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Articuler les objectifs de santé et de performance dans des environnements capacitants

Nous présentons ici l’approche d’une ergonomie constructive qui intègre la performance dans laquelle la santé est appréhendée dans une vision dynamique en interaction avec l’environnement. Les caractéristiques de l’environnement de travail sont ici considérées comme source de santé, qui elle-même est une source de la performance.

1.11Perspective d’une ergonomie constructive

Dans une approche constructive, développementale de l’ergonomie (cf. § 1), le sujet comme les collectifs se construisent dans l’interaction avec le monde et dans l’action sur celui-ci 87

(Falzon et Teiger, 1995 ; Béguin, 2007a, 2007b ; Caroly, 2010 ; Falzon, 2013a). Les compromis faits par les opérateurs et leur liberté d’action devraient s’inscrire dans un processus de confrontation des règles du travail pour favoriser le développement des individus et des organisations (Falzon, 2013a). Il s’agit d’un processus de confrontation des connaissances du général et du singulier facteur de construction de la santé (Daniellou, 1998, 2010).

L’objectif de l’ergonome serait alors élargi, le développement devenant un moyen et une finalité de l’action ergonomique (Falzon, 2013a). Le développement comme moyen correspond à des modes de conduite de projet permettant aux acteurs une prise de distance par rapport à leurs pratiques (Falzon, 1994, 2005, 2006 ; Mollo, 2004 ; Falzon et Mollo, 2009) en favorisant la confrontation des logiques entre opérateurs et concepteurs (Daniellou, 1998, 2008, 2010). L’objectif est alors le développement de l’activité individuelle et collective par la création d’espaces de débat sur les conflits de buts pour retrouver des possibles dans la gamme des stratégies individuelles ou collectives et rendre le collectif vivant par des controverses et des « disputes professionnelles » (Caroly, 2010). Le développement comme finalité vise à contribuer à la construction et à la mise en œuvre d’environnements « supports » du développement de l’activité, en cherchant constamment le meilleur compromis entre objectifs de bien-être et de performance (Falzon et Mas, 2007). Dans ce sens, le développement de l’activité est appréhendé comme l’élargissement des possibles auxquels un opérateur a accès, comme l’acquisition de nouvelles compétences (Falzon et Teiger, 1995 ; Falzon et Mollo, 2009). Ce développement dépend fortement des possibilités réelles qu’ont les travailleurs d’articuler les objectifs immédiats et à ceux à plus long terme (Mollo, 2004 ; Falzon et Mollo, op.cit.), de construire les règles du travail de façon continue (Falzon, 2013a). Les effets de l’intervention ergonomique peuvent alors être pensés en termes de développement du pouvoir d’agir des personnes. C’est dans cette perspective que la mise en place d’ « environnements capacitants » a été proposée comme un objectif central et une visée de l’intervention en ergonomie(Falzon, 2005, 2013 ; Falzon et Mollo, op.cit.).

1.12Les environnements capacitants : une proposition de l’ergonomie

pour tenir le double objectif

Dans la perspective d’une ergonomie constructive, la notion d’« environnements capacitants » a été développée en s’appuyant notamment sur la notion de « capabilités », définie en 88

économie initialement par Sen (1999) comme l’ensemble des choix possibles à un individu donné, quel que soit l’usage qu’il en fait (Falzon, 2005 ; Pavageau, Nascimento et Falzon, 2007, Falzon et Mollo, 2009). Dans les termes de l’ergonomie, « la notion de capabilité exprime le degré d’autonomie d’un opérateur et la notion d’environnement capacitant traduit l’ensemble des conditions individuelles, techniques, organisationnelles et sociales nécessaires pour que le travail soit non seulement non délétère, mais aussi facteur de liberté et de progrès » (Pavageau et al., op.cit, p. 4). Les capabilités supposent cependant un environnement favorable pour être exercées (Falzon et Mollo, op.cit) : la disponibilité d’une capacité (un savoir, un savoir-faire) et la possibilité réelle de mise en œuvre de cette capacité (Falzon, 2013a). L’intervention ergonomique vise alors à contribuer à la mise en œuvre d’un environnement permettant de placer l’opérateur d’être en capacité d’agir. Les environnements capacitants ont pour caractéristiques d’être préventif, universel et développemental (Falzon, 2005 ; Falzon et Mollo, 2009, Falzon, 2013a) :

