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Chapman  et  Nicolet  parmi  les  têtes  pensantes  de  l’Année  géophysique   internationale  (AGI  ;  1957-­‐58)

De nombreux historiens des sciences physiques de l’environnement global ont souligné l’importance de l’Année géophysique internationale (AGI ; 1957-58) dans la construction de réseaux internationaux de mesures sur l’environnement global (Howe, 2010, pp. 30-39 ;

Edwards, 2010, Chapter 8 ; Grevsmuehl, 2012).150 Les auteurs STS Eva Lövbrand,

Johannes Stripple et Bo Wiman n’hésitent pas à faire de l’AGI, qui a réuni en tout et pour tout 60 000 scientifiques de 67 nationalités et vu la création de 2000 stations météorologiques, la première pierre à l’édification d’une Science du Système Terre, processus que le climatologue allemand Hans J. Schellnhuber, l’un des premiers théoriciens de l’Anthropocène au début des années 2000, a qualifié de « Seconde Révolution copernicienne » à la fin des années 1990 [Schellnhuber, 1999 in Lövbrand et al., 2009, p. 10 ; [Nicolet, 1982, p. 229]. Ce pompeux concept de « Seconde Révolution copernicienne », que nous discuterons dans le Chapitre 9, fait écho à l’emphatique déclaration de l’un des participants à l’aventure de l’AGI, le géophysicien Hugh Odishaw, qui avait décrit l’évènement de dix-huit mois comme

« l’activité la plus pacifique menée par l’humanité depuis la Renaissance et la Révolution copernicienne (‘the single most peaceful activity of mankind since the Renaissance and the Copernican Revolution’) » [Odishaw in Sullivan, 1961, p. 4].

Le contexte géopolitique tendu des années 1950 appelle pourtant à la prudence. « En public », écrit Susan Hough dans son article sur la « sismologie et l’Année Géophysique

                                                                                                               

150 Entre le 1er juillet 1957 et le 31 décembre 1958, se déroule l’Année géophysique internationale (AGI, ou ‘International geophysical year’ (IGY)), que James Wordie, responsable du Comité national britannique pour l’AGI a qualifié de « plus grande entreprise de coopération scientifique menée jusqu’alors ». Initialement pensée, en 1950, comme une troisième Année polaire internationale devant succéder à celles de 1882-83 et 1932-33, il avait été finalement décidé dès 1951 d’étendre le programme à l’ensemble des latitudes terrestres. D’une durée de dix-huit mois (afin de couvrir une année complète d’observations dans les deux hémisphères), l’AGI mobilise des scientifiques de plus de cinquante nationalités. L’objectif annoncé de cette entreprise scientifique est la mesure simultanée « des forces agissant sur notre planète », à l’aide d’un « réseau mondial de stations ». L’envergure du projet prévoit des études dans différents champs scientifiques, dont beaucoup sont reliées à la question de flux radiatifs (l’activité solaire et le rôle de filtre de l’atmosphère font partie des interrogations principales – la date de l’AGI a même été choisie en raison de la prévision d’un pic d’activité des taches solaires en 1957, idéal pour observer des aurores polaires et des phénomènes magnétiques et météorologiques spectaculaires). Les objets et disciplines scientifiques concernés sont multiples : « activité solaire », « rayons cosmiques », « ionosphère », « aurores et lueur de la haute atmosphère », « géomagnétisme », « météorologie », « glaciologie », « longitudes et latitudes », « océanographie », « sismologie ».

