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Informer  sur  les  risques  de  développement  d’armes  climatiques

La gigantesque éruption du Mont Pinatubo aux Philippines en 1991 fut qualifiée d’« expérimentation naturelle » par les scientifiques. Il fut établi qu’elle avait modifié sensiblement le climat global, et que, du fait de la présence élevée de chlores libérés par les CFC, elle avait fait diminuer les concentrations d’ozone stratosphérique (les aérosols soufrés volcaniques affectent la dynamique de la stratosphère et sa température, et sont le lieu de réactions chimiques hétérogènes). Outre ces expériences "réelles" et "naturelles" offertes par les volcans, ou les expériences "réelles" et "artificielles" produites par les essais nucléaires, les scientifiques de l’atmosphère font régulièrement appel à des expériences "fictives", appelées parfois expériences de pensée – dont la théorie de l’Hiver nucléaire, qui occasionnera des débats animés au sein de la communauté scientifique à la fin des années 1970 et au début des années 1980. [Dörries, 2006, p. 87 ; WMO/…, 2011, p. 2.46 ; Dörries, 2011]

Dans les années 1950-60, l’altération involontaire du climat est nommée, nous l’avons dit, « modification du climat par inadvertance ("inadvertent climate modification") ». L’altération, tout aussi involontaire, mais plus locale et moins durable, de la météorologie par les pollutions urbaines est désignée par les termes « modification du temps par inadvertance ("inadvertent weather modification") ». Le pendant à cette double tradition est la double tradition de « modification intentionnelle du temps et du climat ("intentional

weather and climate modification") ».135 Au cours des vingt-cinq années qui suivent la fin de

la Seconde guerre mondiale, la mobilisation des chercheurs états-uniens et soviétiques pour modifier le temps et le climat de manière intentionnelle est à peu près du même ordre de grandeur que pour estimer leurs altérations par inadvertance, ou leurs variations naturelles… même s’il est difficile d’estimer la part consacrée à l’un ou l’autre de ces trois

                                                                                                               

135 Ces désignations perdureront quelque peu dans les années 1970 (Exemple : Hidy et al., 1971, “Inadvertent weather modification and Los Angeles smog”). Mais, dans le contexte de "tournant environnementaliste", un irrémédiable glissement sémantique s’opérera, transformant les « modifications du temps et du climat par inadvertance » en « impacts des pollutions », la « modification intentionnelle du temps et du climat » en « ingénierie atmosphérique et climatique », et la « modification intentionnelle du climat global » en « géoingénierie ». [Kwa, 2001]

objectifs, dans la mesure où les trois thématiques sont le plus souvent abordées conjointement dans les travaux scientifiques (en effet, modifier le temps et le climat implique d’en comprendre la part naturelle et la part anthropique involontaire). De nombreux projets locaux ou régionaux sont lancés, en vue de stimuler la productivité agricole, détourner les tempêtes, ou modifier le temps à des fins belliqueuses. Des projets à grande échelle sont également proposés, à des fins progressistes ou belligérantes, même si aucune expérience in situ à grande échelle n’a semble-t-il jamais été réalisée. [Fleming, 2010]

Une part importante des travaux d’ingénierie atmosphérique a été effectuée par l’armée, et donc, vraisemblablement, de manière secrète. Mais, par ailleurs, des scientifiques tels qu’Irving Langmuir ont promu publiquement le programme de modification du temps. A la fin des années 1950, l’idée de manipuler le climat à grande échelle a infiltré la presse grand

public états-unienne, et a déjà fait l’objet de romans de Science-fiction.136 Mieux, dans un

contexte d’exacerbation de l’hybris technologique et de course à l’armement, de nombreux hommes politiques, dont les plus hautes instances politiques états-uniennes et soviétiques, encouragent les travaux sur la modification intentionnelle du climat. H. Wexler, qui s’est fendu en 1958 d’un article, certes pondéré mais plein d’espoir, sur les possibilités de modifier le temps et le climat à grande échelle à des fins civiles (Wexler, 1958), communique dans les années suivantes sur les armes climatiques. Au cours d’un discours intitulé “On the Possibilities of Climate Control”, prononcé en 1962 devant ses pairs météorologues à trois

                                                                                                               

