• Aucun résultat trouvé

Nous avons relevé un ensemble de paradoxes dans les applications du lean et notamment au niveau du rôle des opérateurs dans les démarches de standardisation et de transformations des postes de travail. Comme pour d’autres pratiques « ligne modèle » ces démarches ne sont pas complètement nouvelles, elles sont la prolongation et le renforcement d’une série de démarches qui ont été mises en place dès 2005 notamment suite à la « joint-venture » avec

« Le marquage au sol peut également aider à étudier d'autres effets comme le compactage. On travaille sur toute la longueur de la ligne pour pouvoir utiliser tous les pas de la ligne, il y a des risques d'interférence entre les opérateurs et donc des risques de sécurité, de qualité, de stress et de diminution de l'efficacité. Donc le marquage au sol au permettra de visualiser ces situations » (Responsable du Système de Fabrication)

« Les informations remontent des opérateurs vers les moniteurs qui rédigent des post-il qui sont traités par le RU, le TEP et la maintenance. Sur chaque post-it il y a une durée: plus de 15 jours, plus de 30 jours, si la durée est longue alors le RG prend en charge »

(Responsable du Système de Production)

Toyota. Cependant il y a de la part de la direction une volonté de systématisation de la participation des opérateurs lors de chaque transformation du travail :

Le point de vue des opérateurs sur le rôle qui leur est donné dans la transformation du travail est partagé. D’un côté ils voient un intérêt à être impliqués dans les transformations pour comprendre comment elles se font, pour donner leur point de vue sur la conception des postes et des outils de travail, pour voir comment travaillent les opérateurs des autres équipes :

D’un autre côté, ce nouveau rôle est vu par certains opérateurs comme une tâche supplémentaire qui s’ajoute à leur tâche principale. De plus, parfois leur participation peut être ressentie comme limitée du fait qu’ils ne sont pas formés aux méthodes mobilisées par les groupes d’amélioration auxquels ils sont invités à participer :

La transformation des modes de fonctionnement des groupes d’ « amélioration continue » influe aussi sur le ressenti des travailleurs vis-à-vis de ces démarches. En effet, auparavant ces groupes se faisaient en dehors du temps de travail et les participants étaient payés en plus pour venir. L’organisation de ces groupes ayant un coût financier important ils ont été remplacés par des démarches ponctuelles ayant lieu durant les heures de travail, pendant le temps de production :

« Auparavant dans le groupe, le poste était construit par les méthodes, dans la tradition tayloriste, aujourd’hui l'opérateur y participe. Par ailleurs il faut aujourd'hui donner à l'opérateur les moyens pour améliorer son poste » (Direction de Production)

« J’ai participé à un chantier hoshin d’amélioration des conditions de travail et de suppression de postes. Ça a été bien de participer, on voit comment c’est calculé les temps» (Opérateur)

« Les chantiers Hoshin ce n’est pas notre boulot, c’est un travail de TOP (Technicien Optimisation des Postes). Il y a un côté que je ne maitrise pas : tout ce qui est temps, les temps de montage» (Moniteur)

« Un point négatif est la disparition des groupes de progrès, ça coûtait trop au groupe car ils avaient lieu en dehors du temps de travail. Les GP étaient bien, ça nous permettait de traiter des questions spécifiques au niveau des postes. Après le temps de travail on payait le SELF et puis on travaillait dans des équipes de 4 environ (moniteur, TEP,...) sur une question particulière » (Moniteur)

Ainsi, d’un côté les opérateurs ne doivent plus venir en dehors de leur temps de travail (même si ce temps en plus est rémunéré) ce qui parfois posait des problèmes aux opérateurs faisant du co-voiturage ou à ceux qui habitaient loin. Mais de l’autre côté, l’intégration des démarches d’amélioration continue durant le temps de production peut être vécue comme une tâche supplémentaire pour laquelle les opérateurs et moniteurs n’ont pas forcément le temps. Par ailleurs, certains membres de la direction mettent en avant une organisation du travail favorable aux opérateurs alors que dans la pratique certaines méthodes induisent des contradictions dans le travail des opérateurs :

