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CHAPITRE 4. MÉTHODOLOGIE

4.1 Paradigme constructiviste

De façon globale, cette recherche exploratoire s’ancre dans le courant paradigmatique du constructivisme (Berger et Luckmann, 1966). Je rappelle qu’un paradigme est un cadre conceptuel général reflétant un ensemble de croyances et de valeurs reconnues par une communauté et admises comme état communes à tous les individus dans le groupe (Kuhn, 1962 cité dans Levy, 1994). Ce paradigme partagé permet donc à un groupe d’appréhender un objet de recherche et d’en structurer son étude, de clarifier des problèmes disciplinaires et de statuer sur des moyens fiables pour mener à bien la production de connaissances.

Pour bien comprendre le paradigme constructiviste, il est nécessaire de le décomposer en ses quatre axes, soit les quatre domaines qui le composent : l’épistémologie, la méthodologie, l’ontologie et la téléologie. La figure qui suit, tirée de Gendron (2001) présente bien les interactions entre ces quatre champs :

Figure 2 : Quatre axes du paradigme constructiviste

Source : Gendron 2001

Dans un paradigme, l’épistémologie renvoie à la signification cognitive, c’est-à-dire la vision du monde et la façon d’organiser l’approche de recherche. Dans un paradigme constructiviste, l’épistémologie est pluraliste et non neutre puisqu’elle repose sur les postulats que

l’observateur est non neutre, que le monde vécu est en fait une reconstruction et que les événements (et le monde) ne sont pas prédéterminés mais s’inscrivent plutôt dans un processus de changement (Levy, 1994).

Le champ de la méthodologie réfère aux méthodes, aux procédés et aux techniques qui nous permettent d’appréhender le monde ou un phénomène vécu et de formuler des constats sur ceux-ci (Gendron, 2001). Contrairement à une méthodologie réaliste qui cherche plutôt à manipuler des faits spécifiques qui sont observables et mesurables pour conduire à l’élaboration d’une convergence de ces faits, la méthodologie constructiviste vise à construire des représentations des perceptions du monde vécu et vise la divergence entre les conceptions multiples et émergentes de l’expérience et des phénomènes (Levy, 1994).

Le champ ontologique s’intéresse à la nature, à la constitution et à la structure de la réalité. Ainsi, alors qu’une ontologie réaliste s’appuie sur le fait qu’il n’existe qu’une seule vérité et que celle-ci est indépendante, préexistante et ordonnée, l’ontologie constructiviste reconnaît l’existence de multiples perceptions d’une pluralité de mondes vécus (Lehoux, 2004 ).

Le quatrième champ, la téléologie, renvoie aux multiples intentions et finalités liées à l’objet d’étude qui sont poursuivies par les acteurs (chercheurs). Il réfère à leurs intentions et leurs intérêts de même qu’aux responsabilités dont ils s’investissent par rapport à leurs travaux (Levy, 1994).

Ce survol rapide des quatre champs composant un paradigme, et plus précisément le paradigme constructiviste, permet de mieux situer les assises de la présente recherche en promotion de la santé.

4.1.1 Approche compréhensive

De façon plus précise, sur le plan épistémologique, cette recherche exploratoire s’inspire de l’approche compréhensive. L’approche compréhensive est en fait un positionnement intellectuel qui soutient que les faits humains et sociaux (comme celui dont il est question dans cette recherche) sont radicalement distincts des faits des sciences naturelles et physiques puisque que les faits humains ou sociaux sont porteurs de significations qui sont véhiculées par des acteurs. Elle soutient également qu’il est possible pour un homme de pénétrer le vécu et le ressenti d’un autre homme, selon le

principe de l’intercompréhension humaine. Que c’est à partir des efforts liés aux moments de saisie intuitives des faits sociaux que sera élaborée, par synthèses successives, une synthèse finale qui donnera une interprétation en compréhension de l’ensemble étudié (Paillé et Mucchielli, 2003).

