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Les  ozonomètres  soviétiques  sur  la  route  du  «  globalisme  infrastructurel  »   promu  par  l’OMM

Clark Miller et Paul Edwards ont montré comment, comme la plupart des institutions onusiennes créées après la guerre, l’OMM avait dû conquérir sa légitimité. Au cours de la décennie 1950, les budgets de l’OMM demeuraient faibles. De plus, l’OMM peinait à imposer son autorité centralisatrice, au sens où elle dépendait très fortement du bon vouloir d’initiative et de coopération des services météorologiques nationaux. Il lui fallut par conséquent s’impliquer, d’abord, dans des projets de collaboration se targuant d’incarner l’ethos (mertonien) d’« internationalisme scientifique » (comme l’AGI). Ensuite, il fallut chercher des programmes pour lesquels existaient des convergences d’intérêts dans le

contexte de la nouvelle mondialisation (ou « globalisation ») d’après-guerre (par exemple, des travaux météorologiques communs – dont satellitaires – en vue de sécuriser les voyages aériens civils et le transport marine transcontinental).

Enfin, l’OMM (comme le CSAGI) stimula les parties des programmes aptes à intégrer les anciens pays coloniaux, et des pays en voie de décolonisation (en effet, le droit d’adhésion à l’OMM était en principe limité aux « états souverains » reconnus par l’ONU, mais avait été étendu aux colonies et protectorats parrainés par leurs métropoles). En outre, les salles de conférence de l’OMM et leurs couloirs devinrent les caisses de résonance des suspicions et des bonnes intentions des deux Blocs. Ainsi, le GARP (‘Global Atmospheric Research Program’ ; OMM/ICSU), qui sera promu en 1961 par Jule Charney puis créé en 1967, se plaçait-il sous l’égide du discours de J.F. Kennedy de 1961 sur les utilisations pacifiques de l’espace et de la météorologie. Mais, au cours du Sixième congrès de l’OMM, en 1971, le délégué de Cuba Rodriguez Ramirez ne dénonçait-il pas « l’hypocrisie de l’OMM », qui excluait des « pays socialistes » d’un statut d’adhérant plein et effectif, et laissait les Etats-Uniens détruire au Vietnam « la moitié des stations météorologistes » et confisquer « les vies de plus de cent scientifiques et travailleurs dans le secteur de la météorologie », etc… bafouant par conséquent les accords de l’ONU qui voulaient que le ‘World Weather Watch’ (WWW ; dont nous avons vu qu’il avait été initié dans les années 1950, stimulé par l’AGI, puis officialisé comme organe de l’OMM en 1967) fût un programme pacifique ? [Edwards, 2010, pp. 194-196 ; Ramirez, 1971 in Edwards, 2010,

p. 196]160

                                                                                                               

160 Paul Edwards a donné plusieurs exemples de convergence ou conflit entre les intérêts des programmes scientifiques de l’OMM et les besoins géostratégiques des Etats. Convergence ou conflits qui rimaient toujours, comme nous l’avons dit, soit avec démonstration de transparence / de fermeté, soit avec intention de reconnaître le droit à exister de pays récemment décolonisés (ou de l’Etat d’Israël) :

The WMO’s “budget grew rapidly in its first two decades. Annual spending increased from about $300,000 in the early 1950s to about $1.3 million by 1965. […] By 1968, its annual budget had reached nearly $4 million. On a symbolic level, the increasingly substantial presence of a central organization mattered enormously. The WMO’s most significant work as an institution took place through its technical assistance program. At the time of the First WMO Congress (1951), the impending independence of Libya, then an Italian colony, created the possibility of a break in meteorological operations, since the existing weather service in Libya was staffed mainly by non-Libyan personnel. The Congress directed the Executive Committee to propose a plan for continuation of service and “to express the willingness of the WMO to provide all possible technical assistance within its available resources.” From modest beginnings—$23,000 contributed to four countries in 1952— the Voluntary Assistance Program soon became one of the WMO’s most significant activities. Accelerating after 1955, decolonization created some 40 new nations, multiplying the problem posed by Libya.” (“The WMO [had first] hoped to rely entirely on the UNDP [United Nations Expanded Program of Technical Assistance for the Economic Development of Under-Developed Countries] for funds, but the UNDP’s shifting priorities made it an unreliable ally. Therefore, the WMO established its own Voluntary Assistance Program.”)