1.5 L’ergonomie dans la ligne modèle

Lors des entretiens, nous nous sommes notamment intéressés aux formes et aux mises en œuvre de l’ergonomie dans la ligne modèle. Nous soulignons que les données présentées ici se focalisent sur le point de vue des acteurs de la ligne modèle sur l’ergonomie et non pas sur une analyse du travail de l’ergonome (les modes d’action des ergonomes dans le lean seront étudiés plus loin dans la thèse, cf. Chapitre 10). Nous avons relevé une prédominance pour les réponses renvoyant à une prise en compte de l’ergonomie en vie courante (55% des verbatim associés, cf. Annexe 1). Cette prise en compte se faisant majoritairement au sein des Equipes de Progrès (EP) pilotés par le Responsable d’Unité. Il s’agit de démarches d’analyse et de traitement des sollicitations physiques aux postes de travail ainsi que du traitement des remontées des opérateurs et moniteurs à travers des « post-it » par exemple. Le pilotage de ces actions par les RU se fait en accord avec les ergonomes et constitue une volonté, dans la ligne modèle, de transférer le maximum de responsabilités aux acteurs des UEP (unités élémentaires de production) et notamment l’évaluation des postes de travail au niveau des sollicitations physiques. L’intervention de l’ergonome se fait de manière ponctuelle pour apporter son expertise dans des questions complexes qui ne peuvent pas être résolues au sein de l’UEP ou bien au niveau de la formation pour rendre les RU et techniciens méthodes

« L'utilité du marquage au sol: aujourd'hui on n'a aucun moyen visuel de savoir si l'opérateur est en avance ou en retard. Ceci est anxiogène pour l'opérateur, donc l'opérateur remonte pour prendre de l'avance. Le marquage au sol montre la zone de travail où: la sécurité est garantie, la qualité est garantie, l'efficacité est garantie en évitant les déplacements inutiles. Le marquage sert aussi pour la formation: un opérateur qui tient le temps de cycle est formé et peut être habilité. Si l'opérateur dépasse la "fin" il doit tirer andon» (Responsable Système de Production)

capables d’évaluer, de manière simple, un poste sur les dimensions physique, organisationnelle, cognitive.

La « grille des contraintes » est l’un des principaux outils utilisés par les RU pour faire l’évaluation des postes de travail. Cette grille est considérée comme plus simple d’utilisation d’après les RU que la méthode METEO (Méthode d’Evaluation du Travail et de l’Organisation) utilisée traditionnellement pour l’évaluation des situations de travail cycliques et répétitives :

L’évaluation s’intègre dans une démarche globale d’amélioration continue des conditions de travail. Cette démarche suit l’étape de résolution de problèmes du PDCA (Plan, Do, Check, Act). En partant de l’analyse et de l’identification des situations de travail les plus contraignantes, l’EP construit des plans d’action pour réduire les contraintes aux postes de travail. Les plans d’action, qui comprennent l’analyse et l’identification de solutions, sont censés être mis en œuvre avec les RU, le techniciens méthodes, les moniteurs et les opérateurs. Les solutions sont mises en œuvre soit à court terme pour les plus simples (par exemple le déplacement d’un meuble) soit, quand elles sont plus complexes (par exemple déplacement d’une opération sur un autre poste), elles sont inscrites sur des post-it pour être étudiées lors d’un changement d’équilibrage. Enfin un bilan est réalisé avec les opérateurs et une nouvelle analyse du poste permet de voir les gains qui ont été réalisés en termes de diminution de sollicitations physiques.

