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L’œuvre et son ’’milieu’’

Chapitre 2 Langue et littérature libanaise d’expression française

2. La francophonie et la littérature de langue française au Liban

2.2. Panorama de la littérature francophone

La littérature libanaise de langue française est vigoureuse, même si actuellement le français est en perte de vitesse face à l’anglais756

. Elle se caractérise par deux adjectifs : inclassable et abondante parce que chaque auteur de littérature de langue française touche à tous les genres et s’ouvre à divers courants littéraires. On peut simplement noter, comme le révèle Alexandre Najjar, l’omniprésence de la poésie « à cause peut-être de l’inclination des Orientaux que nous sommes au rêve et à la fantaisie qui ne s’épanouissent vraiment que dans la poésie757 ». Il faut souligner en effet à quel point la littérature arabe a toujours été poétique, déjà depuis la période préislamique où

le poète, organe de sa tribu ou de son clan, (...) consign[ait] dans ses poèmes les valeurs chères aux siens, immortalis[ait] leurs hauts faits, glorifi[ait] leurs vertus, (...) et ridiculis[ait] leurs adversaires758.

Et si les évènements qui se sont produits au cours de l’histoire ont des répercussions sur la production littéraire, que ce soit des bouleversements politiques, économiques ou sociaux, cette prédilection pour la poésie s’est toujours maintenue.

Sonia Fakhri évoque cette prédominance de la poésie et s’interroge sur ce qui fait la richesse et l’originalité de la littérature arabe notamment francophone, en suggérant notamment une indubitable « sensibilité affective, un lyrisme sincère et une imagination créatrice759 », des caractéristiques qui se sont maintenues au fil du temps.

On a l’habitude de définir en fait la littérature libanaise par rapport à l’année 1943, date de l’indépendance. La première période760

est très conservatrice, avec un lyrisme célébrant le cadre naturel, oriental, sensuel et une seconde761, plus moderne, passant à la représentation des conflits, au milieu desquels persiste néanmoins une parole d’amour et d’espoir, le plus souvent associée là aussi à un cadre naturel. La littérature libanaise dite

756 Le français reste toutefois « un diamant » pour Salah Stétié, alors que l’anglais est jugé comme « anthropophage » et l’arabe « une langue rituelle », in Le Nibbio ou La médiation des imaginaires, Paris, Corti, coll. « En lisant en écrivant », 1993, pp. 35-36.

757 Alexandre Najjar, « Littérature libanaise francophone de 1975 à nos jours ; bilan et perspectives », Le

Rotarien, avril 1998, p. 31.

758 Heidi Toëlle et Katia Zakaria, À la découverte de la littérature arabe du VIe siècle à nos jours, op. cit., p.

53. Signalons qu’il existe une version moderne, le « zajal », qui se déroule sous la forme de débats organisés lors de longues joutes oratoires.

759

Sonia El Fakhri, « Le Liban et un siècle de littérature francophone », Cahiers de l’Association

Internationale des études françaises, op. cit., p. 42, http://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_2004_num_ 56_1_1524, consulté le 20 mars 2014.

760 Après la Première Guerre mondiale.

175 moderne762 éclot au XIXe siècle, en lien avec le souhait de la libération du joug ottoman. Elle se manifeste sur le plan littéraire et culturel par l’évocation des réalités sociologiques. Parmi ces précurseurs, Ahmad Farès Al Chidiac (1805-1887) et Chukri Ghanem (1861-1929)763 s’engagent dans une lutte nationaliste contre l’occupant ottoman. Ces poètes sont dits de ’’la première génération’’ et défendent un Liban pluriconfessionnel, un Liban véritable plaque tournante entre Orient et Occident. Une certaine méfiance transparaît pourtant dans leurs textes envers certaines des confessions qui composent le pays et ils préfèrent généralement se replier autour de leur ’’montagne’’, dont les paysages sont magnifiquement évoqués.