Il s’agit de réaliser, outre de vastes mais éphémères campagnes de mesures, l’extension des réseaux d’instruments de mesures existants – de télédétection, pour la plupart – à l’ensemble de la planète. L’objectif premier recherché est d’obtenir des mesures standardisées, ou tout le moins comparables ; l’autre tâche, tout aussi décisive, est de déployer des moyens de communication rapides pour les échanger (l’un des objectifs centraux de la jeune OMM (1950-…), qui participe à l’AGI – voir corps du texte). [British National Committee for IGY, 1957, « Foreword by James Wordie » & « Contents » ; Nicolet, 1982, pp. 223-225]

L’AGI précède de plusieurs années les expériences comparables des sciences de la biologie environnementale – le premier programme comparable à l’AGI (bien que « plus modeste, et sans grand succès », modère D. Doel) étant l’‘International Biological Program’ de 1964-67 [Doel, 2009, p. 158].

Internationale », les défenseurs de l’AGI comme les politiciens promeuvent invariablement l’AGI « comme participant de quelque dynamique internationaliste et pacifiste. » Ainsi, dans une lettre de 1954 adressée au Dr. Chester Barnard, président du ‘National Science Board of the National Science Foundation’, le Président Dwight D. Eisenhower écrit :

« [Le projet AGI] est un exemple frappant d’opportunités qui existent dans l’action coopérative entre les peuples du monde. » Avant d’ajouter que, « sous des conditions particulièrement favorables, des scientifiques de multiples nations allaient pouvoir travailler à l’extension du savoir humain sur l’univers. » [Eisenhower, 1954 in Hough, 2008]

« De semblables sentiments nobles infiltrent toute la rhétorique publique concernant l’AGI », constate ironiquement S. Hough… Pourtant, force est de constater que l’implication de l’URSS dans l’AGI ne fut pas à la hauteur de sa puissance technologique, ni de sa riche

tradition de géophysiciens.151 L’initiative primitive de l’AGI en 1950 était venue

d’Occidentaux (Européens de l’ouest et Etats-Uniens). Une grande méfiance régnait entre les deux Blocs, dans la mesure où les élites politico-militaires états-uniennes comme soviétiques associaient avant toute chose la géophysique à la connaissance et à la conquête de territoires stratégiques (espace, océans, sous-sols et déserts – déserts polaires, en particulier) et/ou à la surveillance de l’ennemi (lieu et magnitude des essais nucléaires, localisation des armes, etc.). Comme l’a résumé R. Doel, « l’AGI ne fut pas la remarquable exception aux hostilités que beaucoup de commentateurs de l’époque avaient voulu voir, mais était intimement connecté à des objectifs de sécurité nationale aux yeux des nations dominantes impliquées. C’était

particulièrement le cas aux Etats-Unis. » [Hough, 2008 ; Doel, 2003, p. 647]152

                                                                                                               

151 Quant à la Chine communiste, qui est alors reconnue diplomatiquement par un faible nombre de pays (elle ne sera pas reconnue par les Etats-Unis avant 1979), elle ne participa pas à l’AGI [Nicolet, 1982, p. 230]. Les astronomes états-uniens ne parvinrent pas même à obtenir de visa pour leurs homologues de Chine (ni d’autres pays non reconnus comme Etat par la Maison blanche), afin qu’ils assistassent à la Rencontre de l’‘International Astronomical Union’ de 1961, qui se tint à Berkeley [Doel, 2003, p. 648].

152 Si le financement de l’AGI se devait d’être présenté comme une œuvre caritative et aux visées pacificatrices auprès des médias, l’argument stratégique était utilisé pour promouvoir l’AGI au cours de conférences à l’attention des décideurs politiques et des militaires. La communication de Lloyd Berkner, afin de promouvoir les recherches antarctiques de l’AGI auprès des décideurs, en témoigne :