“The WMO perceived these activities as purely technical. But as Clark Miller has shown, they also contributed to a new politics of expertise. Recipients, particularly those engaged in building new “sovereign states,” often understood technical assistance activities as elements of a larger political program. For example, by allowing Israel to provide expert advice to its (mostly immigrant) citizens, WMO assistance to the Israeli weather service simultaneously promoted the legitimacy of the new state. Such initiatives both spurred and grew from a new version of scientific internationalism, which Miller describes as “the idea that cooperation

La coopération internationale autour des mesures d’ozone ne semble pas avoir soulevé de controverse diplomatique majeure. En revanche, des écueils se dressèrent bel et bien au cours des préparatifs du programme sur l’ozone de l’AGI ; au premier rang desquels, la coopération entre Occidentaux, qui s’appuyaient principalement sur des spectromètres Dobson, et les Soviétiques, qui avaient développé leur propre instrument spectrométrique. En effet, malgré le medium onusien de l’OMM, le programme sur l’ozone de l’AGI demeurera porté par les Occidentaux – et même, pour la plupart, par les États-Uniens et des Anglais, principaux ennemis de l’URSS. [Bojkov, 2010, p. 7]

Pour commencer, Staline a certes laissé l’URSS continuer sa collaboration au sein de l’Union astronomique internationale (1919-… ; en anglais, ‘International Astronomical Union’, IAU), et a adhéré immédiatement à l’OMM [United Nations, 1951, p. 956] ; en revanche, signe qu’il se méfie de certains aspects de la coopération scientifique internationale, il s’est entêté à ne pas affilier son pays à l’ICSU. Quelques mois après la mort de Joseph Staline, advenue le 5 mars 1953, le Comité national états-unien pour l’AGI se risque à envoyer une invitation aux Soviétiques, auxquels ils proposent de participer activement à l’élaboration de l’AGI. Ceux-ci y répondent favorablement dix-huit mois plus tard. Soucieux de faire étalage de son arsenal technologique, l’URSS offrira de mettre à disposition un tiers des bateaux qui seraient utilisés pour l’AGI, et trois stations sismologiques permanentes dans l’Arctique pour étudier la cryosphère. La contribution des Soviétiques à l’AGI n’en fut pas moins limitée, notamment sur le plan de l’échange des données avec l’Ouest. Les réticences que montrèrent les Soviétiques à communiquer sur leurs programmes de recherches sur les fusées et sur ses satellites peuvent aisément s’expliquer par l’importance militaire de telles technologies. Mais, comment expliquer leur faible participation au programme sur l’ozone de l’AGI ? [Howe, 2010, pp. 32-33]

Certes, les possibilités de circulation des scientifiques depuis ou vers l’URSS sont alors réduites. Mais, on trouve par exemple un nombre important de Russes à la ‘Radiation Commission’ de l’ICSU/OMM de 1959 [Howe, 2010, pp. 32-33 ; Ohring et al.,

                                                                                                               

among governments in the areas of science, technology, and other forms of expertise contributes in important ways to the furtherance of broader goals of international peace and prosperity.” (C. Miller, 2001, “Scientific Internationalism in American Foreign Policy” & “Hybrid Management: Boundary Organizations, Science Policy, and Environmental Governance in the Climate Regime,” Science, Technology & Human Values, 26, no. 4 (2001): 478–500) [… As John Krige would write when] analyzing the 1950s Atoms for Peace Program […]: “When the science concerned is also an affair of state, of immense importance for national strategic interests, international exchange is at once a window and a probe, an ideology of transparency and, by virtue of that, an instrument of control, a viewpoint which looks in and watches over. . . . International scientific exchange deftly reconciled the universalistic appeal to the pursuit of truth with the particularist needs of national security.” (J. Krige, “Atoms for Peace, Scientific Internationalism, and Scientific Intelligence,” Osiris 21, special issue on Science, Technology, and International Affairs: Historical Perspectives (2006), 171, 181) [Edwards, 2010, Section: “The World Meteorological Organization: Infrastructural Globalism during the Cold War”, pp. 193-202 & “Note 29 to Chapter 8”, p. 472]

