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Présentation de l’étude et des objectifs de recherche Les premiers entretiens réalisés auprès de différents acteurs de la ligne modèle (cf. Chapitre 2)

1.28 Les conditions de déploiement des stratégies opératoires

Les stratégies opératoires individuelles et collectives présentées nécessitent des conditions particulières pour être mises en œuvre. Ces conditions renvoient d’une part aux ressources et contraintes de l’environnement et d’autre part aux ressources et contraintes propres aux individus et aux collectifs. Comme le souligne Teiger (1993), l’environnement de travail du 148

point de vue matériel, organisationnel et relationnel est caractérisé par des ressources et contraintes. Du point de vue des déterminants du travail il s’agit de la charge de travail, de la conception du poste, des outils nécessaires à la réalisation des tâches. Une charge de travail élevée, par rapport au taux d’engagement du poste, ne permet pas des prises d’avance ou elles sont faibles. Un poste qui se situe sur une inflexion (en montée ou descente) peut empêcher les prises d’avance car l’endroit du véhicule où doivent se réaliser les opérations sont inaccessibles ou bien les postures à adopter sont trop contraignantes. De même dans des postes ayant des opérations avec des outils automatiques (visseuses asservies par exemple) l’opérateur est soumis au déclenchement de la machine pour faire l’opération et donc même s’il a pris de l’avance il doit attendre pour faire son opération.

Les ressources et contraintes liées aux individus permettant l’élaboration de ce type de stratégies relèvent de caractéristiques propres aux individus tels que la taille des opérateurs, ainsi un opérateur petit ne pourra pas remonter la ligne si son poste se trouve au niveau d’une inflexion descendante et à l’inverse un opérateur trop grand aura du mal à faire des opérations si son poste est au niveau d’une inflexion où le véhicule remonte. Le savoir de l’opérateur est à ce niveau-là très important puisqu’il lui permet de réaliser les opérations efficacement, d’anticiper les prochains véhicules. L’analyse entre opérateurs pour le poste 1 (OP1, OP 2 et OP3) montre que l’OP1 est plus souvent en difficulté par rapport aux OP2 et OP3 si nous considérons les paramètres suivants : les cycles de travail où il arrive au marquage « appel » (c'est-à-dire qu’il a coulé), les cycles où il demande explicitement de l’aide et les cycles où le moniteur intervient pour l’aider. En effet, l’OP 1 étant plus petit il ne peut pas remonter autant la ligne que les deux autres opérateurs.

Enfin les ressources et contraintes collectives sont un élément essentiel au déploiement de ces stratégies. Dans les situations observées, le déploiement des stratégies de régulation par les opérateurs se font par une réélaboration des règles au niveau du collectif (ici il s’agit du module composé des opérateurs et du moniteur et dans certains cas ça peut être un peu plus large et inclure le RU qui, en tant que hiérarchique de premier niveau, autorise cette redéfinition des règles). Nous pouvons parler de réélaboration des règles dans le sens de Caroly (2010) : « L’activité collective, qui porte sur des processus de réélaboration des règles, est une ressource pour l’activité individuelle, en donnant des marges de manœuvre pour réaliser le travail » (Caroly, op.cit. p.113). Lorsque l’opérateur réalise des opérations acycliques comme l’évacuation des bacs ou le retournement des conteneurs, il libère du temps 149

au moniteur, censé réaliser ces opérations, qui peut alors aider d’autres opérateurs ayant plus besoin d’aide. Par ailleurs, lors des entretiens, l’ensemble des opérateurs semble s’accorder sur le fait de ne pas « déranger » le moniteur pour des choses qu’ils peuvent réaliser eux-mêmes :

Chatigny (2001a, 2001b) souligne l’importance d’apprendre à identifier les sources des ressources et des contraintes, d’apprendre à construire et à utiliser les ressources pertinentes et d’apprendre à contourner les inconvénients des contraintes. Pour l’auteur, ce processus est étroitement lié à la possibilité de réguler la marge de manouvre et la variabilité des composantes du contexte au cours de l’activité. La possibilité de mettre en œuvre ces stratégies dépend aussi de leur autorisation par l’organisation du travail, les marges de manœuvre que les organisateurs sont prêts à donner. Au niveau le plus proche de l’opérateur il s’agit de comprendre comment le moniteur autorise le fait de faire autrement que selon les procédures, ce qui renvoie à la question de la réélaboration des règles par le groupe. Au niveau du groupe élargi qui est l’UEP, c’est le RU qui autorise ou empêche ces réélaborations des règles. Cependant, ce dernier se retrouve souvent pris entre les exigences, les prescriptions imposées par sa hiérarchie et l’autorisation de certaines stratégies opératoires contraires à ces prescriptions mais s’avérant plus efficaces. Ce dernier point est illustré dans le verbatim suivant :

«Il faut se dire qu’on est là pour travailler donc on ne va pas non plus… j’ai pas fini ma voiture, je sonne. Si tout le monde le fait, le moniteur c’est vrai qu’il s’en sortirait pas non plus…C’est sûr, il faut être aussi un petit peu…Vraiment, si vraiment on ne peut pas finir, il y a trop à finir vraiment quelques fois on ne peut plus on sonne andon, bon il vient volontiers nous aider mais bon…je ne pense pas qu’il viendrait quand même toutes les voitures…ça serait quand même…il faut se mettre à sa place aussi hein. On essaye de faire au mieux… C’est mon boulot, moi je le finis, je termine mon travail c’est tout et puis la suivante je verrai et si je suis coulée bah je tire andon pour qu’il vienne me donner un coup de main c’est tout… (Opératrice 6)

Lors de la restitution de nos analyses (exemple de support de restitution en annexe 6), le RU a trouvé que la formalisation des données traduisait bien ça perception de la situation qu’il n’avait pas réussi à le formaliser de la sorte auparavant : « on aurait peut-être évité de faire certains choix qui ont eu des effets négatifs pour le travail des opérateurs ». Ceci faisant référence aux chantiers d’équilibrage qui avaient eu lieu quelques semaines auparavant à l’occasion de l’introduction d’un nouveau modèle de véhicule qui avait conduit à un débrayage des opérateurs.

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