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L’œuvre et son ’’milieu’’

Chapitre 1 Présentation générale du Liban

5. L’impact des guerres 451

5.1. La guerre des Six Jours

Si l’on revient quelques années en arrière, les pays arabes n’ont jamais imaginé que l’État d’Israël allait naître en 1948. Pour mieux comprendre les réactions du Proche-Orient il faut se rappeler que la gestation de cet État s’est effectuée en Europe, après que les souffrances des communautés juives européennes aient donné une légitimité à sa naissance en « se réclamant du judaïsme sur la terre palestinienne470 » alors que, comme nous l’avons souligné, plus de 90% du peuplement de cette terre orientale est constitué de tribus arabes à cette époque. L’une des spécificités des populations du Proche-Orient réside dans la possession d’un terrain, preuve d’existence et d’appartenance à une région, une religion et une histoire. Mais un problème de réserve d’eau va justifier côté israélien l’extension du Foyer National de 1948471. Des litiges surgissent alors quant au partage des eaux du Jourdain472 (après que le détournement de ses eaux ait été entamé en 1953 et achevé en 1964). Ils vont engendrer la Guerre des Six Jours [notre auteure dit d’ailleurs à ce propos que « la Guerre et le Jourdain ont presque le même âge » (JM, 129)], qui oppose Israël à la

468 En outre, à chaque fois que l’on tente une modernisation au Liban il y a un arrêt à ce processus : Dominique Chevallier écrivait déjà que « La révolution industrielle l’atteignant de l’extérieur lui resta extérieure », in La société du Mont-Liban à l’époque de la révolution industrielle en Europe, op. cit., p. 259. Il est possible que cette modernisation suscite un réveil social qui s’exprime systématiquement par le biais de l’intégrisme religieux lequel bloque alors toute avancée du pays.

469 Cette guerre a inspiré les dix chapitres de Juin et les mécréantes, à propos desquels l’on peut faire allusion aux Écritures de par la présence du Sinaï, bien que notre auteure se dise alors indifférente à Dieu.

470

Georges Corm, Le Proche-Orient éclaté, 1956-1982, op. cit., p. 39. Le fait que ces souffrances soient nées dans un contexte et une histoire européens rend plus difficile pour les populations du Proche-Orient, d’en accepter les conséquences en Palestine (soit la migration des communautés juives en Palestine) et ce, même si elles sont sensibles à cette histoire. Elles sont en effet totalement « étrangères à l’antisémitisme européen et à l’Holocauste », Ibid., p. 40. Pourtant ce sont elles qui ont eu à en supporter les conséquences.

471 La Nakba (catastrophe de 1948).

472

Les ressources en eau ont toujours attisé les tensions dans la région mais le Jourdain a un statut bien particulier. Ce fleuve prend sa source au Liban et sépare Israël des États arabes voisins, Syrie et Jordanie en bordant plus précisément deux territoires fortement contestés et occupés par Israël depuis 1967 : le Golan et la Cisjordanie. La problématique de l’eau dans le bassin du Jourdain s’inscrit donc pleinement dans le conflit israélo-palestinien.

112 Syrie, l’Égypte et la Jordanie473

du 5 au 10 juin 1967, un conflit prétexte d’un dialogue entre notre auteure et le poète Ounsi Al-Hage474 :

O : La guerre s’est amenée et s’est jetée par la fenêtre.

N : Sur une longue chevelure noire475 en dépit du soleil. (P, 191)

Dans ce dialogue écrit après la guerre et traduit de l’arabe par Jad Hatem, la « longue chevelure noire » nous place dans un contexte arabo musulman car elle est une belle métonymie de la femme arabe, que l’on retrouve aussi dans Poèmes pour une histoire, et qui représente les Arabes face aux Israéliens, lesquels se sont littéralement « jeté[s] » sur eux, donnant ainsi l’impression de violer la femme donc la terre arabe (d’autant plus que la chevelure a une signification très sensuelle et que dans la religion musulmane, selon les lectures, il est interdit de montrer ses cheveux car cela revient à exhiber son intimité476).

Notre auteure a été particulièrement émue par cette irruption israélienne et évoque en termes forts le chaos universel qu’elle a engendré puisque pour elle, depuis, « tout est panique » (JM, 150). Et cette situation la fait en quelque sorte renaître, prendre conscience de son appartenance arabe (en étant ouvertement solidaire avec le peuple palestinien) et annoncer : « Je suis né du séisme » (Ibid.). C’est par ailleurs l’occasion pour elle de nous faire part de manière prophétique que ce séisme va donner naissance à des difficultés insurmontables en s’écriant tel Hamlet que « la terre a mauvaise haleine. [Qu’] Il se trame quelque chose de définitif dans son ventre » (Ibid.).