“In [“circles” where they did not have to use “public rhetoric”], proponents of the IGY spoke of science that served national strategic interests. During 1956-1957, Berkner hit the lecture circuit, delivering more than 50 talks on the IGY to a diverse range of audiences. Among his speaking venues were some that testify to the strategic nature of the IGY: the Armed Forces Industrial College, Brookhaven National Laboratory, and the National War College. Talks and papers related to strategic issues were classified, but it is not difficult to read between the lines. Melvin Conant, director of meetings for the Council on Foreign Relations wrote Berkner to thank him for his “comments relating to the strategic importance of the area and the importance of greater knowledge of Antarctica to the general hypothesis regarding the earth” (Conant 1959). The strategic importance of Antarctica stemmed largely from territorial claims, past and future. But with the advent of submarine warfare and a geopolitical situation in which the Arctic represented the closest route between the United States and its primary political adversary, the military found itself with a newfound interest in the quantification of ice-sheet properties. The advent of nuclear submarines in the early 1950s contributed to this interest, because nuclear submarines potentially could play hide-and-seek games indefinitely beneath a cover of ice.”

Etudions les "territoires stratégiques" l’un après l’autre – qui, ce n’est pas un hasard !, sont tous les quatre des lieux jugées désertiques (ou presque). Prenons, tout d’abord, l’exemple aéronautique et spatial. Les officiels et scientifiques russes s’opposèrent fermement aux survols près des frontières de l’URSS, et se montrèrent réticents à communiquer sur tout ce qui toucherait à leurs programmes nationaux aérospatiaux et satellitaires… Tant et si bien que, alors que le Comité Spécial de l’Année Géophysique Internationale (usuellement désigné par son acronyme en français : CSAGI) avait reçu une lettre de l’Académie des sciences états-unienne dès le 29 juillet 1955, donnant son aval pour le lancement d’un satellite dans le cadre de l’AGI, le Comité de l’AGI de l’URSS – certes contacté plus tardivement que les Etats-Unis – lui annonça son intention de lancer un satellite scientifique seulement en septembre 1956. Puis, les Soviétiques ne communiquèrent guère jusqu’au lancement effectif de Spoutnik-1, en octobre 1957… le mois-même où se tenait à Washington une réunion du groupe « fusée et satellites » de l’AGI. Suivit le lancement de Spoutnik-2 (six fois plus lourd que Spoutnik-1), le 3 novembre 1957. Les Etats-Unis répondront le 31 janvier 1958, avec la mise sur orbite de leur premier satellite Explorer 1 – toujours au cours de l’AGI, donc. Car, le Sénateur Lyndon B. Johnson n’était pas le seul Américain à penser que les maîtres de l’espace – « les maîtres de l’infini » – deviendraient les maîtres du monde (en observant, et même en modifiant le temps et le climat) [Johnson, 1958, “Text of Johnson’s Statement on Status of Nation’s Defenses and Race for Space”, New York Times, January 8, 1958, 10 in Howe, 2010, p. 44]… Deuxième exemple : certains des programmes de sismologie de l’AGI ne pouvaient cacher leurs applications pour la surveillance militaire (détecter les

essais nucléaires ennemis).153 Troisième exemple : les zones polaires, très convoitées par les

                                                                                                               

On ne s’étonne pas de voir Berkner jouer ce rôle. Après avoir acquis de l’expérience dans la recherche ionosphérique et le développement de systèmes de radars à la Navy, il était devenu secrétaire de direction de l’‘U.S. Research and Development Board’, chargée du développement et de la coordination du programme militaire de recherche et développement. « Dans un rapport très complet adressé au Département d’Etat daté de 1950 (dit « rapport

Berkner ») qui eut une grande influence, l’astrophysicien avait décrit les possibilités d’une « symbiose entre science et intérêts stratégiques » de l’Etat américain. » [Hough, 2008] (Nous reviendrons sur le cas L. Berkner à la fin de la Section (dans le corps du texte), pour "l’opposer à S. Chapman et M. Nicolet".)

153 D’après S. Hough, le programme sismologique de l’AGI se résuma presque au seul programme états-uniens : “From the start the IGY led a double life. Although Chapman had identified the expected sunspot peak as the impetus for organizing an IPY [(International Polar Year, finally named International Geophysical Year) in 1957-58], the 1950s were, of course, enormously charged political times. Many historians point to 29 August 1949 as the start of the nuclear arms race: On this date, the Soviet Union carried out its first nuclear weapons test explosion, “First Lightning”. […] The genesis of the IGY seismology program was [hence] influenced significantly both by developments in the field of seismology and burgeoning national strategic interests.”