136 J. Fleming cite un article de Time de 1954, dans lequel est exposé la proposition de Herman Oberth de mettre en orbite d’immenses miroirs d’un diamètre d’un ‘mile’ environ (soit 1,6 km environ), afin de concentrer l’énergie du soleil à volonté. La proposition date de l’époque pré-satellitaire (Oberth l’avait formulée dès 1923, puis elle avait été relayée dans une note classée de l’‘U.S. Army Air Force’ de juillet 1945, avant d’apparaître dans Time l’année suivante). Les mois qui suivirent le lancement de Spoutnik en 1957, période pendant laquelle H. Wexler discute la possibilité de modifier le temps et le climat à grande échelle, sont caractérisés par un déferlement d’articles et de déclarations publiques sur la possibilité de contrôler le temps et le climat depuis l’espace. Parmi ces déclarations, celle, éminemment lyrique et célèbre du Sénateur Lyndon B. Johnson, qui déclare que les maîtres de l’espace – « les maîtres de l’infini » – seront aussi les maîtres « du monde » :

“Control of space means control of the world, far more certainly, far more totally than any control that has ever or could ever be achieved by weapons, or by troops of occupation. From space, the masters of infinity would have the power to control the earth’s weather, to cause drought and flood, to change the tides and raise the levels of the sea, to divert the Gulf Stream and change temperate climates to frigid […] If, out in space, there is the ultimate position—from which total control of the earth may be exercised – then our national goal and the goal of all free men must be to win and hold that position. (Johnson, 1958, “Text of Johnson’s Statement on Status of Nation’s Defenses and Race for Space”, New York Times, January 8, 1958, 10)”

Par ailleurs, la littérature de Science-fiction, qui s’est déjà projetée dans la Terraformation (Cf. Last and First Men d’Olaf Stapleton (1930), ou encore Farmer in the Sky de Robert Heinlein’s (1950)), s’intéresse à présent aux armes climatiques. Dès le début des années 1950, raconte J. Fleming, Herbert George Wells en personne fait le tour des laboratoires de ‘General Electrics’, où officient Vincent Schaefer et Irving Langmuir, deux figures centrales de la modification du temps après-guerre. Il est escorté par le journaliste Kurt Vonnegut, alors au Département des relations publiques de ‘General Electrics’. En 1963, K. Vonnegut publiera un roman de science-fiction sous le titre de Cat’s Cradle, dont le personnage principal, un certain Felix Hoenikker, est inspiré des personnalités d’I. Langmuir et d’Edward Teller. [Fleming, 2010, pp. 207-210 & 231 ; Fleming, 2007(a), pp. 52-54]

reprises (à Boston, à Hartford et à Los Angeles)137, le très réputé et influent météorologiste états-unien met en garde contre la capacité technologique de modifier de manière abrupte le

climat qu’ont, selon lui, atteint les deux grandes puissances.138 [Fleming, 2010 ; Howe, 2010,

pp. 41-45]

Wexler reprend, pour commencer, sa démonstration sur la capacité de l’homme à augmenter rapidement la température moyenne de l’atmosphère globale à l’aide de bombes H disposées dans l’océan (augmentation de 1,7°C, propose-t-il en 1962 ; quatre ans plus tôt, il avait estimé la hausse de température globale moyenne par cette technique à 1,3°C ; voir Sous-chapitre 2.1). Ensuite, Wexler relaie la proposition de mise en orbite d’un anneau de particules de poussières (d’abord faite par des Russes pour réchauffer l’Arctique, précise-t-il). Enfin, le météorologiste-modélisateur présente plusieurs scénarios de destruction chimique de l’ozone stratosphérique, par l’injection de plusieurs centaines de milliers de tonnes d’agents chlorés ou bromés à l’aide d’avions stratosphériques. Cette altération de la couche d’ozone vise à augmenter rapidement la température de la Terre. [Fleming, 2007(a), pp. 56-57; Fleming, 2007(b), “note n° viii” p. 9 & p. 5 ; Wexler, 1958]

Dans son discours de 1962, Wexler déclare que, depuis la fin de la guerre, « il est devenu respectable » d’aborder le sujet de la maîtrise du temps et du climat. L’optimisme technologique qui amine certains acteurs de cette première phase de la Guerre froide est peut-être naïf. L’historien J. Fleming n’hésitera pas à se moquer de ces géoingénieurs et faiseurs de pluies qui verront, l’un après l’autre, leurs rêves brisés contre un miroir aux alouettes [Fleming, 2007(a), p. 57 ; Fleming, 2010]. En tout cas, au tournant des années 1960,

                                                                                                               