Sa prise de position pro palestinienne va se remarquer dans l’écriture :

(…) la victoire israélienne en perturbant « mes » frontières, a rendu « mon » paysage amovible477. (…) L’imagination à elle seule suffit à me constituer un droit et des souvenirs : souvenirs de lieux que je n’ai, d’ailleurs, jamais vus » (P, 52).

Elle revendique ici, par la mise en valeur en italique et entre guillemets de pronoms possessifs, son identité arabe (et non plus uniquement libanaise) et efface volontairement

473 Les États arabes, notamment l’Égypte, l’Irak et la Transjordanie, après s’être affrontés pour le leadership du « monde arabe » se sont entendu contre l’État israélien émergeant en Palestine afin de la libérer, mais c’est « une guerre, qu’ils n’[ont] pas les moyens de mener », in Patrick Seale, La Lutte pour l’indépendance

arabe, Riad El-Solh et la naissance du Moyen Orient moderne, [trad. Dominique Letellier et Aline Weil],

Paris, Fayard, 2010, p. 418.

474 Ounsi Al-Hage était aussi un journaliste.

475 Nadia Tuéni évoquera les « épaisses chevelures noires » (PPH, 189) pour insister sur la résilience des Arabes : « Un élément s’en va un autre le remplace (…) ainsi d’épaisses chevelures noires ».

476

La Palestine est une Terre sainte pour les musulmans « dès le début de l’Islam et surtout à partir des Croisades [puisqu’elle] est devenue la seconde terre sainte après le Hedjaz », in Henry Laurens, Paix et

guerre au Moyen-Orient, l’Orient arabe et le monde de 1945 à nos jours, op. cit., p. 13.

477 « (…) ma terre à moi devient paysage amovible » de La Prose est repris dans un poème de Juin et les

113 les frontières géographiques478, le paysage étant « amovible ». Celui-ci s’étend par exemple bien au-delà du Liban puisque « Nazareth, Jéricho et le Sinaï, sont autant de possessions arrachées à ce qui est « mon » arrière-pays » (P, 52) ; la poésie unit totalement la réalité géopolitique et historique à l’« arrière-pays », cet espace rêvé et construit dans l’intimité de Nadia Tuéni. L’occupation est par ailleurs décrite avec des images à la fois inquiétantes et ironiques, tout d’abord celle d’insectes repoussants dont on ne peut se débarrasser : des « morpions extrême-orientaux, (…) [dont] aucun texte n’autorise [l’] extradition (…) ne s’en iront que de leur propre gré ; peut-être même envisagent-ils un dédommagement » (JM, 102). Ils ont pénétré avec violence et l’on ne peut rien contre eux : ils sont chez eux et dictent les modalités de leur installation. Une seconde image, non moins virulente, est la comparaison implicite des Israéliens à des prédateurs, puisque notre auteure les assimile à des vautours : « la terre multiplie les vautours » (JM, 127).

L’inconscience des Arabes et la reconnaissance de leur défaite, les conséquences du conflit sur la population et son environnement apparaissent sans euphémisme dans ce « bilan poétique de la guerre de Juin 67 » (P, 69). La poétesse dit avoir voulu, en tant que témoin, donner une « idée de ce déchirement (…) une idée plus vraie » (P, 70) de ces évènements, dire la vérité. Une anthropomorphisation rend les choses plus terribles, d’une part dans une description de l’anéantissement des Arabes qui n’ont plus aucune valeur, aucun repère et sont réduits à n’être qu’une « ville [qui] craqu[e] » (JM, 138), avec cette épidémie, la honte, qui « traîne dans les ports ». On peut souligner d’autre part une constatation amère : « la honte est permise », qui exprime particulièrement bien le traumatisme subi, car pour un Arabe, la défaite et l’humiliation sont une honte non acceptables pour une société construite par rapport à la honte. Si l’on est le « représentant de la honte, on n’existe plus, on est annulé479

».

La ville a craqué sous le doute. Juin traîne dans les ports. En été la honte est permise. (…)

Et tu ris…Et tu ris…et tu ne comprends pas la triste pénombre des

[frontières480 (JM, 138).