“From the start, seismologists knew about the nuclear tests. The military could try to keep them secret, but the seismic waves they generated did not respect government classifications. Ground as well as air waves from even the above-ground Trinity explosion in New Mexico announced themselves clearly on seismographs in southern California (e.g., Gutenberg 1946). In turn, the U.S. government was aware that its tests would be recorded by seismometers in California, too. Thus the symbiotic relationship between seismology and political/military interests dates back to the immediate aftermath of World War II. In the late 1940s the United States established a top-secret nuclear explosion detection system that focused on sampling airborne radioactive particles but also included monitoring seismic waves from nuclear explosions (Ziegler and Jacobson

concepteurs de l’AGI, revêtaient un caractère géostratégique double. D’abord, en matière de revendication territoriale sur le continent antarctique. Ensuite, parce que les propriétés de la couche de glace des pôles devenaient des enjeux de recherche pour la navigation (en particulier, l’Arctique était la route la plus courte entre les Etats-Unis et l’URSS). Quatrième exemple : les océans étaient à présent sondés par de multiples sonars, et les instruments embarqués à bord des bateaux inspectaient les mers comme le ciel. La Figure 18 (a) ci-dessous donne ainsi l’exemple de mesures faites par radiosonde à bord d’un bateau finnois sillonnant l’océan atlantique, alors que le Figure 19 (b) montre le logo de l’AGI, qui atteste l’importance des programmes satellitaires et antarctiques. [Hough, 2008 ; Nicolet, 1982,

p. 228 ; Merle, 2008, http://www.clubdesargonautes.org/histoirestem/agi.php

(05/09/2014); Howe, 2010, pp. 32-33 ; Doel, 2003, pp. 647-648 ; Doel, 2009, pp. 147-151]

(a)

(b)

Figure 18 : (a) Préparatifs en vue d’ascensions d’une radiosonde arrimée à un bateau finnois, qui fera régulièrement la navette entre Helsinki et Rio de Janeiro au cours de l’AGI ; (b) logo de l’AGI, qui

met en avant le rôle central que devaient y jouer les satellites artificiels et l’étude de l’Antarctique [Nicolet, 1982, « Figures n°11 (Photo : Finnish Meteorological Institute) et n° 10 », planche faisant

face à la page 224]

Les historiens ont donné de nombreux exemples de l’importance diplomatique des artistes (que l’on pense par exemple aux "missions" de D. Chostakovitch aux Etats-Unis et dans les pays du Bloc de l’est), mais également des scientifiques, et en particulier de l’atmosphère et des géophysiciens, à la géopolitique au cours des deux premières décennies de la Guerre froide. Même s’il faut reconnaître que de nombreuses contributions demeurent couvertes du voile du secret ou dorment encore dans les archives, R. Doel et ses collègues ont déjà su montrer « le rôle critique » qu’ont joué des géophysiciens dans les affaires

                                                                                                               

1995; see also Barth 2003) [… The] seismological programme of IGY [, it] ended up being almost reduced to a contribution by the US”. [Hough, 2008]

étrangères des Etats-Unis à cette époque. D’abord, parce qu’ils étaient des acteurs décisifs dans les expertises sur des régions géographiques stratégiques telles que l’Arctique et l’Antarctique. Ensuite, parce que les officiels du Pentagone percevaient les (géo)physiciens comme des contributeurs vitaux à la R&D des armes, et à la surveillance de la R&D de l’ennemi.

