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CHAPITRE 5. RÉSULTATS

5.2 Trajectoires de résilience : description des composantes

5.2.5 Cinquième composante de la trajectoire de résilience : les facteurs de vulnérabilité

Bien que les trajectoires illustrées dans le cadre de ce projet de recherche doctoral démontrent la possibilité pour ces jeunes mères de surmonter les événements adverses et d’accéder à un état de santé satisfaisant, il n’en reste pas moins que des difficultés demeurent présentes. Les informatrices sont sensibles à la présence de ces limites, qui constituent des facteurs de vulnérabilité pour la poursuite de leur parcours de vie. Il s’agit : 1) un accès limité aux ressources matérielles et financières, 2) difficulté de conciliation travail/école et famille, 3) l’unité familiale au détriment des relations saines et 4) l’homogénéité sociale au détriment de la mixité sociale.

Accès limité aux ressources matérielles et financières

Les prestations gouvernementales dont bénéficient la majorité des mères rencontrées ainsi que les salaires gagnées par celles qui occupent un emploi ne leur permettent pas d’accéder à un revenu suffisant pour combler leurs besoins. Les fins de mois sont serrées et font vivre du stress aux jeunes mères. Le fait de travailler ou d’avoir un conjoint qui travaille, même si le revenu familial est faible, peut parfois priver la jeune mère d’occasions d’améliorer sa situation financière et matérielle.

Je trouve que 26 000$ (pour une famille de 4 avant impôts), c'est pas beaucoup. Quand tu as une auto ou quoi que ce soit… je viens d'acheter des meubles. Avant, je n'étais pas capable. Ça finissait juste par briser, t'en rachetais d'autre, on dirait que tu faisais juste

ben ça je ne rentrais pas dans leurs cases. Pour eux, on faisait trop d'argent. (Mimi)

L’accessibilité au logement est aussi un facteur qui peut menacer la trajectoire de vie des jeunes mères. Cela limite leur autonomie, les contraint à devoir s’appuyer dans certains cas sur la famille ou dans d’autres, à demeurer au sein d’une relation amoureuse violente.

Moi, ce que j'ai voulu faire, c'est déménager avec mon gars mais je n'ai jamais pu faire ça parce que… L'aide sociale ne donne pas d'argent et si tu n'as pas de job ben si tu n'as de job, tu n'as pas de retrait préventif, pas de congé de maternité alors qu'est-ce que tu fais? Si tu n'as de job pis c'est ton chum qui subvenait à tes besoins pis qu'il te laisse, ben tu ne peux pas rien faire. Tu n'as pas d'argent pis l'aide sociale c'est vraiment pas assez pour être capable de trouver un logement.

Bien que certaines mères aient réussi à obtenir des places dans des coopératives d’habitation ou des HLM, d’autres doivent composer avec un logement qui ne correspond pas vraiment à leurs attentes ou à leurs besoins, souvent trop petit ou mal situé. Les déménagements sont fréquents, dans l’espoir d’améliorer la situation locative. Les logements non subventionnés grugent une partie importante des revenus. Pour une mère qui habite dans un HLM, les bénéfices apportés par le faible loyer sont nuancés par l’environnement difficile où est situé ce dernier.

À l’exception des deux mères plus âgées qui, 15 ans après la naissance de leur premier enfant, sont maintenant propriétaires de leur maison, toutes les mères rencontrées étaient locataires. Une mère raconte les difficultés qu’elle a eues pour se trouver un logement :

Moi en ce moment, je vis chez mes parents. Pas parce que j'en ai envie, mais parce que je cherche des appartements et je rencontre plein de personnes depuis que je suis comme trois mois enceinte, mais personne ne veut me donner d'appartement parce que je suis sur le

apprendre comment chercher pour un appartement, savoir c'est quoi nos droits. Parce que moi, je le sais pas s'il a vraiment le droit de me refuser parce que je suis sur le bien-être? Je devine que oui parce que tout le monde me refuse mais ce serait le fun s'il y avait une place où on pourrait nous aider à trouver un appartement. (Alizée)

Difficulté de conciliation travail/école et famille

Les difficultés de conciliation telles qu’énoncées par les informatrices se retrouvent sur deux plans, soit premièrement sur le décalage entre l’idéal et la pratique et deuxièmement sur l’aménagement des services qui permettent cette conciliation.

