de l’encyclopédie du vivant. Cette base, que constitue le noyau de la FS, permet à la découverte de s’inscrire dans le

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temps et l’espace grâce aux relations qu’entretiennent les fonctions sémiotiques les unes avec les autres. Ajoutons que cet ordonnancement des unités fondamentales est un moyen de maintenir la lisibilité de la structure de la découverte et de ses énoncés. Les fonctions sémiotiques forment ainsi un tout cohérent et homogène, et par là même, elles permettent de poursuivre l’élaboration encyclopédique des connaissances sur le vivant, résultat de l’entendement.

Ces unités fondamentales identifiées, il s’agit de préciser davantage leur relation afin de les caractériser les unes par rapport aux autres et d’engager par la suite leur étude sémantique. Notre recherche sur les relations entre les unités fondamentales nous permettra dans un premier temps de modéliser la structure de la découverte. Nous nous appuierons sur cette modélisation pour envisager plus précisément les unités de composition, leurs formes expressives. Cet enchaînement ordonné suit donc une logique de propositions qui nous est utile d’étudier pour formaliser les relations de sens entre les unités fondamentales. Citons Jérôme Champavère pour qui les relations peuvent être exprimées par

« l’intermédiaire de connecteurs logiques qui permettent, par composition, de construire des formules syntaxiquement correctes »20.

En ce qui concerne les connecteurs, relevons celui de la conjonction, de la disjonction, de l’implication, de l’équivalence ou encore de la négation. Ce sont particulièrement les connecteurs de conjonction (˄), d’implication (→), d’équivalence (≡) et de négation (¬) qui retiendront notre attention. Ainsi au sein des fonctions sémiotiques des articles, nous pouvons observer que les unités fondamentales sont prioritairement toutes en relation de conjonction. Nous pouvons ainsi formuler la fonction sémiotique de la découverte de la façon suivante :

FS(Ax) = (N ˄ Dia ˄ Desc ˄ Dess)

Cependant, nous avons observé que le dessin, bien qu’étant une unité fondamentale, n’est pas toujours d’un emploi systématique. Nous pouvons donc reformuler la fonction sémiotique de l’article et ses relations logiques entre les unités de la façon suivante :

FS(Ax) = (N ˄ Dia ˄ Desc ˄ Dess)

ou

FS(Ax) = (N ˄ Dia ˄ Desc ˄ ¬Dess)

20

CHAMPAVERE Jérôme, « Logique des propositions et logique des prédicats », Note de cours d’informatique, Université Lille 3, mars 2007, p. 6.

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Mais comme l’organisation des fonctions sémiotiques suit toujours cet ordonnancement, cela nous mène plutôt à envisager les relations logiques des unités à partir de relations d’implication ou :

FS(Ax) = (N → Dia → Desc → Dess)

ou

FS(Ax) = (N → Dia → Desc → ¬Dess)

Encore une fois, il nous semble que nous pouvons préciser ces relations, notamment entre les unités descriptives Diagnose, Description et Dessin. Nous pourrions les envisager à partir de relations logiques d’équivalence. En effet, entre les unités Diagnose et Description, toutes deux relèvent du même système sémiotique, le système linguistique. De plus, elles proposent toutes deux une description de la plante. On observe cependant que l’une est presque toujours en latin, bien qu'elle soit de plus en plus en anglais depuis quelques années. Il semble qu’il soit possible de faire des diagnoses en langue anglaise, dans la même langue donc que l’unité Description21. Remarquons cependant que la diagnose ne mentionne que les caractères morphologiques

diagnostiques élémentaires pour décrire la plante22. L’autre, l’unité Description, est soit en français, soit en anglais, voire en latin pour certaines descriptions du XIXe siècle (années 1860-1880 par exemple). Sa spécificité repose sur une description diagnostique exhaustive de la plante. Mais ce n’est pas une règle systématique. Au XIXe siècle, on observe que certaines diagnoses sont finalement plus exhaustives que les descriptions.