2009, pp. 1679-1680]. Par contre, il est manifeste que les télécommunications sont plus limitées entre Etats-Uniens et Soviétiques qu’entre Etats-Uniens et Britanniques, ou même Etats-Uniens et Belges, ou Italiens, ou Suédois, ou Français… Mais, le principal frein à la collaboration sur les mesures d’ozone de l’AGI, arguons-nous, provint de la différence d’instruments développés. Alors que l’on avait perpétué à l’Ouest la tradition dobsonienne des spectromètres à prisme, les spectromètres soviétiques utilisaient la technique de filtres

d’interférence, les M-83 (puis, les M-124 à partir de 1986).161 Néanmoins, le territoire

soviétique couvrait plus de quatre pourcent du globe ; aussi, une coopération avec l’URSS était presque indispensable à un réseau de mesures globales d’ozone, ne serait-ce que sur un plan strictement scientifique. En définitive, sur la centaine de stations ozonométriques mises en opération lors de l’AGI sur l’ensemble des continents, neuf stations furent montées en Union soviétique en 1957 pour mesurer la colonne d’ozone et les distributions verticales de l’ozone les surplombant. Six stations parmi elles furent incluses dans le système d’échange international de données ozonométriques. [Mégie et al., 1989 ; Bezverkhniy et al., 1960]

Or, le travail de standardisation ne fut pas suffisamment encouragé dans un premier temps, autour de l’AGI, comme l’a regretté Rumen Bojkov. Ce Bulgare de naissance, qui deviendra par la suite Secrétaire de l’IO3C entre 1984 et 2000 (et, pendant cette période, bi-citoyen canadien), cherchera bien à donner du poids à la recherche sur l’ozone de l’Est (lui qui avait obtenu un diplôme de second cycle universitaire en météorologie et géophysique à l’Université de Sofia (1955), puis un doctorat ès physique et mathématique à l’Université de Moscou (1964), avant d’entreprendre une thèse de doctorat en physique atmosphérique à l’Université de Rostock (RDA ; thèse soutenue en 1971)). Mais, lors de la Conférence Quadriennale sur l’Ozone de Septembre 1968 (Monte Carlo), soit une décennie après l’AGI et dans un contexte de Détente, R. Bojkov pouvait encore déplorer « les divergences de la plupart des données issues des ozonomètres de type M-83 à filtre large-bande [soviétiques], avec celles des instruments Dobson ».

                                                                                                               

161 Dans le premier Scientific assessment of stratospheric ozone de 1989, c’est-à-dire dans le premier grand rapport international post-1985 sur l’ozone, Mégie et ses collègues décrivaient ainsi les ozonomètres soviétiques :

“Filter Ozonometers M-83 and M-124

“Since 1957, routine ground-based total column ozone measurements have been made at more than 40 stations in the USSR using a filter ozonometer instrument designated as type M-83 (not to be confused with the Standard Dobson ozone spectrophotometer, which was the 83rd instrument manufactured of the Dobson type). The filter-type instrument is based upon the same principle as the Dobson spectrophotometer in using differential absorption of ultraviolet radiation in the 300-350 nm Huggins band of ozone. The M-83 instrument, however, uses two broadband filters and measures the relative attenuation of the solar ultraviolet radiances either directly from the sun or indirectly from the zenith sky (Gustin, 1963). […] Improved filters were introduced into the M-83 instrument starting in 1972-1973 (Gustin, 1978). […]