478 Georges Corm dénonce la « fragmentation du monde arabe dans la géopolitique internationale des grands de ce monde [qui] (…) continuent d’ignorer les revendications arabes légitimes. », in Le Proche-Orient

éclaté, 1956-1982, op. cit., p. 40.

479

Jean Lacouture, Ghassan Tuéni et Gérard Khoury, Un siècle pour rien. Le Moyen-Orient arabe de

l’Empire ottoman à l’Empire américain, op. cit., p. 159.

480 Le déclenchement des hostilités entre Juifs et Arabes en Palestine, l'engagement du Liban dans la guerre et la fuite de plus de sept cent cinquante mille personnes en 1948 amorcent une véritable prise de conscience

114 Le jeu cynique de l’homophonie sert à merveille le carnage : la reprise de la phrase (si) simple « et tu ris…et tu ris… » ne signifierait-elle pas plutôt ’’et tuerie, et tuerie’’ ? La répétition et les points de suspension révèlent combien, après l’inconscience, c’est bien la folie qui est proche dans ce vers d’une longueur démesurée et si déséquilibré qu’il rend parfaitement compte de l’illusion des hommes après la guerre de 1967. Le constat de la poétesse est pessimiste ; elle dit ce qui est vrai, à savoir que rien ne va venir arrêter le chaos car la fin de la guerre entraîne « la pénombre des frontières ». En effet, alors que tous cohabitaient sur un territoire ouvert, ce sont à présent des barrières, les frontières, qui outre leur ombre pesant sur le territoire, ont la parole et divisent les peuples. Nadia Tuéni s’adresse directement à l’ensemble des Arabes avec une force dénonciatrice intensifiée par le recours à la deuxième personne du singulier. Son message prend d’ailleurs une dimension collective à travers la métaphore des frontières qui parlent (cette « triste pénombre » s’étendra ensuite jusqu’au Liban et à la fameuse ligne divisant Beyrouth).

Dans le dialogue de Nadia Tuéni avec Ounsi Al-Hage, ce dernier dit en termes très simples dans quel état d’esprit il se trouve après le cataclysme, cette guerre dénommée

Naksa, avec une structuration du poème autour d’un parallélisme syntaxique qui en nous

fait ressentir l’absurdité et encore une fois la perte de repères :

Je pleure sans savoir pourquoi. Je ne pleure pas et je ne sais pas pourquoi (P, 193)481.

Nadia Tuéni, elle, fait le choix d’une harangue ironique pour envoyer ses compatriotes au combat défendre l’« amer et doux goût arabe » (P, 194), l’oxymore amer/doux démontrant que la douceur de leur mode de vie, cette nonchalance inconsciente les a poussés au bord du gouffre. Ils paient à présent le prix de leur absence de maîtrise de la situation482. Il ne leur reste plus qu’à mourir pour défendre leur honneur et exister un tant soit peu :

des frontières, in Jihane Sfeir, « Identifications nationales et construction des frontières : Les Palestiniens au Liban (1943-1958) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, [En ligne], Proche-Orient : foyers, frontières et fractures, n°. 103, Juil.-Sep. 2009, p. 109, http://www.jstor.org/stable/40495796, consulté le 3 septembre 2014.

481 Nadia Tuéni, La Prose, op. cit., pp. 191-194.

482 Le 15 mai 1967, après avoir pactisé avec la Syrie et la Jordanie, Nasser donne l’ordre à l’armée égyptienne de traverser le canal de Suez et de pénétrer dans le Sinaï. Le 5 Juin 1967, 200 avions de chasse israéliens font route vers les principales bases aériennes égyptiennes. Une demi-heure plus tard, l'aviation égyptienne est anéantie. Tsahal va dans les jours suivants défaire les armées arabes coalisées qui projetaient de ’’jeter tous les juifs à la Mer’’ : les soldats égyptiens mal préparés à la guerre prendront la fuite, permettant aux blindés israéliens d'atteindre le canal de Suez en moins de deux jours. Sur un autre front,

115

Allez mourir. Plus vite. Il faut que vous partiez pour que nous ayons des martyrs483 (P, 193).

La poétesse emploie dans ces antiphrases des temps verbaux (impératif et subjonctif) sans la ponctuation correspondante, probablement parce que le ton impérieux cède la place ici à des constatations moqueuses et cyniques. Il ne faut pas oublier que Nadia Tuéni est une pacifiste. Elle exprime sans doute, par ces formules, les manquements politiques ayant mené à cette catastrophe, et compare les combattants à des animaux que l’on guide vers l’abattoir, en accentuant cette brutalité grâce au rythme de l’injonction centrale nominale « Plus vite ». Tout est mensonge, manipulation.