L’usage de plusieurs langues pour produire ces unités montre que le système linguistique n’est pas uniforme dans les fonctions sémiotiques. D’ailleurs, l’usage de différentes langues permet en général de différencier ces unités. Cela suppose d’envisager des fonctions différentes entre ces unités qui ne sont donc en aucun cas équivalentes du point de vue de leur relation logique. Elles ne peuvent s’intervertir. Mais le fait d’observer un changement de langue pour réaliser la diagnose, on a montré qu’elle passe du latin à l’anglais dans certaines fonctions sémiotiques anglaises, remet d’une certaine façon en question ce rapport relationnel. Leur co-présence reste-t-elle pertinente au sein de la fonction sémiotique ? Est-ce pertinent de changer de langue selon une vision d’ensemble des fonctions sémiotiques dans le temps et l’espace ? Dans ce cas, la seule différence se fonde seulement sur le rapport contrasté entre description élémentaire et description exhaustive. La réponse à ces questions ne relève pas de notre étude, car nous ne nous

21

L’anglais remplace, semble-t-il, petit à petit le latin, comme dans l’article « Novitates neocaledonicae IV : Three new species of Cryptocarya R.BR. (Lauraceae) » de J. Munzinger et G. McPherson, Adansonia, série 3, 38 (2), 2016.

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inscrivons pas dans un jugement de valeur sur la pertinence des unités. Nous ne sommes pas botanistes. Dans l’état de nos observations, nous n’envisageons donc pas ces deux unités descriptives comme équivalentes. Mais conservons leur relation d’implication bien que dans certains cas cette relation puisse poser certains questionnements (quand les unités sont toutes deux en anglais par exemple).

Penchons-nous à présent sur la relation de ces unités avec celle du Dessin, qui est aussi une unité descriptive fondamentale. Peut-on dire que l’unité Dessin est en relation d’équivalence avec les unités Description et Diagnose ? Soulignons que dans ce cas, nous sommes en présence de deux systèmes sémiotiques différents (système linguistique et système visuel). L’usage de deux systèmes soulève d’autant plus la question de leur fonction respective. En outre, ajoutons que selon Benveniste, deux systèmes sémiotiques ne peuvent être redondants, c’est le principe de

non-redondance entre systèmes :

« Il n’y a pas de ‘synonymie’ entre systèmes sémiotiques ; on ne peut pas ‘dire la même chose’ par la parole et par la musique [par exemple], qui sont des systèmes à base différente23. »

A partir de ce principe, nous ne pouvons envisager les unités Description et Diagnose comme équivalentes à l’unité Dessin. Elles ne peuvent donc être convertibles. Précisons que pour Benveniste, on ne dispose pas de « plusieurs systèmes distincts pour le même rapport de signification »24. Nous verrons cependant, dans notre analyse sémique, qu’il s’agit pourtant d’actualiser les « mêmes » étiquettes de description de la plante, les « mêmes » sèmes, mais sous des formes expressives différentes. On cherche par là à exprimer les mêmes propriétés morphologiques de la plante, dont les nouvelles, mais sous des formes expressives différentes. Cela pose la question de leur fonction au sein de la fonction sémiotique, mais aussi entre les fonctions sémiotiques. Dans cette perspective fonctionnelle, les unités descriptives linguistiques sont-elles alors dans une visée d’interprétation de l’unité visuelle ? Ou bien ces systèmes sémiotiques peuvent-ils s’interpréter par eux-mêmes ? Revenons à Benveniste pour qui le rapport entre systèmes, notamment entre différents systèmes, s’énonce généralement comme un

« rapport entre système interprétant et système interprété »25.

Précisons que pour cet auteur le système linguistique interprète toujours les autres systèmes, dont le visuel. En effet, pour Benveniste, le système linguistique occupe une place particulière. Pour lui, les signes, autres que linguistiques, peuvent être intégralement interprétés

23

BENVENISTE Emile, Problèmes de linguistique générale, t. II, Paris, Gallimard, 1974, p. 53.

24

Ibid., p. 53.