C’est surtout après la Première Guerre mondiale que la production littéraire en langue française devient abondante avec la naissance d’une revue accompagnée d’une maison d’édition, La Revue phénicienne, fondée en 1919 par de jeunes intellectuels. Les critiques tentent de classer cette littérature en fonction des rapports avec la culture française et de la réalité sociopolitique du Liban764, car elle suit les évènements historiques, avec tout d’abord la période des pionniers de 1918 à 1939765

qui développe la thématique d’une identité libanaise en se basant sur la beauté du pays natal. Le nom de Charles Corm s’impose dès la fin de la Première Guerre mondiale avec La Montagne inspirée, un grand poème qui évoque le passé phénicien et chante la gloire du pays, la montagne libanaise – qui apparaît être un lieu saint, une terre paradisiaque, mystérieuse766. Nous découvrons par ailleurs chez notre auteure des influences de Charles Corm767, Michel Chiha768 et Élie

762 La littérature classique du VIe siècle à 1800, année du début de la Renaissance, comporte des ouvrages littéraires (le Coran, la poésie) et scientifiques. Quant aux femmes, elles prennent la plume à la fin du XIXe siècle pour se libérer de l’oppression traditionnelle de leur société à l’instar de l’égyptienne Houda Shaarawi (1879-1947). Une femme, Al Khansa, s’était fait remarquer lors de la période préislamique pour avoir chanté la mort de son frère ainsi que Rabia Al Adaouya, une prostituée convertie qui célébrait Dieu. Cf. Maram Al-Masri, Femmes poètes du monde arabe, Anthologie, Paris, Le Temps des Cerises Éd., 2013, p. 8.

763 Le premier en langue arabe, le second en langue française. (Antar de Chukri Ghanem est une synthèse entre l’islam et le christianisme qui est bien antérieure au mouvement de phénicianité).

764 Saher Khalaf (dir.), Littérature libanaise de langue française, Ottawa, Naaman, 1974 ; Zahida Darwiche Jabbour, Etudes sur la poésie libanaise francophone, op.cit. ; Katia Haddad (dir.), La littérature francophone

du Machrek, Beyrouth, Presses de l’université Saint-Joseph, 2008.

765 Zahida Darwiche Jabbour évoque une première tendance, la lutte contre l’occupation ottomane, de la fin du XIXe siècle jusqu’en 1920, in Études sur la poésie libanaise francophone, op. cit., pp. 95-119.

766 Une admiration pour la montagne que l’on peut retrouver dans les poèmes de Nadia Tuéni.

767 Charles Corm, La Montagne inspirée, Trois étapes de la vie du Liban, Beyrouth, Éditions de la Revue Phénicienne, [1ère Éd. 1934] 3e Éd. 1987, p. 71. Il compose par ailleurs un chant qui rend hommage aux montagnards, « heureux dans leur digne misère » (Ibid., pp. 58-59) et à leur vie simple mais dure auquel font écho les mots de ses contemporains, Hector Klat et Élie Tyane, et ceux, également, de notre poétesse qui décrit des hommes « aux mains (…) de chardons » (LVP, 288) et « qui ressemblent au tonnerre » (Ibid.) dans les montagnes libanaises.

176 Tyane769. Ainsi, dans le poème « En montagne libanaise » (LVP, 283), on retrouve « la bouche rocheuse des Monts Liban (...) [le] village escarpé (…) [les] fleurs (…) [le] chevrier » de ses prédécesseurs. Les cèdres sont pour les poètes des interlocuteurs privilégiés que notre poétesse salue elle aussi dans le poème qu’elle leur dédie770

.

Cependant, tout en exprimant avec lyrisme leur amour pour le pays et leurs peines, ces poètes du Mandat sont très au fait de la question nationale. Charles Corm écrit par exemple en 1934 un texte pour défendre la position « phénicienne771 » face au mouvement national arabe :

Mon frère musulman, comprenez ma franchise : Je suis le vrai Liban, sincère et pratiquant ; D’autant plus libanais que ma Foi symbolise Le cœur du pélican772

.

Rappelons que dans la symbolique chrétienne moyenâgeuse, le pélican est un symbole de piété : il évoque la charité et le sacrifice du Christ qui verse son sang pour le salut des hommes.

Ce ’’libanisme’’ n’est pas que littéraire : c’est également un mythe national, entré dans l’imaginaire collectif, qui provient de cette glorification de la montagne et de l’exaltation du passé glorieux en tant que composantes de l’identité libanaise. Il atteste de l’interaction entre le socioculturel, l’historique, le politique et le littéraire. Le Liban phénicien, écrit en effet Sélim Abou, c’est d’abord

la multiplicité culturelle libanaise (…) [qui] trouve le principe de son unité dans l’image de cette race d’aventuriers, dont la vocation était l’échange et la rencontre, le don et l’accueil, la médiation sous toutes ses formes. Le paysage naturel développe des images de type explicatif, des métaphores : la montagne-creuset, la mer-carrefour, (…) c’est le sujet libanais (…) toujours déchiré entre deux mondes qui sont deux manières d’être773

.