137 Wexler Harry, 1962, “On the Possibilities of Climate Control,” Boston Chapter of the American Meteorological Society, Jan 9, 1962; Traveler’s Research Corporation, Hartford, CT, Jan. 11, 1962; and UCLA Department of Meteorology, [as Regent’s Lecturer in Meteorology] Feb. 28, 1962. Notes in Manuscript Division, Library of Congress, Wexler Papers, Box 18, Speeches and Lectures, 1962. [Fleming, 2010, p. 308]

138 Harry Wexler est diplômé d’Harvard et du MIT, et signataire de 127 articles, préfaces ou lettres dans les journaux scientifiques, entre 1933 et 1962. Son décès suscita des hommages dans le Bulletin of the American Meteorological Society,

l’Indian Journal of Meteorology and Geophysics, le WMO Bulletin, Nature, le COSPAR [Committee on Space Research] Information

Bulletin, le Journal of Glaciology [cf. Rigby & Keehn, 1963, « bibliography of the publications of Harry Wexler »]. Voici

une liste d’influences, d’héritages et de reconnaissance que l’historien de la météorologie James Fleming associe à Wexler :

“Harry Wexler (1911-1962) was one of the most influential meteorologists of the mid-twentieth century. He was a graduate of Harvard and MIT, a student of C.G. Rossby, a proponent of air mass and frontal analysis, and Chief of the Scientific Services Division of the U.S. Weather Bureau during an era that saw the

introduction of regular radiosonde ascents, weather radar, atmospheric atomic testing and global fallout tracing, scientific sounding rockets, and both NWP [Numerical Weather Prediction] and GCMs [General Circulation Models]. [On the same picture, you may find] Wexler with Von Neumann, Charney, and others associated with the Institute for Advanced Study meteorology program at Princeton. Wexler was a pioneer in satellite

meteorology. He was in charge of the TIROS program and helped Verner Suomi fly his first heat budget experiment on Explorer 7. Wexler was head of US Antarctic programs for the International Geophysical Year, established the Mauna Loa Observatory and supported Dave Keeling’s measurements of CO2, wrote on peaceful use of satellites and weather control for JFK, and planned the World Weather Watch which became a reality in 1963, the year after his sudden death at the age of 51. Wexler was clearly on top of his science, a leader in new techniques and technologies, and a respected international figure.” [Fleming, 2007(b), pp. 2-3]

la maîtrise du temps et du climat est sur toutes les lèvres. Pour Wexler, la mise en garde contre son utilisation belligérante n’est pas seulement un levier à actionner pour obtenir des financements de la part d’un gouvernement en pleine crise de paranoïa, elle prend place au sein d’une double stratégie pacificatrice. D’abord, les allocutions de Wexler s’intègrent au

sein de la stratégie – éminemment ambiguë !139 – de la dissuasion militaire. Ensuite, Wexler

entend fédérer les scientifiques des deux Blocs autour des usages pacifistes de la modification intentionnelle du temps et du climat – projet, soulignons-nous, tout aussi ambivalent, puisque les technologies civiles et belligérantes sont presque identiques (en d’autres termes, il s’agit de technologies dites "duales"), et sont souvent discutées par les

mêmes acteurs (Wexler en est un exemple patent).140

D’après l’historien des sciences et biographe de H. Wexler, J. Fleming, Wexler serait même la source du discours du Président des Etats-Unis J.F. Kennedy devant l’ONU, à New York, en septembre 1961, au cours duquel il avait promu une collaboration mondiale sur la météorologie satellitaire… et « des efforts de coopération entre toutes les nations dans les domaines de la prévision du temps et, en définitive, sa maîtrise (“cooperative efforts

between all nations in weather prediction and eventually in weather control”) ».141 La

proposition s’adresse bien sûr avant tout à l’URSS. Wexler et Kennedy cherchent à créer un climat de confiance entre les élites des deux blocs, autour de projets – le développement de

                                                                                                               

139 Les alertes de Wexler se présentent en fait comme doublement ambigües. D’une part, elles participent d’une stratégie de dissuasion militaire à double tranchant (pour le statu quo de la paix / pour la course à l’armement). D’autre part, un lanceur d’alerte comme Wexler est dans le même temps impliqué dans les spéculations sur les technologies civiles de modification volontaire de l’environnement à moyenne et grande échelle. Or, ces technologies sont semblables aux armes climatiques (il s’agit de technologies dites "duales").

