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L’œuvre et son ’’milieu’’

Chapitre 2 Langue et littérature libanaise d’expression française

1.3. Être écrivain francophone

1.3. Être écrivain francophone

Les écrivains de la zone méditerranéenne ont la chance d’être plurilingues et de penser dans un entre-deux, comme au Liban où la plupart baignent dès les premières années de scolarité dans un bain linguistique varié, francophone ou anglophone, qu’une troisième langue complète en secondaire678. Ils bénéficient ainsi d’un double voire d’un triple apport culturel mais sont parfois tiraillés entre les identités liées à ce multilinguisme, en étant parfois attirés par l’Occident ou tendant ensuite vers le monde arabo-musulman679.

Certains de leurs comparses arabophones les interrogent sur leur identité car pour ces derniers, l’arabité du Liban exige que ce soit uniquement la langue arabe qui soit la langue de culture680, le bilinguisme étant alors remis en question au nom du nationalisme arabe. Or on peut souligner à ce propos que parmi les intellectuels engagés dans la défense d’un Liban phénicien, nombre d’entre eux.elles, bien que francophones, sont profondément attachés à la civilisation arabe. Tel est le cas d’Élie Tyane qui regrette de

n’être pas né votre contemporain, Ȏ Haroun el-Rachid, Calife magnifique (…)

Dans ces jours somptueux de guerre et d’esthétique681

.

677 Salah Stétié, Archer aveugle, op. cit., p. 183.

678 Nay Wahbé, décrit combien une importante mobilité linguistique a toujours caractérisé les écrivains libanais, in « La littérature libanaise francophone, éternel otage du politique ? », colloque Francophonie et

Malentendu, 4 - 5 nov. 2010, GRELIF (Groupe de Recherches en Littératures Francophones), Université

Paris-Est-Créteil, pp. 23-35.

679

La communauté chrétienne est en tout cas plus attirée par l’identité francophone que la communauté musulmane.

680 La question est celle-ci : la culture libanaise doit-elle être arabe ou plurielle ?

161 Pour un autre poète qui se dit phénicien mais qui n’a pas rejeté sa ’’part arabe’’, Hector Klat, « [l’] âme est un musée étrange et cosmopolite682 ». Il semble donc bien que l’ouverture à d’autres langues et d’autres cultures ne soit pas une ’’trahison’’, malgré les interrogations incessantes auxquelles les écrivains francophones continuent d’être confrontés683. Il est vrai, cependant, qu’écrire dans une langue étrangère peut isoler l’écrivain libanais de son public arabe, créer une rupture avec sa communauté et par la suite lui faire perdre ’’l’authenticité’’ de son écriture684 dans le cas notamment où la langue d’écriture semblerait ’’inadaptée’’ pour exprimer la culture d’origine, puisqu’un rapport étroit existe entre langue et identité685 :

La langue maternelle plonge dans l’affect, et l’affect (…) est le premier à modeler, avec notre sensibilité, notre identité de base686.

Pourtant, concevoir la langue comme un facteur d’identité figée, c’est la faire devenir un facteur de communauté, de repli et d’ailleurs une langue qui ne se transforme plus est une langue qui meurt. En outre, un vieux dicton (qui serait issu d’un hadith du prophète Mahomet) dit : « Autant de langues tu connais, autant d’hommes tu vaux687 », autrement dit la valeur de la personne repose sur le nombre de langues qu’elle connaît.

682 Hector Klat, Le Cèdre et le lys, Beyrouth, Éd. de la Revue Phénicienne, 1935, p. 186.

683 Daniel Lançon rapporte dans son article sur « Edmond Jabès l’Égyptien » qu’Andrée Chédid estime que le français « ’’fait partie’’ de sa ’’substance’’, ’’[le] parler, l’écrire découlaient de source’’ » et qu’« elle n’a jamais eu l’impression de [se] détourner d’une identité de naissance mais au contraire de la retrouver par un autre chemin de communication », in Marc Kober, Irène Fenoglio et Daniel Lançon (dirs.), Entre Nil et sable.