- D’un point de vue préventif, un environnement capacitant serait un environnement qui n’a pas d’effets néfastes sur l’individu et préserve donc ses capacités futures d’agir. L’intervention relève alors d’une approche préventive et vise à prévenir les risques en diminuant ou en éliminant les situations d’exposition aux facteurs de risque.

- D’un point de vue universel, un environnement capacitant serait un environnement qui prend en compte les différences inter-individuelles comme les caractéristiques anthropométriques, les différences d’âge ou de genre et qui compense les déficiences individuelles liées par exemple aux incapacités. A l’approche préventive de l’intervention s’ajoute alors une approche adaptative visant la conception d’environnements de travail adaptables par et pour le plus grand nombre.

- D’un point de vue développemental, un environnement capacitant serait un environnement permettant aux personnes et aux collectifs de déployer leurs capacités de façon efficace et fructueuse ; de développer de nouveaux savoir-faire et de nouvelles connaissances pour élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur les tâches et sur la façon dont ils les réalisent. L’intervention vise alors la conception d’un environnement qui n’entrave pas les capacités, qui est adaptable au plus grand nombre et qui rend les personnes capables. Il s’agit de concevoir des environnements d’apprentissage continu.

Un objectif orienté vers la mise en œuvre d’un environnement capacitant suppose alors, du point de vue de l’action ergonomique, la définition de méthodes d’intervention spécifiques. Dans ce sens, nous considérons qu’une méthodologie permettant de soutenir les confrontations entre les différents types de connaissances, du général et du singulier (Daniellou et Aubert-Blanc, 2011) dans une visée de conception de la prescription du travail, irait dans le sens d’un développement des capabilités. Cette approche théorique nous permettra alors de guider le cadre méthodologique de notre thèse.

Ce premier chapitre théorique nous a permis d’instruire la question de la santé et de la performance au regard de l’ergonomie, qui propose de tenir ce double objectif par une approche développementale et constructive de l’activité. Ceci en référence à la vision du lean

qui semble intégrer ces deux objectifs de façon dissociée et dans une visée d’efficacité productive sans considérer l’efficience de l’activité. Dans le chapitre suivant, nous cherchons à instruire les conflits entre le lean et l’ergonomie du point de vue de la vision du travail dont nous avons posé les premières bases précédemment en lien avec l’intervention des ergonomes et son interpellation par le lean (cf. Chapitre. 2).

Chapitre 5 : L’instruction d’un conflit entre lean et

ergonomie

La prescription est nécessaire mais non suffisante à la réalisation du travail. Le travail n’est alors jamais une simple exécution, lorsqu’il l’est c’est une grève du zèle qui bloque le système (Daniellou, 2006). La vision du dysfonctionnement comme écart au standard de travail mène à l’impossibilité de pouvoir débattre des règles du travail, ce qui entre en conflit avec le travail réel et peut devenir une source de mal-être pour les opérateurs. Il existe alors un conflit permanent, non débattu, entre une production réglée par les procédures, les standards de travail et une production gérée par les opérateurs qui prennent soin de la variabilité du travail, de tout ce qui n’a pas été pris en compte par la production réglée. Ce conflit est mis en évidence notamment à l’occasion de la mise en œuvre des démarches d’analyse du travail visant à la conception ou la transformation de situations de travail comme dans les kaizen

(Perez Toralla et al., 2013). Dans ce chapitre, nous visons à identifier les principales divergences entre les caractéristiques du travail pour le lean et pour l’ergonomie et leurs conséquences dans les usages de l’analyse du travail. Nous montrerons comment ces différentes visions du travail sont mobilisées dans les démarches de conception ou de transformation des situations de travail ainsi que leurs conséquences pour les travailleurs et leurs implications pour les concepteurs.

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