140 Soulignons, en outre, que le programme d’amélioration de la nature est souvent présenté comme un programme « paramilitaire », avec le vocable qui va avec, comme en témoigne par exemple ces mots de l’ingénieur russe naturalisé américain en 1924, Vladimir Zworykin, en 1945, alors qu’il est ‘Associate research director’ au ‘Radio Corporation of America (RCA) Laboratory’ de Princeton :

« La prévision d’une machine parfaitement précise, combinée à une force de déploiement paramilitaire rapide capable littéralement de déverser du pétrole sur les eaux agitées d’un océan, ou même d’allumer des feux ou de faire exploser des bombes, pourrait un jour fournir la capacité de perturber les tempêtes avant qu’elles ne se forment, les détourner des régions habituées, et par ailleurs de maîtriser le temps. (‘A perfectly accurate machine forecast combined with a paramilitary rapid deployment force able literally to pour oil on troubled ocean waters or even set fires or detonate bombs might someday provide the capacity to disrupt storms before they formed, deflect them from populated areas, and otherwise control the weather’). » [Zworykin, 1945 in Fleming, 2007(a), p. 56]

J. von Neumann écrira à V. Zworykin qu’il l’approuvait complètement (‘I agree with you completely’). N’y reconnaissait-il pas une application de sa maxime :

« Nous nous devons de prédire tous les processus stables, et de contrôler tous les processus instables (‘All stable processes we shall predict. All unstable processes we shall control’) » [Neumann, 1945 in Fleming, 2007(a), p. 56] ?

141 H. Wexler, qui se trouve à la tête de la Recherche météorologique de l’US Weather Bureau, est assurément un membre de l’élite scientifique états-unien, et un expert influent, proche du pouvoir fédéral (Fleming a retrouvé une photographie le montrant dans le Bureau ovale, en présence de J.F. Kennedy [Fleming, 2007(b), « Slide n° 13 »]). D’abord très impliqué dans l’opaque recherche sur projets des militaires (il travaille sur les impacts à grande échelle des bombes nucléaires, dans le cadre de programmes Atomic Energy Commission/Air Force/RAND Corporation au tournant des années 1950 – dont le célèbre ‘Projet Sunshine’), il délivre dans les années 1961-62 de nombreux articles, rapports et conférences sur les « usages pacifiques » des sciences et, donc, comme nous l’avons dit, sur les risques liés aux armes météorologiques et climatiques.

‘big technologies’ et de l’accroissement de l’emprise humaine sur la nature – que les deux camps partagent. Khrushchev, face à eux, sera nécessairement réceptif à cet appel du pied américain. Dans son discours de 1962, Wexler rappelle un récent plaidoyer du chef du gouvernement soviétique en faveur de la maîtrise du temps, devant le Soviet suprême. [Kennedy, 1961, “Address to the United Nations” in Fleming (2010), p. 213; Edwards (2010), pp. 224-226; Fleming (2007a), p. 57].

En ce début de décennie 1960, l’heure est peut-être venue de réaliser le rêve formulé par le chercheur russe naturalisé américain, Zworykin, en 1945 :

« Le but ultime à atteindre est l’organisation internationale des moyens d’étude des phénomènes météorologiques comme phénomènes globaux, et de diriger le temps mondial, autant que possible, de telle sorte que nous minimisions les dommages des troubles catastrophiques, et par ailleurs que nous soyons utiles au monde le plus possible, en améliorant les conditions climatiques où cela est possible. » [Zworykin, 1945 in Fleming, 2007(a), p. 56]

… Pourtant, les échecs répétés des expériences de terrain pour modifier le temps (à petite et moyenne échelles), la Détente et la Décolonisation (de nombreuses expériences de terrain avaient été menées en Asie du Sud-Est, et certains projets étaient envisagés dans des pays sous-développés), les capacités croissantes de détection des phénomènes atmosphériques et donc d’espionnage (depuis l’espace, notamment), les usages d’armes météorologiques au Vietnam, l’incrimination faite à des "faiseurs de pluie" se présentant comme des bienfaiteurs de l’agriculture d’avoir provoqué l’inondation de Rapid City en réalisant une expérience d’ensemencement de l’atmosphère (1972), le "tournant environnementaliste" et les mutations parallèles des programmes de recherche américains sur l’atmosphère, etc. auront raison de la presque totalité des programmes publics et privés de modification intentionnelle du temps et du climat, qu’ils soient belligérants ou civils. Au cours des années 1970, ils seront réduits à la portion congrue aux Etats-Unis, là où ils avaient le plus prospéré au cours des décennies

précédentes. [Briday, 2014, p. 126] 142

Nous venons de décrire le contexte d’énonciation des discours de Wexler ; précisons, à présent, le contexte de production des savoirs, et en particulier la décisive montée en puissance de la modélisation numérique. Dans les années 1950, la Guerre froide bat son plein. Dans les ‘think tanks’ américains, des équipes interdisciplinaires évaluent les possibilités d’attaque et de défense militaires, à l’aide des méthodes nouvelles (en particulier, la « recherche opérationnelle » des mathématiciens et physiciens, « l’ingénierie des