Cette méthode d’intégration de l’ergonomie en vie courante, sous forme participative, est perçue de façon positive par les RU qui la déploient. Cependant, le point négatif relève du peu de temps dont ils disposent pour la réaliser :

« Le processus LM est moins abstrait qu'avant (METEO) et donne des résultats plus visibles pour l'opérateur. Le RU peut mettre en place la démarche d'ergonomie sans que l'ergonome ne soit forcement présent. Il lui faut des outils pour agir à son niveau avec les Equipes de Progrès (chaque RU a son EP). Les outils ergo sont utilisés par les RU»

(Direction de la Production 1)

Par ailleurs, les réponses des interviewés (13% des verbatim) renvoient à une prise en compte de l’ergonomie « en production » c'est-à-dire lors de l’activité de production des opérateurs. Cette intégration se fait de différentes formes et majoritairement par la mise en place de rotations

La mise en place des rotations dites « ergonomiques » est présentée par quatre personnes comme un des moyens d’intégrer l’ergonomie en production. Les quatre personnes avaient des profils différents : responsable du système de production, responsables d’unité, et opérateur. Les « ergo rotations », dont le principe a été adopté à partir de la « joint-venture » avec Toyota, consistent à organiser les rotations des opérateurs d’un même module sur différents postes en tenant compte de la charge physique (ou mentale) du poste afin de « lisser la charge de l’opérateur ». Les avis des opérateurs interviewés sur la rotation sont plutôt positifs. Au-delà de l’aspect physique, la rotation peut être vue comme un moyen de faire varier les tâches, et aussi de progresser au niveau de la « grille des compétences » des opérateurs :

Cependant, les rotations sont difficiles à mettre en œuvre dans la ligne modèle. Premièrement parce qu’elles nécessitent d’avoir des opérateurs polyvalents. Deuxièmement parce qu’elles se font sur la base du volontariat et qu’une grande partie des opérateurs ne veut pas tourner. Et troisièmement parce qu’elles nécessitent une évaluation spécifique de tous les postes ainsi qu’un travail d’analyse et d’organisation par exemple pour faire varier les types de muscles sollicités, les efforts et aussi les postures :

« Autre point positif est la grille des sollicitations ergonomiques, c'est un outil simple, utilisable par un grand nombre mais le problème est le temps. Le RU fait un audit de poste et recherche des solutions avec les fonctions d'appui et le moniteur mais on n'a pas le temps. […] Normalement la démarche prévoit la réalisation de la grille des contraintes sur deux postes par semaine (un poste dans chaque équipe). Le principe est bien: un quart d'heure ou une demi-heure par grille, ce n'est pas long mais on n'a pas le temps»

(Responsable d’Unité B)

« La rotation c'est bien, je pense que tout le monde devrait tourner, ça permet de ne pas toujours effectuer les mêmes mouvements ce qui n'est pas bon pour la gestuelle, les tendinites» (Opérateur 3)

Enfin, une troisième catégorie des réponses renvoie à ce que nous avons appelé « ergo lean » en référence aux démarches lean dont leur application assurerait une intégration de l’ergonomie (Cf. chapitre 2). Dans le cadre de notre étude, certaines réponses vont dans le sens d’une intégration « naturelle » de l’ergonomie par la mise en place des servantes et la diminution des hauteurs de travail ainsi que par l’intégration des « défis ergonomie » dans les chantiers. En ce qui concerne les servantes, d’après le responsable des méthodes elles intègrent l’ergonomie puisque l’objectif de leur mise en place est de diminuer les déplacements (des gaspillages) ce qui signifie moins de fatigue. De plus un standard pour la conception des servantes a été défini pour qu’elles soient faciles à utiliser, simples et flexibles. Le standard donne des règles en termes de dimensions et de poids :

Par ailleurs, la conception de la ligne modèle intègrerait également l’ergonomie en plaçant les « racks dynamiques » (appelés couramment meubles kanban) qui sont les meubles en bord de ligne où sont placées les pièces, en respectant des hauteurs limites pour la prise de pièces et l’évacuation des bacs vides. La conception de ces meubles définit en effet une hauteur maximale de 1,60m pour l’évacuation des bacs vides et une hauteur minimale pour prendre les pièces de 40cm.