Hormis l’amour de tous les libanais pour leur terre, ce qui les réunit également est d’une part cet esprit aventurier, de découverte d’un ailleurs par la mer, cette mer qui donne accès à d’autres cultures, et d’autre part l’hospitalité, l’accueil dans la montagne-refuge, là 768 Michel Chiha, Poèmes, La Maison des champs, « Vers anciens », Beyrouth, Imp. catholique, 1965, p. 11.

769 Élie Tyane, Le Château merveilleux, « Voici le sentier d’autrefois », op. cit., p. 64.

770 Nadia Tuéni, « Cèdres », (LVP, 293).

771

Il s’agit d’un courant dit phénicien ou libaniste qui repose sur l’idéologie d’une différence originelle entre les libanais, avec une origine phénicienne des chrétiens libanais, alors que les musulmans seraient arrivés avec la conquête arabe.

772 Charles Corm, La Montagne inspirée. Trois étapes de la vie du Liban, op. cit., p. 61.

177 encore pour d’autres peuples, d’autres cultures et avec lesquels les libanais sont médiateurs. Des caractéristiques qui, comme le soutiennent Sélim Abou et Mona El-Bacha774, constituent deux manières d’être apparemment irréconciliables (s’opposant en cela à Michel Chiha, mais aussi à Ahmad Beydoun et Elias Khoury775) mais qui n’évoquent pas, dans les années soixante, l’aspect confessionnel, lequel aboutira presque à la partition du pays quinze années plus tard.

L’on attribue souvent à la littérature libanaise (et cela se constate facilement dans les textes des poètes libanistes comme Hector Klat, Charles Corm, Elie Tyane…) les thèmes élémentaires que sont les « aspects du paysage naturel du pays : la montagne et la mer, le village et la ville, la maison et le bois, l’arbre et la source, le soleil et la nuit776

». Cela peut sans doute s’expliquer par le fait que les poètes ont une amitié intime avec la nature de leur pays et que dans le paysage libanais « il y a un équilibre, une harmonie, une beauté propres à inonder l’âme et à émouvoir le cœur777

». S’ajoutera au cours des années trente-quarante « la préséance de l’irrationnel sur le rationnel, du rêve sur la réalité778 » chère aux modèles parisiens des écrivains exilés à Paris ou en Égypte.

Vient ensuite la période de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la guerre de 1975779, avec une poésie qui laisse libre cours à l’expression des conflits. Les mêmes thèmes, notamment nationalistes, sont conservés, accompagnés de descriptions pittoresques lyriques du paysage, mais en abandonnant la forme classique au profit du vers libre780. Au cours de cette période et dans la lignée de la renaissance des lettres, la Nahda du XIXe siècle, sont en effet parus en 1947 deux recueils novateurs ne respectant ni la rime ni la métrique arabe classique : Le Choléra (al-kulira) de la poétesse Nazik al-Mala’ika781

774 Mona El-Bacha évoque les clivages entre la population du littoral et celle de la montagne dans « Démocratie et culture politique libanaise », Confluences Méditerranée, p. 76, DOI : 10.3917/come. 070.0071, consulté le 31 janvier 2014. Cf. #Bacha (ou p. 57).

775#dualité (ou p. 103).

776 Elias Khoury et Ahmad Beydoun, La Méditerranée libanaise, op. cit., p. 527.

777

Salah Labaki, Lubnân al-sa’ir, Beyrouth, Mansurat al Hikma, 1954, p. 46.

778 Heidi Toëlle et Katia Zakaria, À la découverte de la littérature arabe du VIe siècle à nos jours, op. cit., p.

253.

779 Période dite de la ’’Maturation’’ selon la classification de Zahida Darwiche Jabbour.

780 Il y a eu une confusion entre le vers libre occidental et la poésie libre de l’époque à cause d’un problème de traduction : le terme ’’poésie libre’’ a été traduit par « vers libre » ou « poésie en prose » sans rapport avec les poèmes en prose occidentaux. Le vers libre ’’occidental’’ qui refuse le mètre ou la rime apparaîtra en 1954 dans Trente Poèmes, un recueil de Tawfiq Sayigh. Pour la même raison ce qui est appelé ’’poème en prose’’ en Occident correspond au vers libre arabe. Cf. Abdul Kader El Janabi, Le poème arabe moderne,

Anthologie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1999, p. 7.