4.1.2 Réflexions sur la subjectivité

Il va sans dire que la subjectivité est un aspect central de ce projet de recherche exploratoire, pour de nombreuses raisons. Puisque le jugement du chercheur ne se forme pas qu’à partir de ses connaissances formelles ou de ses analyses théoriques, d’autres éléments qui lui sont propres vont contribuer à la production de connaissances. Son expérience personnelle du monde (ou du phénomène étudié), ses sentiments, ses intuitions et ses valeurs seront aussi sollicités (Baribeau, 2005). Dans une recherche comme celle-ci où la réflexivité est importante, les interactions entre la chercheure et les participantes peuvent avoir des effets sur la « production de connaissances ». Une prise de conscience de cette subjectivité et la documentation systématique des effets de cette subjectivité sur la recherche sont importantes (Poupart, 1997); Laperrière, dans Poupart, 2004). Comme le dit Flood (1999, 35): "Without some degree of reflexivity, any research is blind and

without purpose."

Je trouve donc important de soumettre au jugement du lecteur le fait que 1) je ne suis pas neutre; 2) je crois que les trajectoires de résilience ne sont pas le fruit du hasard ni des événements isolés; 3) mon expérience de terrain a été marquante. Ces trois affirmations, que j’explicite ici-bas, ont très certainement eu un impact sur le cours de cette étude.

1. Je ne suis pas neutre : je suis une femme, j’ai deux jeunes enfants et j’estime que la transition à la maternité a été un passage marquant dans ma vie. Malgré le fait que j’ai eu mes enfants dans un contexte facilitant (présence d’un conjoint, revenus adéquats, réseau social soutenant), la maternité a engendré des bouleversements dans ma vie personnelle, conjugale, sociale et professionnelle. Comme j’estime mon expérience commune et similaire à celles de nombreuses autres femmes, je crois qu’il est aussi normal de s’attendre à ce que la vie d’une adolescente soit bouleversée par cette maternité sans que cela soit le signe d’inaptitude parentale ou d’une détresse psychologique.

2. Je crois que les trajectoires de résilience ne sont pas le fait du hasard ou des événements isolés : dans mes expériences professionnelles comme intervenante, j’ai eu à côtoyer de

nombreux individus qui ont réussi à surmonter des adversités impressionnantes et leurs trajectoires laissaient deviner des influences complexes.

3. Mon passage dans deux organismes travaillant auprès des jeunes mères a été extrêmement riche parce qu’il m’a permis de mieux comprendre comment peut se dérouler une maternité précoce, les obstacles qu’on y rencontre, les difficultés vécues, mais aussi les changements positifs que cela peut faire vivre, les joies qui y sont rattachées, les interactions sociales qu’on y vit. Mais il a aussi été choquant à plusieurs reprises et ce que j’ai pu y observer m’a parfois déstabilisée, comme mère et comme femme. La façon de corriger un enfant, les cognitions erronées qu’avaient certaines mères, les interactions parent enfant, les propos que certaines mères tenaient à l’endroit de leurs enfants : ce sont des éléments qui m’ont bouleversée. Comme il sera discuté plus loin, ce ne sont pas toutes les mères fréquentant les deux organismes qui ont pris part à l’étude. Une minorité d’entre-elles ont été interrogées, que ce soit lors des entretiens individuels ou de groupe. Par contre, c’est avec la totalité des mères que je passais mes journées et que je discutais dans l’informel.

C’est dans ce cadre que certaines scènes que j’ai vu pourraient influencer ma lecture de la situation de la maternité précoce, notamment en créant un clivage entre les mères présentant une trajectoire résiliente et celles qui présentent des difficultés. Je suis très soucieuse de ne pas contribuer à ce clivage bonne mère/mauvaise mère, de contextualiser ces événements et de ne pas

contaminer ma lecture de la situation. J’ai noté ces événements et les ai discutés avec des collègues,

principalement pour réduire la charge émotive qui y est attachée. J’ai aussi consulté de nombreux écrits destinés aux intervenants qui travaillent auprès des mères en situation de vulnérabilité, qu’elle soit financière ou autre, pour mieux saisir l’étendue des défis qui s’offrent aux mères.

Un autre aspect relié à la subjectivité mérite d’être mentionné : il s’agit de l’intersubjectivité. Il faut garder en tête que les résultats qui sont présentés dans cette thèse sont issues principalement de l’analyse du discours des jeunes femmes interrogées. C’est la rencontre de la subjectivité des participantes jumelée à la mienne. Bien qu’elles aient eu comme consigne principale de raconter leur histoire, il y a fort à parier que cette histoire soit influencée par des valeurs, des expériences, des connaissances et l’intériorisation de normes sociales, mais aussi en fonction de ce qu’elles croient que l’intervieweur souhaite entendre (Poupart, 1997).