“A much newer, reportedly improved instrument designated as M-124 has been installed in many stations since 1986 (Gustin and Sokolenko, 1985), but no ozone data have been reported yet for this instrument. No trend data with the M-124 can be expected for about a decade unless the data can be satisfactorily cross-calibrated with the M-83 data from the same location.” [Mégie et al., 1989]

A l’occasion de cet évènement, toutefois, des suggestions vont être faites en vue d’homogénéiser les résultats donnés par les instruments Dobson et les instruments russes. La standardisation des résultats obtenus avec l’appareil de l’Est et l’appareil de l’Ouest, qui s’appuie notamment sur des exercices d’intercomparaison fréquents, est bel et bien devenue l’enjeu central de la science de l’ozone. En 1968, la communauté consentait, enfin, à prendre le problème à bras-le-corps, semble indiquer le récit de Bojkov [Bojkov, 1969 in Bojkov, 2010, p. 38 ; Bojkov, 2010]. De nos jours, le réseau de mesures d’ozone au sol est partagé entre spectromètres "Dobson" à prisme, spectromètres "Brewer" à réseaux de diffraction, et des instruments à filtres d’interférence qui demeurent presque exclusivement localisés en

ex-URSS (voir Figure 21 ci-dessous) :162

                                                                                                               

162 Les échanges et efforts de standardisation entre URSS et Occident se sont intensifiés à partir des années 1970. On retrouve même, au cours des décennies suivantes, quelques spectrophotomètres Dobson et Brewer à bord des satellites russes, ainsi que sur le sol russe. En revanche, les spectromètres à filtre ont presque disparu des stations en dehors de l’ex-URSS. Quelques chercheurs occidentaux avaient pourtant contribué quelque temps au développement de tels instruments. Par exemple, Matthews, Basher et Fraser (du ‘Max Planck-Institut für Aeronomie’, Allemagne de l’Ouest, et du ‘Department of Physics of the University of Canterbury’ de Nouvelle-Zélande), qui annonçaient, en 1974 qu’ils venaient de développer un instrument à filtre « qui satisfaisait tous les critères » requis par le ‘Report of the Panel on Ozone reported to the Committee on Atmospheric Sciences of the US NAS/NRC’ de 1965, « tout en mesurant la quantité d’ozone totale dans l’atmosphère avec une acuité comparable au spectrophotomètre Dobson ». [Matthews et al., 1974, p. 931]

Par contre, les pays d’ex-URSS ont bel et bien perpétué leur tradition de spectromètres à filtre, qui demeurent de loin les instruments qu’ils utilisent le plus. De nos jours, des mesures quotidiennes d’ozone total sont réalisées sur un réseau d’une trentaine de stations de mesure d’ozone équipées d’ozonomètre à filtre M-124, réparties dans la Fédération de Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan. Le ‘A.I. Voeykov Main Geophysical Observatory (MGO)’ procure les soutiens logistiques. Point important : les calibrations des M-124 se réalisent à présent sur un

spectrophotomètre Dobson russe de référence, lui-même calibré de manière quadriennale au Centre européen de Calibration de l’OMM, comme le stipule le ‘Russian Federation National Report on Studies of the Earth Ozone Layer’ de 2011.

Depuis les années 1970, l’OMM a publié plusieurs rapports sur la bonne utilisation des spectromètres Dobson, dont un grand rapport de 140 pages intitulé « Operations Handbook – Ozone observations with a

Dobson Spectrometer », en 1980. Pas de rapport spécifique de l’OMM, en revanche, sur les spectromètres à filtre d’interférence, ni sur les appareils, plus marginaux, à réseau de diffraction ou à fente. [« Dobson-Brewer-SAOZ-Ozone Sonde in Russia », 2008, http://www.vdor-2008.narod.ru/Dobson-Brewer-SAOZ-Sonde.html (le

