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D’URBANISATION DISPERSÉE AU-DELÀ DES PRÉJUGÉS : ÉTAT DE L’ART

1. L’ÉMERGENCE DE LA PÉRIURBANISATION EN FRANCE

1.1. L’appropriation de nouvelles formes d’urbanisation par la littérature

Le mot « urbanisation » est introduit pour la première fois dans la littérature scientiique en 1867 dans la « Théorie Générale de l’Urbanisation » d’Idelfonso Cerda. Ce mot correspond alors à « l’acte de convertir en urbs un champ ouvert ou libre »1(Lopez de Aberasturi 2005). Il déinit un processus de mutation de l’espace conduisant à la création ou à l’extension de villes. Longtemps attaché au fait urbain, à des notions de densité, de centralité, et de grande taille des espaces bâtis, ce mot s’est largement difusé. Par la suite, son sens a évolué et, selon les auteurs et les époques, ne traduit plus les mêmes dynamiques (Barattucci 2006). L’urbanisation ne concerne plus seulement les villes, mais intègre de nouveaux espaces de croissance et de mutation de petite taille.

1 La citation complète dans le texte est la suivante : «Mais le mot urbs, […] dénote et exprime tout ce que pouvait contenir l’espace circonscrit par le sillon ouvert avec l’aide des bœufs sacrés. On peut donc dire qu’en ouvrant ce sillon, les Romains urbanisaient l’enceinte et tout ce qu’elle contenait. L’ouverture de ce sillon était une véritable urbanisation, c’est-à-dire l’acte de convertir en urbs un champ ouvert ou libre» dans Ildefonso Cerdà, CERDA I., 2005, La théorie générale de l’urbanisation, Antonio Lopez de Aberasturi (dir.), Nouvelle éd, Besançon, les Éd. de l’imprimeur

1.1.1. L’apparition de la «rurbanisation»

Le processus d’urbanisation est « jusqu’aux années 1960, synonyme de concentration urbaine, de migrations de campagnes vers villes » (Dematteis 1997). Il traduit alors un modèle de regroupement de la population dans les villes, marqué par la création d’une forte densité humaine. Dans les années 1960, Jean Gottman décrit l’urbanisation comme une mutation des modes d’habiter et non plus comme un changement de destination des sols. L’urbanisation est alors un « processus économique et social, politique et culturel qui conduit l’humanité vers de nouvelles formes de civilisations de plus en plus urbaines au sens de non agricoles, caractérisées par des formations d’une grande densité et par des implantations totalement séparées du travail de la terre » (Gottmann 1965). Au cours des années 1970, l’acception donnée au terme urbanisation dans le champ de la géographie évolue de nouveau avec le renouvellement des recherches portant sur les relations ville-campagne. Le terme urbanisation est désormais également employé pour les espaces les moins denses et ruraux. Les mutations démographiques observées « entre les années 1960 et 1980, [montre] une inversion de tendance [d’exode rural] concernant tous les pays du monde industrialisé, qui a déstabilisé les représentations spatiales de l’urbanisation » et a provoqué « une dissociation entre le concept d’urbanisation et la notion de concentration dans l’espace de sorte à associer ce concept à une déconcentration croissante » (Dematteis 1997). Dès lors le sens du mot urbanisation évolue et tend à caractériser toutes les formes et processus de croissance des espaces bâtis indiféremment de leur taille et de leur densité. C’est en ce sens que nous déinirons l’urbanisation. Elle caractérise le processus morphologique de mutation du sol en un espace bâti sans préjuger de sa localisation. Depuis une cinquantaine d’années, de nombreux chercheurs ont observé dans les pays industrialisés l’apparition de nouvelles formes d’urbanisation marquées par un desserrement de l’urbain ou suburbanisation (Van Den Berg et al. 1982, Choay 1994, Le Jeannic 1997, Bordreuil 2000, Berroir et Cattan 2006), ou une croissance endogène du rural (Thomsin 2001).