Écrivains d'Égypte d'expression française (1920-1960), op. cit., p. 186.

684 Zahida Darwiche Jabbour revient d’ailleurs sur cette question de l’authenticité au sujet de Vénus Khoury-Ghata qui, dans son roman Le Moine, l’Ottoman et la femme du grand argentier, semble faire siens des clichés empruntés aux orientalistes pour « plaire au lecteur français voire occidental ». Il s’agit en fait de « discréditer, tout en faisant semblant de la reprendre à son compte, une image stéréotypée de l’Orient [et d’] élaborer en parallèle une vision d’un Orient autre (…) dans sa réalité socioculturelle et historique complexe », in Maxime Del Fiol et Jean-François Durand (dirs.), Regards sur les littératures francophones

du Moyen-Orient. Égypte, Liban, Interculturel Francophonies, op. cit., pp. 52-53.

685 Denise Brahimi, Langue et littératures francophones, Paris, Ellipses, Éd. Marketing, coll. « Thèmes et études », 2001, p. 47. L’on peut par ailleurs rappeler l’exemple de la sociolinguistique Jacqueline Billiez, à qui un jeune Kamel a dit : « Ma langue c’est l’arabe mais je la parle pas », in « La langue comme marqueur d'identité », Revue européenne des migrations internationales, [En ligne], vol. 1, n°. 2, 1985, p. 95,

http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1985_num_1_2_982, consulté le 31 janvier 2014. Pour lui, sa langue est un marqueur d’identité (mais ce n’est pas son outil de communication).

686 Salah Stétié, « CETTE LANGUE QU’ON APPELLE LE FRANÇAIS. L’apport des écrivains francophones à la langue française », Internationale de L’imaginaire, [En ligne], nouvelle série, n°. 21, Maison des cultures du monde, 2006, p. 199, http://www.maisondesculturesdumonde.org/sites/default/files/ editions/mep_cette_langue.pdf, consulté le 23 mars 2016.

687 Ce hadith est évoqué par Michel Bergeron au cours de son allocution en 2007 à la XXIIe Biennale de la Langue française, www.biennale-lf.org/b22/michel-bergeron.html, consulté le 11 juin 2015.

162 Alors pourquoi cette question : « Je parle une autre langue : qui suis-je ?688 ». Changer de langue signifie-t-il changer d’identité ? Se trouve-t-on en exil dans la patrie de l’autre lorsque l’on écrit en français ? Selon les lieux dans lesquels l’on se situe, le ressenti vis-à-vis du français diffère : en Égypte et au Liban, la francophonie a plutôt été appréhendée comme un facteur d’ouverture et de liberté, de sorte que les écrivains francophones n’ont pas ressenti d’aliénation en écrivant en français, contrairement à leurs collègues maghrébins689 qui ont éprouvé un sentiment de dépossession de leur langue maternelle lors de la colonisation690, à l’instar de l’écrivaine tunisienne Hélé Béji pour qui « c’est un suicide que d’écrire en français [et que] plus [s]on âme a soif d’expression et plus la langue où elle s’exprime la dessèche691

», énonçant ce que certains ressentent lorsqu’ils empruntent la langue française, un recours vécu comme un écartèlement, un reniement des siens. Cette porosité entre les langues pouvait effectivement se ressentir, lors de la colonisation, comme une ombre pesante et Blandine Valfort souligne d’ailleurs à ce sujet dans sa thèse ce possible rapport de domination d’une langue sur l’autre, impliquant que « la présence du français participerait donc d’une colonisation des esprits qui condamnerait l’écrivain à trahir ses propres valeurs692

».

