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La  circulation  générale  troposphérique-­‐stratosphérique  des  météorologistes   Brewer  et  Dobson

Lors du conflit avec l’Allemagne, la météorologie de la moyenne atmosphère devient un enjeu pour l’armée britannique. Les missiles atteignent des altitudes très élevées (le V2 allemand culmine à des altitudes proches de 100 km). Quant aux avions, ils deviennent aptes à effectuer des vols à des altitudes plus importantes, jusque dans la basse stratosphère. La prédiction du temps stratosphérique devient utile aux aviateurs militaires. En outre, si l’altitude de vol des avions stratosphériques les rend moins vulnérables aux batteries ennemies, il semble de surcroît qu’ils génèrent moins de traînées dans la stratosphère, donc sont moins aisément repérables depuis le sol. Mobilisé par l’armée britannique, le jeune météorologiste Alan Brewer (1915-2007) va confirmer ce phénomène et lui fournir une explication.

La première partie du récit qu’A. Brewer fera, cinquante ans plus tard, de ses années de travail au ‘Meteorological Office’ britannique durant la Seconde Guerre Mondiale, relate les mesures d’humidité dans la stratosphère qu’il réalisa sous l’autorité de Gordon Dobson. Embauché comme météorologue par le "Met Office" dès 1937 après l’obtention de son ‘Master of Science’, A. Brewer est enrôlé comme prévisionniste météo dans la ‘Royal Air Force’ dès les débuts du conflit avec l’Allemagne. En 1942, il est envoyé à ‘Boscombe Down’ dans une unité spéciale spécialisée dans les vols en haute altitude… unité qui s’avéra se résumer à lui seul (“a special unit, which was to be just me”)! Au cours de sa mobilisation, le jeune météorologiste ne va toutefois pas demeurer tout à fait isolé de ses pairs scientifiques. Il va même faire deux rencontres collégiales de choix : avec Richard Goody, décrit comme « un diplômé récent de Cambridge […] s’intéressant à la

partie avionique », « un personnage roux qui s’avéra immensément utile » (Brewer et lui travailleront côte à côte jusqu’à la fin de la guerre) ; et, de manière plus décisive, avec Gordon Dobson, la personnalité de référence de la science de l’ozone atmosphérique dans le monde, toujours basé à Oxford. [Brewer, 2009 (1999), p. 18]

Lorsque G. Dobson commence à superviser le travail d’A. Brewer en 1942, le ‘Fellow’ de la ‘Royal Society’ a déjà compilé des mesures hygrométriques de la stratosphère depuis plusieurs années, grâce aux financements d’Oxford. Or, en temps de guerre, les mesures d’ozone revêtent une signification nouvelle, puisqu’elles peuvent aider à résoudre une énigme qui touche à la discrétion des vols des avions militaires du Royaume-Uni. A. Brewer raconte que, contre toute attente, « en pratique, les pilotes, inquiets, rapportaient qu’ils observaient des traînées [dans leur sillage] lorsqu’ils volaient à altitude modérée dans des régions où ils ne s’y attendaient pas ; par contre, ils n’observaient aucune traînée lorsqu’ils volaient à plus haute altitude, dans des régions où ils s’attendaient au contraire à les observer [(du fait de la température plus faible qui y règne, qui est propice à la formation de traînées de nuages de glace, ou « cirrus »)]. Or, cette divergence était très importante, poursuit Brewer. Lors d’un raid sur Nuremberg, nous avions perdu 93 avions, une perte absolument insupportable. […] Il était par conséquent essentiel que nous déterminions ce qui se passait. » Brewer et Dobson développent alors un hygromètre à point de gel, et font s’élever le ‘Flying Fortress’ à 37 000 pieds (soit près de 11 300 mètres). Pour la première fois, les deux météorologistes se trouvent physiquement dans la stratosphère. « A ma grande surprise, rapporte A. Brewer, alors que la température grimpait, le point de gel baissa, et aux plus grandes altitudes, je n’obtenais plus de dépôt. Nous utilisions du dioxyde de carbone solide comme réfrigérant et nous devions de toute évidence lui substituer à présent de l’oxygène liquide, ce que nous fîmes, mais il était net que la raison pour laquelle on n’observait pas de traînée dans la stratosphère était que l’air y était excessivement sec. Je n’aurais jamais pu penser que l’air y fût aussi sec avant de [faire l’expérience], mais je l’avais vu de mes propres yeux. J’eus [par la suite] beaucoup de difficulté à convaincre les gens que l’on pouvait effectivement mesurer cette sécheresse. » [Brewer, 2009 (1999), p. 18]

L’aviation stratosphérique, vieille de quelques années seulement, ne sera pas développée suffisamment rapidement pour constituer une arme décisive au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Mais, une émouvante rencontre "physique" des scientifiques avec la stratosphère avait eu lieu au cours du conflit. Avec en prime, pour A. Brewer, la découverte inattendue du caractère « excessivement aride » de la stratosphère, qui non seulement encouragea le développement d’une flotte militaire capable de voler à très haute altitude, mais exigea également de reconsidérer la physique de la stratosphère. Afin de

concilier aridité de la stratosphère et mesures d’ozone stratosphérique, Brewer et Dobson vont en effet formuler un schème de circulation globale qui restera.