A contrario elle évoque avec une profonde nostalgie la communion qui présidait entre les hommes au lieu de cette violence barbare et ce, quelle que soit leur religion :

à l’endroit qu’on nomme Sinaï484

là-bas

il y a trois soleils485 (JM, 139).

L’harmonie serait représentée par le rythme octosyllabique « à l’endroit qu’on nomme Sinaï » / « là-bas il y a trois soleils » (JM, 139). Le placementde l’adverbe « là-bas » met en relief qui en souligne l’éloignement dans la situation actuelle et de ce fait, l’impossible fraternité entre les hommes.

La poétesse fait-elle preuve de déni en employant le présent « il y a », comme si la guerre n’avait pas établi la « triste pénombre » (JM, 138) des nouvelles frontières ? Ou bien est-ce une ultime tentative pour dire que les trois religions ont depuis toujours coexisté et qu’avec l’emploi du présent cet état d’harmonie doit nécessairement se maintenir ? D’après elle, sans la folie des hommes endoctrinés par la propagande religieuse [entraînés par les « gens de Dieu [qui] marchent au pas de guerre » (JM, 128)], « l’air [serait] partage d’un même amour » (JM, 105). Le contraste est saisissant entre la dénomination « gens de Dieu » et leur fonction qui est de combattre en étant du côté de la

après deux journées de combats, les parachutistes israéliens pénètreront dans la vieille Ville. Enfin, le 10 juin, le plateau du Golan est sous contrôle israélien. Le monde arabe, humilié, prendra sa revanche sept ans plus tard.

483 Lorsqu’elle écrira au sujet de ces combattants qu’ils sont bien « mort[s] seul[s] comme ils avaient vécus » (PPH, 191), c’est pour déplorer le don de vie de ces hommes alors qu’ils sont morts « sur une même potence qu’on nomme territoire » (Ibid.) sans envisager qu’ils sont des « martyrs » (P, 193) seulement pour leur communauté.

484

Nous rappelons qu’à l’issue du conflit, le Sinaï est occupé par Israël.

485 Les trois soleils seraient les trois religions monothéistes. Quant au souffle, il serait d’après Marc Girard, le vent de Dieu, donneur de vie éternelle, in Les symboles dans la Bible, Essai de théologie biblique enracinée

116 haine au lieu d’aimer leur prochain, une image récurrente dans ce recueil et même dans son œuvre486

.

…Homme de la Bible, (…)

quel est ce lien entre toi et la terre qui professe l’épouvante ?

(…)

Tu n’es pas fait de mer

mais de ciel belliqueux toujours plus proche. Tes racines envahissent la mémoire jusque dans son orgueil (JM, 150-151).

Que dire de « l’Homme de la Bible » (JM, 150-151) qui est une imposture et n’a plus d’attention que pour lui-même, le terme « orgueil » étant décalé typographiquement par rapport à l’ensemble du poème. Ce dieu qui n’a plus d’amour envers les hommes est en quelque sorte tourné en dérision. L’importance prise par la religion se manifeste par l’idée d’un envahissement total de la conscience de l’individu, car elle plonge ses racines dans l’orgueil de l’être humain (nous rappelons le poids de la vengeance chez les Arabes). Le champ lexical de la haine efface toute autre pensée, comme l’indiquent les termes « épouvante », « belliqueux » et « envahissent ». La propagande a bien fait son travail de lavage de cerveaux. Face à cette haine, Nadia Tuéni implore « Dâhoun de la première église » (JM, 128) [la représentante juive] de l’écouter :

écoute-moi parler :

Commun est le sable des mers. Répandu sur tous les yeux (Ibid.)

Les peuples partagent le même « sable des mers » (Ibid.), mais ce dernier les aveugle tous car il est « sur tous les yeux » (Ibid.) et les mènent à leur perte. La similitude entre les hommes est mise en relief par l’antéposition de l’adjectif « Commun » en début de phrase et l’emploi d’une phrase nominale avec également l’adjectif verbal « Répandu » en première position. La poétesse multiplie d’ailleurs abondamment les termes de ressemblance entre les hommes dans l’ensemble de son œuvre pour chanter le fait que « tous les corps sont bribes d’un même secret » (JM, 137). Tous ces efforts ne portent pourtant pas leurs fruits : « (N) La terre, c’est la mort » (P, 194)487. En effet, les palestiniens vont mourir pour défendre leur terre ou émigrer, etles israéliens vont eux aussi comme mourir de les en avoir dépossédés [nous relevons dans ce dialogue trois

486

Dieu est au contraire présenté comme la suprême cruauté : « Vous/ animaux et terre/ brûlés à longs coups d’encensoir » (RT, 240), « Dieu est responsable de nos outrances » (TA, 371) et « En Orient il est interdit de haïr…/ La haine n’appartient qu’à Dieu » (TA, 384).