Il faut comprendre que la langue ne détermine pas la pensée, mais que l’on pense et l’on exprime différemment selon la langue. Il suffirait en quelque sorte de ’’traduire ’’ entre les deux langues pour éviter ce sentiment de trahison, que l’écrivain trouve sa langue dans la langue, « son propre patois, son tiers-monde à soi, son désert à soi693 », une langue qu’il se crée personnellement au sein de la langue et en dialogue avec sa langue d’origine. Entre tension.s et rencontre.s694, cette langue nouvelle,’’étrangère’’, s’ancre alors en lui

688

Mohamed Dib, L’Arbre à dire, Paris, Albin Michel, coll. « L’identité plurielle », 1998, p. 42.

689 Cette littérature francophone qui a subi les bouleversements de son Histoire est, selon Daniel Lançon, « une littérature en marge d’une société en pleine mutation », in Marc Kober, (dir.), Irène Fenoglio et Daniel Lançon, Entre Nil et sable. Écrivains d’Égypte d’expression française (1920-1960), op. cit., p. 50.

690 Machrek, Syrie, Liban, Égypte, www.bibliotheque.auf.org/doc_num.php?explnum_id=558, consulté le 1 juin 2015.

691

Hélé Béji, « Hélé Béji Par Elle-Même », Cahiers D’études Maghrébines, [En ligne], numéro spécial : Maghreb au féminin, n°. 2, mai 1990, p. 32, http://www.limag.com/new/index.php?inc=dspper&per=000 01552, consulté le 21 janvier 2017.

692 Blandine Valfort, Le lyrisme face à l’événement : étude comparée des poésies francophones du Maghreb

et du Machrek (Algérie, Liban : 1950-1990), op. cit., p. 134.

693 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka, pour une littérature mineure, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1975, pp. 33-34.

694

François Jullien s’inquiète de voir les « différence[s] opére[r] une séparation » qui fait que chacun s’enferme et défend « l’écart [qui] permet en revanche (…) de reste[r] dépendant de l’autre pour se connaître », une formule qu’il nous plaît d’appliquer également à l’identité, http://www.liberation.fr/auteur/ 11435-anastasia-vecrin, consulté le 19 janvier 2017.

163 (avec une contamination réciproque entre sa langue natale et la langue de l’autre). Il va l’ ’’habiter’’, la ’’coloniser’’, en intégrant la mémoire et l’histoire portées par sa langue natale dans cette nouvelle langue. L’écrivain se retrouvera alors dans cette combinaison, ce qui nous renvoie à une réalité toute simple : une langue n’appartient à personne695.

L’écriture en français doit donc être envisagée dans une pluralité de cultures et d’identités, dans un heureux mariage, en formant un seul corps696

.

Ces observations sont partagées par de nombreux critiques comme par exemple Yves Clavaron, pour qui « la langue (…) constitue le fruit d’une négociation de l’écrivain, qui se constitue son propre code d’après sa culture et son individualité697

», un code qui apparaît de cet ’’entre-deux’’, où se produit alors du commun, sans déchirement identitaire mais plutôt une fusion des deux mondes698. Adonis salue celui qui a parfaitement réussi cela : « Poète/ tu n’écris ni le monde ni le moi/ Tu écris l’isthme/ Entre les deux699

». Quant à Nadia Tuéni, il semble que cette auteure soit ce passeur puisque bien qu’elle n’ait quasiment écrit qu’en français, l’arabe était présent dans les métaphores, le rythme (ses poèmes de 5 syllabes appartenant à la métrique arabe préislamique), les allitérations et les assonances, les dérivations de mots. Pour elle d’ailleurs, « la poésie est (…) le propre d’une terre, le propre d’une ambiance » (P, 60) qu’elle peut ’’parler’’ sans être en conflit avec deux mondes de langues et de cultures différentes700 car elle « puis[e tout] dans la géographie qui [l’] entoure » (P, 103).

695 Jacques Derrida, Le monolinguisme de l’Autre, ou La Prothèse d’origine, Paris : Galilée, coll. « Incises », 1996, pp. 44-61.