Les formes d’intégration de l’ergonomie dans le lean en amont de la production ont été évoquées par l’ergonome et le médecin du travail. Cette intégration se fait majoritairement au

« Nous avons mis en place les servantes, tout est pensé pour prendre les moyens de déposer le plus ergonomique et pour la prise des pièces également. L'ergonomie et la productivité vont ensemble» (Responsable d’Unité A)

« La diminution de la hauteur des meubles du bord de ligne à 1,60m est un plus pour l'évacuation des boîtes, ça permet aussi plus de visibilité pour la surveillance des postes, de la visibilité lors des alertes, c'est mieux qu'un espace fermé. Le point négatif est que le bas des meubles est un peu bas au niveau de l'ergonomie» (Responsable d’Unité A)

« Il faut voir comment faire tourner les gens des postes les plus contraignants. Certains demandent à tourner mais on ne sait pas comment organiser la rotation. Actuellement, 4 sur 25 sont réellement polyvalents, sans compter les moniteurs. Certains pourraient tourner mais ne veulent pas, ils savent faire de la qualité dans leur poste. Aussi il y a toute la diversité: les restrictions, les femmes. Certains postes on sait qu'on ne peut pas mettre la personne sur un autre poste, par exemple si c'est une personne trop petite. Les postes à sollicitations c'est la priorité» (Responsable d’Unité A)

moyen de l’expertise de l’ergonome qui est présent dans les projets de conception. L’ergonome réalise des retours d’expérience sur les véhicules précédents pour identifier ce qui peut être reproduit et ce qui doit être changé. Ses interventions se situent avant tout au niveau des postes, des pièces et des conditionnements et les analyses se font à l’aide d’outils transversaux d’évaluation des conditions de montage. Avec le lean, l’ergonome peut être confronté à une difficulté à faire reconnaître la nécessité d’investir des moyens spécifiques pour l’ergonomie dans le sens où dans l’approche du lean, une bonne conception selon les standards lean intègre déjà l’ergonomie :

Les données recueilles dans les entretiens sont similaires à celles rapportées par d’autres auteurs ayant étudié les réactions des employés suite au déploiement du lean (Seppäla et Klemola, 2004 ; Eklund & Berglund, 2007 ; Brännmark, Halvarsson et Lindskog, 2011). Dans ces études, les avantages perçus par les employés sont : une amélioration de la maintenance des équipements, des ateliers plus propres et mieux rangés, des opportunités d’agir sur la conception des postes et de participer à la résolution de problèmes. De plus certains employés voient l’introduction du lean comme une condition pour rester compétitifs. Cependant, les avantages perçus s’accompagnent de critiques, qui d’une étude à l’autre peuvent être plus nombreuses que les avantages perçus. Les critiques portent sur la standardisation du travail qui a pour conséquence une diminution des marges de manœuvre, sur l’accroissement du rythme de travail et sur la présence faible du management qui est trop mobilisé par des réunions et d’autres tâches supplémentaires apportées par le lean. Du point de l’ergonomie plus spécifiquement, nous observons la prédominance d’une ergonomie « physique » et dans certains cas la vision d’une ergonomie qui s’intègrerait « naturellement » avec les standards lean. Ces données vont dans le sens des observations faites par d’autres ergonomes dans des contextes de déploiement du lean (cf. Chapitre 2) (Bourgeois et Gonon, 2010 ; Bellies et Buchmann, 2011).

Il faudrait que dans le Lean la santé soit une donnée d’entrée, qu’il y ait des objectifs en termes de conditions de travail et un budget. Par exemple on met de l’argent pour la qualité, on dit qu’à partir du moment où la conception a été bien faite il ne faut pas rajouter de l’argent alors que c’est faux, il faut aussi investir de l’argent» (Ergonome projet)

Documents relatifs