Enfin, parce que, de par la nature même de leurs objets – globaux –, les géophysiciens

avaient développé des institutions internationales pérennes à la fin du XIXème siècle et au

début du XXème siècle, au sein desquelles les coopérations entre scientifiques des deux Blocs

redevenaient possibles une fois l’armistice de la Seconde guerre mondiale signé [Nicolet, 1982, pp. 222-223]. « De praticiens de la science globale, les géophysiciens [et les océanographes] devinrent rapidement des acteurs qui contribuèrent à déterminer la politique globale » de l’après-guerre, conclut R. Doel. En témoignent tout particulièrement l’importance de leurs expertises et leur implication auprès des élites politiques dans la tenue de premières conférences internationales sur l’environnement à grande échelle et de premières signatures de traités multilatéraux : la première Conférence des Nations unies sur le droit de la mer en 1958 ; le Traité sur l’Antarctique en 1960 ; Le Traité d'interdiction partielle des essais nucléaires de 1963 ; etc. Et, donc, la mise en œuvre de l’AGI. [Doel, 2003, p. 646 & 648-649]

On ne saurait toutefois consacrer l’expression de l’historien Michael Dennis, qui écrivait en 1999 que l’AGI était peut-être « simplement une entreprise de contrôle des armes par d’autres moyens » que les programmes militaires secrets de surveillance [Dennis, 1999, p. 16]. Aux yeux de nombreux scientifiques, l’AGI devait, au contraire, privilégier des programmes scientifiques étrangers aux enjeux politiques immédiats, en rupture donc avec le tropisme de la plupart des travaux de l’époque des atmosphériciens, des géophysiciens et des astronomes. C’était sans doute le souhait le plus cher de la plupart de ses créateurs en 1950 (Sydney Chapman, James Van Allen, Lloyd Berkner, Wallace Joyce, Ernest Vestine,

Fred Singer, etc.)154 – nous reviendrons sur les cas Chapman et Berkner. C’était également

                                                                                                               

154 Hough écrit :

“The IGY involved an ambitious program to coordinate the collection of geophysical data from all corners of the globe. This far-reaching enterprise had humble beginnings: It was conceived over chocolate cake at a dinner party hosted by the pioneering astrophysicist James Van Allen and his wife, Abigail, at their home in Silver Spring, Maryland, on the night of 5 April 1950 (Sullivan W., 1961). Guests included Sydney Chapman, Lloyd Berkner, J. Wallace Joyce, Ernest Vestine, and S. Fred Singer. According to Van Allen, Chapman and Berkner first formulated the idea of holding an International Polar Year in 1957–1958. Two previous International Polar Years had been held, in 1882 and 1932. […]

“Van Allen and his guests, principally Chapman and Berkner, brought their ideas to several key meetings, including a July 1950 conference on the Physics of the Ionosphere (Bullis Harold, 1973, Science, Technology, and

American Diplomacy: The Political Legacy of the International Geophysical Year). The proposal made its way to the

l’occasion de coopérer avec les chercheurs du Bloc de l’est avec l’aval des élites politiques. On parvint même à intégrer un éminent sismologue et spécialiste de la croûte océanique russe, Vladimir Vladimirovich E. Beloussov (1907-90), Directeur du Département de Géodynamique de l’Institut de Physique de la Terre à Moscou, au sein du Comité Spécial de l’Année Géophysique Internationale (CSAGI) (voir Figure 19 ci-dessous).

Figure 19 : Composition du CSAGI en 1958. De gauche à droite, les Docteurs V.V. Beloussov, L.V. Berkner, M. Nicolet (Secrétaire général), J. Coulomb et S. Chapman (Président). La première

session plénière du Comité CSAGI se déroula entre les 30 juin et 3 juillet 1953 à Bruxelles, et les rencontres finalisant les programmes de l’AGI se tinrent à Rome (1954), Bruxelles (1955) et

Barcelone (1956).