696 « Epouser l’autre, pour autre qu’il fût, et justement parce qu’il est autre, l’épouser et lui faire l’enfant du miracle, voilà bien le projet, voilà l’ambition », écrit Salah Stétié dans « CETTE LANGUE QU’ON APPELLE LE FRANÇAIS. L’apport des écrivains francophones à la langue française », Internationale de

L’imaginaire, op. cit., p. 199, http://www.maisondesculturesdumonde.org/sites/default/files/editions/mep_ cette _langue.pdf, consulté le 23 mars 2016.

697 Yves Clavaron, Poétique du roman postcolonial, op. cit., p. 60. Nadia Tuéni ajoute à son expression en français la « terre libanaise » dans un projet de métissage des langues et des cultures, l’une n’étant pas dissociable de l’autre. Pour elle, être « profondément libanaise, c’est [être] (…) au confluent de plusieurs cultures » (P, 103).

698 Najeh Jegham réunit les deux langues en mélangeant la calligraphie arabe, la langue arabe et la langue française, donnant ainsi naissance à un entre-deux où les deux langues sont complémentaires in La

francophonie arabe : pour une approche de la littérature arabe francophone, Abdallah Ouali Alami et

Colette Martini-Valat (dirs.), op. cit., p. 173. Cf. #calligramme (ou annexe n°. 7, p. 452.)

699 Adonis, « Pour saluer Georges Schéhadé » in Danielle Baglione et Albert Dichy (dirs.), Georges

Schéhadé poète des deux rives 1905-1989, Paris, IMEC/Beyrouth, Dar an-Nahar, 1999, p. 9.

700

Pour la plupart des écrivains francophones du Machrek, parler la langue de l’autre (plus exactement le français) n’est pas le « drame linguistique » comme cela peut l’être pour le Maghreb où elle apparaît comme la langue du colonisateur et donc une langue de domination, in Albert Memmi, Portrait du colonisé précédé

164 La littérature francophone, en tout cas, se veut le lieu d’expression d’expériences interculturelles témoignant à la fois d’un métissage linguistique et d’un métissage culturel. L’écriture des auteurs francophones n’a d’autre but que propager l’humain et de l’universel et de se battre contre les frontières car pour certains, le français est bien « humaniste, œcuménique, rassembleur d’idées et d’hommes, de nuances d’idées et de variétés d’hommes701

». Une langue n’est pas supérieure à une autre, c’est à l’auteur de sentir dans quelle des langues il sait pouvoir s’exprimer. Il est en outre important de conserver lorsqu’on est écrivain une liberté quant au choix de la langue d’écriture. Dominique Maingueneau affirme à ce sujet que dans toute création un écrivain « doit ’’élire la langue qu’investit son œuvre’’702

», une langue qui sera aussi, selon notre auteure, « une terre totalement vécue703 » même dans les mots de l’autre car

À la manière du paysan, la terre pour le poète est ressentie de façon viscérale. C’est en elle qu’il va puiser ses matériaux de construction. (…) Chaque poète possède une terre bien à lui » (P, 51).

En ce qui concerne le ’’mariage’’ de l’arabe et du français, il s’agit d’une rencontre entre « une langue excessive, exaltée, riche de métaphores et d’adjectifs » et une autre qui serait « raisonnée, rationnelle704 ». Cette tension due à l’écart entre les deux langues est féconde : de l’avis de Vénus Khoury-Ghata, ces différences agissent sur la création poétique, obligeant la poétesse à « bouger les cloisons [du français], (…) pour y placer les phrases amples et larges de l’arabe705

».