                                                                                                               

142 Pour plus de détails sur les raisons plurielles de ce « désenchantement » au sujet de l’ingénierie atmosphérique dans les années 1970, voir notamment Kwa, 2001 et Fleming, 2010, “chapter 6”, pp. 165-188.

systèmes » des ingénieurs, et le « management par projet » chargé d’organiser des projets gigantesques de ‘Big Science & Technology’ dans la lignée du Projet Manhattan [Johnson, 1997]). L’un des objectifs de ces ‘think tanks’ est la coordination des actions militaires. Un autre objectif majeur est la construction de futurs, toujours plus mathématisée et exhaustive, "la plus globale" possible, devant prendre en compte l’évolution des technologies nationales

comme de celles de l’ennemi.143 La fabrication de scénarios de destruction d’ozone par

Wexler relève de ce second projet. Projet qui fait appel à la modélisation numérique.

Wexler fut l’un des premiers modélisateurs de l’atmosphère. Sur la photographie ci-dessous, datée de 1954 (Figure 17), il pose aux côtés de l’illustre John von Neumann, mathématicien de formation et l’un des pères de la (première) cybernétique et de la modélisation numérique (à commencer par la modélisation météorologique) dans les années 1950, et de Jule Charney, qui avait commis la première modélisation numérique du temps. En 1953, le ‘Numerical Meteorology Project’ de Princeton, dirigé par Charney, avait en effet atteint le but fixé par Neumann : réaliser par ordinateur une prédiction à 24 heures sur le territoire des États-Unis en moins de douze heures – depuis la collecte des données jusqu’à leur impression en passant par le traitement et les calculs. [Guillemot, 2007, p. 42 ; voir Edwards, 2010, “Chapter 6. Weather numerical prediction”, pp. 111-137]

                                                                                                               

143 Ces pratiques de modélisations informatiques, parfois au sujet d’objets globaux, avaient été initiées par J. Charney et J. von Neumann quelques années auparavant. A partir de la fin des années 1950, les modélisations des ‘think tanks’ du MIT ou de la RAND "intègrent" des paramètres sociaux – préfigurant les modèles des économistes des décennies à venir. Pour une histoire des modèles numériques, nous renvoyons à Armatte Michel & Amy Dahan, 2014 (à paraître).

Plusieurs historiens ont caractérisé, de manière plus générale, l’émergence d’un ensemble de pratiques scientifiques nouvelles, au sein des ‘think tanks’ de la Seconde guerre mondiale (Projet Manhattan) et la Guerre froide. Leur activité « mobilise la logique, les mathématiques, les statistiques, les modélisations et l’ordinateur naissant », et se veut avant tout « une manière scientifique et quantitative de gérer et de penser la guerre », écrit Dominique Pestre. La rationalisation des activités militaires accouche en effet de nouvelles épistémologies et de nouvelles pratiques sociales des sciences. Dans la lignée de l’organisation de la défense des côtes britanniques, une approche « globale et systémique » (et souvent « statistique » et/ou « probabiliste ») des agencements hommes-machines (par exemple, faire que l’ensemble "chaîne radar et observateurs au sol/gestion de l’information et centralisation des données/utilisation optimale des avions de chasse et de la défense antiaérienne", soit le plus efficace possible) se diffuse dans les états-majors et les universités d’après-guerre. On la désigne usuellement « recherche opérationnelle ». De plus, on voit se développer dans des think tanks de la Guerre froide tels que la RAND « des travaux cherchant, dans une lignée plus ou moins fidèle à la recherche opérationnelle et à la théorie des jeux », à créer une « science générale de la guerre » devant « rationaliser l’action des grands décideurs ». On peut les regrouper sous le terme générique d’« analyse des systèmes », dont nous retiendrons quatre caractéristiques :

i) la transdisciplinarité ;

ii) la centralité des pratiques de modélisation numérique et de l’outil mathématique (qui permettent notamment de « transcender » les disciplines, comme dans le cas de la cybernétique) ;

iii) une approche prescriptive et dynamique des problèmes. (« Une différence cruciale entre la recherche opérationnelle

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