[Nicolet, 1982, Photographie prise dans les quartiers généraux du CSAGI à Bruxelles en février 1958, « Figure n°3 », planche faisant face à la page 224]

Tout d’abord, l’AGI fut étrangère aux enjeux, éminemment géopolitiques, des impacts environnementaux humains transnationaux et globaux. Avant les alertes au changement climatique ou à la destruction de l’ozone stratosphérique, la Terre globale est définie presque exclusivement par des mécanismes aux très longues temporalités. La Terre globale ne s’est pas même encore incarnée dans les images prises depuis l’espace que diffuseront la NASA à la fin des années 1960, et qui susciteront dans un large public un sentiment de fragilité de la planète, et un sentiment d’appartenance à une communauté du vivant partageant une même destinée. Ensuite, les géophysiciens à l’origine du projet AGI, et plus généralement les scientifiques qui contribuèrent au projet, vécurent l’AGI comme une échappatoire à une recherche scientifique trop finalisée, dans laquelle les contrats belligérants l’avaient confinée depuis 1940. Les penseurs de l’AGI souhaitaient avant toute chose diversifier la recherche géophysique, en pointant du doigt des problématiques qui avaient souvent été soulevées grâce aux sciences et technologies militaires, mais délaissées faute d’intérêt pour la défense nationale et/ou pour la course à l’hégémonie spatiale.

                                                                                                               

focused entirely on polar observations. By October of 1952 the IPY [International Polar Year] had evolved into the IGY. In 1952 the International Council of Scientific Unions set up a special IGY committee, the ‘Comité Spécial de l’Année Géophysique Internationale’, more commonly known as CSAGI. Sydney Chapman was appointed president of the committee (Bullis 1973).” [Hough, 2008]

Enfin, grisés par les études multiples des années 1940-1950, qui avaient soulevé de nombreuses questions nouvelles, les géophysiciens étaient plus que jamais en demande de réseaux de mesure à l’échelle globale. Ils avaient certes une longue expérience de la constitution de tels dispositifs, dont les Années polaires internationales de 1882-83 et 1932-33. Mais, la seconde année polaire, précisément les avait laissés sur leur faim (la crise économique des années 1930 avait réduit les budgets, et avec eux le nombre de pays impliqués, se rappellerait M. Nicolet). En particulier, l’exploration de la troisième dimension atmosphérique (l’altitude) avait alors – et jusqu’alors – été faible. L’extension des observations météorologiques par l’utilisation de radiosondes, l’expansion de la recherche ionosphérique à l’aide de sondes ionosphériques et des lancements de roquettes en grand nombre furent préconisés [Nicolet, 1982, pp. 223-224].

Le caractère principalement "apolitique" du programme sur l’ozone de l’AGI – autre problématique d’exploration de la troisième dimension atmosphérique – est, en tout cas, manifeste. Il n’en est pas moins ambitieux. En préparation de l’AGI, le nombre de spectrophotomètres au sol passe d’une dizaine à trente-deux (parmi les stations qui avaient plus de trois années d’observations effectuées à l’aide du spectrophotomètre Dobson

standard). Puis, il atteint plus de cinquante instruments à la fin de l’année 1958.155 Dans la

continuité de l’AGI, le nombre s’élèvera à cinquante spectromètres au moment de l’‘International Quiet Sun year’ (IQSy ; 1964-65), et à une centaine à la fin des années 1960 (soit le même nombre environ qu’aujourd’hui).

Le programme sur l’ozone de l’AGI a, de toute évidence, été tributaire des intérêts scientifiques particuliers des porteurs du projet. Susan Hough a souligné, pour commencer, la prééminence des projets inhérents aux flux radiatifs et à la haute atmosphère sur la feuille de route de l’AGI, en particulier dans son projet initial. Les missions scientifiques proposées reflétaient les préférences des chercheurs à l’origine du projet AGI, dont le noyau dur s’était réuni chez James van Allen dans la nuit du 5 avril 1950, autour d’un dîner festif se refermant

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