La triple interrogation « d’où venons- nous ? Que sommes - nous et où allons - nous ? » s’impose cependant plus aux écrivains qui se trouvent dans un entre deux, ceux

701 Salah Stétié, « CETTE LANGUE QU’ON APPELLE LE FRANÇAIS. L’apport des écrivains francophones à la langue française », Internationale de L’imaginaire, op. cit., p. 202, http://www.maison desculturesdumonde.org/sites/default/files/ editions/mep_cette_langue.pdf, consulté le 23 mars 2016. Il considère que la mission première du français est civilisatrice grâce aux valeurs liées à la langue que sont les notions de liberté, d’égalité et de fraternité, in Le Français, l’autre langue, Paris, Imp. nationale, 2001, p. 33.

702 Dominique Maingueneau, Le discours littéraire, Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2004, p. 139.

703 La Prose, op. cit., p. 51.

704 Vénus Khoury-Ghata, « CETTE LANGUE QU’ON APPELLE LE FRANÇAIS. L’apport des écrivains francophones à la langue française », Internationale de L’imaginaire, op. cit., http://www.maisondescultures dumonde.org/sites/default/files/ editions/mep_cette_langue.pdf, consulté le 23 mars 2016.

705 Vénus Khoury-Ghata, in Sonia El Fakhri, « Le Liban et un siècle de littérature francophone », Cahiers de

l’Association Internationale des études françaises, [En ligne], n°. 56, 2004, p. 45, http://www.persee.fr/doc /caief _0571-5865_2004_num_56_1_1524, consulté le 20 mars 2014.

165 qui sont « à cheval sur deux cultures, parfois sur deux civilisations706 ». Charles Bonn résume ainsi leur problématique linguistique707 :

La question, la seule, la plus nodale et cruciale est bien celle-ci (…) : à quelle langue vais-je me vouer ? En quelle langue vais-je me jouer ? (…) c’est aussi bien la langue de l’autre, des autres en moi, refusée et tordue, travaillée, attaquée, ou acceptée, aimée, ou c’est encore, nécessairement, la langue de moi, de mon singulier, dans la langue de l’autre, des autres708

.

Ceux qui optent pour le français expliquent qu’il y a non pas perte ou exil709 mais enrichissement ; leur choix du bilinguisme fait en effet se confronter deux mondes, deux cultures. Grâce à la langue (ou aux langues) de l’autre, leurs possibilités de créativité s’amplifient pour encore mieux dire ou dire autrement ce qu’ils ont à dire, en intégrant parfois des termes ou des expressions de leur langue d’origine710

, (une certaine façon de s’exprimer en utilisant une syntaxe proche de la langue maternelle ou un rythme de la phrase reprenant celui de leur langue natale par exemple). Nous avons ainsi pu relever quelques libanismes dans les textes de Nadia Tuéni comme « Dans la plaine d’été un long cheval » (PPH, 161).

Pour nombre d’écrivains francophones, il s’agit de passer d’une langue à une autre, sans barrières. En ce qui concerne les écrivains.es libanais.es francophones, on pourrait qualifier leur identité comme étant au carrefour de plusieurs identités culturelles, fluctuant entre les deux rives de la Méditerranée, une identité d’écrivains.es arabes mais écrivant en français711. Yves Clavaron parle ainsi d’« être de la frontière712 » et Michel Beniamino d’« écrivain-passeur »713

, à l’instar de Lise Gauvin qui précise que « le décalage (…) entre

706

Salah Stétié, Archer aveugle, op. cit., p. 182.

707 La question de la langue « est une question vitale qui engage tout l’être : un problème d’identité », in Jacques Noiray, Littératures francophones, t. 1 : Le Maghreb, Paris, Belin, coll. « Belin SUP Lettres », 1996, p. 116.

708 Charles Bonn et Xavier Garnier, Littérature francophone, Récits courts, poésie, théâtre, t. 2, Paris, Hâtier, A.U.F., mars 1999, p. 57.

709

Georges Corm et Gérard Khoury sont les représentants de ceux qui se sentent exilés car ils exposent dans leurs romans les problèmes de conscience auxquels sont confrontés ceux qui ont quitté le pays, d’autant que le Liban ne les quitte jamais.