10/01/2012); Russian Federation, 2011; WMO, 1980 ; Matthews et al., 1974 ; WMO/UNEP/…, 2011, p. 2.6] L’OMM conseille même aujourd’hui sans ambages à la Fédération de Russie de changer ses instruments. L’article « 5.3.2.8 » du rapport final abrégé de la « Commission des sciences de l’atmosphère » de l’OMM de 2010 allait comme suit :

« La Commission a pris connaissance des observations de l’ozone total effectuées par la Fédération de Russie au moyen d’ozonomètres à filtre (M124/M83) couvrant une large superficie de la Sibérie. Ces instruments sont étalonnés régulièrement à l’aide de l’instrument Dobson de Saint-Pétersbourg, lequel est étalonné d’après l’instrument de référence européen. La Commission a exhorté la VAG [(en anglais, le GAW (‘Global

Atmosphere Watch’) – voir plus loin] de l’OMM à aider la Fédération de Russie à remplacer ces ozonomètres à filtre par des instruments Brewer et SAOZ [le spectromètre français « Système d'Analyse par Observation Zénitale », développé par le Service d’Aéronomie (aujourd’hui LATMOS)] plus précis. Entre-temps, il convient de maintenir et de renforcer les comparaisons entre les ozonomètres à filtre et le réseau Dobson mondial. » [OMM, 2010, p ; 28]

Figure 21 : Géographie des instruments de mesure au sol de la colonne totale d’ozone du Système GAW (‘Global Atmosphere Watch’) de l’OMM, entre 2001 et 2004, répartis entre spectromètres Brewer (en rouge), spectromètres Dobson (en bleu) et ozonomètres à filtre M-83 (ou

« M-124 ») (en vert)

[Jalkanen, 2009, « Slide n°23 »]

Corollaire de cette différence d’instrumentation et plus généralement de la relative marginalisation de l’aéronomie soviétique : bien que les chercheurs de l’URSS des années 1940-60 soient très actifs dans les recherches sur la moyenne et la haute atmosphère, ils sont peu nombreux dans les colloques internationaux sur l’ozone et leur présence décroît dans les grandes revues scientifiques. R. Bojkov affirme que le réseau de stations de mesures de l’ozone total et de la distribution verticale d’ozone s’était certes élargi lors de l’AGI, en particulier dans les régions polaires du Canada, de l’URSS et de l’Antarctique ; mais, le Bulgare ne relève qu’une unique présentation russe, celle de Schneiderov sur les « explosions thermonucléaires et leur effet néfaste sur l’ozonosphère », lors du ‘Symposium on Atmospheric Ozone and Problems of the Upper Atmosphere’ de septembre 1957 (Onzième assemblée de l’IUGG ; Toronto). Même tendance à l’IO3C : entre la Rencontre de Rome (septembre 1954) et celle de Ravensburg (juin 1956), le nombre de membres augmenta de quinze à vingt-et-un, sans qu’aucun Soviétique n’entrât. Il faudra attendre 1957 pour qu’un Soviétique, le Professeur Alexandar Khr. Khrgian, n’intègre l’IO3C (l’institution compte alors vingt-trois membres). La partie ozone de l’AGI, qui a débuté au cours de cette même année 1957, se fit également, largement, sans l’URSS (comme sa partie sismologie). Enfin, sur les cent-dix participants à l’‘International Radiation Commission Session’ d’Oxford (rencontre des membres de l’IO3C et de la ‘Radiation Commission’, sponsorisée par l’OMM et l’ICSU), en juillet 1959, soit un an après la fin de l’AGI, six seulement étaient issus de l’URSS. [Bojkov, 2010, pp. 36-37 & 24-27 ; Ohring et al., 2009, pp. 1679-1680]

On s’étonnera moins, en revanche, de ne compter parmi les invités de la rencontre d’Oxford un unique chercheur japonais, et aucun Chinois. On constate, par contre, une

inclusion précoce de quelques chercheurs du Sud. Mais, ils sont tous issus de pays ayant appartenu aux empires coloniaux français et britannique, ou sur le point de s’en émanciper : Henri Masson, Sénégal ; Kalpathi Ramanathan, Inde ; D.O. Vickers, Nigéria ; D.B. McMullen, Ghana ; T.A. Bossua, Afrique du Sud (Remarque : il s’agit de pays que l’OMM peut soutenir par le truchement de son « programme d’assistance technique » [cf. Edwards, 2010, pp.

