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D’URBANISATION DISPERSÉE AU-DELÀ DES PRÉJUGÉS : ÉTAT DE L’ART

1. L’ÉMERGENCE DE LA PÉRIURBANISATION EN FRANCE

1.2. La périurbanisation, entre renaissance du rural et urbanisation des campagnes

Dans la littérature scientiique, la distinction entre ville et campagne demeure une approche centrale dans l’étude de la périurbanisation. L’analyse de ces espaces périurbains est généralement reliée à deux interprétations divergentes de la dichotomie ville-campagne. Ces deux interprétations prennent comme point de repère, soit la ville, soit la campagne. Ainsi, l’« urbanisation des campagnes » (Juillard 1961) inclut ainsi les espaces ruraux dans le développement et le fonctionnement du système urbain. Tandis que la « renaissance rurale » (Kayser 2004) marque une rupture, dans le temps long, du déclin des campagnes et de leur « agricolisation » (Berger et al., 1976),

Ainsi, là où le phénomène de suburbanisation conduit à observer un processus de dilution de la ville vers les espaces périphériques, la contre-urbanisation voit une croissance depuis les pôles ruraux déjà constitués au détriment de la ville-centre. Mais la contradiction entre l’idée de dépendance fonctionnelle à la ville (lecture urbano-centrée) et celle d’un attrait pour les valeurs propres de la campagne (lecture ruraliste) met en fait l’accent sur l’inscription multiscalaire du phénomène périurbain. À petite échelle, il peut apparaître comme la manifestation d’une concentration de plus en plus forte de la population dans les agglomérations, mais il se traduit à grande échelle par une déconcentration de plus en plus

avancée dans les espaces ruraux.

1.2.1. Des espaces perçus comme dépendants de la ville

La ville, en tant qu’espace urbain compact et continu, est encore aujourd’hui souvent présentée comme un modèle de référence dans la façon d’appréhender les territoires (Lévy, 2013) et, ainsi que le soulignent Nadine Cattan et Sandrine Berroir, pour certains chercheurs, « la métaphore centre-périphérie est encore une image récurrente pour penser l’étalement urbain en Europe » (Berroir et Cattan, 2006). Les représentations de la périurbanisation selon ce modèle mettent en opposition ce qui est ville et ce qui ne l’est pas. Ils décrivent des processus d’urbanisation de la ville dans ses espaces périphériques. L’analyse de la périurbanisation à travers une lecture urbaine conduit à une vision formalisant une urbanisation en couronnes successives, déinies par l’ancienneté de leur constitution et de leur pénétration dans l’espace agricole. Elle met en avant une dilution des espaces bâtis de la ville vers les espaces ruraux. Le développement de la périurbanisation répond à une recherche de la population de quitter la ville pour des espaces ruraux (recherche d’un habitat pavillonnaire, d’un prix du foncier bas, d’une densité des espaces bâtis plus faible, etc.) tout en conservant des liens avec elle : emploi, services, commerces, ….

L’inluence des espaces centraux, ou unités urbaines au sens de l’INSEE, sur les espaces périurbains est indiscutable. La distance aux pôles d’emplois métropolitains a une inluence sur la dépendance des habitants à ces pôles. Ainsi, « quand les métropoles s’agrandissent, la distance au centre s’airme comme un critère majeur de diférenciation des communes. La diférence sociologique entre les communes périurbaines les plus éloignées et celles qui sont le plus proches en témoigne » (Charmes 2011, p. 53). La dépendance des espaces périurbains aux espaces urbains se retrouve également dans les modes de vie. Les espaces périurbains répondent en efet à un urbain généralisé (Choay 1993) dont les habitants sont du point de vue des modes de vie aussi urbains que les citadins (Dodier et al. 2012). En ce sens, les espaces périurbains participent aux espaces métropolitains. Dans cette analyse du territoire, les espaces périurbains sont décrits en négatif et sont présentés comme dépendants de la ville et des espaces centraux. Cette vision de l’espace à partir de la ville dense consacre une vision pessimiste du « périurbain » relégué à un rôle de zone tampon, de frange entre urbain et rural où il est alors déini comme « un gradient d’urbanité qui correspond à la partie non agglomérée des aires urbaines » (Lévy, 2013). La prise en compte de cette diférenciation

bi-partie amène à caractériser le périurbain en fonction de la distance au centre, de critères spatiaux, sociaux et de modes de vie.

1.2.2. Un développement issu d’un redéploiement récent du rural

La sémantique et les outils statistiques oiciels développés en France, et en Europe en général, ont aujourd’hui évacué le rural en tant qu’espace d’étude à part entière. Les espaces ruraux, et les populations qui les habitent, sont observés et « déterminé(s) par défaut, en tant que masse résiduelle de ce qui n’est pas urbain » (Houillon et Thomsin, 2001). Pourtant, depuis des années, les limites entre secteurs urbains et ruraux n’ont cessé de se complexiier et ne répondent plus aujourd’hui à des limites franches. La difusion des modes de vie urbains aux espaces périurbains et ruraux ne doit pas masquer l’existence de formes spatiales diférentes entre espaces urbains, ruraux et périurbains. Travailler avec des territoires aux compositions de plus en plus mixtes, nourris par une interpénétration d’espaces variés sur le plan morphologique, fonctionnel et de leurs usages est aujourd’hui une nécessité (Chalas et Dubois-Taine, 1997, Hervieu et Viard 1998, Donadieu 2003, Ascher 2004).