710 Dominique Combe parle à ce sujet de « métissage linguistique », in Poétiques francophones, Paris, Dunod, 1995.

711 Ces divergences de point de vue se retrouvent lors des discussions politiques recherchant au cours de l’indépendance un équilibre entre les différentes conceptions du Liban.

712

Yves Clavaron, Poétique du roman postcolonial, op. cit., p. 59.

713 Michel Beniamino, « La francophonie littéraire », Les Études littéraires francophones : état des lieux, Lieven D’Hulst et Jean-Marc Moura (dir.), Lille, Éd. du Conseil Scientifique de l'Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, coll. « Travaux et recherches », 2003, pp. 15-24.

166 une langue et un territoire culturellement autre à la suite d’un choix (…) [transforme l’écrivain en] ’’passeur 714’’ ou ’’médiateur’’ de cultures715

».Le poète navigue donc d’une langue à l’autre sans éprouver de fracture identitaire et se trouve donc être un médiateur au carrefour de deux ou trois identités culturelles qu’il tente de concilier, sans aucun renoncement. Ce bi ou trilinguisme, certes, n’est pas simple et lie l’écrivain.e à deux traditions littéraires : deux langues signifient deux imaginaires, deux manières de penser différentes et un compromis à trouver pour rendre compte de son imaginaire et de son style en langue française :

La création littéraire dans la langue de l’autre prend toute son importance comme vecteur de médiation interculturelle716.

Bien au contraire, la langue de l’autre ne rejette pas les idéologies, la culture, les racines de la langue maternelle, mais leur permettrait de s’épanouir car elle se veut langue de partage. Si l’on demeure aux côtés des écrivains libanais, Farjallah Haïk constate que « le français est [son] identité culturelle717 », mais une identité qui est « bien loin de [l’] enfermer dans [son] identité nationale », et n’inscrit pas de rapport de force avec d’autres identités. Cet écrivain adhère donc totalement au groupe de « ceux qui croient au cosmopolitisme culturel, à la littérature sans frontières718 ». Antoine Noujaim souligne d’ailleurs au colloque de l’Agence Universitaire de la Francophonie de 2006 que les écrivains libanais d’expression française ne manquent pas à leur vocation naturelle d’être les porte-parole du monde arabe dans la Francophonie719, ce qu’ils peuvent accomplir grâce à la tribune mondiale offerte par le français. En contrepartie, d’une certaine façon, l’écrivain libanais francophone retransmet aux siens l’acceptation et le respect des particularités de l’autre, touchant ainsi leur propre milieu et celui de toute la Francophonie.

714 Vénus Khoury-Ghata dit intégrer les deux langues (puisque la structure de la phrase est française mais son contenu est arabe) et Salah Stétié qualifie l’ouverture à une autre langue de si bénéfique qu’il « épouse » cette dernière, in Zahida Darwiche Jabbour, Littératures francophones du Moyen-Orient, op. cit., pp. 89-90.

715 Lise Gauvin, Écrire pour qui ? : L’écrivain francophone et ses publics, Paris, Karthala, 2007, p. 161.

716 Zahida Darwiche Jabbour, Littératures francophones du Moyen-Orient, op. cit., p. 7.

717 Ibid., p. 128.

718 Ibid., p. 7. Nous citerons par exemple, aux côtés de Georges Schéhadé, Andrée Chédid, Salah Stétié et Farjallah Haïk, Amin Maalouf, Vénus Khoury-Ghata, Dominique Eddé, Alexandre Najjar et Chérif Majdalani.

719

Antoine Noujaim, « La Francophonie littéraire », colloque de l’Agence Universitaire de la Francophonie, 21 mars 2006, USEK (Université St Esprit de Kaslik), pp. 7-8, https://www.auf.org/media/IMG2/doc/ antoine.noujaim.doc, consulté le 1 juin 2015. Ce sont par exemple Salah Stétié, Vénus Khoury-Ghata, Charif