Cette apparition de nouveaux secteurs d’urbanisation situés dans des espaces d’entre-deux a conduit à une remise en question des relations qui associaient jusqu’alors villes et campagnes (Barattucci 2006, Baxandal et Ewenn 2001, Joo 2009). La vision traditionnelle de la séparation entre villes et campagnes est repensée. Les villes et les campagnes, qui disposent jusqu’alors de formes d’organisation morphologique et de fonctions distinctes, ont peu à peu muté (Hervieu et Viard 1998). Dans les villes, la continuité du bâti n’est plus un critère suisant permettant de les déinir. Parfois des parties s’en détachent géographiquement tout

en continuant d’entretenir des relations avec le centre. Sortant de la disjonction habituelle entre villes et campagnes, l’appréhension des territoires se complexiie. Désormais, selon Bernardo Secchi, la proportion des territoires que l’on peut nommer distinctement soit ville, soit campagne, est très faible (Secchi in Grosjean 2010).

En France, la prise en compte de ces secteurs d’entre-deux en cours d’urbanisation a entraîné un renouvellement des problématiques développées dans la géographie rurale. Les mutations, qui progressivement touchent le monde rural, amènent ainsi les chercheurs à élargir leurs champs d’études. L’espace rural n’est plus considéré seulement comme le support d’activités économiques productives. Il devient davantage résidentiel, et urbain avec l’arrivée de citadins qui continuent de travailler en ville, et apportent des changements dans les modes de vie (Choay 1994, Berger 1999). La géographie rurale commence à s’intéresser aux activités et aux populations non agricoles. Plus généralement, au cours des années 1970, on observe une évolution des recherches : de l’étude des relations entre villes et campagnes - principalement d’un point de vue démographique lié aux efets de l’exode rural (Pitie 1979, Beteille 1981) - a peu à peu émergé celle de ces nouveaux espaces, marquée par l’apparition du terme de « rurbanisation » (Bauer et Roux 1976).

1.1.2. Le périurbain, des approches pluridisciplinaires

Depuis la parution des travaux de Bauer et Roux sur la rurbanisation, de nombreux chercheurs (géographes, sociologues, ruralistes, économistes…) se sont emparés de ces nouveaux espaces. Leurs travaux montrent que les limites entre secteurs urbains et ruraux n’ont pas cessé de se complexiier et ne répondent plus à des limites franches. Ils sont mixtes, nourris par une interpénétration d’espaces variés sur le plan morphologique, paysager, fonctionnel, autant que sur celui de leurs usages. À la in des années 1970, le rapport Mayoux (Mayoux 1979) tend à imposer le terme de périurbanisation dans la littérature francophone. Le périurbain déinit alors des espaces à faible densité nouvellement construits, sans continuité de l’habitat avec l’agglomération urbaine, où les constructions pavillonnaires sont prédominantes. L’idée d’une urbanisation imbriquant des systèmes urbains et ruraux disparaît telle que déinie dans la rurbanisation, de même que la référence à l’espace rural.

La multiplication des études monographiques menées sur ces espaces d’entre-deux et la multiplicité des processus observés ont conduit à l’apparition d’une abondance de

terminologies pour les déinir : « rurbanisation », « périurbanisation », « suburbanisation », « contre-urbanisation », « ville difuse », « exurbanisation »…. Les chercheurs ont étudié ces espaces à partir de diférentes approches : morphologique (Barrattucci 2006, Charmes 2011), démographique (Thomsin 1998), de la structuration (Dodier et al. 2012), de la mobilité (Berger 1999), de la gouvernance (Rougé et al. 2013). Les travaux révèlent qu’en fonction des terrains, et des approches retenues, de multiples formes caractérisent ces nouvelles urbanisations. Du point de vue de la morphologie et des processus d’urbanisation, les chercheurs désignent « ces urbanisations au moyen de notions telles que : la déconcentration, la difusion, la discontinuité, la dispersion, la fragmentation, l’éparpillement » des espaces urbanisés (Barrattucci 2006, p.38). Certains auteurs considèrent même que la périurbanisation « se déploie ailleurs que dans la périphérie des villes et autrement que sous la forme d’une urbanisation au sens propre » (Roux et Vanier, 2008, p.11).

1.2. La périurbanisation, entre renaissance du rural et