Pour Brewer et Dobson, la partie hygrométrique du travail est indissociable des mesures d’ozone. En effet, les concentrations d’ozone conditionnent le bilan radiatif de la stratosphère et donc sa météorologie. A cause de la présence d’un puissant "filtre ozone" dans la stratosphère, composition chimique et dynamique sont même plus fortement couplées dans cette région que dans la troposphère.

Suite aux étonnantes mesures hygrométriques de Brewer, Dobson recalcule la balance radiative de la stratosphère avec les nouvelles mesures d’humidité de son jeune collègue. Et, Brewer formule et parvient à imposer son hypothèse selon laquelle une partie de l’air et de l’ozone stratosphériques est générée dans le bas de la stratosphère équatoriale avant de s’élever. Ces trajectoires de masses d’air équatoriales sont combinées avec celles des parties polaires, que formalise de son côté Dobson. La description de Dobson "referme" la circulation d’ozone stratosphérique, en décrivant la descente de l’ozone vers la basse stratosphère au niveau des pôles, pour obtenir in fine un schème théorique de circulation stratosphérique globale. Connue aujourd’hui sous le nom de Circulation de Brewer-Dobson, cette représentation de masses d’air stratosphériques à l’échelle globale a évolué, entre celle de Brewer et Dobson pour des altitudes de 10 et 24 kilomètres environ au tournant des années 1950, et celles d’aujourd’hui, qui s’étend jusque dans la mésosphère (voir Figure 11 (c) infra). Dans leurs publications, Dobson et Brewer mettront surtout en avant le fait que, tout en préservant un bilan d’ozone global constant, leur modèle de circulation permettait d’expliquer le déficit d’ozone de l’air tropical par rapport à l’air polaire (alors que la stratosphère tropicale était pourtant le lieu principal de production d’ozone, du fait des

forts apports radiatifs du Soleil dans cette région).98 Ce travail avait, en tout cas, couplé ozone

et dynamique atmosphérique à grande échelle…99 Même si, affirme R. Bojkov, c’est seulement lors

                                                                                                               

98 Aux yeux des scientifiques de l’atmosphère d’aujourd’hui, le travail de Brewer aurait plutôt porté sur des bilans de vapeur d’eau, et celles de Dobson sur des trajectoires d’ozone. Le témoignage de Brewer tend à indiquer que les travaux de Brewer et Dobson ne furent jamais produits indépendamment, les deux chercheurs prenant en compte dès le début dans leur raisonnement la vapeur d’eau et l’ozone.

99 En outre, la première hypothèse d’une destruction anthropique de l’ozone (Harrison, 1970) incriminera les émissions de vapeur d’eau d’avions stratosphériques, c’est-à-dire un phénomène semblable à celui qu’avait étudié Brewer. Ce dernier ne fit, en revanche, jamais l’hypothèse d’une destruction anthropique de l’ozone. En revanche, son travail sur l’aridité de la stratosphère l’avait fait accéder au cénacle des scientifiques de l’ozone stratosphérique.

Brewer affirme avoir toutefois eu « beaucoup de mal » à convaincre Dobson et ses autres collègues de la pertinence de ses mesures dans la stratosphère (“I had plenty of trouble with people convincing them that we could really measure that

dryness”) :

“I would like to say about the 1949 paper that I knew very well that it was not in accordance with most people’s views, and that it would be difficult to get published. Indeed, part of the paper was designed to be acceptable to the referees and the editor. It would have been very easy for the referees to rubbish it, and to say that I had no experience in this field, was out of touch and that the idea was ridiculous because it was widely recognised that the stratosphere was in radiative equilibrium [(what was still believed by some

de la Rencontre quadriennale sur l’ozone de l’ICSU, qui se tint à Albuquerque (Nouveau-Mexique) en septembre 1964, que la communauté scientifique prédit, « pour la première fois, que l’influence active de l’ozone sur les dynamiques stratosphériques, due à ses propriétés radiatives, allait à l’avenir prendre une place de plus en plus grande dans les études sur la circulation atmosphérique ». [Brewer, 2009 (1999), pp. 18-19 ; Brewer, 1949 ; Dobson, 1956; Bojkov, 2010, pp. 34-35]