178 et Était-ce de l’amour ? (Hal kana hubban) de Badr Chakir al-Sayyab782. Cependant, pour les tenants de la poésie traditionnelle, le ’’poème arabe en prose’’ (ou vers libre) relève d’une forme de complot occidental cherchant la destruction de « tout ce qui lie l’Arabe à son histoire glorieuse, à sa tradition et à sa nation783 ». Certains écrivains dénoncent là en effet les travers de la société784 au lieu d’en encenser les héros.

Dans larevue Shiʻr785 née en 1954 sont publiés les textes des poètes qui jouent un rôle important dans la modernisation de la littérature arabe. Ces derniers puisent le vocabulaire poétique dans la vie de tous les jours et proposent des contenus neufs dans de nouvelles formes poétiques786 car « il fallait sacrifier la rigidité de la langue classique elle-même, la langue sacrée du Coran, la langue de la grande unité arabe787 ». Youssef al-Khal, fondateur de cette revue, fera du reste une allocution au Cénacle à propos des difficultés de la langue arabe à se moderniser :

le mur de la langue signifie le fait que la langue s’écrit mais ne se parle pas (…) ce qui a fait de la littérature, et particulièrement de la poésie - autrement dit l’art le plus proche de la langue -, une littérature académique (…) [qui a] un très faible contact avec la vie788.

La poésie évolue pourtant et de façon particulièrement marquante dans ces années cinquante789 au Liban. Elle se libère « des contraintes et des règles qui bridaient l’inspiration et le style790

» ce qui n’empêche pas de retrouver les traditionnels éléments naturels comme chez Gabriel Naffah, Fouad Abi Zeid et Georges Schéhadé qui s’appuient sur les éléments cosmiques (la mer, l’air, le soleil) pour évoquer le réel, lequel est

782

Ce dernier devient d’ailleurs le chef de file de la poésie moderniste irakienne en opposant la ville, espace du mal, de la violence et du « vice » au village, lieu de sérénité et d’innocence (comme notre poétesse d’ailleurs).

783 Abdul Kader El Janabi, Le poème arabe moderne, Anthologie, op. cit., p. 10.

784 Khalil Hawi, par exemple, un fervent défenseur de l’arabité né en 1925, reprend le thème de la ville en présentant Beyrouth comme un lieu cosmopolite mais qui n’est que mensonge.

785

Shiʻr signifie poésie. Nadia Tuéni écrit à deux reprises pour cette revue en 1967, dans les numéros 33-34 et 36 (pp. 48-57 et 36-45). Dounia Badini met l’accent sur les nouveautés revendiquées par les penseurs et écrivains de l’époque, in La revue Shiʻr/poésie et la modernité poétique arabe : Beyrouth, 1957-1970, op.

cit., pp. 20-22.

786 Abdul Kader El Janabi, Le poème arabe moderne, Anthologie, op. cit., pp. 17-19.

787 Luc Norin et Édouard Tarabay, Anthologie de la littérature arabe contemporaine, la poésie, op. cit., p. 21.

788

Dounia Badini, La Revue Shiʻr/Poésie et la modernité poétique arabe, Beyrouth (1957-1970), op. cit., p. 366.

789 Parallèlement à la création de l’État d’Israël (la catastrophe ou Nakba).

790 Najwa Aoun Anhoury, Panorama de la poésie libanaise d'expression française, Beyrouth, [1ère Éd. 1987, Dar el Machreq] Dar Al-Majani, 1996, p. 81.

179 transformé de telle sorte que « le paysage naturel [soit] le paysage de l’âme791 ». Parmi les éléments privilégiés par la poésie libanaise, la mer se révèle particulièrement présente et sert souvent à traiter la quête de l’identité.

Nadia Tuéni appuie toutes ces réformes et dit chercher « moins une décoration, une fioriture qu’un signe et une vérité » (P, 48) pour se libérer des contraintes. Le français est pour elle la langue qui exprime en peu de mots des sentiments intenses et des évènements particulièrement dramatiques. Mais la problématique linguistique renvoie à la problématique identitaire et les auteurs de la seconde génération, celle des années soixante à laquelle appartient Nadia Tuéni, subissent le contrecoup de la méfiance des traditionnalistes ne croyant qu’en la puissance évocatrice de la langue arabe. Les phénicistes (ou libanistes) sont sans cesse accusés de ’’trahison’’ identitaire suite à leur choix d’une autre langue, notamment du français, vécu habituellement par eux comme « une seconde mère (…) conciliable avec la langue maternelle792 ».