Les mères rencontrées ne souhaitent pas, dans l’ensemble, que leur(s) enfant(s) fréquentent la garderie à temps plein. Elles veulent passer le maximum de leur temps disponible avec leur(s) enfant(s) jusqu’à l’entrée dans le système scolaire. La valeur de la mère dévouée, l’idée qu’une "bonne" mère doit être là pour ses enfants peut limiter les opportunités de scolarisation ou de travail en favorisant plutôt une présence constante auprès des enfants. Diane raconte dans l’extrait suivant les pressions qu’elle a subies de sa mère, qui avait pour elle un plan de vie différent du sien :

(Ma mère) elle me pousse à aller finir les études, à travailler. Mais quand même je ne peux pas maintenant, je ne veux pas que mes enfants aillent à la garderie. C'est moi qui veut les élever jusqu'à cinq ans. Après cinq ans, je peux faire tout ce que je veux. (Diane)

Celles qui souhaitent retourner à l’école ou travailler aimeraient avoir un système de garderie flexible, c’est-à-dire à temps partiel ou convenant aux horaires atypiques. Or, selon les propos rapportés, le système de garderie subventionné n’offre pas ou peu ce type de place. Elles sont donc placées devant le choix de faire garder les enfants à temps plein pour aller à l’école et/ou travailler ou rester à la maison avec leurs enfants et mettre de côté les plans de scolarisation et de travail à l’extérieur.

Les valeurs et les idées exprimées par les jeunes mères rencontrées pourraient contribuer, à notre avis, à les maintenir dans une situation de vulnérabilité. En premier lieu, l’importance accordée à la relation amoureuse et à la présence d’un partenaire amoureux pourrait amener les jeunes femmes à ne pas reconnaître et nommer les gestes de violence qui sont présents dans la relation, à en nier la présence.

De même, l’idée de la famille nucléaire comme représentation d’un idéal peut contribuer à maintenir la femme dans une situation relationnelle adverse qui lui cause du tort :

Moi, dans ma tête, c'était toujours dans l'idée que les deux filles aient leur père. Papa et maman dans la maison, pour moi, c'était clair que c'était ça. J'ai essayé jusqu'au bout. Jusqu'au bout j'ai essayé. (Shany)

Une autre situation semble exercer une certaine influence sur la décision de la mère de privilégier l’unité familiale; il s’agit d’une attitude paternelle qui n’est pas directement violente envers l’enfant :

C'est le papa de mon fils. Quand mon fils est avec son père, c'est la joie totale. Papa par ci, papa par là, papa d'amour. Il est super, numéro un avec son garçon, il ne lui crie pas après. (…) Je ne l'ai jamais vu taper ou parler tout le temps fort à mon fils Jamais. (Maude)

L’homogénéité sociale au détriment de la mixité sociale

L’environnement social pourrait être à la fois un facteur promoteur et un facteur de vulnérabilité. Le fait de se retrouver entre jeunes mères, que ce soit lors d’un parcours éducatif adapté ou dans les organismes qui offrent des services aux jeunes parents, favorise la socialisation et l’appartenance avec des gens qui vivent des défis similaires aux leurs.

opportunités : moins d’occasions d’apprentissage par modelage, normalisation ou banalisation de certaines difficultés vécues, etc.

Par exemple, Louise mentionne que c’est en discutant avec une copine rencontrée à l’école qu’elle s’est rendue compte, suite aux réactions de son amie, que ce qu’elle vivait à la maison n’était pas vécue par toutes les femmes, dans toutes les maisons.

But then one day, I met a new friend and I was talking to her and she was like: what's all that noise? It's very loud. And I was like: oh yeah, some friends, they come over every day. And she was like: Hey, but that's not right. And she was talking to me… And you know the more we talked and tell her what's happening, she is like: Oh my gosh, you have to go say something about it. You can't have that. Look at how tired you are and everything. And the more I thought about it, I'm like you are right. (Louise)

I know other people have their lives and have hard things to go through too. I don't really know people stories but in my eyes, it could be normal what I've been through. (Louise)

C’est en échangeant avec des gens qui ont des contextes de vie différents que les jeunes mères prennent conscience de certains enjeux liés à leurs situations.