La géographie ruraliste des vingt dernières années vise à réintégrer les espaces ruraux comme des espaces à part entière et non comme des espaces interstitiels ou résiduels. Les analyses sont fondées sur les espaces ruraux et non sur les villes, s’opposant à l’idée d’une dilution, d’un étalement, d’une croissance ininie de l’urbain au détriment du rural (Grosjean 2010), et à celle d’une intégration des campagnes par les villes telle que nous l’avons présentée dans la partie précédente (Barattucci 2006). En ce sens, les termes « d’extension du bâti » ou de « croissance urbaine » sont privilégiés pour désigner la croissance des espaces urbanisés dans les espaces ruraux plutôt que celui d’urbanisation qui renvoie selon eux à la ville. Ainsi, pour Laurence Thomsin, l’analyse de cet « espace rural rurbanisé » doit être considérée comme issue d’un développement récent des espaces ruraux, où il faut « mener l’observation des distributions des densités en prenant pour zone de référence, non pas l’espace urbain, mais l’espace rural » (Thomsin, 1998). Cette dynamique correspond à la transformation des espaces ruraux plutôt qu’au déploiement de nouvelles formes d’urbanisation depuis la ville. D’un point de vue morphologique, elle voit l’émergence de nouvelles formes d’habitat dans les espaces anciennement ruraux, dessinant une ville difuse, moins dense et plus rurale dans ses caractères physiques.

Cela se traduit par le développement d’une urbanité rurale (Jollivet 1997, Poulle et Georges 1997), qui se diférencie de la ville par ses caractéristiques physiques marquées par les espaces ouverts environnants et les pratiques agricoles participant à la mise en valeur de ces espaces. Les espaces dits périurbains saisis du point de vue des ruralistes permettent ainsi le retour de problématiques anciennes de ce champ de la géographie, tel que l’agriculture, dans des contextes actuels et plutôt urbains. L’émergence de notions telles que l’agriculture périurbaine ou l’agriculture urbaine vient requestionner directement les relations socio-spatiales des campagnes avec la ville. L’agriculture n’est plus seulement perçue comme une activité économique, mais participe activement à la construction de nouvelles territorialités hybrides (Lacombe 2002), de paysages (Donadieu et Fleury 2003), ou d’identités communes (Poulot 2006). Les espaces ouverts qui participent activement à la qualité, aux usages et à la déinition de ces nouveaux territoires mi-ville, mi-campagne sont un enjeu de préservation et de mise en valeur dans l’aménagement et le développement de ces territoires, et sont porteurs en quelque sorte de la notion de ville durable (Emelianof 2007).

1.2.3. Des territoires en réseau : la mobilité comme clé de lecture

Que les espaces soient urbains, périurbains, ou encore ruraux, les évolutions récentes de leur usage (Orfeuil 2003) et des pratiques de mobilité (Dupuy 1991, 1995) ont abouti à leur mutation et à une modiication de leur perception. Dès lors, les mobilités émergent comme un outil d’analyse du territoire. Sous l’impulsion de cette vision de la ville réticulée, de nouveaux modes d’appréhension de l’espace voient le jour (Beaucire 1995, Chalas 2000). La ville-territoire cède le pas à la ville-réseau, ce qui se traduit par la mise en relation de lieux distants. Dans cette approche, le « fondement même de l’urbain est le lien », qui « conçoit les territoires explicitement par les relations qui articulent les villes entre elles » (Cattan 2013).

La mobilité des individus, des biens et de l’information, réelle ou potentielle, est alors utilisée comme clé de lecture de l’espace. Partant de cette grille, il ne s’agit pas de savoir si spatialement, les espaces périurbains découlent davantage d’une dilution de la ville dense ou d’un redéveloppement des bourgs ruraux, mais d’observer comment la réalité mobile s’organise sur le territoire. Martine Berger explore ainsi le périurbain sous l’angle des navettes domicile-travail, des stratégies résidentielles et de la répartition des emplois. Elle déinit alors le processus de périurbanisation en lien avec celui de métropolisation. Elle le décrit comme un processus dynamique de croissance urbaine, où l’espace rural est dépendant

de l’espace urbain (Berger 2004). Dans un autre registre, Benjamin Motte s’est quant à lui intéressé au périurbain sous l’angle de la dépendance automobile et de l’accessibilité de la population aux services. Dans des espaces qu’il déinit comme dynamiques, vus sous l’angle de la démographie et des activités, là où l’alternative à la voiture particulière est faible, il étudie les mobilités dans le périurbain « à partir d’indicateurs d’accès potentiel aux ressources et non pas à partir de données de mobilité efective » (Motte-Baumvol 2008).

L’étude des mobilités comme outil de production territoriale incite à nous réinterroger sur les critères habituels d’analyse des espaces périurbains fondés exclusivement sur la notion de distance par rapport au centre de l’agglomération, ou sur celle de dépendance en termes d’emplois. Dans les études menées sous l’angle des mobilités, la constitution des espaces périurbains est ainsi étudiée au travers des relations territoriales entretenues avec les autres territoires. En raison des relations d’interdépendance qu’ils entretiennent avec les pôles principaux, les systèmes territoriaux du périurbain sont décrits comme multiples et hétérogènes. Le périurbain répond alors à une expansion de l’urbain. Au-delà de relations verticales, importantes par leur poids, avec les espaces centraux, le périurbain est également déini par des relations horizontales de pôles à pôles (Motte-Baumvol 2006).

1.3. Les approches institutionnelles mises en oeuvre pour analyser