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DES ESPACES BÂTIS POUR RÉVÉLER LEURS MULTIPLES FORMES

2.1. La morphologie, un objet d’étude original

La prise en compte des morphologies contrastées des espaces bâtis constitue une approche nouvelle des territoires que nous observons. Ces derniers sont très diférents les uns des autres et leur structure est intimement liée aux modes d’organisations agricoles ayant conduit à l’émergence de structures rurales et de morphologies caractéristiques qui continuent aujourd’hui à servir de socle à des formes contemporaines d’urbanisations (Thomsin 1998, Barattucci 2006, Secchi 2009, Brès et Delaville 2017). Cette approche a déjà été éprouvée par de nombreuses études portant sur des espaces aux caractéristiques variées.

2.1.1. Des communes aux caractéristiques contrastées : le choix d’une lecture intra-communale des espaces d’urbanisation dispersée

Les communes, qui représentent en France le plus petit échelon statistique et institutionnel généralisé à l’ensemble du territoire, ont une taille très hétérogène : « la dimension des

Figure 21 | De l’échelle communale à celle de l’agrégat bâti, diversité des formes (à gauche le Limousin, à droite la Picardie) Source : Brès+Mariolle / Brès et Delaville 2017a

communes […] est plus importante dans les zones d’habitat dispersé que dans celles d’habitat aggloméré » (Prats 2000). Ainsi comme l’ont montré Antoine Brès et Damien Delaville, en Limousin, les communes présentent une taille moyenne (23 km2) presque trois fois plus importante qu’en Picardie (8,5 km2) (Brès et Delaville 2017a - Figure 21). Cette diférence importante de la taille de la maille constitue une diiculté lorsque l’on étudie la question de la hiérarchisation des établissements humains, généralement abordée sous l’angle de la démographie. En dehors des grandes villes, les communes ne sont que rarement constituées d’une seule entité bâtie, mais plus généralement d’un nombre très variable d’entités - lieux-dits, hameaux, villages, bourgs - disséminées au sein de leurs territoires et héritées pour l’essentiel du milieu agricole (Barrattucci 2005).

Si à l’échelle régionale cette simpliication de l’espace permet de saisir et d’analyser les grandes dynamiques à l’œuvre, elle a des limites à des échelles plus locales où l’utilisation de la commune comme unité de base induit une importante simpliication. Cela est d’autant plus vrai dans les communes constituant le bas de la hiérarchie urbaine où le découpage communal et les structures de peuplements inluent fortement sur la population et les équipements commerciaux (Talandier et Jousseaume 2013).

« Par exemple, Massif armoricain et Côte d’Azur conjuguent fortes densités de population et grandes supericies communales, la population municipale rurale dépasse toujours 1 000 habitants, sans pour autant apparaître comme un centre de commerce ou de service. Avec des densités humaines à peine inférieures, la Normandie possède un découpage communal très in, les populations municipales y sont donc moins nombreuses et les communes rurales sont peu équipées. Mille habitants dans le Pays d’Auge marquent déjà un gros bourg commerçant qui rayonne. »(Talandier et Jousseaume 2016 p.5)

Prenant appui sur ces constats, et s’inscrivant dans la continuité des travaux menés par Antoine Brès et Damien Delaville, cette thèse prend pour socle d’analyse l’échelle territoriale la plus ine possible en se basant sur la morphologie intra-communale des espaces d’urbanisation dispersée. La superposition de la couche relative à la démographie à celle

portant sur la morphologie des espaces bâtis permet de faire émerger une granularité de l’espace (Brès et Delaville 2017) qui introduit une classiication par strate des établissements humains en fonction de leur nombre d’habitants. La prise en compte de ces établissements humains et leur classiication selon leur taille de population sont des enjeux majeurs. Elle permet de faire émerger des modes d’organisation territoriale variés basés sur de plus ou moins grandes concentrations d’établissements humains de taille diférente (granularité). Cette analyse constitue le socle principal de cette thèse. Nous posons l’hypothèse qu’à un mode d’organisation donné de la population sur le territoire correspondent des agencements des fonctions, une distribution des polarités et des pratiques de mobilités variées.

2.1.2. Délimitation des établissements humains : une déinition territoriale non consensuelle

En France, il existe peu de déinitions réglementaires caractérisant à l’échelle intra-communale les espaces bâtis et leurs limites. La première apparition du mot agglomération date du 10 juillet 1954 dans un décret relatif à la police de la circulation routière et demeure encore aujourd’hui une référence. Se basant sur les usages souhaités sur les routes (vitesse, priorités,…), ce décret conceptualise une méthode permettant de caractériser des secteurs d’application des règles. Il déinit l’agglomération par le rapport des espaces urbanisés à la route. Il s’agit d’« un groupement d’immeubles sinon contigus, du moins suisamment rapprochés, situés en bordure de la voie publique et donnant à celle-ci l’aspect d’une rue » (décret du 10 juillet 1954 relatif à la police de la circulation routière). Le code de la route opère donc une diférenciation entre les espaces bâtis riverains de la route (agglomération) et ceux traversés. Le décret du 30 juin 1972 vient préciser cette déinition et apporter une

Figure 22 | Schéma théorique déinissant le terme d’agglomération au sens du code de la route français

formalisation territoriale aux agglomérations en créant des panneaux marquant l’entrée et la sortie. Le critère spatial de déinition est renforcé, « l’agglomération est un espace sur lequel sont groupés des immeubles bâtis » (igure 22). Cette première déinition pose « à quel moment les espaces vides [entre les constructions] deviennent […] assez importants pour que le village cesse d’exister ? » (Sorre, 1952).

À ce sujet, les méthodes de détermination de ce seuil dans la littérature scientiique et institutionnelle ne fait pas consensus. La distance permettant de délimiter la in d’une agglomération et le début d’une autre varie en fonction des pays, des auteurs, et des contextes territoriaux. Dans sa délimitation des agglomérations, l’INSEE (Institut de statistique français) retient comme critère une discontinuité inférieure à 200 mètres pour une population supérieure ou égale à 2000 habitants. En Belgique l’INS, retient un écart qui ne doit excéder 50 à 100 mètres selon les régions, tandis qu’au Royaume-Uni, l’Oice of Population Censuses and Surveys ixe la limite à 50 mètres entre bâtiments contigus (Tannier, 2006). Ain de répondre à cette question, Max Sorre, pour la France, propose dans les années 1950 un seuil de distance variant de 100 à 150 mètres (Sorre, 1952). Plus récemment dans les travaux qu’ils ont mené sur les espaces de faibles densités en Picardie, Béatrice Mariolle et Antoine Brès ont retenu un critère de 100 mètres, qui correspond à des enjeux de continuité morphologique et visuelle, pour déinir des « agrégats bâtis » (Brès et al. 2011).

Au inal, les seuils de distance proposés par ces diférents acteurs varient assez peu, ils sont tous compris entre 50 et 200 mètres. Aussi, pour déinir les « établissements humains », nous retiendrons le seuil de 100 mètres qui est celui qui revient le plus souvent. À partir de la déinition territoriale de ces établissements et de leurs caractéristiques, une analyse originale visant à déinir l’organisation territoriale des espaces d’urbanisation dispersée et ses caractéristiques va être menée.

2.2. Déinir la structure intra-communale des espaces