Une remarque complémentaire, pour finir : au tournant des années 1970, A. Brewer

posera les bases d’un nouveau spectromètre alternatif au ‘Dobson’.100

                                                                                                               

specialists two decades later – cf. Murgatroyd, 1970), and not exchanging big quantities of heat with the troposphere]. I thank Reggie Sutcliff, who was the editor at the time, for it being published.” [Brewer, 2009 (1999), pp. 18 & 20]

Bien que Brewer n’appartînt pas encore à l’élite des scientifiques de la stratosphère, son travail avait donc pu être publié en 1949 dans le Quarterly Journal of the Royal Meteorological Society. Par la suite, il poursuivit ses mesures

d’humidité de la stratosphère et ses mesures d’ozone à l’aide des spectrophotomètres de Dobson, jusqu’à devenir une figure reconnue de la petite communauté (il présidera l’IO3C entre 1967 et 1975).

100 A. Brewer développera en outre un spectromètre, qui utilisera « des méthodes de mesures digitales

[(numériques)]. Nous avions débuté ce travail [dès le tournant des années 1970, expliquera-t-il, avant que ne se pose pour la communauté] un autre problème stratosphérique », celui relatif aux impacts atmosphériques que généreraient une grande flotte civile d’avions supersoniques [Brewer, 2009 (1999), p. 20]. A partir de ces mesures, un article cosigné par Kerr et McElroy verra le jour au plus fort de la controverse scientifique sur la destruction de l’ozone par les NOx émis par les avions civils supersoniques (Brewer et al., 1973, “Nitrogen dioxide concentrations in the atmosphere”).

Cet appareil, précise Brewer, n’était toutefois pas le « "Brewer" moderne, comme ils l’appellent » [Brewer, 2009 (1999), pp. 20-21]. Le spectrophotomètre dit "Brewer", développé au cours des décennies suivantes, sera de taille plus importante que son aïeul, et donc moins aisément transportable, et sera automatisé. En outre, il utilisera des réseaux de diffraction, là où le "Dobson" utilisait des prismes. Brewer ne participera guère au développement de l’appareil. Le nom « Brewer » donné au spectrophotomètre relève de l’hommage au physicien britannique, plutôt que de la reconnaissance d’une paternité. On attribue au ‘Meteorological Service of Canada (MSC)’ la construction des premiers spectrophotomètres Brewer « modernes ». Ils seront distribués au Canada puis sur le reste du globe, pour former un réseau dès le tournant des années 1980. Faute de cadre international pour la calibration des

observations UV du spectrophotomètre, les instruments du MSC demeurent aujourd’hui les sepctromètres Brewer de référence (à l’inverse, une procédure internationale WMO de calibration existe pour les ‘Dobson’)

[http://www.data.kishou.go.jp/obs-env/cdrom/report/html_e/7_3_7.html (12/03/2012)]. Avec les

spectromètres Brewer développés à partir des années 1970, on passait d’une technologie créant optiquement des bandes spectrales à une technologie enregistrant l’ensemble des spectres, puis sélectionnant le spectre à l’aide d’une grille électronique. L’autre tournant technologique résidait dans l’automatisation des spectromètres, dont les flux de données étaient recueillis par un ordinateur. Intégré dès 1982 au réseau international de mesures d’ozone, le spectrophotomètre Brewer devint un instrument incontournable, aux côtés des instruments à filtre soviétiques, et surtout des spectrophotomètres Dobson (voir Figure T dans le Chapitre 3). Ces derniers n’ont en effet pas été supplantés par l’appareil canadien ; ils continuent leur carrière d’instruments, avec un niveau d’utilisation

approximativement égal aux spectrophotomètres Brewer. Le site web du Network for the Detection of Atmospheric Composition Change (NDACC), abrité par la NOAA, témoigne de l’actuelle suprématie partagée des deux

instruments [NDACC website, 2011, http://www.ndsc.ncep.noaa.gov/organize/protocols/appendix1/ (le

10/11/2011)]. La longévité des ‘Dobson’ s’explique en partie par le fait que les scientifiques cherchent à obtenir de longues séries de "données" obtenues à l’aide du "même" instrument, afin d’écrire des récits sur l’ozone les plus longs possibles à partir de données vues comme homogènes, cohérentes. D’autres techniques spectrométriques, toutefois, se sont développées depuis les années 1990. Le « spectromètre hyperspectral », à bord du satellite de GOME (‘Global Ozone Monitoring Experiment’), a ainsi été mis en orbite en 1995 par l’Agence Spatiale Européenne. Il est indissociable de la technique DOAS (spectroscopie d’absorption optique différentielle), développée en France par Jean-Pierre Pommereau et son équipe.

 

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Les  sciences  montantes  de  la  circulation  générale  et  du  climat  global,  peu  

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