25

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par ceux de la langue et non l’inverse. Ceci laisse entendre que le système linguistique est un système interprété et interprétant, et que le système visuel est seulement un système interprété. L’unité Dessin est-elle donc nécessairement à envisager comme un système interprété par les autres unités, et donc comme un système subordonné aux unités Description et Diagnose ? Cela ne nous semble pas être le cas. Certes, nous utilisons généralement le langage verbal pour nous exprimer parce que c’est le système le plus commun et le plus courant pour la majorité des personnes. Pensons à d’autres populations pour qui le langage oral n’est pas la norme (pensons à la langue des signes par exemple). Bien que le système linguistique (la langue écrite) soit le reflet « miroir » de la langue orale, nous ne considérons pas pour autant que les autres systèmes, dont le visuel, lui soient hiérarchiquement subordonnés. Remarquons ici que lors de notre projet expérimental de lecture des unités visuelles (cf. troisième section), trois des participants sur les onze du groupe novice ont réalisé des dessins schématiques (des sortes de méta-dessins). Ils l'ont fait pour répondre à l’exercice qui leur était demandé : observer et décrire la plante. Cela laisse penser que le système visuel peut, dans une certaine mesure, s’interpréter lui-même. Nous réfutons donc tout principe de hiérarchie entre les systèmes sémiotiques. Tout au long de notre réflexion sur la formalisation, nous verrons que ces deux systèmes non convertibles sont tout aussi importants, l’un autant que l’autre. Nous verrons que ces systèmes actualisent avec leur spécificité expressive les étiquettes pour décrire la plante. Chacune des unités langagières possède donc une fonction qui lui est propre dans le processus de représentation de la plante. De l’usage des unités, en lien avec leur fonction spécifique, résultera la stratégie énonciative de la découverte.

Dans cette partie, nous avons pu observer les relations qu’entretiennent les unités de composition fondamentales de la fonction sémiotique, modélisant plus précisément notre structure élémentaire. Nous avons suivi une approche relationnelle logique. Ces relations sont nécessaires pour engager l’acte de sémiose. Cependant, à partir de ces relations logiques en émergent d’autres, les relations sémantiques notamment. En interrogeant la philosophie mathématique de Charles Sanders Peirce, Christiane Chauviré questionne ce rapport étroit, et nécessaire, entre relations logiques et épistémiques. Elle nous dit ainsi que les règles logiques fixent

« a priori l’armature de nos descriptions du monde, voire la forme de ce que nous appelons un fait »26. Dans cette perspective, constatons que les relations logiques entre nos unités ne sont pas suffisantes bien qu’elles permettent de fournir un point de vue répétable pour les mêmes situations. A partir de cette stratégie de la démonstration logique, il s'avère donc nécessaire

26

CHAUVIRE Christiane, L’œil mathématique. Essai sur la philosophie mathématique de Peirce, Paris, éd. Kimé, 2008, p. 12.

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d’opérer une tâche heuristique. De la sorte, la démonstration déductive doit s’envisager selon une double perspective :

 l’une logique ;

 l’autre épistémique.

La deuxième est nécessaire à la première, car les relations logiques font en effet « abstraction » des processus cognitifs. Ces relations logiques permettent seulement l’élaboration d’une « armature » à suivre qui fournira ensuite

« une explication (et une garantie) de la rigueur ou du caractère authentiquement logique des démonstrations »27.

La seconde perspective, épistémologique, retient particulièrement notre attention pour la suite de notre réflexion, car celle-ci fait intervenir des considérations touchant, comme nous l’avons dit, aux « processus cognitifs » qui accompagnent la démonstration déductive. Nous verrons que ces processus sont des moyens pour découvrir et contrôler la preuve28.

Selon Chauviré, la logique épistémique permet de rendre compte de la « fécondité du raisonnement »29. C'est de ce raisonnement que nous voulons rendre compte dans notre travail sur la formalisation de la découverte. Commune à toutes les fonctions sémiotiques, cette armature crée une cohérence d’ordre logique entre les fonctions. Cela permet de poser une base stable et pérenne afin de mettre en évidence les nouveaux observables. Ce n’est pas la mécanique logique qui permet l’émergence de ces nouveaux observables, elle est seulement leur préalable. Pour poursuivre notre étude des composants de la structure élémentaire de la découverte, il s’agit donc d’envisager les fonctions sémiotiques dans une perspective cognitive. Ceci nous amène à questionner ce deuxième type de relations, épistémiques, cité par Chauviré, selon un ordre