Ce n’est qu’à partir des années soixante que le surréalisme entre dans la poésie arabe (alors qu’il est ’’mort’’ en Europe) avec la défaite des pays arabes (la nouvelle humiliation ou Naksa), laquelle remet totalement en question les valeurs de la société arabe dont la situation culturelle régresse depuis que « la débâcle a poinçonné [les] tempes » (JM, 148). L’écrivain doit alors faire preuve de son engagement, témoigner des évènements à l’instar d’Adonis dans Le Manifeste du 5 juin 1967 :

la Poésie n’est pas comme l’imaginent certains, une évasion, une fuite hors des réalités, ou bien une manière d’accommoder, de décorer l’existence : elle nous enracine, au contraire, dans une réalité totale. (...) La Poésie, avant d’être un art, est une recherche de cette réalité793.

Il faut sortir le monde arabe de sa torpeur et trouver de nouvelles formes d’écriture, que ce soit au travers du réalisme ou du surréalisme, certaines formes ou thématiques propres à se situer « dans le prolongement des mouvements du réveil amorcé à l’époque de la Nahda (…) [lequel cherchait] à réformer la société arabe et à affirmer l’identité et la culture

791 Sélim Abou, Le Bilinguisme arabe-français au Liban, Essai d’anthropologie culturelle, op. cit., pp. 449-450.

792

Dominique Combe, Les littératures francophones, Questions, débats, polémiques, Paris, P.U.F., 2010, p. 120.

793 Bernard Lecherbonnier, La chair du verbe : histoire et poétique des surréalismes de langue française, Paris, Publisud, coll. « Littératures », 1992, pp. 176-177.

180 arabes794 ». Malheureusement, selon Heidi Toëlle et Katia Zakaria, Adonis n’aurait pas réussi à mobiliser ses troupes, et cette idéologie aurait complètement disparu des textes après la catastrophe de 1967, le scepticisme régnant sur les intellectuels étant trop profond795. Le surréalisme marque alors la littérature de langue française et la prépondérance de la poésie se voit diminuer au profit du roman796.

Les horreurs des conflits et surtout ceux de la guerre civile de 1975 ainsi que les thèmes de la bâtardise et de l’identité, très ancrés dans le quotidien des libanais, constituent la littérature libanaise francophone de la troisième période (post 1975), dénommée l’ ’’Essor’’ par Zahida Darwiche Jabbour. À cette période, la littérature ’’féminine’’ francophone se développe et elle ne cesse de condamner les violences et d’appeler les hommes à la paix et à la tolérance (« toute expérience de la guerre est sans prix pour un écrivain797 », écrivait Ernest Hémingway), telle celle de Nadia Tuéni, Vénus Khoury-Ghata ou d’Andrée Chédid798. Le poète est donc bien un « créateur de cohérence », celui ou celle qui « ressoude », selon Salah Stétié799. Les écrivains libanais de langue française cherchent en vérité à (re)trouver en ces temps perturbés leur propre identité dans leurs origines, leur histoire ..., et leur terre.

La langue de Nadia Tuéni répond totalement à cette évolution de la poésie orientale, en osant malgré son éducation druze parler de soi, des évènements vécus, des drames, en conservant toutefois une opacité (une pudeur ?) dans sa parole poétique. Comme nous l’avons déjà relevé, après les premiers textes centrés sur la mort de sa fillette et la perte de repères engendrée par ce décès, Nadia Tuéni cherche la communion au milieu des clivages et à tenter de maintenir, au milieu des conflits israélo-arabes, la possibilité d’un humanisme universel. Elle a encore foi en ce pays « où les vagues sont musiciennes » (AE, 13) pour fédérer ses compatriotes même si, comme le souligne Toufic Abi Chaker au neuvième sommet de la francophonie800, ce « creuset de civilisation, terre de refuge, (…) champion de la cohabitation entre religions, langues et cultures, (…) [a payé] par une

794 Dounia Badini, La Revue Shiʻr/Poésie et la modernité poétique arabe, Beyrouth (1957-1970), op. cit., p. 22.

795 Heidi Toëlle et Katia Zakaria constatent que la littérature libanaise est largement marquée par la politique, in À la découverte de la littérature arabe du VIe siècle à nos jours, op. cit., p. 249.

796 Najwa Aoun Anhoury, « La Quête de l’universel », Magazine littéraire, n°. 359, nov. 1997, p. 126.

797

Alexandre Najjar, L’école de la guerre, Paris, La Table Ronde, coll. « La Petite vermillon », 2006, p. 32.