117 occurrences488 du verbe « s’éteindre » ou « éteindre » et des synonymes comme « retombe comme une flamme » (P, 193), « noyée dans la mer » (P, 192)] :

(O) Les Juifs sont venus dans la patrie pour s’éteindre. Israël a volé son peuple élu (P, 194).

Avec cette obscurité c’est la terreur qui règne. Comme l’explique Ounsi El-Hage, les Israéliens vont trahir leurs propres valeurs car aucun des symboles bibliques n’est sauvegardé après cette guerre. Il parle d’ailleurs à ce propos d’un « vol ». Tout disparaît et est définitivement perdu, une perte soulignée par le futur et la négation de la réponse de Nadia Tuéni [« Une étoile a brillé en terre de Canaan. Elle s’est éteinte hier. La terre a oublié. Dans tous les cas, elle ne s’appellera plus Canaan » (P, 192)] qui termine par une constatation terrible mais exprimée sobrement. L’étoile qui guidait les rois mages « s’est éteinte », un euphémisme repris froidement et plus durement :

(N) Le Christ est mort en juin » (Ibid.).

L’Histoire biblique ne se lit désormais qu’au passé composé, avec des phrases présentées comme froidement, très brièvement dans un style journalistique qui sert à frapper les esprits. Les deux locuteurs ont un jugement sévère en lien avec l’absurdité de la situation, puisque les attaquants légitimaient leur ingérence et leurs violences en se basant sur les paroles de leur livre sacré, or ce sont eux qui les font s’écrouler un par un. Juin est dorénavant le mois où le Christ meurt et où Canaan, Nazareth (P, 193) et Jérusalem (JM, 140) tombent. Jérusalem, au lieu d’être cette ville sacrée qui donne à rêver, de faire penser à des images de spiritualité, concentre les pires des atrocités. La ville qui devrait être la plus belle est la plus sauvage (mais Beyrouth n’est pas loin en matière de sauvagerie).

Le paysage de cette terre violentée est désormais modifié : il ne reste plus qu’un « paysage garni de barbelés489 » (JM, 147), une image où l’ironie cruelle transforme un lieu de paix en zone truffée de fils de fer prompts à embrocher ceux qui oseraient s’approcher.

Notre poétesse a ressenti cette guerre comme un désastre et exprime plus particulièrement dans le poème « Jérusalem » combien la terre arabe est violée, Jérusalem

488 « Ma rancœur éteignit le soleil » « elle s’est éteinte » (P, 192), « pour s’éteindre » (P, 194).

489

Cette cruauté est exprimée par Vénus Khoury-Ghata qui parle de « ceux du Sud » qui transforment le Sud en « prairie de barbelés » in Christiane Makward et Madeleine Cottenet-Hage, Dictionnaire littéraire des

femmes de langue française. De Marie de France à Marie NDiaye, Paris, Karthala, 1996, p. 326.

Dans LVP, pour remplacer ces barbelés, Nadia Tuéni exprimera le vœu d’offrir au sud au « corps torturé » (LVP, 294) des « jardins opulents autour du Litani » (Ibid.).

118 n’étant plus que « la cendre des commencements » (JM, 140). Elle a des mots très durs, puisqu’elle parle de « peloton d’exécution » (JM, 142), de « bêtes (…) repues490

» (JM, 144) qui tuent ensuit gratuitement, par plaisir, et lance son mépris à ceux qui modifient les frontières en s’appuyant sur la peur « qui mange comme soleil de midi (…) qui hurle les paumes appuyées contre les/ yeux, qui hurle sans bruit, qui hurle dedans » (JM, 148). La répétition des relatives, la reprise du verbe « hurler » et le rejet des « yeux » [qui apporte un effet de surprise (les yeux à la place des oreilles)] évoquent bien ici la reptation de la peur qui envahit tout, progressivement, et sous toutes ses formes. L’espace de l’insouciance de l’enfance qu’est le jardin est transformé en « ghettos » (TA, 391) dont la