193-202]).163 C’est véritablement la construction, au tournant des années 1980, d’une expertise sur

la destruction de l’ozone stratosphérique en vue d’un accord international impliquant les pays émergents producteurs ou consommateurs de CFC, qui va encourager la "discrimination positive" en faveur des pays non traditionnellement impliqués dans la

science de l’ozone.164

Nous voudrions à présent replacer ces difficultés d’échanges de données sur l’ozone entre l’Est et l’Ouest, au sein de la stratégie de « globalisme infrastructurel » (ou « mondialisme infrastructurel », ‘infrastructural globalism’) de l’OMM qu’a décrite Paul Edwards (parfois avec son collègue Clark Miller), dans plusieurs articles (en particulier, Edwards, 2006, “Meteorology as Infrastructural Globalism”), puis dans l’ouvrage A Vast Machine (Edwards,

2010)165. La plupart des infrastructures à grande échelle productrices de "données", écrit

P. Edwards, se sont développées selon le schéma suivant :

                                                                                                               

163 En septembre 1954, soit cinq ans auparavant et six ans après la création de l’IO3C, s’était par ailleurs tenue la Conférence de Rome sur l’ozone, en marge de la dixième Assemblée de l’IUGG. Elle avait réuni trente-deux participants, issus de onze pays. Les membres élus de l’IO3C d’alors se nomment A. Adel, D. Chalonge, G.m.B. Dobson (Président), A. Ehmert, E.H. Gowan, H. Köhler, Y. Miyake, Sir Charles Normand (Secrétaire), K.R. Ramanathan, Erich Regener, Victor H. Regener, W.C. Swinbank, E. Tönsberg, E. Vassy et Harry Wexler [Bojkov, 2010, pp. 26-27]. Dans cette liste, seul Miyake, japonais, représente l’Extrême Orient (Miyake travaille alors à l’Institut météorologique de Tokyo [Japonese Meteorological Research Institute, 2011, « Papers in Meteorology and Physics, Vol. 1 à 5, 1950-1955 », www.mri-jma.go.jp/Publish/Papers/DATA/01to05_en.html (le 03/11/2011)]). La présence de l’Indien K.R. Ramanathan n’est guère étonnante, tant on connaît les liens qui unissent l’Inde au

Royaume-Uni (l’Inde a de plus adhéré au ‘Commonwealth of Nations’ en 1947). En 1959, toutefois, l’IO3C et la Radiation Commission comptent dans leur rang presque exclusivement des Européens, des Russes et des Nord-américains, qui provenaient des pays qui avaient jusqu’alors bâti la quasi-totalité de la tradition scientifique sur l’atmosphère globale que soutenait l’ICSU. [Ohring et al., 2009, pp. 1679-1680]

164 Les importants budgets alloués à la recherche aux Etats-Unis au cours des décennies d’après-guerre conduiront à une hégémonie du pays sur les sciences de l’environnement global, d’autant plus sur l’ozone, dont la destruction anthropique allait faire l’objet de controverses violentes dans les années 1970 (voir Partir B). Toutefois, les autres grands pays traditionnellement contributeurs à la science de l’ozone fourniront de grandes figures scientifiques – même si les Etats-Unis débaucheront nombre de ces chercheurs européens et asiatiques… Enfin, les scientifiques asiatiques restés dans leur pays n’ont guère produit de travaux sur l’ozone jusqu’à nos jours.

Une politique de discrimination positive des Occidentaux à l’égard des chercheurs des pays en développement existe depuis la formation d’une expertise internationale sur la destruction de l’ozone dans les années 1980. Les

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